Interview de Mme Sylvie Goulard, ministre des armées, avec Europe 1 le 26 mai 2017, sur la politique de défense de la France.

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Média : Europe 1

Texte intégral


DAVID DOUKHAN
Bonjour Sylvie GOULARD et bienvenue. Alors c'est votre première interview en tant que ministre des Armées, on a donc énormément de questions à vous poser. Mais d'abord un élément d'actualité, vous rentrez tout juste de Bruxelles, vous étiez au Sommet de l'Otan, vous avez participé au déjeuner entre Emmanuel MACRON et Donald TRUMP, le président des États-Unis. Les communicants de l'Élysée nous disent : ambiance cordiale, formidable, très bonne atmosphère, discussions à bâtons rompus. On a du mal à y croire tant les sujets de discorde sont nombreux, est-ce que vous confirmez cette version ?
SYLVIE GOULARD
Non, je confirme tout à fait. Honnêtement, il y a eu une discussion approfondie, qui est tout à fait d'ailleurs dans le style d'Emmanuel MACRON qui essaie toujours de discuter à peu près avec tous les interlocuteurs. Et je dois avouer que Donald TRUMP a montré un vrai intérêt, à la fois peut-être une curiosité pour ce qui s'est passé politiquement en France, mais aussi un intérêt pour la discussion. Je pense qu'il est lui-même dans une phase où il découvre, où il approfondit. Et nous avons des sujets d'intérêt commun comme la lutte contre le terrorisme, il y a des sujets comme le climat sur lequel nous pouvons avoir des divergences, mais c'est en tout cas… il est heureux que les deux dirigeants de ces deux pays, vu notre destin commun, soient en tout cas en capacité de se parler.
DAVID DOUKHAN
Vous dites qu'il a été passionné par ce qui s'est passé politiquement en France. On nous raconte qu'il aurait assuré Emmanuel MACRON du fait que non, Marine LE PEN n'avait pas les faveurs de Donald TRUMP pendant la campagne, c'est vrai, il lui a dit ça ?
SYLVIE GOULARD
Factuellement, il a indiqué qu'elle s'était rendue dans la Trump Tower – qui est son immeuble à New York – sans être reçue par lui, ce qui je crois avait d'ailleurs été dit à l'époque. Mais ça n'était…
DAVID DOUKHAN
On nous dit qu'il aurait dit à Emmanuel MACRON « you were my gay », en anglais ça veut dire… on peut traduire par « vous étiez mon favori ».
SYLVIE GOULARD
Je n'ai pas du comprendre, je n'ai pas entendu…
DAVID DOUKHAN
Vous n'avez pas entendu cette phrase, vous étiez peut-être un peu éloignée au niveau du placement à table. Alors parlons du fond sur ce Sommet de l'Otan, Donald TRUMP vous a fait la leçon, on avait le professeur TRUMP devant les 28 autres chefs d'Etat réduits à l'état d'élèves punis : vous ne payez pas assez, ce sont les Etats-Unis qui assument la charge financière de la défense du monde libre. Vous lui répondez quoi ?
SYLVIE GOULARD
D'abord, la plupart des dirigeants lui ont répondu que l'engagement a été pris déjà depuis 2 ans d'augmenter les budgets de la défense en Europe. Je crois qu'il faut faire la part des choses dans ce que dit Donald TRUMP, il y a un vrai enjeu pour nos concitoyens qui est d'assurer leur sécurité dans un monde qui est très incertain. Et je crois que nos générations, nous avons vécu depuis la fin de la seconde guerre mondiale, dans une espèce d'espace dans lequel bien évidemment au moment de la guerre froide, il y avait des tensions avec l'Union soviétique, mais dans lequel nous étions à peu près tranquilles si j'ose dire, nous croyions que la paix c'était acquis pour toujours…
DAVID DOUKHAN
Ca commence à remonter cette période-là.
SYLVIE GOULARD
Oui, mais il est vrai que l'investissement des Américains dans la défense du continent européen a été continu et important. Ils paient à peu près 70 % du budget de l'Otan, qui n'est pas évidemment le budget de toutes les armées de tous les pays qui y sont, je crois qu'il faut aussi expliquer aux auditeurs que c'est un peu plus compliqué. Mais en tout cas, leur effort a toujours été considérable et pour les Français qui se sont toujours battus pour une défense européenne autonome, c'est aussi quelque chose qu'on peut utiliser comme aiguillon positif, parce que ça va amener des pays qui peut-être ont été très réticents à prendre des décisions qui vont nous aider notamment… je signale qu'une des choses qui a été dite dans ces discussions, c'était madame MAY, la Premier ministre britannique qui a parlé de l'attaque terroriste qu'ils ont subie, notamment par exemple pour lutter contre le terrorisme.
