Texte intégral
Général Kelche
Il y a un accroissement de vigilance des forces armées dans le cadre de la sécurité de la Nation, et c'est bien normal. Il y a un certain nombre de préoccupations fortes, avec la lutte qui est engagée contre le terrorisme international. Nous ne pouvons pas laisser à nos enfants et à nos petits-enfants un monde où la haine et l'arbitraire s'exercent indifféremment contre des femmes, des enfants ou des vieillards, ce n'est pas possible. Il y a des réseaux terroristes un peu partout dans le monde. Le problème, c'est que lorsqu'on a affaire à un pays qui ne veut pas coopérer il faut faire des pressions sur lui pour qu'il ne protège plus le terrorisme. Et si il ne veut pas comprendre, arrive un moment où il n'y a plus que la force. Et c'est ce qui se passe avec l'Afghanistan. L'engagement en Afghanistan va durer jusqu'à ce que cet objectif politique soit atteint. Cela peut prendre du temps, et cela prendra du temps. Nous participerons, en fonction des décisions politiques françaises, plus ou moins intensément dans différents domaines d'action, à ce qui se passe à l'action de la coalition en Afghanistan.
Est-ce que les attentats du 11 septembre, et la menace qu'ils représentent pour l'ensemble des pays européens et occidentaux, vont entraîner des changements dans l'armée, dans la façon d'appréhender notre défense ?
Logiquement, le 11 septembre fait apparaître un niveau de menaces plus important que naguère, menace terroriste bien sûr, menace aussi d'instabilité au Moyen Orient. La logique voudrait que nous assurions la mise en condition opérationnelle des forces armées à un niveau meilleur qu'il ne l'est aujourd'hui, que nous assurions bien entendu un renforcement très notable des mesures anti-terroristes. Autrement dit, à mon sens, il serait raisonnable de prévoir, dans les mois qui viennent, un collectif budgétaire sécurité intérieure / extérieure, qui approximativement devrait être de l'ordre de 15 à 20 milliards de francs.
Alain Richard, quels seraient, à votre avis, les enseignements majeurs qu'il faudrait tirer de cette catastrophe du 11 septembre et de ces attentats américains ? Est-ce que cela change énormément de choses sur votre appréhension de la Défense nationale ?
M. Alain Richard, ministre de la Défense
Pour moi, l'enseignement déterminant, ce sont les questions de sécurité intérieure et, parmi elles, de façon tout à fait décisive, les capacités d'enquêtes, d'investigations, de surveillance de groupes potentiellement dangereux, leur combinaison avec les Droits de l'Homme et avec les procédures protectrices de la vie personnelle et privée des citoyens.
Mais, là, on est sous la police intérieure, sous le renseignement.
Oui, mais le choc le plus important, du point de vue de la défense de nos démocraties et de leur rôle dans le monde, c'est celui-là, indéniablement. Mais si vous regardez les questions de défense, autres que la sécurité intérieure dans les pays démocratiques, les armées, les formations militaires ne sont pas chargées de la sécurité intérieure. Si vous regardez les tâches proprement militaires, vous avez des objectifs de renseignements qui doivent être encore développés, ce n'est pas quelque chose que nous découvrons, vous avez aussi les besoins de projection, de déploiements de forces, même très limitées, pour traiter les objectifs de support, de soutien du terrorisme qui peuvent être difficilement accessibles.
C'est l'idée d'envoyer des commandos, par exemple en Afghanistan, on sait que la France peut le faire. Mais au-delà de cela, est-ce qu'elle est capable d'autre chose ?
L'un de nos problèmes est que nous sommes bien peu de pays à pouvoir le faire. On peu s'en réjouir en disant " cela nous donne un rang, une influence spécifique ". La puissance américaine, elle, a une marge de forces spéciales importantes, qui peut lui permettre de traiter plusieurs opérations à la fois. Nos amis britanniques et nous-mêmes, qui sommes dans la suite du tableau, pouvons traiter de façon efficace, un groupe de sites dans un territoire, pas deux ou trois à la fois, et derrière, il n'y a pas beaucoup de pays.
Mais il y a quand même des spécialistes qui disent, " on voit que la France y est sans y être, on n'y est pas autant que les Anglais, encore évidemment, moins que les Américains... "
Ce sont des spécialistes qui ont oublié de noter que le déploiement britannique, dans la zone, était simplement lié à une manuvre qui était programmée depuis trois ans.
Actuellement nous avons deux bateaux en place, qui ont sans doute une utilité. Il n'y a pas, et pour cause, le porte-avions. Est-ce que cette crise nous fait réfléchir à la question d'un deuxième porte-avions ?
