Texte intégral
1. Nous sommes ici à l'Odéon, dans un théâtre, qui, au fil du temps, a changé de nom.
L'Odéon, quand il est inauguré en 1782, accueille la troupe du Théâtre Français. Il est en 1789 baptisé Théâtre de la Nation. Il accueillera, sous la direction de BARRAULT, les représentations du théâtre des nations, avant, en 1990, de devenir le théâtre de l'Europe.
De la France, aux nations, à l'Europe, donc, telle fut la dynamique de cette institution que nous racontent ces différentes appellations.
Telle est, aussi, la dynamique dans laquelle nous nous inscrivons avec la construction européenne.
Il y a là un écho très fort, et je veux saluer le choix fait par l'Agence de célébrer ici, dans ce magnifique cadre, les 30 ans du programme Erasmus.
Oui, ce lieu, mesdames et messieurs, fait sens. Profondément. Et je remercie son directeur Stéphane BRAUNSCHWEIG de nous y accueillir.
Peu de lieu auraient si bien incarné, concrètement, ce qui nous rassemble aujourd'hui : l'anniversaire des 30 ans d'Erasmus.
Quel meilleur endroit qu'un théâtre de l'Europe pour saluer un programme européen qui a fait, de l'Europe, un théâtre pour la jeunesse ?
Un théâtre sur lequel s'élancer pour se former, pour étudier, pour se cultiver, et pour, tout simplement, venir à la rencontre les uns des autres.
Oui, grâce à vous, grâce à Erasmus, l'Europe est le théâtre de notre jeunesse !
2. En se plaçant sous le patronage d'Erasme, ce programme lancé en 1987par une Commission européenne alors dirigée par Jacques DELORS, incarne l'esprit même de l'Europe.
Il représente aussi l'Europe de l'esprit, l'Europe des universités. Une Europe qui ne date pas d'hier. Une Europe née bien avant que ne soit lancée la construction de l'union européenne proprement dite, et dont nous sommes aujourd'hui, les héritières et les héritiers.
Oui, avant d'être une construction économique et sociale, avant d'être politique, l'Europe a d'abord été, dès la Renaissance, l'Europe des universités, l'Europe de l'humanisme et de la pensée, l'Europe des sciences, des lettres et des arts.
Voilà ce que nous dit ce programme, en choisissant un tel nom : voilà l'ambition qui le nourrit depuis 30 ans.
Cette ambition est aujourd'hui la nôtre. Cette ambition est grande, belle et généreuse : elle est surtout exigeante !
Les défis qui sont les nôtres, les crises que nous traversons, ne se relèveront pas par la compromission et le repli sur soi mais grâce à l'Europe des savoirs, de la recherche et de la connaissance.
Grâce à une Europe qui ne soit pas, comme c'est parfois le cas, une abstraction, mais une réalité vécue, bien vécue, et ressentie.
C'est là, je crois, un autre parallèle avec le théâtre qui nous accueille. La scène donne une présence physique à des oeuvres qui se déploient sur la page.
De la même façon, Erasmus est l'occasion de vivre, concrètement, ce que signifie être européen, les témoignages, les films le montrent bien.
Oui, Erasmus permet de sortir des abstractions, quand ce ne sont pas des clichés et des caricatures, dont souffre trop souvent l'union européenne.
Erasmus n'est donc pas juste un de ces programmes qui ponctuent l'action de l'Union européenne.
ERASMUS, ce n'est pas seulement plus de 3 millions de jeunes européens qui depuis 1987 en ont bénéficié pour parcourir l'Europe.
ERASMUS, ce n'est pas seulement le million d'enfants nés, toujours depuis 1987, d'un couple formé dans le cadre des échanges ERASMUS même si Umberto Eco a annoncé que l'Europe allait bientôt se trouver forgée par une telle génération !
ERASMUS, c'est beaucoup plus.
ERASMUS, c'est le but même de la construction d'une Europe, tournée vers l'avenir, entretenant l'idée de paix entre les nations, arrimée à une culture à la fois commune et diverse.
Une Europe appuyée sur une jeunesse qui n'est plus arrêtée par les frontières réelles ou imaginaires qui en limitèrent souvent l'épanouissement.
Et dans ce moment de joie qui nous rassemble aujourd'hui, je ne veux pas oublier qu'un autre anniversaire est commémoré, moins joyeux, mais tout aussi important : celui de la première guerre mondiale. Celui d'une Europe qui fut le théâtre de batailles sanglantes, dans lesquels des millions de jeunes européens allaient perdre la vie.