DAVID DOUKHAN
Alors nous aussi, nous avons des efforts à accomplir. En gros vous dites : Donald TRUMP n'a pas entièrement tort. Ca nous amène à votre mission à vous peut-être pour les 5 prochaines années, promesse de campagne du candidat MACRON aujourd'hui président de la République, porter le budget de la Défense à 2 % du PIB, promesse qui sera tenue, vous en prenez l'engagement ce matin ?
SYLVIE GOULARD
Écoutez ! Le président l'a redit, ce n'est pas le ministre des Armées qui fait la loi de finance tout seul, il y a un Parlement…
DAVID DOUKHAN
Vous pourrez la défendre, vous pourrez défendre cette augmentation de budget…
SYLVIE GOULARD
Voilà ! Bien entendu, bien entendu.
DAVID DOUKHAN
Vous le ferez ?
SYLVIE GOULARD
Nous défendrons premièrement le besoin d'équipements de nos propres troupes. Nous étions avec le président de la République au Mali la semaine dernière, nous avons vu dans quelles conditions extrêmes nos soldats agissent pour le compte de la République…
DAVID DOUKHAN
Mais pardonnez-moi, vous n'êtes pas sûre…
SYLVIE GOULARD
Non non mais attendez…
DAVID DOUKHAN
Vous n'êtes pas sûre que l'objectif des 2 % sera atteint ?
SYLVIE GOULARD
Vous savez dans la vie… l'objectif des 2 % c'est 2025, moi je m'y emploierai de toutes mes forces…
DAVID DOUKHAN
2025.
SYLVIE GOULARD
Et je crois qu'encore une fois…
DAVID DOUKHAN
Les militaires aimeraient que ce soit plus rapide, 2018, 2019…
SYLVIE GOULARD
Non mais, il y a une montée…
DAVID DOUKHAN
C'est ce qui est demandé.
SYLVIE GOULARD
Il y a une montée en puissance qui est prévue et il faut effectivement la soutenir. Nous allons faire une nouvelle loi de programmation militaire qui est un gros exercice, dans lequel on analysera les besoins. Ce qui a été dit aussi autour de la table hier très justement, c'est que vous avez les moyens financiers et puis après, il y a ce que vous en faites, il faut aussi acheter avec discernement les matériels qui sont ceux qui manquent le plus ou ceux qui sont les plus adaptés à certains types de guerre. Non, je prenais l'exemple du Mali parce que vous savez, il faut voir comment les forces travaillent dans le désert par 45 degrés, avec des matériels par exemple aussi bien d'ailleurs hélicoptères qu'électroniques qui s'abiment énormément. Il faut mettre tout ça à plat, il faut le faire très sérieusement, mais la loi de finance est votée par le Parlement, la loi de programmation militaire aussi et je travaillerai évidemment avec le ministre du Budget et d'autres. C'est un énorme effort qui est demandé à la nation et qui supposera peut-être aussi évidemment des réductions dans d'autres domaines, puisque la France est d'ores déjà avec une dette considérable.
DAVID DOUKHAN
Donc on retient que vous ne vous engagez pas ce matin devant nos auditeurs à ce que l'objectif des 2 % soit tenu dans la durée du quinquennat, vous nous dites : bonne gestion plutôt qu'augmentation des budgets…
SYLVIE GOULARD
Je ne vois pas… franchement votre question est étrange parce que je ne vois pas…
DAVID DOUKHAN
On a connu des promesses de campagne non tenues par le passé, donc…
SYLVIE GOULARD
Non, non, mais justement l'idée est de tenir cette promesse…
DAVID DOUKHAN
D'accord.
SYLVIE GOULARD
Et je le répète. Je dis simplement que je suis trop respectueuse de la Constitution et des pouvoirs du Parlement et des prérogatives de mes collègues, pour ne pas jouer à la ministre qui vient aujourd'hui faire des promesses qui, elles pour le coup, ne seraient pas tenues. En mon nom, ça n'a pas de sens, c'est un travail gouvernemental.
DAVID DOUKHAN
Parfait. Alors ça nous amène à une autre question, peut-être un peu coûteuse pour les armées dont vous avez la charge, c'est le service militaire, là encore promesse de campagne. C'est 15 milliards d'euros en infrastructures, 2 milliards d'euros de fonctionnement chaque année, ce sont en tout cas les estimations du candidat Emmanuel MACRON à l'époque de la campagne. Vous considérez toujours que c'est une bonne idée, la mise en place de ce service militaire sur un mois par classe d'âge ?
