Interview de Mme Florence Parly, ministre des armées, avec France Inter le 6 octobre 2017, sur la politique de défense, les opérations extérieures de l'armée et sur les djihadistes français.

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Média : France Inter

Texte intégral


NICOLAS DEMORAND
Bonjour Florence PARLY.
FLORENCE PARLY
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Beaucoup de sujets de fond à aborder avec vous, d'autant que la France procède à une revue stratégique, c'est à dire à une évaluation et une réévaluation de ses priorités en matière de défense. Les choses seront bientôt rendues publiques, dans quelques jours. Envisagez-vous une inflexion, à la baisse peut-être, quant à la présence militaire française sur les théâtres d'intervention extérieure ?
FLORENCE PARLY
Alors ce que nous portons c'est une nouvelle ambition pour la défense et l'Europe de la défense qui se manifeste d'abord dans un premier temps par un budget en très forte croissance et qui se déclinera, comme vous l'avez indiqué, dans le cadre d'une revue stratégique qui débouchera sur une nouvelle Loi de programmation militaire. Ce qui est majeur en ce moment c'est l'écart qui existe entre les engagements très puissants de la France sur un certain nombre de théâtres étrangers et des moyens qui n'étaient pas à la hauteur de ces engagements. Donc le budget 2018, qui est le premier jalon, en quelque sorte, réconcilie cette situation en donnant aux armées les moyens de leur intervention. La question maintenant qui va se poser c'est celle de savoir si dans un contexte que l'on sait difficile, incertain et très lourd de menaces, si on les interventions françaises ont vocation à diminuer ou pas ? Notre sentiment est que tant que ce contexte continue d'exister tel qu'il est il est assez probable que non, et donc il va falloir dans le cadre de la Loi de programmation militaire déterminer les aptitudes, les capacités des armées françaises pour affronter ses nouveaux risque.
NICOLAS DEMORAND
Ça pourrait baisser tout de même le nombre d'hommes et de femmes et de soldats présents dans les différentes zones que ce soit la Syrie, que ce soit le Mali, on pourrait en rapatrier ? Ils sont fatigués.
FLORENCE PARLY
A court terme il faut évidemment être très adaptable. Que l'on prenne les théâtres les uns derrière les autres, au Levant il est absolument clair que tant que la lutte contre Daesh n'est pas terminée l'engagement de la France aux côtés de la coalition se poursuivra ; elle se poursuivra dans les formes qu'elle a aujourd'hui. Lorsqu'on examine la situation au Mali, où la France s'est engagée à la fois seule et aux côtés d'autres partenaires mais seule avec 4000 militaires sur ce front, ce qui est important c'est de pouvoir à la fois maintenir ces 4000 hommes est aussi accompagner la montée en puissance des armées de ces pays parce que à terme ce sont ces pays qui sont en charge de la stabilité de la région. Aujourd'hui il est probablement impossible d'imaginer un retrait de l'opération Barkhane, en revanche la France fait tous ses efforts pour que ses armées, dans le cadre de ce qu'on appelle la force conjointe du G5 Sahel, puissent monter en puissance ; et nous sommes très actifs avec d'autres partenaires européens pour que ces armées puissent se doter des matériels des équipements dont elles ont besoin en recueillant des contributions de nos partenaires.
NICOLAS DEMORAND
Florence PARLY il y a combien de soldats français au Levant ?
FLORENCE PARLY
D'abord nous avons des avions, une base aérienne en Jordanie et aux Emirats arabes Unis …
NICOLAS DEMORAND
Et au sol ?
FLORENCE PARLY
Nous avons au sol des forces qui entraînent les forces irakiennes en Irak, nous avons de l'artillerie qui est présente également avec des canons César qui ont contribué à la reprise de Mossoul et qui continuent ses opérations. Et puis nous avons des forces qui contribuent à la formation et à l'entraînement des armées locales.
NICOLAS DEMORAND
Ça fait combien de personnes ?
FLORENCE PARLY
Ce chiffre n'est pas public.
NICOLAS DEMORAND
Raqqa tombe quand définitivement ? Vous avez des projections ? On sait que la ville est récupérée à l'Etat islamique à 90 % environ, les 10 % c'est les plus durs, ceux qui restent ?
