Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la revue stratégique de défense et de sécurité nationale.
Pour ce débat, la conférence des présidents a retenu une nouvelle organisation, plus interactive.
L'auteur du débat, en l'occurrence la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, disposera d'un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée qui ne devra pas excéder dix minutes. Nous entamerons ensuite une séquence de questions-réponses. Chaque orateur disposera de deux minutes maximum, y compris la réplique, avec possibilité d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
(...)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dès son élection, le Président de la République a souhaité que soit menée une revue stratégique. Cette étude avait un objectif : produire une analyse fine et complète de la situation stratégique internationale et en tirer les conséquences pour notre défense. J'ai confié ce travail à un comité d'experts venus de toutes les disciplines et présidé par M. Danjean, qui a abouti à cette revue stratégique à la fois lucide et ambitieuse pour nos armées, fixant un cap clair et une vision pour la prochaine loi de programmation militaire.
Dans quelques instants, je répondrai aux questions que ce document pose sur notre environnement stratégique et l'avenir de notre défense. Je suis particulièrement heureuse de pouvoir le faire par ces échanges que vous avez voulus plus libres et plus francs et qui permettront d'aborder vos interrogations - celles de la représentation nationale - sans tabou ni fausse pudeur, ce qui est précisément l'objectif de la revue stratégique.
Ce travail était un exercice ambitieux. Il visait, bien sûr, à actualiser l'analyse menée dans le Livre blanc de 2013. Depuis quatre ans, le monde a sans doute changé plus vite et plus fortement que nous nous y attendions. Plus largement, cette revue a permis d'identifier les intérêts de la France dans un contexte particulièrement imprévisible et mouvant. Elle prépare l'avenir de notre défense, définit notre vision en France et en Europe et, enfin, établit les aptitudes requises pour atteindre notre ambition.
La revue stratégique fait d'abord un constat : aujourd'hui, la France est plus sollicitée et plus engagée qu'elle ne l'a été depuis longtemps. La menace du terrorisme djihadiste reste centrale pour notre sécurité. Nos ennemis ont changé d'organisation, de visages, de noms, mais ils sont encore plus violents et peut-être encore plus déterminés. Ne nous y trompons pas, la prise de Raqqa et la défaite, sans doute très proche, de Daech ne signifient pas la fin du terrorisme, de son idéologie et de sa barbarie.
À cette menace s'ajoute une instabilité croissante aux portes de l'Europe. J'ai à l'esprit les vulnérabilités persistantes dans le Sahel, la déstabilisation durable du Proche et du Moyen-Orient ou la crise migratoire, mais aussi des phénomènes plus larges qui nous touchent et qui appellent le monde entier à s'adapter : les risques pandémiques, les dérèglements climatiques, les trafics ou la criminalité organisée.
Face à ces menaces, la France répond fermement et chaque fois que c'est nécessaire. Elle est impliquée dans un grand nombre d'opérations, supérieur à nos prévisions. Nos armées sont très sollicitées, à l'extérieur comme sur le territoire national, avec pour conséquence une forte mise sous tension de nos capacités et de nos ressources.
La revue stratégique, ensuite, prend acte de ce que nous soupçonnions déjà : l'équilibre du monde tel que nous le connaissions à la sortie de la guerre froide est révolu. L'environnement stratégique est aujourd'hui articulé autour de multiples pôles dont les équilibres, les forces et les intentions sont changeants et parfois imprévisibles. Chaque État cherche à affirmer sa puissance, notamment militaire, et entre dans une logique de compétition pour l'accès aux ressources, pour le contrôle des espaces stratégiques et pour l'armement.
C'est l'objet d'un troisième constat dressé par la revue : nos forces sont plus contestées et nos ennemis plus équipés et mieux armés. La diffusion des technologies et la dissémination d'équipements conventionnels modernes ont permis à certains acteurs de détenir et de maîtriser des capacités qui, il y a peu, étaient seulement accessibles à certains États.
Les terrains de conflits évoluent eux aussi. À la terre, à la mer et aux airs, qui nous étaient familiers, s'ajoutent désormais l'espace et le cyberespace. Ceux-ci sont devenus des domaines d'affrontement à part entière, impliquant des acteurs parfois inconnus ou intraçables, dont les actes peuvent avoir des conséquences dramatiques sur notre sécurité et sur le quotidien de nos concitoyens.
