Déclaration de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, sur le rôle de l'Ecole nationale supérieure (ENS), notamment la multidisciplinarité et la recherche, Lyon le 20 septembre 2017.

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Nous célébrons ce soir un anniversaire. Cette occasion permet de faire tout à la fois un peu d'histoire et de prospective, mais un anniversaire est avant tout une fête et je voudrais souligner le plaisir qui est le mien d'être parmi vous aujourd'hui. La joie y a d'autant plus sa place que c'est une réussite qui nous rassemble ce soir, celle de l'implantation d'une école normale supérieure à Lyon.
Ce que je retiens tout particulièrement de ces 3 décennies, c'est la formidable capacité d'adaptation et d'innovation de cette école. Ce dynamisme était inscrit dans l'ADN de Saint-Cloud et de Fontenay mais l'ENS de Lyon a su s'approprier cet héritage pour se forger une personnalité singulière. Car l'ENS de Lyon a 30 ans, mais aussi un peu plus de 130 ans, si l'on considère son histoire, et a fait preuve de sa capacité à construire sans oublier ses racines. Elle est jeune et porte néanmoins une tradition d'excellence. Si le savoir y est depuis toujours respecté au plus haut degré, il est loin d'être statufié, bien au contraire : les connaissances y sont toujours interrogées, bousculées. Ainsi l'ENS peut être qualifiée de temple du savoir dont la recherche, la pédagogie et le développement de l'esprit critique forment les piliers. Quant aux portes, elles en sont grandes ouvertes, les idées et les hommes circulent et l'audace et l'enthousiasme sont des invités bienvenus, tant que l'exigence intellectuelle les guide. Ainsi, ses traits distinctifs sont d'une part un certain rapport au savoir qui, par le biais de la formation par la recherche, irrigue le monde académique et la société dans son ensemble et c'est là l'héritage de son histoire. Mais d'autre part, ce qui caractérise cette école, c'est aussi son attachement à la diversité, celle des profils, des parcours et des disciplines.
L'implantation de l'ENS à Lyon est avant tout un pari heureux, une oeuvre pionnière, née d'une volonté politique inébranlable, qui s'est ensuite épanouie grâce au soutien des acteurs locaux. Je tiens à saluer ce soir cette réussite collective et tous ceux qui y ont contribué.
4 dates jalonnent la croissance de l'ENS de Lyon.
1987 : l'ENS de Saint-Cloud, dédiée aux sciences exactes, est délocalisée et vit sa première rentrée lyonnaise sous le nom d'Ecole normale supérieure de Lyon.
En 2000 c'est l'ENS de Fontenay-Saint Cloud, dédiée aux lettres et sciences humaines, qui rallie le campus lyonnais.
En 2005 c'est au tour de l'Institut National de Recherche Pédagogique de rejoindre le site et en 2010 ces 3 établissements fusionnent.
Que dire de la volonté politique qui a porté cette trajectoire hors-norme et comment ne pas s'en inspirer !
Lorsque le projet de déménagement a germé dans les années 70, il relevait d'une vision réellement innovante tant il fallait penser à rebours des schémas préconçus pour oser imaginer une école normale supérieure en dehors de Paris ! Ce grand projet naît dans la modestie d'un constat pragmatique : les locaux de Saint-Cloud étaient exigus et vétustes. La question était logistique, la réponse fut politique. L'ambition décentralisatrice de la France des années 70 trouva dans la délocalisation de l'ENS Saint-Cloud un terrain d'expression d'une grande portée symbolique.
Car plus qu'un déménagement, c'était une véritable création qu'il fallait orchestrer. Recruter des enseignants-chercheurs, penser la carte de formation, organiser l'installation, nombreuses étaient les planètes à aligner. Et l'arrivée de l'ENS s'est inscrite dans une vaste opération de reconstruction urbaine du quartier de Gerland. La qualité d'intégration de l'école dans son écosystème démontre aujourd'hui combien la greffe a été féconde et le pari gagnant. L'ENS de Lyon a créé des partenariats riches avec ses plus proches voisins, des entreprises de biotechnologie au Musée des confluences. Elle a tissé des liens puissants avec les grands organismes de recherches et les autres établissements lyonnais, et joue un rôle moteur dans la dynamique de l'Université de Lyon. Sur le plan académique, scientifique, économique ou culturel, tout ce qui fait l'identité de l'ENS a trouvé à s'exprimer dans le territoire lyonnais.