SYLVIE GOULARD
Alors je crois effectivement… je crois qu'il faut d'abord clarifier les choses pour les auditeurs. Pendant la campagne, Emmanuel MACRON a parlé d'un service national qui concernerait tous les jeunes, mais dont il a bien dit qu'il faudrait qu'ils fassent l'objet… enfin que le projet doit être affiné. Et ce projet, il doit être affiné de manière interministérielle parce qu'il ne concerne pas que la Défense, on ne va pas rétablir la conscription, ça n'est pas ça. L'idée, c'est de mettre ensemble tous les jeunes français, garçons et filles, de villes et de banlieues et de campagne, de manière à ce qu'on leur donne une expérience qui soude la nation et qui permet peut-être à certains qui ne s'y sentent pas à l'aise de se sentir plus pleinement français reconnus, avec des droits et des devoirs…
DAVID DOUKHAN
Donc le fardeau de ce service national pourrait ne pas reposer uniquement sur le budget de la Défense !
SYLVIE GOULARD
Alors effectivement, il y a l'aspect budgétaire mais il y a une autre chose, c'est-à-dire qu'il faut d'abord énormément réfléchir à ce que nous allons faire avec ces jeunes. J'ai moi-même des enfants de cette tranche d'âge, je vois parfaitement que cette génération – qui est hyper connectée, qui a d'autres manières de vivre, d'autres manières d'apprendre – on ne peut pas la traiter comme on pouvait traiter des soldats au 20ème siècle, ce n'est pas du tout ça le projet. Donc il va y avoir d'abord un travail sérieux qui va être fait, de manière à voir comment on peut au mieux mettre en oeuvre les promesses d'Emmanuel MACRON.
DAVID DOUKHAN
Vous avez déjà une idée de la forme que pourrait prendre ce service national à ce stade, ou bien c'est vraiment le début d'une réflexion ?
SYLVIE GOULARD
Nous avons… non, nous avons commencé mais à ce stade franchement, il n'y aurait pas grand-chose à dire.
DAVID DOUKHAN
Bon ! Alors parlons de cette fameuse task force anti-Daesh, vous le répétez régulièrement, la menace terroriste est toujours aussi haute, à son maximum, on a vu les attentats terribles qui ont frappé le Royaume Uni il y a quelques jours. Mais cette task force, on voit bien l'effet de communication, on a du mal à en percevoir les contours opérationnels. Vous avez des informations ?
SYLVIE GOULARD
Oui, d'abord moi je me méfie de ce genre de mot, je crois qu'il faut parler aux auditeurs un langage qu'ils peuvent comprendre. Quel est le problème ? Le problème c'est d'améliorer… il y a déjà des rapprochements qui ont été faits entre les services du ministère de l'Intérieur et les services du ministère des Armées, entre les policiers et les militaires que les auditeurs voient dans la rue qui patrouillent armés, on appelle ça « l'opération Sentinelle ». Et puis il y a des remontées d'information qui peuvent venir du terrain, des services de renseignement. L'idée c'est d'améliorer la coordination parce que pour les Français ce qui compte, c'est que leur sécurité soit assurée, ce n'est pas que l'information arrive à travers un service qui est rattaché aux militaires ou un service de police ou par le biais de procédures judiciaires. C'est que toute l'information soit à la disposition du président de la République…
DAVID DOUKHAN
Une coordination à ce stade à vos yeux imparfaite, donc…
SYLVIE GOULARD
Je vous ai dit qui s'est améliorée. Vous savez, on apprend… d'ailleurs c'est ce que nous ont dit les Britanniques, j'ai vu mon homologue britannique, nous échangeons sur comment chaque pays réagit quand il est frappé, de manière aussi à profiter si j'ose dire de l'expérience des autres. Et c'est dans cet esprit que nous voulons continuer. Vous savez, je ne suis pas du genre à dire que mes prédécesseurs n'ont rien fait, ce n'est pas la question mais on peut peut-être encore faire mieux.
DAVID DOUKHAN
On combat les terroristes y compris sur le terrain, à l'étranger, en Syrie, objectif Raqqa, les Américains disent « l'offensive sur le dernier bastion de Daesh c'est à la mi-juin ». Vous confirmez ce calendrier ?
SYLVIE GOULARD
Vous imaginez que de toute façon même si j'avais l'information, je ne la livrerai peut-être pas à l'antenne, ça ne serait pas très responsable.
DAVID DOUKHAN
Nous avons… la France prendra sa part dans cette offensive, y compris au sol ?
SYLVIE GOULARD
La France n'est pas au sol en Syrie, je crois que c'est important de le dire…
DAVID DOUKHAN
La France est au sol en Syrie, tout le monde le sait, pourquoi ne pas le dire ?
SYLVIE GOULARD
La France… non, non, non, une chose est…
DAVID DOUKHAN
Nous avons des hommes sur place.
SYLVIE GOULARD
Des forces spéciales qui font des opérations ponctuelles, une autre chose est d'envoyer des forces de manière massive. Mais la France prend toute sa part à la coalition anti-Daesh, nos avions sont présents et encore une fois l'idée, même pour les Américains, est plutôt d'intensifier le dispositif actuel.