Enfin - c'est le quatrième constat issu de la revue stratégique -, les nouvelles technologies ont radicalement changé nos forces et nos vulnérabilités. Elles représentent une opportunité formidable. L'intelligence artificielle, la robotique ou les biotechnologies déboucheront sans doute sur des applications militaires décisives. Cependant, la révolution technologique est aussi un enjeu, car nous devons la saisir pleinement, sous peine d'être dépassés. Enfin, elle peut également devenir une source de vulnérabilité. C'est pourquoi l'espace numérique, dans son ensemble, doit se trouver au centre de nos priorités.
Dans cet environnement stratégique à la fois instable et imprévisible, la France est et restera une puissance majeure. Elle continuera à intervenir partout où ses intérêts sont menacés. Sa voix sera entendue, écoutée et respectée.
Notre autonomie stratégique n'est pas négociable. Nous la consoliderons, notamment en renouvelant les deux composantes de la dissuasion nucléaire. Nous poursuivrons nos efforts en faveur du renseignement et nous renforcerons de front les cinq fonctions stratégiques : dissuasion, prévention, protection, intervention et connaissance et anticipation, en prêtant une attention particulière à la prévention des risques et des conflits.
L'assurance de notre autonomie stratégique passe également par un modèle d'armée complet et équilibré. C'est le gage de notre souveraineté comme de notre liberté. Nous devons être en mesure de détenir toutes les aptitudes et toutes les capacités pour répondre à toutes les menaces.
Nous protégerons et nous garantirons notre autonomie totale dans les domaines de la dissuasion, de la protection du territoire et de ses approches, du renseignement, du commandement des opérations, des opérations spéciales ou de l'espace numérique. Dans les autres champs, nous mènerons les partenariats et les coopérations nécessaires pour assurer la pleine capacité d'action de nos forces.
Nous assumerons pleinement notre dimension européenne. Nous avons tout intérêt à ce qu'une défense européenne puisse se construire autour d'intérêts partagés. La France, comme l'a indiqué le Président de la République à la Sorbonne le 26 septembre dernier, sera à l'initiative de cette dynamique. Nous avancerons avec ceux qui le peuvent et ceux qui le souhaitent. Nous assumerons également pleinement nos responsabilités au sein de l'OTAN et nous renforcerons nos partenariats bilatéraux partout dans le monde.
Quand je parle d'Europe, je pense aussi à notre industrie. Nous devons accompagner et encourager le développement d'une industrie européenne de défense solide et réputée. Plus largement, l'industrie et la recherche doivent être au fondement de notre stratégie. C'est un socle économique puissant, une garantie du succès de nos exportations comme de notre innovation.
L'innovation, justement, nous devons la prendre à bras-le-corps, en faire notre force et notre moteur. Je parle d'innovation technologique, de recherche, mais également de cet esprit d'innovation qui doit guider toutes les femmes et tous les hommes de la défense. L'audace doit les accompagner dans leurs décisions, dans la recherche de processus plus efficaces, dans la modernisation de notre action. Cet esprit d'innovation est une condition pour l'attractivité de la défense, pour l'efficacité de nos missions et donc pour la sécurité et la liberté des Français.
Cette revue stratégique nous offre un apport immense : identifier nos aptitudes prioritaires et agir, agir vite et fermement. Ce sera précisément l'objet de la prochaine loi de programmation militaire à qui la revue donne un corps et une vision. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
- Débat interactif -
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat sous forme de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Les auteurs de questions disposent chacun de deux minutes, y compris la réplique. Le Gouvernement a la possibilité d'y répondre pour une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ainsi que le Président de la République l'avait annoncé le 13 juillet dernier à l'hôtel de Brienne, la revue stratégique examine notre environnement et les menaces auxquelles nous sommes confrontés. Elle s'inscrit d'ailleurs très naturellement dans le sillage du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013. On y retrouve la même volonté de jeter un regard lucide et sans concession, pour reprendre vos mots, madame la ministre, sur un contexte « en dégradation rapide et durable », tout en affirmant notre ambition de maintenir notre autonomie stratégique. Elle dresse le constat d'un durcissement des environnements opérationnels, avec le retour des États-puissance - la Russie - ou la fragilisation croissante de certains acteurs étatiques, ou de l'omniprésence des menaces terroristes ou cyber toujours plus diffuses.
S'y ajoutent « des fragilités multiples » : démographie, climat, risques sanitaires, criminalité organisée.
On ne peut donc que saluer la volonté de relever le défi pour le quinquennat en cours de conserver un modèle de défense complet et équilibré pour agir et répondre à l'ensemble des menaces. Néanmoins, l'intention affichée par la revue stratégique se heurte à la dure réalité des premières annonces. En effet, comme l'a rappelé le président Cambon, outre la coupe budgétaire de juillet dernier qui a affecté les armées à hauteur de 850 millions d'euros, l'intégration au budget de la défense des mesures de « resoclage » budgétaires des OPEX, qui dépassent les 200 millions d'euros par an, le financement des mesures non prises en compte dans la loi de programmation militaire actuelle, décidées en 2016, à savoir 996 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les coûts à venir engendrés par le renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire, ne doivent pas compromettre la poursuite d'autres programmes pour nos armées sur le terrain.