Il est, je crois, important d'avoir de la mémoire, quand on parle de l'Europe. Le temps qui passe nourrit l'oubli. Il nous fait prendre pour acquises des choses qui ne le sont pas. La paix n'est jamais gagnée.
Elle est un combat de tous les jours.
Je peux comprendre ceux qui s'en prennent à l'Europe d'aujourd'hui ; je peux entendre ceux qui en déplorent et parfois avec raison les insuffisances, les inaccomplissements et parfois la dureté ; mais sachons aussi avoir de la mémoire.
Sachons aussi être justes, et n'oublions jamais l'ère de paix et les protections que l'union européenne nous a apportés, à chacune et à chacun d'entre nous, et, en particulier, à sa jeunesse.
Cela ne signifie pas s'interdire de faire évoluer les choses dans l'union européenne. Mais cela veut dire avoir de la mémoire. Se souvenir. Comprendre le passé, pour mieux appréhender le présent et construire notre avenir.
3. Ce qu'Erasmus nous a apporté, et ce qu'il continue d'apporter, l'événement d'aujourd'hui nous l'a donné à voir, à entendre, et à ressentir.
Oui, Erasmus apporte énormément à notre jeunesse : il lui permet de circuler librement, de connaître d'autres cultures, d'autres langues, de s'ouvrir à autrui enfin pour s'enrichir et mieux se préparer à agir et à évoluer dans un monde ouvert.
Alors, je sais que certains, aujourd'hui, rêvent d'une éducation uniquement centrée sur le pré carré national.
Certains pensent que seule une mince élite aurait le droit de parcourir l'Europe.
Certains sont convaincus que la formation de nos jeunes peut se passer de mobilités internationales et qu'il suffit de s'en tenir à une identité nationale fermée et sourde à son environnement.
C'est évidemment le contraire que je suis venue soutenir, ici au Théâtre de l'Europe, et c'est le contraire que défend avec une fermeté jamais démentie le Président de la République que j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui.
Si Erasmus a contribué à faire de l'Europe un théâtre, comme un territoire à parcourir librement, il est une autre dimension essentielle que le théâtre dans lequel nous sommes aujourd'hui nous rappelle : le théâtre, c'est une élaboration collective. Un travail commun.
Il est le fruit d'un effort collectif considérable, dont nous n'avons pas toujours conscience, et qui va bien au-delà de ce qui est donné à voir sur la scène.
Si l'Europe est un théâtre, c'est aussi pour cette raison : il s'agit d'une construction collective, dans laquelle chacun doit jouer son rôle, et que nous ne pourrons faire véritablement advenir qu'à condition d'être unis. Et cette unité, par-delà les frontières, est bien réelle.
A ceux qui en doutent, je ne peux que leur dire :
Regardez, écoutez, lisez. Tournez-vous vers le présent comme vers le passé, et répondez franchement.
La culture de chaque pays qui compose aujourd'hui l'Union européenne n'est-elle pas faite d'apports venus de ses voisins proches et parfois plus lointains ?
Quelle littérature, quel art, quel savoir a pu se développer dans l'isolement ?
Quel chef d'oeuvre n'est pas innervé par des inspirations multiples ?
Nous avons vu l'humanisme français puiser à des sources italiennes ; le romantisme français naît de l'influence conjointe de l'Allemagne et de l'Angleterre ; et comment oublier le rôle essentiel joué par la Mittel Europa dans les révolutions culturelles et artistiques de la fin du XIXème siècle ?
L'Europe, mesdames et messieurs, n'a cessé de se nourrir de circulations, d'échanges, de transferts, de connections, d'emprunts. L'Europe d'aujourd'hui résulte de la sédimentation de tous ces héritages entremêlés. C'est ce qui fait sa grandeur, c'est ce qui fait notre force !
C'est ce qui doit être entretenu et défendu jour après jour, et c'est pour cette raison que je veux célébrer la magnifique réussite qui nous réunit ici, loin des discours déclinistes et sarcastiques qui trop souvent résonnent quand on évoque l'Europe.
4. Oui, Erasmus est un succès, qui doit être reconnu et célébré comme il convient.
Ce succès se mesure d'abord à sa notoriété : près de trois quarts des Français interrogés disent connaître le programme. C'est une notoriété qui ne peut que faire envie. Mais il y a encore mieux. C'est le taux de satisfaction de ceux qui en ont profité : 100% affirment qu'ils recommanderaient à chacun d'y participer.