Honnêtement, c'est vraiment très loin du sujet. Comme vous le savez, Kaboul est à 1600 kilomètres de la mer et nous avons des capacités de projection de forces aériennes, avec des ravitaillements en vol, qui peuvent franchir des distances importantes depuis d'autres bases terrestres. Donc, bien entendu c'est très important dans certaines situations de conflit majeur, d'avoir un porte-avions..
Un porte-avions, c'est aussi la garantie d'indépendance d'un Etat.
La crise qui se déroule en Afghanistan est extrêmement loin des hypothèses " logiques " d'emploi d'un porte-avions, dans le cas d'un pays comme la France.
Si la France voulait intervenir un jour, il faudrait qu'elle ait une base relais ?
Bien sûr. Les distances réalisables, à partir d'avions ravitaillés, peuvent être importantes. Ce que je veux vous dire, c'est que le porte-avions français est le seul porte-avions européen.
Mais il est à quai, pour des raisons normales de maintenance.
La question de développer d'autres porte-avions n'est pas une question principalement pour la France. On ne voit pas pourquoi la France aurait la mission, seule, d'avoir une permanence, à la mer, d'une fonction d'attaque, qui est une fonction parmi bien d'autres, et donc nous devrions faire ce choix par priorité, vis à vis de beaucoup d'autres missions militaires que nous avons, alors que les autres pays européens, eux, devraient considérer que c'est la France qui les représente. Nous sommes dans d'autres situations opérationnelles aujourd'hui, et je pense que la crise en Afghanistan n'est absolument pas l'occasion de discuter d'un deuxième porte-avions français ou européen. Parce que les moyens d'action qui sont nécessaires dans une crise comme celle en Afghanistan, sont en réalité très à l'écart de l'utilisation d'un porte-avions.
Il n'est pas question de revoir, non plus, la loi de programmation militaire, de donner plus de crédits. Nous avons des manques, par-ci, par-là et qu'il est urgent de combler.
Nous avons établi un projet de loi de programmation pour les années qui viennent, après avoir respecté la loi de programmation en cours, ce qui n'avait pas été le cas depuis 30 ans. Donc, les donneurs de leçon de l'Opposition ont un petit aide-mémoire, là.
Ils disent que vous devez respecter un minima, et que, du coup, on a fait des économies.
Cela veut simplement dire qu'il y a une cohérence et que vous ne pouvez pas construire un système de défense en changeant d'avis tous les six mois, il y a une continuité. Je prends un cas : pour projeter une capacité de frappe à distance, depuis par exemple la mer, vous avez les avions, vous avez aussi les missiles de croisière. Il se trouve que la France est le seul pays, en dehors des Etats-Unis, à avoir conçu et développé un missile de croisière, qui va être livré dans 18 mois. C'est une décision qui a été prise il y a 7 ans. Nous sommes le seul pays à développer un missile de croisière autonome, par rapport aux Etats-Unis. Et je vous fais observer que nos amis britanniques ont choisi, pendant une certaine période, d'utiliser des missiles de croisière américains. Ils ont fait ce choix, alors qu'ils étaient libres de s'associer au projet de missiles de croisière européen, entre Français et Britanniques. Cela veut dire que la question d'avoir ses propres outils, est peut-être aussi importante que celle d'être au top-niveau technologique, en dépendant d'une tierce puissance. Et cela est vrai pour d'autres thèmes que celui du porte-avions, malgré son côté, disons, grand spectacle. Et donc, en l'occurrence, nous avons pris les décisions, et nous les assumons financièrement d'avoir nos propres missiles de croisière.
Et pas de coups d'accélérateur dans l'immédiat ?
Je pense que notre démocratie peut toujours faire le choix, en fonction de l'évolution des situations des risques internationaux, d'augmenter son effort de défense. Et c'est utile que vous posiez la question et que vous énonciez les différents champs, dans lesquels nous pourrions augmenter les moyens. Notre démocratie, comme beaucoup, a vécu ces dernières années, avec le sentiment que les risques majeurs, les risques vitaux avaient baissé et, donc, nous avons réduit notre effort de défense, surtout dans la première moitié des années 90. Depuis l'année 97, 96 même, cet effort est stabilisé.
Il faut accélérer, il ne faut pas accélérer...