DAVID DOUKHAN
Vous nous confirmez cependant que Raqqa est le prochain objectif sur la liste ?
SYLVIE GOULARD
Raqqa fait partie des objectifs, il y en a d'autres.
DAVID DOUKHAN
Parlons un peu de vous Sylvie GOULARD, parce que c'est vrai, les Français malgré tout vous découvrent aussi dans ce début de quinquennat. J'ai regardé votre curriculum vitae, vous avez fait 10 ans au Quai d'Orsay, vous avez participé aux négociations de la réunification de l'Allemagne, vous avez été chercheuse au Centre de recherches internationales, conseillère de Romano PRODI à la Commission européenne, vous étiez fléchée pour être ministre des Affaires européennes, ministre des Affaires étrangères. Que s'est-il passé ?
SYLVIE GOULARD
Ecoutez ! D'abord c'est le président de la République qui décide, donc c'est à lui qu'il faudrait poser la question.
DAVID DOUKHAN
Il ne voulait plus de Jean-Yves Le DRIAN à la Défense ?
SYLVIE GOULARD
Je crois que les choses ne sont pas de cet ordre-là. Je crois que… encore une fois je l'ai dit mais je le crois vraiment fondamentalement, nous affrontons une menace qui est nouvelle, le terrorisme et aussi les cyberattaques, c'est-à-dire toutes les attaques qui se déroulent sur Internet, qui ont visé pendant la campagne à déstabiliser le pays. C'est un champ d'action absolument magnifique dans lequel, si nous pouvons faire progresser la coopération européenne dans toutes ses formes. Ca peut être bilatéral avec les Allemands, ça peut être tri, quadrilatéral avec quelques pays, ça peut être au niveau de l'Union, je crois que nous pouvons faire oeuvre utile et je n'ai pas du tout le sentiment de déserter le camp européen.
DAVID DOUKHAN
Certes ! Mais on nous explique que le président de la République voulait avoir la main sur la politique de défense, en gros on nous dit : les décisions stratégiques opérationnelles c'est lui, la gestion, le recrutement, l'entrainement c'est vous. Cette description de votre mission vous convient-elle ?
SYLVIE GOULARD
D'abord, je crois qu'il faut toujours relire la Constitution, la Constitution dit clairement que le président de la République est le chef des armées. Mais il a besoin d'un ministre et rassurez-vous, je n'ai pas non plus la réputation d'être une potiche. Donc si ce que vous vouliez dire, c'était qu'on met une femme…
DAVID DOUKHAN
Pas du tout.
SYLVIE GOULARD
Parce que comme ça, ça sera plus facile…
DAVID DOUKHAN
Pas du tout.
SYLVIE GOULARD
Non, ce n'est pas ce que vous avez voulu dire.
DAVID DOUKHAN
Ah non, non, pas du tout.
SYLVIE GOULARD
Jamais, personne ne l'a dit.
DAVID DOUKHAN
Pas du tout. Alors non parce que je ne crois pas qu'il y ait un problème de sexisme au sein…
SYLVIE GOULARD
Non, non, absolument pas…
DAVID DOUKHAN
Des armées françaises.
SYLVIE GOULARD
Je plaisantais un petit peu quand même, il ne faut pas…
DAVID DOUKHAN
Un dernier mot de politique intérieure, est-ce que votre ami Richard FERRAND, ministre de la Cohésion des territoires, peut rester au gouvernement avec l'affaire qui le concerne désormais, alors que la première loi de ce quinquennat est censée concerner la moralisation de la vie publique. Est-ce que franchement c'est tenable ?
SYLVIE GOULARD
Écoutez ! Moi ce que j'observe, c'est qu'on avait en France une zone grise très grande, dans laquelle il y avait des choses qui étaient licites, qui n'étaient pas illégales comme l'embauche de membres de sa famille au Parlement. Moi je n'ai jamais été au Parlement français mais ce n'est pas possible au Parlement européen, c'est possible au Parlement français…
DAVID DOUKHAN
C'est ce qu'a fait Richard FERRAND.
SYLVIE GOULARD
C'était permis, il a dit lui-même que si c'était à refaire, il ne le referait pas. Il se trouve que la loi dont vous avez parlée qui est en cours d'examen, qui est dans les mains du garde des Sceaux va permettre de répondre à des interrogations tout à fait légitimes des Français. Mais je dirai qu'il faut clarifier les choses, si la règle est claire on peut reprocher ce genre de comportement, jusqu'à présent ça n'était pas interdit.
DAVID DOUKHAN
Merci Sylvie GOULARD d'avoir accordé votre première interview de ministre des Armées à Europe 1.
SAMUEL ETIENNE
Merci madame la ministre, merci David DOUKHAN.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 mai 2017