Déclaration de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur la coopération culturelle et l'aide au développement, à Paris le 17 juillet 2017.

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Circonstance : Ouverture de la journée du réseau de coopération et d'action culturelle, à Paris le 17 juillet 2017

Texte intégral


Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs les Conseillers de coopération et d'action culturelle,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d'être présent parmi vous aujourd'hui pour ouvrir cette journée du réseau culturel et de coopération. Et si je le dis, ce n'est pas une clause de style.
Nommé il y a quelques semaines par le président de la République comme secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, c'est donc autant moi qui vous accueille dans ce lieu qui vous est familier, que vous qui m'accueillez dans votre formidable communauté humaine.
Et si je me permets de la qualifier de formidable alors que notre travail en commun ne fait que commencer, ce n'est pas pour vous faire plaisir, c'est parce que je vous ai déjà vu à l'oeuvre à plusieurs occasions.
Lorsque Français établi hors de France pendant huit années, à Berlin, avant la chute du Mur, j'ai vu agir quelqu'un comme Roger Pilhion et mesurer le rôle de nos institutions culturelles dans cette enclave qu'était alors Berlin-Ouest.
Lorsque, plus tard, militant associatif de la francophonie, j'ai constaté votre rôle sur tous ces territoires où des femmes et des hommes communient dans ce que notre culture a d'universel et j'ai toujours trouvé auprès de vous une oreille attentive. Y compris en des lieux peut être qui n'étaient pas forcément perçus, à tort sans doute, comme des priorités politique. Et où votre engagement et votre volonté font des miracles au quotidien.
Je me suis fait raconter l'importance de ce rendez-vous qui vous permet, tous les ans, de vous retrouver, d'échanger vos expériences, de proposer des idées et de mettre en commun cette compréhension intime que vous avez chacun des dynamiques sociales, culturelles et scientifiques partout dans le monde. Je vois bien que c'est un moment capital et crucial également pour nous qui avons à en tirer beaucoup.
Ces Journées du réseau revêtent un sens particulier cette année car elles interviennent au moment où une nouvelle dynamique est à l'oeuvre en France. Le peuple français a choisi le visage d'une France confiante, rayonnante, riche de sa diversité, ouverte à la culture des autres et respectée de tous, il a également choisi le renouvellement des générations.
Le regain d'intérêt et de curiosité pour la France que je ressens profondément dans mes déplacements et que vous devez ressentir également est aujourd'hui réel, et c'est à nous qu'il appartient de saisir cette opportunité. Il y a un momentum et cela peut être très fécond.
Nous ne devons pas pour autant être naïfs : l'influence culturelle, scientifique, idéologique est redevenue depuis la fin des années 2000 un nouveau terrain d'hypercompétition. Les enjeux culturels, idéologiques, linguistiques, scolaires, économiques, touristiques - c'est-à-dire d'influence au sens le plus large - sont étroitement imbriqués et façonnent l'image globale de notre pays, qui rejaillit sur tous les secteurs notamment sur notre capacité à exporter comme à attirer des investisseurs.
C'est pour une part une concurrence mondiale, de nature économique, entre les sociétés ouvertes. Une concurrence qui se prolonge sur le terrain culturel, médiatique et idéologique, dans un monde marqué par la «post-vérité» et la guerre de l'information. Ce n'est pas un hasard si cette année le rapport de la conférence sur la sécurité de Munich s'est intéressé à la politique d'influence culturelle de la Chine (plus de 500 instituts Confucius, depuis leur lancement en 2004) ou de la Russie (la chaîne YouTube de Russia Today en arabe à 500.000 abonnés). Face à cela, nous devons être vigilants.
Jean-Yves Le Drian sera présent ce soir pour conclure vos échanges, et je serai naturellement à ses côtés, pour fixer un premier cap à notre diplomatie d'influence.
Au moment d'ouvrir cette journée, permettez-moi de partager avec vous quelques réflexions, qui ont évidemment vocation à évoluer au fil du travail que nous ferons ensemble.