FLORENCE PARLY
C'est évidemment les plus durs. Donc il est difficile de faire des pronostics. C'est un combat qui est lent, difficile mais qui néanmoins est efficace. On l'a vu la bataille de Mossoul a pris plusieurs mois. D'autres villes ont été prises plus rapidement, c'est le cas de Tall'Afar en Irak, c'est aussi le cas de Hawija dont le Premier ministre irakien a annoncé hier la libération ; mais c'est vrai que la prise de Raqqa sera plus longue et plus difficile.
NICOLAS DEMORAND
C'est une question de semaine d'après vous ?
FLORENCE PARLY
C'est probablement une question de semaines, mais je ne veux pas m'avancer.
NICOLAS DEMORAND
Florence PARLY, il y a un an on évoquait le chiffre de 700 ressortissants français présents en Irak et en Syrie dans les rangs de l'organisation État islamique, qu'en est-il aujourd'hui ? Combien de djihadistes français après toutes les opérations militaires que vous venez de décrire ?
FLORENCE PARLY
Alors ce nombre est assez difficile à appréhender au quotidien….
NICOLAS DEMORAND
On a pu dire 700, la fourchette.
FLORENCE PARLY
On a pu dire 700, c'est probablement un ordre de grandeur qui a été réel à un moment donné, force est de constater que compte tenu de l'intensité des combats celui-ci s'est probablement réduit entre-temps …
NICOLAS DEMORAND
Mais c'est 500 d'après vos éléments, 200, 300…
FLORENCE PARLY
L'ordre de grandeur est probablement de l'ordre de 500, mais l'arithmétique n'est pas très facile à maîtriser.
NICOLAS DEMORAND
Ils ont tous été tués au combat ?
NICOLAS DEMORAND
Beaucoup en ce moment sont en train d'être, comment dire, sont menés au feu. Ceux qui voudraient sans doute s'échapper sont condamnés à se battre par Daesh, et donc il est assez probable que leur nombre va se réduire. Nous constatons d'ailleurs que le nombre de personnes qui partent vers ces théâtres est en très forte diminution, il n'y a quasiment plus de flux, et il n'y a pas non plus de flux de retour.
NICOLAS DEMORAND
Est-ce que la France sous-traite aux Irakiens l'élimination des djihadistes français ? C'est ce que disait en tout cas le Wall Street Journal en mai dernier ?
FLORENCE PARLY
Nous ne sous-traitons rien du tout ; nous sommes en train, avec la coalition internationale - d'éradiquer Daesh ; et nous ne faisons pas - si je puis me permettre cette expression - le tri entre les différents djihadistes qui combattent. Nous combattons Daesh globalement.
NICOLAS DEMORAND
François HOLLANDE avait révélé dans un livre d'entretiens qu'il y avait une « kil list », qu'il y avait des opérations « homo » pour homicides, une liste donc de cibles françaises a éliminer par tous les moyens, est-ce encore le cas Florence PARLY ?
FLORENCE PARLY
Pas à ma connaissance.
NICOLAS DEMORAND
Qu'est-ce qu'on fait des enfants de Français emmenés sur place par leurs parents ou nés sur place ? 400 personnes, dit-on.
FLORENCE PARLY
Alors, les enfants qui sont sur place sont soit sur place sans être entre les mains de quiconque, ils n'ont pas été capturés, ceux-là je ne peux pas commenter leur sort ; en revanche les enfants qui tombent entre les mains des armées et des forces locales peuvent, selon la volonté de leurs parents, soit être maintenus auprès de leurs parents qui eux-mêmes sont judiciarisés sur place, soit si les parents le souhaitent être rapatriés en France. Et en France, ils font l'objet d'un suivi bien sûr par l'ensemble des services sociaux qui sont mobilisés autour d'eux. Ils sont en général très jeunes, mais très jeunes ils peuvent aussi avoir déjà été très formatés de telle sorte que ce suivi est absolument indispensable.
NICOLAS DEMORAND
Des enfants autour de 10 ans qui sont des enfants soldats, pour le dire simplement, ou des enfants terroristes ?
FLORENCE PARLY
Il faut comprendre que les conditions de vie, auxquelles ils ont été exposés, peuvent en effet produire ce type de résultat. Et donc l'enjeu pour nous tous est de parvenir à en refaire des citoyens.
NICOLAS DEMORAND
Compliqué, c'est l'une des plus lourdes tâches qui attend la République.
FLORENCE PARLY
C'est un défi.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 octobre 2017