Certes, l'orientation de notre budget de la défense est à la hausse, avec une augmentation de 1,8 milliard d'euros pour 2018 et 1,7 milliard d'euros en 2019 et 2020. Mais cette hausse utile se révèle en réalité bien limitée.
Je vous remercie, madame la ministre, de nous apporter des garanties sur la question centrale des moyens, point d'inquiétude majeure pour nos armées, mais également, et plus généralement, pour nos concitoyens, car il y va aussi des questions de sécurité intérieure.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Je vous remercie tout d'abord, madame la sénatrice, d'avoir reconnu la qualité du travail réalisé par le comité des experts. Je les remercie moi-même d'avoir insisté sur la double nécessité de réaffirmer une ambition et une autonomie stratégique propres à la France, sans pour autant écarter, bien au contraire, la construction de partenariats.
Vous appelez mon attention sur le fait que, au-delà des grands engagements, il faut évidemment tenir un certain nombre de promesses. C'est exactement dans cet esprit que s'est inscrit le Gouvernement. Les premières décisions du Président de la République témoignent d'une remontée en puissance d'un budget qui, comme cela a été rappelé, a été malmené au regard de l'écart croissant entre les engagements qui sont allés bien au-delà de ce que la présente loi de programmation militaire prévoyait et les moyens qui, pour ce qui concerne, en tout cas, la première période de la loi de programmation, étaient en forte déflation, même si un coup d'arrêt a été réalisé en fin de période.
Durant le quinquennat, la remontée en puissance sera très significative : 1,8 milliard d'euros en 2018 et, les années suivantes, 1,7 milliard chaque année. Ce sont 30 milliards de plus par rapport au quinquennat précédent qui seront alloués au budget du ministère des armées.
Néanmoins, vous avez raison d'appeler mon attention, la vigilance s'impose quant aux décisions qui peuvent se prendre ici ou là.
Permettez-moi de profiter des dix-huit secondes qui me restent pour vous dire que les 850 millions d'euros d'annulations de crédits étaient en quelque sorte le prix collectif à payer pour régler un certain nombre d'impasses budgétaires, notamment celle qui portait, par exemple, sur le financement des OPEX, mais pas seulement. C'est un coup d'entrée, si je puis dire, dans le quinquennat. J'exercerai la plus grande vigilance pour faire en sorte que ces annulations de crédits n'aient pas d'impact, comme je m'y suis engagée, sur les forces, en particulier nos forces en opération.
Par ailleurs, le président de votre commission nous a invités à faire preuve d'une grande vigilance à l'égard du ministère des finances et, croyez-moi, je m'y attelle.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la revue stratégique souligne à quel point nos armées sont sollicitées de façon croissante, dans un contexte de durcissement, d'instabilité et de diffusion des menaces.
La défense et la sécurité nationale, c'est avant tout des femmes et des hommes qui s'engagent pour notre pays. Leurs engagements impliquent leurs familles, qui en subissent les conséquences de plein fouet. Le récent rapport du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire met en évidence de forts enjeux de fidélisation. Difficulté à concilier vie militaire et vie personnelle, mobilité professionnelle du conjoint, reconversion, lassitude face aux difficultés rencontrées en matière d'hébergement sont autant d'écueils.
Je voudrais insister ici en particulier sur la politique immobilière du ministère. Même si les crédits vont augmenter en 2018, le parc est très dégradé, sa maintenance ayant été longtemps sacrifiée pour préserver les dépenses d'infrastructures des grands équipements, des grands programmes d'armement.
Le rattrapage doit s'inscrire dans la durée et se poursuivre résolument. Il manque 400 logements de militaires en région parisienne. Les logements sociaux de l'îlot Saint-Germain ne seront que partiellement affectés aux familles des militaires : 50 sur 250. C'est insuffisant, d'autant que cet immeuble subit une forte décote, de près des deux tiers de son prix, ce qui représente un préjudice important pour le budget des armées.
Dans ce contexte, peut-on se passer du Val-de-Grâce, alors que la revue mentionne que les enjeux de protection du territoire vont durer, particulièrement en Île-de-France, et que les besoins de nos soldats en termes d'hébergement sont considérables ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous avez raison, monsieur le sénateur, de pointer du doigt l'une des difficultés sans doute majeures qu'éprouvent les militaires et leurs familles en matière de logement.