Quand je regarde les chiffres mais au-delà des chiffres je vois 154 services de coopération et d'action culturelle, 26 instituts français de recherche à l'étranger, 124 instituts culturels et de de recherche, 236 «espaces Campus France» présents dans 120 pays, près de 500 établissements scolaires français à l'étranger, un maillage de 363 alliances françaises conventionnées...
Vous êtes donc le bras armé de notre diplomatie d'influence. Placé sous l'autorité des ambassadeurs, notre réseau culturel et de coopération permet de faire ce que beaucoup de pays nous envient : être en capacité d'engager sur le terrain, de façon différenciée et réactive, une stratégie diplomatique globale avec un pilotage politique cohérent.
Notre réseau culturel n'offre pas seulement une somme de «services» formatés (enseignement du français, actions de coopération, etc.). Il est aussi un interlocuteur de la société civile, des artistes et des intellectuels ; il est un lieu de débat car le monde en a soif. Le président de la République a vraiment souhaité, lors de ce grand débat présidentiel, s'engager sur cet esprit-là et faire en sorte que notre relation de coopération soit placée sous le signe d'un dialogue accru entre les sociétés civiles et vous aurez naturellement une place privilégiée. Je reviens de Tunisie où j'ai pu mesurer tout ce que Patrick Flot et Olivier Poivre d'Arvor avaient apporté en soutien à la transition démocratique depuis 2011.
La force de la France, c'est sa capacité à parler à tous et partout sur la planète, mais c'est aussi de libérer la parole des autres partout. Cette universalité de la parole de la France, c'est vous qui la portez au quotidien, en l'adaptant à des attentes spécifiques, et je voulais donc commencer par vous remercier, pour l'action que vous conduisez, dans un contexte parfois difficile, voire dangereux, j'en ai également conscience.
Ce réseau est donc une véritable force de frappe. Avec Jean-Yves Le Drian, nous entendons le préserver, mais aussi la faire évoluer lorsque ce sera nécessaire, pour mieux répondre aux défis du présent et nous adapter aux nouvelles donnes mondiales. Vous pouvez d'ores et déjà compter sur notre plein engagement à cet égard.
Je sais que depuis de nombreuses années, les moyens ont évolué et pas forcément à la hausse nous le savons. À nous donc d'être créatifs et savoir nous réinventer.
En même temps, de nouveaux moyens ont émergé grâce aux nouvelles technologies qui permettent de toucher beaucoup de monde dans des conditions de quasi-gratuité. Dans ce nouveau monde de marques, la marque France est un précieux talisman qui peut et doit continuer à rayonner.
Cette journée est donc capitale pour réfléchir à ce que pourraient être les priorités du ministère en matière de développement et d'influence dans les années à venir. Soyez ouverts, créatifs, ingénieux. Aidez-nous à identifier les thématiques de demain.
Vous échangerez dans quelques instants sur la nouvelle donne numérique que j'évoquais précédemment et sur les changements qu'elle induit. La transition numérique concerne évidemment les méthodes de production, de diffusion et de consommations de la culture.
Vous évoquerez aussi les relations que vous entretenez avec les opérateurs, la société civile, les collectivités locales... Notre diplomatie doit être globale. Ayons une attention particulière pour ces acteurs qui prennent aujourd'hui une place nouvelle, essentielle, dans notre politique d'influence et notre politique de développement.
Enfin, vous parlerez des enjeux climatiques en examinant comment nous pouvons accompagner les pays en développement dans la mise en oeuvre de l'Accord de Paris. Il s'agit évidemment d'une priorité essentielle. Comme vous le savez, le président de la République a annoncé, à l'issue du G20, la tenue d'un sommet Climat en décembre prochain à Paris. Cette nouvelle étape nécessitera la mobilisation du réseau et de notre ministère, dans le sillage de la COP21.
Au-delà, je souhaiterais évoquer plus particulièrement quelques priorités qui seront au coeur de mon action, sous l'autorité de Jean-Yves Le Drian. Des priorités sur lesquels nous aurons à travailler ensemble très directement.
1) Défendre la francophonie de manière active
Le français est aujourd'hui la cinquième langue parlée dans le monde, elle est une langue officielle dans 32 pays. On estime à environ 230 millions le nombre de locuteurs français dans le monde aujourd'hui, et les prévisions à 2050 sont encourageantes.