Mais cette implantation réussie, bien que nourrie d'innovations, là encore ne s'est pas résumée à un déracinement sans retour. L'ENS de Lyon est dépositaire de l'héritage des ENS de Fontenay et Saint-Cloud. Son attachement aux sciences de l'Education, à la pédagogie et à la didactique, nous dit combien elle a de la mémoire. Saint-Cloud et Fontenay formaient des formateurs, et étaient imprégnées des lois Ferry sur l'enseignement pour tous. L'ENS de Lyon s'en souvient lorsqu'elle intègre l'INRP en 2010 ; elle s'en souvient aussi lorsqu'elle fait de l'éducation un département aussi prestigieux que celui dédié aux mathématiques ou à la littérature. Mais puisqu'elle est ancrée dans le XXIème siècle, elle n'oublie pas d'y associer les humanités numériques.
Cet équilibre entre un héritage empreint de valeurs fortes et une dynamique interne qui la pousse à les questionner sans cesse caractérise tout particulièrement l'ENS de Lyon. C'est au sein de cette dynamique que l'ENS s'est forgé son identité propre.
Cette identité repose selon moi sur deux traits saillants, qui font de cette institution séculaire un acteur académique d'une grande modernité. Il s'agit tout d'abord d'un certain rapport au savoir, incarné par la formation par la recherche, et d'autre part, d'une culture de l'ouverture.
La formation par la recherche est au coeur de l'approche didactique de l'ENS de Lyon. Elle en a fait sa méthode, presque au sens que ce mot prend chez Descartes. Elle ne vise pas tant à dévoiler la vérité qu'à former des esprits.
La formation par la recherche est une école du doute et de l'esprit critique, un certain rapport au temps long qui n'ignore cependant pas les urgences de la société et de ses défis. En la promouvant auprès de ses élèves, l'ENS est à la pointe d'un vaste mouvement de diffusion des sciences et d'une certaine posture épistémologique au sein du monde académique et de la société. Les normaliens, qui se destinent en grande majorité à l'enseignement supérieur et à la recherche, se feront les ambassadeurs de cette culture de la pensée dans les organismes et les laboratoires où ils travailleront, auprès des étudiants et des élèves qu'ils formeront à leur tour. Au travers des prix qu'ils récoltent, des récompenses qu'ils reçoivent, les normaliens démontrent combien ils irriguent la vie intellectuelle française. Ce que l'on enseigne à l'ENS de Lyon, c'est comment regarder la recherche et la formation comme les 2 faces d'une même pièce. Les étudiants apprennent que transmettre le savoir c'est l'interroger, que produire des connaissances et les diffuser relève d'un même état d'esprit. Car, bien sûr, l'ENS vise l'excellence ; mais pour le bénéfice de tous.
La culture de l'ouverture est pour moi l'autre trait saillant de l'ENS de Lyon. Là encore il s'agit d'un héritage réinventé. L'ENS de 1880 défendait un idéal de promotion sociale par l'instruction. Cette ambition d'ouverture se traduit aujourd'hui par une volonté de diversifier les profils de normaliens, recrutés non plus uniquement sur concours mais également sur dossiers. Si la diversité est valorisée à l'entrée de l'ENS, elle est encore davantage soutenue durant les années d'études. En effet, l'école s'attache à la personnalisation la plus fine possible de chaque parcours. Les formations sont taillées « sur mesure », au plus près des projets et des compétences de chaque étudiant. Seul horizon commun : l'exigence.
L'ENS ne produit donc pas un standard intellectuel. Au contraire, elle forme des esprits critiques, irréductibles à une norme et c'est ce qui fait la richesse des esprits formés. Pour y parvenir, une autre forme de diversité est activement encouragée : celle des disciplines. Cette transdisciplinarité est la condition de l'épanouissement d'un humanisme contemporain, capable de répondre aux attentes académiques et sociales du XXIème siècle.