Vous avez rappelé la nécessité de fidéliser nos soldats. Le récent rapport du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire a fait état de chiffres qui montrent qu'il n'y a pas de difficultés particulières en matière de recrutement pour nos soldats. En revanche, il convient de porter une attention particulière pour assurer la fidélisation dans le temps ; le logement y contribue probablement ou insuffisamment, suivant où l'on se place.
Pour ce qui me concerne, l'immobilier est une priorité. L'augmentation du budget du ministère le montre, avec 1,2 milliard d'euros en 2017 et 1,5 milliard d'euros en 2018.
Par ailleurs, dans le cadre du plan Famille que j'annoncerai prochainement, un chapitre entier sera consacré à la question du logement, tant celle-ci est majeure.
Il est vrai que nos emprises ont fait l'objet d'une réorganisation en profondeur en Île-de-France du fait de la mise en service, si je puis dire, du grand ensemble de Balard il y a quelques mois. C'est dans ce contexte que le Val-de-Grâce ainsi que l'îlot Saint-Germain ont été mis en vente, dans des cadres différents.
Pour ce qui concerne le Val-de-Grâce, c'est une cession en bloc qui a été décidée dans son principe. Elle fait l'objet d'un appel à projets, qui est géré par la Ville de Paris. Concernant l'îlot Saint-Germain, c'est-à-dire la seconde fraction, celle-ci sera cédée par morceaux ou par sous-ensembles.
Vous avez appelé mon attention sur le fait que des décotes importantes ont été réalisées pour les emprises qui avaient déjà été cédées. C'est en effet un sujet de préoccupation, mais, vous le savez, ces décotes sont aussi la contrepartie d'autres engagements, qui permettent également de récupérer, dans le cadre des emprises cédées, un certain nombre de logements pour nos militaires. Il nous revient de trouver le point d'équilibre entre un prix de cession convenable et un nombre de logements obtenus en contrepartie satisfaisant.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Madame la ministre, votre réponse ne me satisfait pas pleinement pour ce qui concerne le Val-de-Grâce. Nous souhaitons voir clairement figurer dans la future loi de programmation militaire la résolution qui sera la vôtre de faire en sorte que les questions immobilières ne soient pas un rattrapage de l'instant, mais qu'elles s'inscrivent véritablement dans la durée.
S'agissant du plan Famille, nous serons évidemment très vigilants sur le fait d'y trouver toutes les données que nous attendons, notamment les annonces du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un monde en pleine mutation, où les dangers se multiplient et les périls s'accentuent, notre pays doit adapter et faire évoluer ses réponses en termes de défense, de sécurité et de protection. La revue stratégique le fait avec mesure et intelligence.
Je tiens, madame la ministre, à saluer la qualité du travail réalisé dans des délais contraints, tout en rattachant cette analyse pointue de la capacité militaire de la France au récent plaidoyer du Président de la République pour une Initiative pour l'Europe, Europe qui est, permettez-moi de le citer, « notre histoire, notre identité, notre horizon, ce qui nous protège et ce qui nous donne un avenir ».
Je m'attarderai sur un point précis que je considère comme essentiel, l'Europe de la défense et, plus précisément, le fonds européen de la défense.
Oui, les défis à relever aujourd'hui et demain en termes de sécurité et de défense sont multiples et complexes ! Les États membres ne sont pas en mesure de les relever seuls. Et il n'appartient pas à la France de les relever seule...
Avec l'annonce de la création de ce fonds européen le 7 juin dernier, ce constat est désormais contrarié. Il s'agira dorénavant de coordonner intérêts nationaux et autonomie stratégique, industrielle et technologique de l'Europe, d'offrir à l'ensemble des États membres des ressources militaires communes, ce qui permettra ainsi à l'Union européenne de mettre en oeuvre une véritable politique de coopération en matière de défense. La Commission a annoncé que son financement aurait lieu selon les cycles budgétaires de l'Union européenne et à partir de financements nationaux.
Madame la ministre, ma question est simple : pouvez-vous nous apporter des précisions sur le calendrier de mise en activité de ce fonds ainsi que sur les estimations en termes de coûts et d'économies pour notre budget national ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur, l'un des objectifs fixés par le Président Macron lors de son intervention à la Sorbonne est de faire en sorte que l'Union européenne dispose à l'avenir d'un véritable budget commun de défense. De ce point de vue, le fonds européen de la défense, qui est en cours de création, constitue l'une des premières pierres de cette politique, même si le Président de la République nous appelle à aller au-delà.
