Interview de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, à La Chaîne info le 10 octobre 2001, sur l'intégration économique et sociale des jeunes issus de l'immigration.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser Le Gouvernement a les yeux rivés sur la communauté musulmane de France : on a peur de sa réaction, comme au moment de la guerre du Golfe. Je voudrais revenir un instant sur les incidents qui se sont produits après le match France-Algérie. Beaucoup de gens s'émeuvent d'avoir entendu la Marseillaise sifflée à ce match.
- "J'étais présent au Stade de France, samedi dernier, et c'est vrai que j'ai été très surpris, d'autant plus qu'une grande partie des spectateurs qui étaient là et qui se conduisaient comme vous venez de le décrire étaient les mêmes qui se roulaient dans des drapeaux bleu-blanc-rouge et qui pleuraient de joie devant la victoire de l'équipe de France au moment de la Coupe du monde."
En êtes-vous sûr ?
- "Oui. Je connais bien les habitants des cités. J'ai été surpris, mais il n'y a rien de définitif. Je souhaite vraiment que tous les adultes qui se sentent bien dans la société française et qui voient bien le pays de liberté que nous sommes, prennent la parole pour ramener ces jeunes qui ont pu se conduire comme ça à la raison et leur expliquer la chance qu'ils ont de vivre en France."
C'est un appel que vous lancez à qui ?
- "Je lance cet appel à l'ensemble des adultes, issus de la communauté musulmane, qui ont pris leurs responsabilités depuis les événements qui ont touché les Etats-Unis et qui ont su parler avec les plus jeunes, pour leur expliquer le côté très grave de ces actes qu'ils souhaitaient condamner et leur expliquer, lorsqu'ils sont croyants qu'il n'y aucun lien entre ce genre de pratiques et l'islam modéré qui est pratiqué en France."
C'est un petit côté "provoc" des jeunes quand ils disent qu'O. Ben Laden est un héros ?
- "C'est une toute petite minorité qui se conduit comme cela. Une petite minorité qui a quelque fois un lien très direct avec la petite délinquance, ceux qui ne sont plus bien dans leurs têtes et dans leurs corps et qui sont quelque fois en marge de la société. Pour tous les autres, ils se rendent bien compte du danger qu'ils pourraient courir s'il devait y avoir un parallèle dans la société française entre des actes de terrorisme et eux. Ils savent très bien la souffrance qu'ils pourraient endurer, les réactions qu'il pourrait y avoir et qui pourraient les toucher en termes d'emplois, en termes d'accès à une vie normale. Ils ont bien compris que cela pourrait être une cause supplémentaire et un facteur aggravant. C'est pour cela que dans la plupart de nos banlieues, nos concitoyens sont restés très calmes, très vigilants. Certes, quelques fois, ils essayent de faire le lien avec les événements qui peuvent exister au Moyen-Orient et souhaiteraient voir apparaître la paix au Moyen-Orient, mais la plupart d'entre eux ont compris que des actes terroristes tels que ceux de Ben Laden ne visent pas à établir la paix au Moyen-Orient. Des forces comme celles-là veulent la disparition d'Israël, avec tout ce que cela pourrait provoquer comme malheur pour le peuple palestinien et pour cette région du monde."
Pour en revenir à ce qui se passe en France : n'a-t-on pas un peu raté l'intégration finalement, à force de beaux discours, de laxisme - pourquoi ne pas le dire ? Est-ce qu'on n'aurait pas dû exiger une adhésion plus grande de la part des gens qui se font naturaliser Français et qui deviennent français ?