100% d'opinions favorables, voilà qui peut, légitiment, rendre jaloux bien des femmes et des hommes politiques.
Quand on y regarde de plus près, les deux principaux enrichissements reconnus par les bénéficiaires de ce programme ont trait à la rencontre de l'autre : 72% disent avoir amélioré leur pratique d'une langue étrangère et 60% avoir noué des amitiés avec d'autres ressortissants de pays européens.
Et quand on interroge les jeunes sur les valeurs qu'ils associent à ERASMUS, celles-ci sont toujours extrêmement positives : pratique des langues, ouverture culturelle, découverte de l'Europe, citoyenneté européenne, etc.
Mais dans tous ces chiffres admirables, il y a néanmoins un point qui reste à améliorer : seuls 6% des 25-34 ans bénéficient du programme ERASMUS+. C'est un chiffre que nous devons accroître, d'autant que l'appétence est là, et le désir est réel : 77% des jeunes disent avoir l'envie d'en profiter un jour.
Plus cette Europe de la connaissance et de la formation impliquera de jeunes, plus l'Europe sera forte, et plus, en retour, la jeunesse cessera d'avoir un destin à subir, pour avoir un avenir à construire.
Chacun s'accorde à considérer que le programme ERASMUS+ doit se développer dans plusieurs directions.
Il doit être de plus en plus accessible aux salariés dans le cadre d'une formation professionnelle.
Il doit être davantage encore ouvert aux apprentis et aux élèves de l'enseignement professionnel.
L'accès des lycéens et des collégiens à ce programme doit également être facilité.
Il doit pouvoir encore mieux bénéficier aux enseignants.
Il doit permettre des partenariats avec les entreprises et les collectivités territoriales.
Il doit se développer sur d'autres continents.
Il doit inclure des formations non diplômantes.
C'est pour répondre à toutes ces lignes de développement que le programme ERASMUS PLUS a été lancé.
Les mobilités internationales doivent concerner tous les jeunes, et pas seulement ceux pour qui le voyage fait partie des habitudes familiales : le président de la République a donc voulu encourager une ouverture en faveur des personnes les plus éloignées des mobilités internationales.
Ainsi, les lycées professionnels et les réseaux d'éducation prioritaire (REP et REP+) bénéficient désormais d'une participation au programme ERASMUS PLUS respectivement supérieure et équivalente à la moyenne nationale.
Pour ce qui concerne l'enseignement supérieur, 47% des étudiants boursiers sur critères sociaux en mobilité sont partis grâce à ERASMUS PLUS. Et le taux d'étudiants boursiers bénéficiant de ce programme (35%) est supérieur à la moyenne nationale des boursiers de l'enseignement supérieur (28%).
Et c'est avec cette même volonté de lutter, toujours et encore, contre les inégalités, contre toutes les inégalités, y compris celles qui séparent les territoires, que des efforts ont été faits en direction des territoires et collectivités d'outre-mer.
Depuis 2015, ERASMUS PLUS finance également des projets de l'enseignement supérieur au-delà de l'Europe afin de développer l'attractivité et l'internationalisation de l'enseignement supérieur européen.
Ce programme est trop important pour que nous ne cherchions pas à le faire rayonner largement, et en faire profiter le maximum de personnes.
Il est essentiel pour la formation professionnelle, pour les études, pour le savoir.
5. Il est surtout essentiel parce qu'il donne l'occasion de vivre une expérience qui donne du sens à nos vies, à nos existences.
C'est pour cette raison que le Président de la République a voulu encourager l'engagement, avec notamment l'universalisation du service civique, et que la France a toujours soutenu la mobilité européenne et internationale, notamment avec ERASMUS.
La Commission vient également de proposer un corps européen de solidarité. Tous les jeunes Européens pourront ainsi proposer leur aide là où elle sera utile, pour répondre aux situations de crise.
Et je sais que le Président de la République tient à saluer la proposition de la Commission européenne d'abonder le budget d'Erasmus+ de 200 millions d'euros pour la deuxième partie de la programmation (2017-2020).
Quel meilleur outil, en effet, que celui-ci pour faire aimer l'Europe ?
Quelle meilleure méthode pour donner à l'Europe une consistance morale ?