Il faut aussi saluer les efforts récents que consentent ensemble les Européens. Cela est certainement lié à une prise de conscience de l'importance des menaces qui pèsent tout autour de l'Europe pour avancer dans le domaine de l'Europe de la défense.
Le fonds européen de la défense est une étape vraiment décisive puisqu'il permettra de financer la recherche de défense ainsi que certaines phases de développement de programmes capacitaires, notamment le développement de prototypes. En effet, l'Union européenne s'apprête à accepter de financer à hauteur de 20 % de telles dépenses, contrairement à ce qui se faisait auparavant.
Le financement partiel du développement de programmes capacitaires est une proposition phare de la Commission qui, au-delà, souhaite pouvoir créer un programme européen de développement industriel de défense.
Vous m'avez interrogée sur le calendrier de mise en oeuvre de ce fonds. L'objectif est d'adopter le règlement permettant d'engager ces dépenses dans les prochaines semaines ; une réunion aura lieu au mois de novembre à Bruxelles sur cette question. De plus, il est envisagé d'affecter 500 millions d'euros en 2019, 500 millions d'euros en 2020, puis, pour les années suivantes, de passer à 1 milliard d'euros par an.
Il conviendra évidemment d'être très attentif aux modalités de mise en oeuvre, en vue de nous assurer que les projets financés soient bien définis par les États eux-mêmes.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Florence Parly, ministre. Naturellement - mais il vaut mieux le dire -, ces fonds bénéficient à la base industrielle et technologique de défense européenne.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai lu avec intérêt la revue stratégique de défense et de sécurité nationale. On y insiste sur la remise en cause des certitudes et le brouillage des lignes, comme le monde en connaît depuis la chute du mur de Berlin.
Face à un monde de plus en plus chaotique, complexe et souvent incertain, notre diplomatie a besoin d'un cadre d'action fort, cohérent et ambitieux.
Nous avons aujourd'hui le devoir d'oeuvrer en faveur d'un ordre collectif, avec nos alliés et tous nos partenaires. Pour ce faire, la revue préconise plusieurs axes forts pour renouveler la diplomatie de la France : une sécurité qui prenne en compte l'émergence de nouveaux acteurs ; une indépendance qui impose de revisiter les termes de la souveraineté, y compris européenne ; enfin, une influence qui va de pair avec la défense des biens communs universels.
À cet égard, mon interrogation porte sur l'enjeu que constitue le renseignement économique et financier, sujet actuellement à la croisée de diverses sphères et de plusieurs administrations. En effet, nos impératifs de sécurité nationale s'étendent non seulement à la défense du territoire, mais aussi à la préservation des capacités économiques de la Nation. L'interdépendance et la concurrence économiques à l'échelle mondiale se sont accrues et se révèlent des sources importantes de tensions et de conflits possibles entre les États. L'information s'avère désormais une condition essentielle de la compétitivité.
Dans le cadre de la nouvelle loi de programmation militaire, je souhaite connaître les intentions de Mme la ministre des armées concernant le développement de l'intelligence économique, sachant que son importance reste sous-évaluée en France, contrairement à nos partenaires anglo-saxons qui en ont fait une de leurs priorités en matière de renseignement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous avez raison de le souligner, monsieur le sénateur, le renseignement économique et financier est un enjeu absolument majeur pour la protection de nos intérêts vitaux, si je puis dire. Au travers des intérêts de nos entreprises, il y va des intérêts du pays.
Cette question est à l'intersection de l'action de plusieurs ministères, et le ministère des armées y contribue naturellement. En effet, il participe à l'accompagnement des capacités économiques de la Nation.
Ce renseignement recouvre différentes thématiques : une thématique politico-économique, une thématique concurrentielle, technologique ou bien financière. Pour ce qui nous concerne, nous nous intéressons à la lutte contre l'ingérence économique extérieure.
De ce point de vue, je veux souligner le travail réalisé par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense, qui contribue à déceler et neutraliser les menaces affectant le potentiel scientifique et technique de la Nation.
Ce combat a enfin une dimension cybernétique, un domaine dans lequel les services de renseignement et l'état-major des armées jouent là encore, aux côtés de l'ANSSI, un rôle central.
Vous m'interrogez sur les moyens. Ceux-ci sont en constante augmentation : de 2014 à 2017, les fonctions globalement entendues de cyberdéfense et de renseignement auront vu leurs effectifs augmenter de près de 1 800 emplois. Pour ce qui concerne la seule année 2018, dans le cadre du prochain budget qui sera soumis à votre approbation, ces effectifs augmenteront encore de 848 emplois. Il s'agit d'une dynamique que nous souhaitons poursuivre ; mais nous aurons bien entendu le loisir d'y revenir dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire. Je n'en doute pas, nous chercherons à maintenir cette priorité.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Madame la ministre, la parution de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale me laisse perplexe sur bien des points, notamment pour ce qui concerne le développement de programmes nucléaires en France.
