Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, en réponse à une question sur l'état des négociations sur le commerce international, à l'Assemblée nationale le 8 décembre 1993.

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Circonstance : Question d'actualité à l'Assemblée nationale le 8 décembre 1993

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je souhaite en effet rendre compte à la représentation nationale de l'état actuel des négociations sur le commerce international. Je voudrais rappeler que ces négociations sont avec le problème du chômage le plus difficile de ceux que nous avons trouvé à notre arrivée au Gouvernement, il y a huit mois. Notre effort a consisté à rendre ce débat commercial le moins général possible, le plus technique et précis possible afin d'entraîner la conviction de nos partenaires et nous avons essayé qu'il ne fût pas focalisé sur l'agriculture de telle sorte qu'il soit bien clair que dans cette affaire, la France défendait les intérêts de son économie en général et de l'économie européenne en général.
Aujourd'hui, quels sont les résultats ? On peut considérer que le principe, (le principe seulement, je le reconnais, mais nous verrons à perfectionner les choses,) de la création d'une organisation mondiale de commerce est adoptée. Si tel était le cas, ce serait un progrès considérable car cette organisation mondiale veillerait au règlement multilatéral et équitable des différents et elle constituerait l'institution dont nous avons impérativement besoin pour régler les problèmes fondamentaux du commerce mondial de demain qui sont le dumping monétaire, le dumping social, le lien entre commerce international et environnement.
Nous avons toujours, nous Français souhaité la création de cette institution, nous nous réjouissons du progrès accompli même s'il n'est pas encore définitif et précis.
En ce qui concerne l'agriculture, les négociateurs américains ont fait un mouvement vers la communauté. Le dossier de Blair House, ça n'est pas sous mon Gouvernement, M. le Président qu'il a été conclu, le dossier de Blair House a été réouvert. Le Ministre de l'Agriculture aura certainement l'occasion de vous apporter à ce sujet tous les compléments d'informations nécessaires. Vous me permettrez de me limiter à quelques points. Les améliorations substantielles ont été obtenues. Par rapport à Blair House, les exportations seraient en ce qui concerne les céréales supérieurs de 8 millions de tonnes à ce qui était convenu et de 360.000 tonnes pour la viande bovine de 253.000 tonnes pour les volailles et de 102.000 tonnes pour le fromage. De surcroît, il a été convenu d'une clause de rendez-vous annuel pour évaluer la situation du marché mondial et la participation de la communauté à la croissance de ce marché mondial, ce qui était pour nous un problème extrêmement important, c'est dire Mesdames et Messieurs que la vocation exportatrice de la communauté est désormais reconnue.
Par ailleurs, la préférence communautaire est préservée et la tarification demeure à un niveau suffisant. Pour répondre à votre question précise, je vous indique que les importations américaines de Corn-glutten field qui concurrencent les céréales européennes que le marché de l'alimentation animale feront l'objet d'un examen annuel si elles dépassent 5.700.000 tonnes. Voilà un certain nombre de précisions, (je répète que M. le Ministre de l'Agriculture vous en dira davantage s'il en a l'occasion) que je souhaitais vous apporter mais surtout je voudrais rappeler que la clause de paix sera désormais non pas de 6 ans mais de 9 ans. C'est un élément essentiel à la pérennité de la politique agricole commune. L'agriculture européenne sera donc à l'abri jusqu'à l'an 2004 des contestations ou des menaces de rétorsions comme celles dont l'Europe fût encore menacée il y a à peine 1 an.
Sur l'agriculture pour conclure. Le Gouvernement considère que le pré-accord de Bruxelles c'est un élément d'un accord, ce n'est pas la totalité de l'accord, que le pré-accord de Bruxelles est satisfaisant pour beaucoup plus de la moitié. Restent d'autres problèmes à régler. Des problèmes internationaux et des problèmes européens. S'agissant des problèmes internationaux, l'audiovisuel, les importations textiles, l'aéronautique, il y a encore des progrès à faire et les discussions continuent. Quant aux problèmes européens, il s'agit essentiellement d'obtenir de nos partenaires d'une part, que l'instrument de politique commercial essentiel pour contrebalancer la section 301 dont sont dotés les État-Unis que cet instrument de politique commercial qui a fait l'objet du dépôt de propositions par la commission européenne soit ratifié par les Douze, ce sera sans doute l'un des objets des discussions du Conseil Européen dans 48 heures. Nous demandons également que des garanties complémentaires soient accordées aux agriculteurs européens afin qu'il soit clairement indiqué et garanti qu'il n'y aura pas, par rapport à la réforme de la politique agricole commune, de jachères supplémentaires du fait de l'application de Blair House.
