Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RTL et à Radio-Orient à Paris le 4 décembre 2001, sur l'aggravation de la situation au Proche-Orient, avec la recrudescence des attentats suicides palestiniens et des raids aériens israéliens de représailles et l'attitude française et européenne face à ce contexte.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Radio Orient - RTL

Texte intégral

PROCHE-ORIENT
Interview à RTL à Paris, le 4 décembre 2001 :
Q - Monsieur le Ministre, partagez-vous la position d'Ariel Sharon qui consiste à croire que les raids aériens peuvent être la solution aujourd'hui au problème du terrorisme ?
R - En réalité, le monde entier pense que la vraie solution au problème du Proche-Orient c'est la création d'un Etat palestinien. La France le pense depuis longtemps, les Européens depuis quelques années maintenant et même le président américain l'a dit aux Nations unies. Cela paraît très décalé par rapport à ce qui se passe. Il y a cette escalade et cette aggravation, mais si on prend le problème au fond, c'est cela la réponse. Dans l'immédiat, il est certain qu'il faut lutter contre le terrorisme. Il y a des mouvements chez les Palestiniens qui utilisent le désespoir sans borne des Palestiniens pour monter des opérations terroristes, aveugles, terribles, qui font des dizaines de morts. L'Intifada a fait au total plus de mille morts, beaucoup plus du côté des Palestiniens, il commence à y en avoir beaucoup aussi du côté des Israéliens. La lutte contre le terrorisme est une nécessité absolue et personne ne conteste aux responsables israéliens le droit et le devoir de lutter contre le terrorisme pour protéger leur population. On peut penser que s'en prendre à l'Autorité palestinienne - qui est aussi victime d'opérations qui la vise, elle aussi, parce que ces groupes contestent complètement la politique de l'Autorité palestinienne - c'est certainement une erreur, parce que cela empêche que se constitue un front commun des Israéliens et des responsables palestiniens qui auraient un intérêt commun à lutter contre le terrorisme. Ce qui se passe peut malheureusement faire craindre tout cela, et conduire à de nouvelles aggravations.
Q - C'est la politique du pire, comme vous le laissiez entendre tout à l'heure ?
R - Je le crains, je ne peux pas l'affirmer. Encore une fois, je souligne que la lutte contre le terrorisme est un droit, même un devoir, c'est une nécessité pour un gouvernement. Mais comment mettre fin à cet engrenage de la violence ? Comment faire en sorte que les Israéliens et les Palestiniens vivent en sécurité côte à côte, dans la dignité ? Au fond, il n'y a qu'une solution, c'est de faire naître un Etat palestinien. C'est ce que le monde entier pense et ce n'est pas du tout ce qui est en train de se produire. Je ne crois pas que l'on puisse attendre une amélioration de ce qui est en train de se passer.
Q - Alors, politiquement, quelles peuvent être les conséquences de ces raids dans l'immédiat ?
R - Ce qu'on observe depuis des mois, c'est que chaque attentat terroriste entraîne une répression de l'armée israélienne. Chaque action de l'armée israélienne redéclenche une nouvelle vague d'attentats terroristes et c'est de plus en plus fort à chaque fois. Il y a une escalade. Ce n'est pas cela qui fournira la solution car il y aura toujours des Palestiniens et des Israéliens côte à côte et il faudra bien, à un moment donné, que les discussions soient reprises, d'une autre façon qu'à travers la répression et la vengeance. Même si, je le répète, il est nécessaire de lutter contre le terrorisme. Il faut aussi casser cet engrenage.
Q - Qu'elles peuvent être les conséquences d'une élimination politique ou même physique de Yasser Arafat ?
R - J'espère que ce n'est pas cela l'objectif. Plusieurs ministres israéliens ont dit que ce n'était pas l'objectif. L'Ambassadeur d'Israël à Paris dit que ce n'est pas l'objectif. Et puis, même si les personnes changent, d'un côté ou de l'autre, les problèmes restent, cela ne résoud rien. Au nom de quoi cela serait fait, dans quel but ? Pour obtenir quel résultat ? Non, j'espère que tous ceux qui du côté israélien se sont exprimés pour dire que ce n'était pas l'objectif d'Israël aujourd'hui savaient ce qu'ils disaient.
Q - Depuis le 11 septembre dernier, c'est la première fois que la France n'est plus sur la même ligne que les Etats-Unis en matière de lutte internationale contre le terrorisme. Cela peut avoir des conséquences sur les rapports entre la France et les Etats-Unis ?