Au-delà du traité de non-prolifération des armes nucléaires, auquel notre pays n'a adhéré qu'en 1992, 122 pays ont adopté en juillet dernier à l'ONU un traité d'interdiction des armes nucléaires. Dans ce contexte, comment expliquer le refus de notre diplomatie de participer a minima aux discussions menées à l'ONU ?
Par ailleurs, comment expliquer le poids toujours plus important de la part de la dissuasion nucléaire dans notre budget ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, le désarmement nucléaire reste un sujet de préoccupation majeur pour notre pays. Il est nécessaire si l'on veut aboutir un jour à un monde sans armes. Ce principe de désarmement est actuellement encadré par un traité de non-prolifération, qui reste aujourd'hui la norme fondamentale en matière de désarmement nucléaire.
Par ailleurs, un traité d'interdiction a été récemment signé, et le prix Nobel de la paix a été attribué au mouvement ICAN. Pour légitime qu'il soit, ce traité d'interdiction ne tient pas compte, de notre point de vue, de la réalité géostratégique actuelle. Pourquoi ?
On le voit bien, les démonstrations de force actuelles de certaines nations, tel le programme nucléaire nord-coréen, traduisent l'émergence d'une menace vitale pour notre pays que peuvent représenter les États qui cherchent à adopter l'arme nucléaire. Il nous semble donc tout à fait prioritaire, essentiel même, de prendre toutes les mesures visant à renforcer la non-prolifération et le désarmement dans le cadre des structures internationalement reconnues aujourd'hui.
Ne vous méprenez pas sur mes propos, la France est et reste adhérente au traité de non-prolifération, et elle mettra toute son énergie pour faire en sorte que celui-ci soit respecté et mis en oeuvre.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour la réplique.
Mme Christine Prunaud. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui me satisfait au moins sur un point : vous insistez sur le traité de non-prolifération. Le groupe CRCE demande évidemment à aller bien au-delà.
Les superpuissances, dont nous faisons partie, ont manqué, selon nous, une occasion historique avec le traité d'interdiction des armes nucléaires. C'est un peu comme si l'on avait remis en cause la volonté des 122 pays qui l'ont signé. Certes, vu le contexte, dites-vous, on doit se préparer à intervenir au regard des conflits qui existent dans le monde entier. Vous avez évoqué la Corée du Nord, mais il y a aussi les États-Unis, voire peut-être le Japon, en pleine réflexion.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Christine Prunaud. Comme l'a dit le président de la commission, plus l'escalade est grande, plus on a tendance à renforcer la dissuasion nucléaire. Or c'est ce que nous souhaitons remettre en cause.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent.
Mme Sylvie Goy-Chavent. La revue stratégique montre que la présence des armées sur le territoire national est appelée à durer. Au-delà de la menace terroriste, il y a les enjeux migratoires, le contrôle des frontières, la protection des événements sportifs et culturels notamment.
L'évolution récente de l'opération Sentinelle semble au final assez homéopathique : elle permettra sans doute à l'armée de terre de sortir du sur-régime, mais le totem des 10 000 soldats est toujours là, et l'articulation avec les forces de sécurité intérieure n'est pas repensée en profondeur.
La vraie question me semble aller au-delà des effectifs et de l'articulation des différentes forces. Il faut s'interroger sur le rôle même de l'armée en matière de sécurité intérieure. Est-ce, par exemple, à l'armée d'assurer des missions de police aux frontières ?
Alors que les forces de police et de gendarmerie sont à bout de souffle après des mois de lutte contre le terrorisme et de maintien de l'ordre, l'armée elle-même extrêmement sollicitée sur les théâtres extérieurs fait office de palliatif.
L'opération Sentinelle devait être provisoire, comme, d'ailleurs, l'état d'urgence. On sait aujourd'hui que la menace terroriste ne cesse de se renforcer. Les revers de l'État islamique en Irak et en Syrie font craindre le retour rapide des djihadistes français et de leurs familles, qui cultivent la haine des juifs, des mécréants et de toutes nos valeurs humanistes et républicaines.
Ne faut-il pas alors, madame la ministre, repenser complètement le système et clarifier la situation afin de savoir si nos armées doivent se concentrer sur les opérations extérieures ou assurer la sécurité intérieure, à moins que vous ne souhaitiez renforcer considérablement leurs effectifs ?