Et «en même temps» nous ne devons pas, ne pouvons pas, nous laisser endormir par des perspectives flatteuses car les dynamiques à l'oeuvre révèlent également des menaces.
Je ne suis pas de ceux qui considèrent que le chiffre de 700 millions de locuteurs en 2050 soit quelque chose d'automatique. Tous ces agrégats montrent également, quand on regarde dans le détail, que dans certains pays, notre pénétration n'est pas aussi profonde.
À mon sens, pour demeurer une langue porteuse d'avenir, le français doit partout être associé à des perspectives d'insertion pour les jeunes : la langue française doit constituer un atout pour les mobilités et la circulation des savoirs.
La qualité de l'éducation conditionne donc l'avenir d'une francophonie active. La transmission du français à une masse critique de jeunes est majeure, pour que l'évolution du niveau de qualification accompagne la croissance et soutienne l'influence de la France, a fortiori là où le français est la langue d'enseignement. Ce secteur doit passer tant par la voie bilatérale que par la voie multilatérale (Partenariat mondial pour l'éducation) et s'articuler avec les efforts de l'OIF et de l'agence universitaire de la francophonie, dont la France demeure le principal bailleur.
C'est dans cette logique qu'est développé le projet d'école française numérique à l'étranger. Prendre en compte la révolution numérique pour repenser notre offre éducative et mieux promouvoir la francophonie est en effet décisif. L'enjeu, c'est aussi de capter de nouvelles opportunités de croissance, dans un marché du numérique éducatif estimé à 166 milliards de dollars (et qui croit de 23% par an).
Et bien sûr, pardon de rappeler cette évidence, promouvoir la francophonie, c'est promouvoir en même temps notre culture et l'ensemble des valeurs qu'elle véhicule. La langue est une weltanschauung pour le dire en bon français, un point de vue sur le monde. Et ma conviction, c'est que la culture est appelée à jouer un rôle de plus en plus stratégique au plan international. Il nous faut être offensif car c'est sur ce terrain que nous gagnerons ou pas la bataille des consciences et saurons aussi combattre efficacement le radicalisme. Défendre la langue, c'est donc défendre une certaine manière de voir le monde, celle de la France.
2) Attention particulière aux problématiques liées à la sécurité
A) Dans le domaine du développement :
Sécurité et développement, vous le savez mieux que quiconque, sont étroitement liés: la croissance durable des économies en développement est favorisée par l'absence de troubles sécuritaires graves. En retour, les situations de sous-développement économique, de fragilité institutionnelle et de manques d'opportunités d'emploi peuvent alimenter les conflits et l'émergence de mouvements radicaux violents.
Le dispositif français de réponse aux crises et aux fragilités dans le cadre de la politique d'APD a gagné en flexibilité grâce à l'adaptation récente de ses instruments : mise en place de la mission de la stabilisation du centre de crise et de soutien du ministère, création en 2017 de la facilité pour l'atténuation des vulnérabilités et la réponse aux crises, mise en oeuvre par l'AFD. Il reste toutefois des marges possibles de progrès, notamment pour la mise en oeuvre d'une approche globale autour du continuum diplomatie, sécurité, humanitaire et développement, fondé sur une meilleure coordination des acteurs. Je souhaite que nous y travaillions.
B) Sécurité de nos implantations à l'étranger :
C'est une préoccupation majeure. La menace terroriste est prise en compte et 40 pays bénéficient à titre prioritaire d'une assistance pour la réalisation d'audits puis de travaux afin de renforcer la sécurité de nos implantations culturelles et de recherche à l'étranger. Comme à Dakar, où j'ai visité jeudi dernier le chantier de sécurisation de l'Institut français. Avec comme gageure de protéger tout en restant ouvert sur la ville, sur la société.
3) Renouvellement de notre approche du développement notamment par une plus forte participation du secteur privé
Poursuivre notre coopération en matière de développement est une ardente obligation à laquelle aucun grand pays ne peut se soustraire. Aussi la France entend continuer à jouer un rôle majeur en la matière que ce soit à titre bilatéral, communautaire ou multilatéral. En particulier pour les pays les plus fragiles très majoritairement localisés en Afrique.