Il peut y avoir une remontée, mais cela veut dire, soit remonter les dépenses publiques, soit supprimer d'autres dépenses existantes. Donc c'est un choix démocratique qui me paraît légitime d'être délibéré. Je vois des arguments pour dire, " il faut faire un effort supplémentaire pour la Défense. " Mais ce n'est pas une idée abstraite, elle veut dire, soit faire plus de dépenses publiques et avoir un problème de déficit, soit supprimer des dépenses publiques existantes. Nous avons fait notre travail en présentant un projet de loi.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 6 novembre 2001)
Il y a un accroissement de vigilance des forces armées dans le cadre de la sécurité de la Nation, et c'est bien normal. Il y a un certain nombre de préoccupations fortes, avec la lutte qui est engagée contre le terrorisme international. Nous ne pouvons pas laisser à nos enfants et à nos petits-enfants un monde où la haine et l'arbitraire s'exercent indifféremment contre des femmes, des enfants ou des vieillards, ce n'est pas possible. Il y a des réseaux terroristes un peu partout dans le monde. Le problème, c'est que lorsqu'on a affaire à un pays qui ne veut pas coopérer il faut faire des pressions sur lui pour qu'il ne protège plus le terrorisme. Et si il ne veut pas comprendre, arrive un moment où il n'y a plus que la force. Et c'est ce qui se passe avec l'Afghanistan. L'engagement en Afghanistan va durer jusqu'à ce que cet objectif politique soit atteint. Cela peut prendre du temps, et cela prendra du temps. Nous participerons, en fonction des décisions politiques françaises, plus ou moins intensément dans différents domaines d'action, à ce qui se passe à l'action de la coalition en Afghanistan.
Est-ce que les attentats du 11 septembre, et la menace qu'ils représentent pour l'ensemble des pays européens et occidentaux, vont entraîner des changements dans l'armée, dans la façon d'appréhender notre défense ?
Logiquement, le 11 septembre fait apparaître un niveau de menaces plus important que naguère, menace terroriste bien sûr, menace aussi d'instabilité au Moyen Orient. La logique voudrait que nous assurions la mise en condition opérationnelle des forces armées à un niveau meilleur qu'il ne l'est aujourd'hui, que nous assurions bien entendu un renforcement très notable des mesures anti-terroristes. Autrement dit, à mon sens, il serait raisonnable de prévoir, dans les mois qui viennent, un collectif budgétaire sécurité intérieure / extérieure, qui approximativement devrait être de l'ordre de 15 à 20 milliards de francs.
Alain Richard, quels seraient, à votre avis, les enseignements majeurs qu'il faudrait tirer de cette catastrophe du 11 septembre et de ces attentats américains ? Est-ce que cela change énormément de choses sur votre appréhension de la Défense nationale ?
M. Alain Richard, ministre de la Défense
Pour moi, l'enseignement déterminant, ce sont les questions de sécurité intérieure et, parmi elles, de façon tout à fait décisive, les capacités d'enquêtes, d'investigations, de surveillance de groupes potentiellement dangereux, leur combinaison avec les Droits de l'Homme et avec les procédures protectrices de la vie personnelle et privée des citoyens.
Mais, là, on est sous la police intérieure, sous le renseignement.
Oui, mais le choc le plus important, du point de vue de la défense de nos démocraties et de leur rôle dans le monde, c'est celui-là, indéniablement. Mais si vous regardez les questions de défense, autres que la sécurité intérieure dans les pays démocratiques, les armées, les formations militaires ne sont pas chargées de la sécurité intérieure. Si vous regardez les tâches proprement militaires, vous avez des objectifs de renseignements qui doivent être encore développés, ce n'est pas quelque chose que nous découvrons, vous avez aussi les besoins de projection, de déploiements de forces, même très limitées, pour traiter les objectifs de support, de soutien du terrorisme qui peuvent être difficilement accessibles.
C'est l'idée d'envoyer des commandos, par exemple en Afghanistan, on sait que la France peut le faire. Mais au-delà de cela, est-ce qu'elle est capable d'autre chose ?
L'un de nos problèmes est que nous sommes bien peu de pays à pouvoir le faire. On peu s'en réjouir en disant " cela nous donne un rang, une influence spécifique ". La puissance américaine, elle, a une marge de forces spéciales importantes, qui peut lui permettre de traiter plusieurs opérations à la fois. Nos amis britanniques et nous-mêmes, qui sommes dans la suite du tableau, pouvons traiter de façon efficace, un groupe de sites dans un territoire, pas deux ou trois à la fois, et derrière, il n'y a pas beaucoup de pays.
Mais il y a quand même des spécialistes qui disent, " on voit que la France y est sans y être, on n'y est pas autant que les Anglais, encore évidemment, moins que les Américains... "
Ce sont des spécialistes qui ont oublié de noter que le déploiement britannique, dans la zone, était simplement lié à une manuvre qui était programmée depuis trois ans.
Actuellement nous avons deux bateaux en place, qui ont sans doute une utilité. Il n'y a pas, et pour cause, le porte-avions. Est-ce que cette crise nous fait réfléchir à la question d'un deuxième porte-avions ?