M. Jean-Marie Bockel et Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, je crois que l'armée est bien dans son rôle lorsque, dans un certain nombre de cas très particuliers, elle apporte sa contribution aux forces de sécurité du ministère de l'intérieur. C'est le cas pour la lutte contre les feux de forêt ; cela a été le cas, de manière éclatante, lorsque l'ouragan Irma a saccagé les îles des Antilles.
Des savoir-faire et des matériels particuliers viennent donc en appui de tous les secouristes, civils ou autres, qui se sont engagés sur ces terrains. De ce point de vue, la présence du bâtiment de projection et de commandement Tonnerre a été un appoint décisif pour ce type d'opération. À cet égard, je rends hommage à tous ceux qui se sont mobilisés.
S'agissant de l'opération Sentinelle, beaucoup de débats ont en effet eu lieu. Les militaires doivent-ils passer du temps pour défendre le territoire national ? La réponse a été donnée de façon extrêmement claire.
D'une part, des moyens importants ont été conférés à l'armée de terre, qui a vu le nombre de ses effectifs progresser de manière importante pour pouvoir répondre à ses besoins. D'autre part, l'efficacité des interventions réalisées par les hommes et les femmes qui sont engagés dans cette opération se passe de longs discours. Leur présence est sécurisante, dissuasive. Lorsqu'ils font face à une menace, ils agissent avec professionnalisme et protègent la sécurité des Français.
Il ne s'agit pas du tout de mélanger les genres. Il faut continuer à entraîner et à maintenir nos soldats dans des opérations qui se déroulent sur des fronts extérieurs. Néanmoins, il faut aussi continuer à les entraîner à une mission différente, mais tout aussi utile à notre pays, à savoir la protection du territoire national.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, pour la réplique.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Je vous remercie de cette réponse, madame la ministre. Je veux simplement appeler de nouveau votre attention sur l'état d'épuisement de nos forces armées, de ces hommes et de ces femmes qui se dévouent au quotidien pour défendre nos valeurs et protéger nos vies.
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la revue stratégique présentée la semaine dernière devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées par Arnaud Danjean est un document « solide », pour paraphraser le président Cambon. Je souhaite remercier et féliciter son auteur, ainsi que le comité de rédaction, de ce travail remarquable : ils ont travaillé vite et bien, ce qui nous permet de nous concentrer sur la loi de programmation militaire sans perdre de temps.
Madame la ministre, la revue prône le maintien d'un modèle d'armée complet et équilibré. Entre les menaces diffuses de basse intensité et le retour des États-puissance, il va falloir dessiner des priorités pour nos armées. Dans ce contexte, il s'agit de définir les pays européens volontaires politiquement et, surtout, capables militairement de participer à une coopération. Des choix stratégiques majeurs vont devoir être faits ; les sujets sont évidemment nombreux, mais il en est un sur lequel je souhaite m'arrêter, celui des drones.
Je souhaite saluer votre décision de suivre les recommandations que Gilbert Roger et moi avions formulées dans un rapport, celle d'armer nos drones.
Se pose aussi la question de la surveillance aérienne du territoire national, qui doit être repensée. La surveillance des frontières ou des grands événements comme les Jeux olympiques de 2024 est à préparer dès maintenant.
Les drones sont un nouvel outil à exploiter. Les besoins et les demandes en la matière vont exploser et, tout comme nous ne faisons plus aujourd'hui d'opération militaire sans un drone, sans doute demain n'organiserons-nous plus aucune manifestation ni aucun grand événement sans un drone.
Les Harfang seront prochainement retirés du service, les Reaper et les Patroller seront largement, voire exclusivement mobilisés pour les opérations extérieures. La prochaine loi de programmation militaire permettra peut-être - vous nous le direz - de mobiliser de nouveaux moyens de nature à aller dans le sens que je viens d'évoquer.
Enfin, quelle étape supplémentaire faut-il franchir pour préparer l'avenir ? Envisagez-vous de passer du drone armé au drone de combat ? Quel sera le système de combat du futur ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous le savez mieux que personne, monsieur le sénateur, les drones sont devenus un système d'arme incontournable dans les opérations modernes, auxquelles ils apportent, d'une part, une capacité à durer sur les zones d'action et, d'autre part, une complète discrétion, laquelle permet de réduire les risques encourus par les équipages. J'ai donc fixé trois priorités au ministère des armées.
La première consiste à conforter notre capacité d'acquérir du renseignement au moyen de drones aériens. Pour cela, nous allons poursuivre la livraison des systèmes de drones Reaper, mettre en service le système de drones tactiques Patroller et préparer le futur drone MALE européen.