Mais au regard des besoins qui existent, à l'évidence cette aide ne suffira pas et nous avons besoin du concours de tous les acteurs publics, privés, internationaux ou locaux, pour relever le défi du développement.
Nous encourageons ainsi les mixages prêts/dons et les partenariats public/privé en faveur du développement, qui doivent ainsi permettre de mieux répondre aux défis parfois très spécifiques auxquels font face les pays les plus vulnérables.
Le rôle des entreprises est essentiel. À travers la promotion des acteurs de l'économie sociale et solidaire et la mise en oeuvre de la stratégie «Innover ensemble», la France prend toute sa part dans la promotion d'un modèle d'entrepreneuriat novateur au service du développement durable. Le secteur financier a également son rôle à jouer. Les instruments innovants pour le financement des objectifs du développement durable sont notamment à promouvoir. BNP Paribas, en partenariat avec la Banque mondiale a ainsi levé, en 2017, 163 millions d'euros auprès d'investisseurs institutionnels en France et en Italie, dans le cadre d'une émission d'obligations ODD.
Je souhaite qu'en complément de notre politique de développement, le soutien aux investissements soit poursuivi, notamment en Afrique. Je suis convaincu qu'une des clefs de l'émergence du continent demain viendra du secteur privé.
À cet égard, le partenariat du G20 avec l'Afrique qui vient d'être lancé au sommet de Hambourg est une belle initiative portée par l'Allemagne, à laquelle nous nous sommes pleinement ralliés. Elle doit permettre de stimuler l'investissement privé avec le concours des grands bailleurs de fonds internationaux que sont la Banque mondiale, le FMI et la Banque africaine de développement.
L'Europe a également un rôle majeur à jouer. Elle fait déjà beaucoup en matière d'aide au développement. On ne le dit pas assez. Mais elle peut faire plus. C'est le sens du plan d'investissement externe qu'a proposé la Commission et qui vise à soutenir les investissements en particulier dans nos pays partenaires en Afrique, à renforcer nos partenariats, à promouvoir un nouveau modèle de participation du secteur privé.
Ce plan d'investissement reposera en particulier sur la création d'un nouveau Fonds européen pour le développement durable qui devrait déclencher des volumes d'investissements supplémentaires, tant privés que publics, mobilisant un montant total de 44 milliards d'euros à partir d'un fonds de départ de 3,35 milliards d'euros. Cet outil qui permettra de renouveler l'approche traditionnelle de l'aide en mobilisant beaucoup plus le secteur privé et les marchés de capitaux est ainsi une priorité de l'UE que la France soutient pleinement.
Je souhaite poursuivre des réflexions particulières avec vous sur tous ces sujets.
Soyez donc certain que je serai très attentif aux conclusions des travaux qui vous réunissent aujourd'hui. Pour les pousser ensuite auprès du ministre, du Premier ministre et du président de la République.
La question du rayonnement de la France dans le monde est au coeur de la stratégie de ce ministère. Pour que notre pays reste une valeur de référence et d'influence sur la scène internationale, un acteur promoteur d'équilibre et de progrès. Nous continuerons donc à assurer la diffusion de la langue et de la culture française, à favoriser les échanges et la coopération entre les peuples, facteurs de cohésion et de compréhension.
Dans cet esprit, n'hésitez jamais à me solliciter. Je tâcherai de me rendre disponible dès que je le pourrai. Je veux être à vos côtés, si ma présence peut permettre de faire évoluer positivement un dossier important pour la France ou si elle contribue plus largement à favoriser les relations que nous entretenons avec nos partenaires.
Je profite de ce moment pour vous présenter une partie du cabinet présent ce matin ; Anne Boillon, notre directrice de cabinet et Gaëtan Bruel qui sera notre conseiller sur tous ces sujets qu'il maîtrise parfaitement.
Et n'hésitez pas à me faire parvenir vos suggestions, vos idées. Comme vous j'ai une adresse e-mail @diplomatie.gouv.fr. Je me réjouis de pouvoir vous rencontrer directement sur le terrain au cours des mois qui viennent et je vous souhaite de bons travaux !
Merci de votre attention et à très bientôt.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2017