Quel meilleur chemin pour donner naissance à un sentiment européen dont on regrette souvent l'absence ou l'extrême fragilité ?
Aux dires de certains, tout se passerait comme si la construction concrète de l'Europe, l'avait désenchantée. L'idée européenne ne semble plus qu'appeler des solutions techniques à des problèmes, y compris culturels.
Ainsi que d'inquiétudes ou de désintérêt lorsqu'il s'agit d'inventer une Europe des universités et de la recherche !
Que de blocages face aux nouvelles logiques et aux nouvelles institutions, alors même que de celles-ci est en train de naître, comme à la fin du XIXe siècle, une Europe intellectuelle où les échanges instituent peu à peu l'Europe des idées !
C'est pourtant par cette voie que l'Europe doit franchir les étapes futures, comme le remarquait le regretté Bronislaw GEREMEK, je le cite :
« L'Europe ne peut s'affirmer que dans la reprise du défi prométhéen, dans la volonté de placer les sciences au coeur de ses projets d'avenir. »
Voici pourquoi il faut redoubler d'efforts pour imposer l'Europe comme l'horizon naturel dès le plus jeune âge.
Voilà pourquoi, dans ce théâtre de l'Europe, mais aussi bien au-delà, il est essentiel de faire ressentir et vivre à quel point l'Europe est notre théâtre, et sera ce que nous voulons en faire.
Oui, l'Europe est en crise. L'idée européenne elle-même est en crise. Il serait vain de le nier. Mais dans une telle situation, dans un tel moment, il ne sert à rien de rester hébétés, sans rien dire, sans rien faire. Si l'Europe est ressentie comme une abstraction, alors il nous appartient de la rendre vivante.
Sans doute les efforts passés ont-ils été insuffisants. Sans doute nos politiques n'ont-elles pas été assez attentives à la construction mentale de l'Europe. Les intérêts l'ont trop souvent emporté sur les passions. Or pour construire l'Europe, il convient aussi d'y mettre de la passion.
C'est ce que depuis trente années, les programmes ERASMUS et ERASMUS PLUS s'efforcent d'accomplir en inoculant la passion de l'Europe aux plus jeunes.
C'est ce que nous faisons aussi en menant, à l'échelle européenne, une réflexion sur l'éducation à la citoyenneté qui soit non seulement républicaine, démocratique, nationale, mais aussi européenne.
L'Europe des esprits, l'Europe de la pensée, l'Europe de l'audace reste à construire. Et ce n'est pas facile. C'est un combat. Mais dans ce combat, nous avons bien des atouts, bien des soutiens, et un passé et un présent qui doivent nous nourrir, nous encourager et nous inspirer.
6. Les intellectuels, les écrivains, les artistes, les savants, n'ont pas manqué, tout au long de l'histoire, pour doter l'Europe d'une culture commune aux mille déclinaisons.
Il n'est que de songer à l'Europe de la Renaissance à la mémoire de laquelle le nom d'Erasme renvoie naturellement.
Il n'est que d'évoquer les oeuvres de Saint-Simon ou de Kant, et de se rappeler de l'appel vibrant lancé par Victor Hugo aux « Etats-Unis » d'Europe, où se conjuguent le sentiment nationale et l'aspiration européenne.
Cette grande tradition, il faut l'entretenir, la réveiller même, aujourd'hui, au moment où certains souhaitent élever des murs symboliques ou réels entre les peuples et les cultures.
Voici pourquoi les programmes ERASMUS sont une réalisation qu'il convient non seulement de célébrer, mais surtout de renforcer et d'étendre.
C'est de la génération ERASMUS qu'il faut attendre le réveil de l'esprit européen, engourdi sous les effets d'une crise économique si profonde qu'elle met en péril l'idée même d'un destin commun que les grands européens de l'après-guerre avait dessiné.
C'est cette Europe de l'esprit et des valeurs que porte cette génération.
C'est cette Europe de la connaissance et de la culture qu'incarne ERASMUS depuis trente ans, et que nous allons, mesdames et messieurs, continuer à construire, ensemble, avec détermination, avec une volonté sans failles, mais aussi avec cet enthousiasme et cette passion qui font justement la force du savoir, des arts, de la culture et de la pensée, depuis si longtemps.
Je vous remercie, et j'en profite pour vous souhaiter, à toutes et à tous, une excellente année 2017 !
source http://www.generation-erasmus.fr, le 12 janvier 2017