Je me suis employé M. le Président, je me suis employé depuis 6 mois, j'y ai consacré une part importante de mon temps et notamment dans ces trois derniers jours à multiplier les contacts. J'ai reçu dimanche M. BRITTAN et M. SUTHERLAND. J'ai écrit à M. KOHL, à M. DELORS et à M. DEHAENE. J'ai téléphoné hier au Chancelier KOHL et à M. LUBBERS, le Premier ministre des Pays-Bas. Rien ne sera définitivement réglé et tout optimisme est prématuré. Les trois jours qui viennent seront décisifs.
Je souhaite, je l'ai dit souvent et je le répète, je souhaite que l'on parvienne à un accord. Mais aujourd'hui je ne peux pas vous en apporter la certitude, car nous entendons bien entendu défendre les intérêts économiques de la France et de l'Europe. Simplement et c'est un progrès capital, l'on ne peut plus dire désormais que ce sont les agriculteurs Français qui empêchent l'accord. C'est un paradoxe à dire vrai, on a tout le temps parlé de l'agriculture française, notamment chez nos partenaires étrangers, et voici que ce problème est désormais réglé entre Européens et Américains, maintenant c'est sur d'autres que nous buttons. Je les ai énuméré devant vous, nous allons tâcher de les résoudre dans les trois jours qui viennent. Pour conclure, je voudrais soumettre à votre appréciation 4 réflexions.
La première c'est que nous avons fait en sorte par notre action, par la procédure que nous avons demandé que l'on applique, nous avons fait en sorte que fût pleinement restauré l'autorité politique au sein de la communauté européenne.
Nous avons dans la pratique infléchi l'équilibre des pouvoirs conformément aux voeux de toutes les opinions publiques dans tous les pays d'Europe et spécialement dans le nôtre.
En second lieu, si nous parvenons à un accord, je répète que je ne peux pas en donner l'assurance aujourd'hui à l'heure où je m'adresse à vous, nous aurons à coeur de vous demander de l'apprécier. Le Gouvernement prendra ses responsabilités. Il est légitime que le Parlement soit appelé à prendre les siennes même si ça n'est pas juridiquement indispensable puisqu'il ne s'agit pas de ratifier un texte écrit. J'ai donc demandé ce matin au Conseil des Ministres l'autorisation d'engager la responsabilité du Gouvernement au titre de l'article 49 - 1er alinéa de la Constitution. Vous aurez ainsi Mesdames et Messieurs après plus de 8 mois de Gouvernement l'occasion de vous exprimer, d'apprécier et de juger si notre action convient à l'orientation générale que vous nous avez donné lorsque vous avez approuvé la déclaration de politique générale que je vous ai soumise au début du mois d'avril.
Troisième observation. Nous sommes sortis de notre isolement et nous sommes sortis sans rien concéder sur l'essentiel. Nous ne sommes pas de ceux qui redoutent la solitude. La solitude peut être une force et il faut savoir l'affronter. Bien des grandes périodes de notre histoire ont été justement celles qui ont été marquées par des efforts solitaires. Mais il ne faut pas non plus la préférer à toute autre solution, et je crois qu'il est important que la France puisse marquer sa place dans l'organisation du commerce mondial.Enfin, et c'est ma dernière observation, si nous parvenons à un accord, l'atmosphère j'en suis certain changera en Europe et dans notre pays et c'est un message de courage et d'optimisme que nous aurons à coeur de faire partager par l'ensemble du peuple français. La France est un grand pays qui a de grandes chances. Il nous appartiendra à ce moment là de l'entraîner tous ensemble vers l'avenir.