Honnêtement, c'est vraiment très loin du sujet. Comme vous le savez, Kaboul est à 1600 kilomètres de la mer et nous avons des capacités de projection de forces aériennes, avec des ravitaillements en vol, qui peuvent franchir des distances importantes depuis d'autres bases terrestres. Donc, bien entendu c'est très important dans certaines situations de conflit majeur, d'avoir un porte-avions..
Un porte-avions, c'est aussi la garantie d'indépendance d'un Etat.
La crise qui se déroule en Afghanistan est extrêmement loin des hypothèses " logiques " d'emploi d'un porte-avions, dans le cas d'un pays comme la France.
Si la France voulait intervenir un jour, il faudrait qu'elle ait une base relais ?
Bien sûr. Les distances réalisables, à partir d'avions ravitaillés, peuvent être importantes. Ce que je veux vous dire, c'est que le porte-avions français est le seul porte-avions européen.
Mais il est à quai, pour des raisons normales de maintenance.
La question de développer d'autres porte-avions n'est pas une question principalement pour la France. On ne voit pas pourquoi la France aurait la mission, seule, d'avoir une permanence, à la mer, d'une fonction d'attaque, qui est une fonction parmi bien d'autres, et donc nous devrions faire ce choix par priorité, vis à vis de beaucoup d'autres missions militaires que nous avons, alors que les autres pays européens, eux, devraient considérer que c'est la France qui les représente. Nous sommes dans d'autres situations opérationnelles aujourd'hui, et je pense que la crise en Afghanistan n'est absolument pas l'occasion de discuter d'un deuxième porte-avions français ou européen. Parce que les moyens d'action qui sont nécessaires dans une crise comme celle en Afghanistan, sont en réalité très à l'écart de l'utilisation d'un porte-avions.
Il n'est pas question de revoir, non plus, la loi de programmation militaire, de donner plus de crédits. Nous avons des manques, par-ci, par-là et qu'il est urgent de combler.
Nous avons établi un projet de loi de programmation pour les années qui viennent, après avoir respecté la loi de programmation en cours, ce qui n'avait pas été le cas depuis 30 ans. Donc, les donneurs de leçon de l'Opposition ont un petit aide-mémoire, là.
Ils disent que vous devez respecter un minima, et que, du coup, on a fait des économies.
Cela veut simplement dire qu'il y a une cohérence et que vous ne pouvez pas construire un système de défense en changeant d'avis tous les six mois, il y a une continuité. Je prends un cas : pour projeter une capacité de frappe à distance, depuis par exemple la mer, vous avez les avions, vous avez aussi les missiles de croisière. Il se trouve que la France est le seul pays, en dehors des Etats-Unis, à avoir conçu et développé un missile de croisière, qui va être livré dans 18 mois. C'est une décision qui a été prise il y a 7 ans. Nous sommes le seul pays à développer un missile de croisière autonome, par rapport aux Etats-Unis. Et je vous fais observer que nos amis britanniques ont choisi, pendant une certaine période, d'utiliser des missiles de croisière américains. Ils ont fait ce choix, alors qu'ils étaient libres de s'associer au projet de missiles de croisière européen, entre Français et Britanniques. Cela veut dire que la question d'avoir ses propres outils, est peut-être aussi importante que celle d'être au top-niveau technologique, en dépendant d'une tierce puissance. Et cela est vrai pour d'autres thèmes que celui du porte-avions, malgré son côté, disons, grand spectacle. Et donc, en l'occurrence, nous avons pris les décisions, et nous les assumons financièrement d'avoir nos propres missiles de croisière.
Et pas de coups d'accélérateur dans l'immédiat ?
Je pense que notre démocratie peut toujours faire le choix, en fonction de l'évolution des situations des risques internationaux, d'augmenter son effort de défense. Et c'est utile que vous posiez la question et que vous énonciez les différents champs, dans lesquels nous pourrions augmenter les moyens. Notre démocratie, comme beaucoup, a vécu ces dernières années, avec le sentiment que les risques majeurs, les risques vitaux avaient baissé et, donc, nous avons réduit notre effort de défense, surtout dans la première moitié des années 90. Depuis l'année 97, 96 même, cet effort est stabilisé.
Il faut accélérer, il ne faut pas accélérer...
Il peut y avoir une remontée, mais cela veut dire, soit remonter les dépenses publiques, soit supprimer d'autres dépenses existantes. Donc c'est un choix démocratique qui me paraît légitime d'être délibéré. Je vois des arguments pour dire, " il faut faire un effort supplémentaire pour la Défense. " Mais ce n'est pas une idée abstraite, elle veut dire, soit faire plus de dépenses publiques et avoir un problème de déficit, soit supprimer des dépenses publiques existantes. Nous avons fait notre travail en présentant un projet de loi.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 6 novembre 2001)