- "Je crois qu'il faut être précis. L'intégration culturelle est faite. Chez les adultes comme chez les jeunes, ils se sentent tout à fait bien dans la société française, y compris dans la société mondialisée. Un certain nombre de ceux qui étaient au stade étaient revêtus de toutes les marques mondialisées. Aujourd'hui, il y a encore beaucoup de travail à faire en ce qui concerne l'intégration économique et sociale. Cela ne s'arrête pas. Quand une partie de la population française a l'impression de se retrouver à une, deux ou trois générations, à 90 % de semblables habitant dans un quartier, ils ne se sentent pas intégrer économiquement et socialement. Lorsqu'une grande partie d'entre eux se rend compte qu'il y a encore des difficultés, des discriminations au niveau de l'accès à l'emploi, au niveau de l'accès à la culture et au niveau de l'accès au logement, ils se rendent compte qu'il y a encore du travail à faire. C'est pour cela que le Gouvernement de L. Jospin est décidé à faire ce travail. Parce que la meilleure manière de lutter contre tous les extrémismes ou contre tous les parallèles douteux, c'est de permettre à l'ensemble de nos concitoyens de se retrouver dans les valeurs de la République."
Quand vous dites que le Gouvernement est décidé à le faire, on a l'impression que la politique de la ville est surtout une politique d'urbanisme.
- "Pas du tout."
On détruit les barres : c'est bien joli !
- "A un moment donné, on détruit les barres, parce qu'il faut avoir cet outil supplémentaire. Mais la première chose que vise la politique de la ville est de permettre aux femmes et aux hommes de se reconstruire, de permettre aux femmes et aux hommes de se rendre compte qu'ils sont partie intégrante de la République, qu'ils peuvent avoir droit à l'accès aux services publics, à l'emploi, aux transports, comme tous les autres. Pour partie, cet urbanisme a trop mal vieilli et n'est plus désiré par celles et ceux qui ont la capacité de choisir leur quartier et leur logement. Il faut avoir le courage de dire et l'intelligence de dire que quelque fois, cela coûte plus cher à réparer qu'à démolir et cela constitue des fois l'origine même du ghetto. Il faut en finir avec les cités dortoirs."
Vous parlez de partie intégrante de la République : cela veut dire que vous souhaitez que les jeunes soient Français ?
- "Ils le sont."
Est-ce que c'est le moment de reparler du droit de vote des étrangers ?
- "Il faut en parler pour la génération des parents, pour payer la dette morale que nous avons vis-à-vis d'eux. Mais pour les enfants, eux, ils ont le droit de vote, ils sont Français. Eux attendent de nous beaucoup plus, à la fois sur les actes qui nous devons avoir en direction de leurs parents - je pense aux droit de vote, je pense aux lieux de culte décents pour éviter que quelques fois une partie des habitants de notre pays ne pratiquent leur religion dans des caves, je pense au carré musulman dans les cimetières -, mais ils attendent avant tout un droit au travail, un droit au logement et un droit à la culture."
Aujourd'hui, la majorité à des états d'âme. Le PC et les Verts sont très réservés sur l'attitude et sur la participation françaises aux opérations de représailles. Comment vivez-vous cela ?
- "Juste un parallèle, pour être précis, par rapport à votre question précédente. Souvent, lorsqu'on parle des quartiers populaires, on parle des échecs ou des difficultés. Il y a une grande partie de jeunes, notamment ceux qui sont issus de l'immigration, qui réussissent dans ces quartiers. Je souhaite vraiment que l'on puisse, dans les mois qui viennent, donner plus de visibilité à tous ces jeunes qui ont réussi et qui vivent dans ces quartiers. Venons-en à la majorité. Depuis le début, c'est une majorité de débats. L. Jospin a bien montré qu'il voulait être le Premier ministre qui respectait sa majorité, qui lui permettait de s'exprimer, y compris lorsqu'elle pouvait avoir des doutes, pour choisir ensemble. Vous avez constaté, hier, à l'Assemblée nationale, qu'après les explications qu'a eu l'occasion de donner le Premier ministre, la majorité, une nouvelle fois, s'est retrouvée autour de lui."
Vous en êtes sûr ? Il n'y a pas eu de vote.
- "En l'occurrence, il n'y a pas besoin de vote mais seulement d'explications. La position de la France est de dire que nous sommes avec les Etats-Unis pour lutter contre le terrorisme, que nous sommes un allié fidèle, mais nous voulons êtes tenus au courant des objectifs qui sont fixés. C'est certainement une analyse et un message que toute la gauche plurielle peut comprendre."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 24 octobre 2001)