R - La France est exactement sur la même ligne que les Etats-Unis et d'autant plus dans la lutte contre le terrorisme. Sur ce point, il y a un langage tout à fait unanime qui se poursuivra sur tous les plans. Sur la question de l'aggravation de la situation au Proche-Orient, je ne considère pas qu'il y a une différence de fond puisque l'objectif de tous les membres de la communauté internationale, y compris les Etats-Unis, est qu'il y ait un Etat palestinien à côté de l'Etat d'Israël. Il n'y a aucune raison de parler aujourd'hui de divergence.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 décembre 2001)
Interview à Radio-Orient à Paris, le 4 décembre 2001 :
Q - Monsieur le Ministre, il est évident qu'une guerre a commencé au Proche-Orient et qu'Ariel Sharon est déterminé à continuer. Ne pensez-vous pas que la violence ne peut qu'entraîner la violence et que le pire est à craindre ?
R - On peut comprendre que les Israéliens soient absolument traumatisés en ce qui concerne leur sécurité. N'importe qui le serait à leur place. Cette angoisse de l'attentat aveugle qui peut survenir n'importe où et ces morts - une centaine - c'est absolument terrible. Il est normal que le premier objectif des dirigeants israéliens soit la sécurité de leurs citoyens, c'est le rôle premier de tous les dirigeants. Mais nous pensons que cette fuite en avant n'est pas de nature à apporter la sécurité légitime à laquelle les Israéliens aspirent. Nous pensons qu'il faudrait faire les choses autrement.
Je crois que les attentats suicides perpétrés par le Hamas visent autant l'Autorité palestinienne que le gouvernement israélien. Le Hamas ne peut pas créer un Etat palestinien à côté d'Israël. Le Hamas veut faire disparaître Israël sous l'émergence de cette angoisse d'insécurité. Ils n'y arriveront pas, naturellement. Mais en fait, ils sont autant adversaires de l'Autorité palestinienne que du gouvernement israélien. Traiter l'Autorité palestinienne en coupable c'est risquer d'aller de représailles en représailles. Cela ne peut conduire qu'à une aggravation de la situation, parce qu'Israël a besoin d'avoir un conducteur palestinien qui puisse exercer ses responsabilités. Demander toujours plus à Yasser Arafat - alors qu'il est de moins en moins en mesure d'exercer cette autorité, parce que rien ne se passe qui puisse l'aider, il n'y a des perspectives sur aucun plan - c'est un tragique contresens.
Je le dis calmement, mais en fait c'est une chose qui est grave, profondément grave. Cette évolution n'est pas la bonne. Il faudrait rassembler tous ceux qui, de part et d'autre, ont un intérêt commun à lutter contre le terrorisme, et qu'ils s'engagent contre lui. Naturellement, il faudrait réenclencher la recherche d'une solution politique, sinon cela sera de pire en pire. Ce sont exactement les conditions que nous voulons éviter. Cela fait des mois, malheureusement, que cela s'aggrave forcément.
Q - Que pensez-vous de la position du gouvernement américain ?
R - Le président Bush a dit il y a quelques semaines aux Nations unies que nous devions faire un Etat palestinien. Je ne pense pas que cela a changé.
Q - Mais, il ne s'est pas opposé à l'attitude de M. Sharon !
R - On ne sait pas ce qui s'est dit, en vérité. Il ne faut pas sortir du contexte le fait que le président Bush et Tony Blair aient exprimé leur sympathie aux Israéliens, comme tout le monde, comme je peux le faire aussi, parce que les Israéliens ont été victimes à nouveau d'attentats suicides qui ont fait énormément de morts et de blessés. C'est une sympathie qui s'exprime tout de suite sur le plan humain et qui doit être exprimée par rapport à un peuple en deuil. Cela ne veut pas dire politiquement que les Américains, que les Européens, ont renoncé ou renonceront à l'idée qu'il faut un Etat palestinien, ce sont deux choses différentes.
Q - La France n'a pas cessé de condamner ce qui se passe et de dire qu'il faut revenir à la table des négociations, il n'y a que des visites de responsables européens dans la région, mais finalement, pourquoi n'a-t-on rien fait pour protéger le peuple palestinien ? Devant l'aggravation de la situation, qu'allez-vous faire ?
R - Votre remarque peut s'appliquer au monde entier : aux gouvernements arabes de la région, aux Nations unies, à la Russie, à la Chine qui est membre permanent, ce n'est pas une question qui concerne spécialement les Européens. Le monde étant ce qu'il est, je voudrais souligner que les Européens n'ont cessé de dire des choses justes. Ils ont fait preuve de disponibilité, disponibilité à aider les Palestiniens pour adoucir leurs conditions de vie quotidienne devant l'escalade récente, disponibilité à participer, à garantir toute négociation, tout effort qui aurait besoin d'un appui extérieur. Nous le faisons constamment aujourd'hui. La communauté internationale tout entière est placée devant la même situation, les Européens compris. La seule chose que je peux dire aujourd'hui c'est que, de toute façon, on ne baissera pas les bras. On cherchera inlassablement la possibilité de reprendre l'initiative dans l'intérêt des deux peuples de la région aujourd'hui.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 décembre 2001)