L'ENS de Lyon est très attachée à la promotion de la multidisciplinarité. La fusion de l'ENS sciences et de l'ENS Lettres et sciences humaines en est bien entendu le symbole le plus évident. Cette ambition pluridisciplinaire se reflète également dans des propositions de formations hybrides, ou dans la thématique de nombreux laboratoires de recherche. Je pense notamment à l'IXXI (Institut rhônalpin des systèmes complexes) qui se positionne au carrefour des disciplines en se consacrant à l'étude des réseaux et des interactions. En défendant la multidisciplinarité, je crois que l'ENS de Lyon participe à un virage majeur dans notre histoire de la pensée. Ce tournant répond à un impératif social et scientifique, celui d'une recherche confrontée aujourd'hui à des défis protéiformes. La réticence est souvent grande encore lorsqu'il s'agit de se défaire des étiquettes disciplinaires. Pourtant, à trop raisonner selon les codes et la grille de lecture de sa discipline, on prend le risque de perdre de vue le problème à résoudre, le sens de la question, pour reprendre une de formule chère à votre Président. L'ambition de la Recherche, avec un grand R, est si grande que la discipline ne peut plus en être la seule mesure.
Mais pluridisciplinarité ne saurait rimer avec superficialité. Il ne s'agit pas de s'éparpiller. Pour que le dialogue interdisciplinaire soit fructueux, il faut que chacun parle depuis un socle de connaissance enraciné dans l'exigence la plus absolue. Absolue mais pas exclusive. C'est là toute l'ambition de la posture intellectuelle que défend l'ENS de Lyon : être capable de l'approfondissement le plus exigeant, tout en conservant un champ de vision le plus large possible.
C'est la particularité de cette posture conjuguant excellence et transdisciplinarité, exigence et ouverture d'esprit, qui me laisse à penser que l'ENS de Lyon est l'un des berceaux des humanistes du XXIème siècle. Cet humaniste moderne n'est pas un individu, mais un collectif. Il ne s'épanouit pas dans la solitude mais dans l'échange, il s'enrichit de la présence de l'autre.
Ainsi depuis la naissance des ENS, les frontières délimitant leurs champs d'action n'ont cessé d'être repoussées, de l'enseignement primaire vers le lycée, du lycée vers l'enseignement supérieur et la recherche et aujourd'hui son rôle primordial dans son territoire au travers de la reconnaissance en tant qu'initiative d'excellence du plan d'investissement d'avenir. L'ENS est donc toujours en mouvement. Quelle(s) frontière(s) l'ENS de Lyon entend-elle repousser désormais ?
Cela peut-être celle, toujours mouvante, dessinée par les attentes de la société, où le progrès scientifique et la qualité de la formation rejoint le mieux être social. Je crois fermement que cette nouvelle figure d'intellectuel que l'ENS de Lyon s'applique à former est la plus susceptible de répondre à cet horizon d'attente.
Mais si ce nouvel humaniste est, comme nous l'avons dit, un collectif soudé par une même ambition d'excellence et une même ouverture d'esprit, il est aussi cosmopolite, tout comme son ancêtre du XVIème siècle. C'est pourquoi la frontière que l'ENS entend dépasser aujourd'hui est celle, géographique, du territoire national. Les classements, nous le savons, ne nous disent pas tout : ni du potentiel d'attractivité intrinsèque de l'ENS ; ni de ses partenariats privilégiés avec la Chine ou le Brésil ; ni de la mobilité des étudiants lyonnais ; ni de l'accueil des étudiants étrangers. Néanmoins, le facteur démultiplicateur que représente, pour son rayonnement international, l'inscription de l'ENS de Lyon dans l'Université de Lyon a bien été perçu par l'ensemble de la communauté. Car l'esprit d'ouverture, l'ENS ne se contente pas de l'adopter dans son recrutement, ses formations ou ses activités scientifiques : elle le développe aussi dans ses relations avec son environnement et ses partenaires. Ce qu'elle promeut à l'échelle interne de l'enseignement et de la recherche, l'ENS le met en oeuvre à l'échelle institutionnelle. Son rôle majeur dans l'Université de Lyon en est une formidable illustration. Cet esprit de dialogue et de partage des compétences a conduit à la labellisation IDEX en février 2017 : un alliage unique d'universités, d'écoles et d'organismes de recherche rassemblés, marque commune puissante, pour promouvoir, développer, faire rayonner à l'international le haut potentiel scientifique, la réputation d'excellence et d'innovation du site, en lien avec tous les acteurs du territoire (entreprises, collectivités, citoyens), au bénéfice des générations futures. Voilà un nouveau territoire à explorer, une nouvelle frontière à dépasser.
Alors, je vous souhaite un très bel anniversaire à tous, vous qui pouvez être fiers de l'ouvrage accompli durant les 3 décennies écoulées, vous qui pouvez légitimement nourrir les rêves plus ambitieux pour les 3 décennies à venir.
Source http://www.ens-lyon.fr, le 3 octobre 2017