La deuxième priorité consiste à élargir le champ des capacités permises par les drones. C'est ainsi que, au cours des prochaines années, vous l'avez rappelé, les drones MALE seront armés. Ces drones aériens seront d'abord introduits sur les bâtiments de la marine, au travers du programme SDAM, ou « système de drone aérien marine », ainsi que les drones de surface et sous-marins, dans le cadre de la guerre des mines navales, au travers du programme « système de lutte anti-mines marines futur ». Ce programme s'accompagnera de la robotisation de l'action terrestre, dans le cadre du programme Scorpion.
Enfin, troisième priorité, nous devons penser plus loin, et explorer la place que pourront en effet prendre les drones de combat, dans le cadre du « système de combat aérien futur » ; tel est le sens de ce programme, que nous conduisons en coopération avec nos alliés britanniques.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la revue stratégique dresse un tableau global de l'environnement dans lequel notre pays et l'Europe évoluent. Sur ce point, la partie touchant à la sécurité continentale mérite, me semble-t-il, une attention particulière. L'analyse de la « déconstruction de l'architecture de sécurité en Europe » paraît singulièrement juste, au regard notamment des entreprises de déstabilisation engagées par Moscou à l'endroit de l'Ukraine, qui font fi de tous les traités et des fondements les plus élémentaires du droit international.
Dans le même temps, force est de constater que l'unilatéralisme dont l'administration Trump se prévaut participe de ce registre et nous touche collectivement en tant qu'Européens. En témoignent ainsi non seulement sa volonté de désengager les États-Unis de la COP 21, qui met en péril l'ambition de réguler le changement climatique, mais également celle de remettre en cause l'accord historique de Vienne sur le nucléaire iranien, alors même que celui-ci a vocation à être un important outil de stabilisation d'une partie du monde pour le moins tourmentée.
Cette posture, qui devient une constante de la politique extérieure américaine et qui va à l'encontre des intérêts européens, suscite des interrogations sur le lien transatlantique, pourtant valorisé par la revue stratégique comme un « élément clé de la sécurité européenne », l'OTAN restant « pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre ».
N'y a-t-il pas, madame la ministre, une contradiction entre, d'une part, la telle valorisation d'une alliance, certes importante au regard de l'histoire et du rôle qu'elle joue mais qui semble tout de même peu ou prou en voie de délitement, et, d'autre part, la volonté de tendre vers « une autonomie stratégique européenne », actée par la revue ? Comment envisagez-vous de concilier le nécessaire développement d'une Europe de la défense avec le maintien de ce lien transatlantique aujourd'hui fortement fragilisé et pour le moins imprévisible ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, vous soulevez une question que je comprends et qui est largement partagée dans le monde - d'ailleurs, nos alliés américains nous la posent -, mais qui, en même temps, me paraît théorique. En effet, aujourd'hui, les pays européens prennent conscience, je l'indiquais précédemment, de la nécessité de se protéger et d'investir dans leur propre sécurité. Par ailleurs, l'OTAN appelle à une montée en puissance des budgets de ses membres. Il y a donc de ce fait, me semble-t-il, une parfaite cohérence entre la démarche que les Européens adoptent dans le cadre de l'Union européenne et ce que l'OTAN appelle de ses voeux dans le cadre d'une alliance plus large.
La France est à la fois un allié sûr, fiable, au sein de l'OTAN, et un membre de l'Union européenne, au sein de laquelle elle prône la montée en puissance d'une Europe de la défense, dont je parlais tout à l'heure.
Je ne vois pas de contradiction entre l'un et l'autre ; je vois au contraire un renforcement et des synergies qui vont s'exercer de l'un vers l'autre. En outre, le fait que nous soyons aux avant-postes de la construction de l'Europe de la défense ne signifie nullement que nous nous désengagions en quoi que ce soit de l'alliance atlantique. Ainsi, j'étais récemment sur la frontière estonienne, où nous avons des bataillons engagés aux côtés de bataillons britanniques dans le cadre d'une force de l'OTAN ; c'est un engagement que nous n'avons pas l'intention de remettre en question. Nous avons été présents en Lituanie en 2017 et nous y serons encore en 2018.
On ne peut donc pas, selon moi, parler de contradiction mais, au contraire, de complémentarité.
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est à un triple défi que nos armées sont confrontées dans leurs opérations extérieures.
D'abord, les menaces persistent, voire s'accroissent. Il y a certes des victoires au Levant - saluons le symbole de Raqqa -, mais le Sahel n'est pas stabilisé et Boko Haram reste actif. Qu'adviendra-t-il si les djihadistes chassés du Levant se replient dans cette zone ? La République centrafricaine mais aussi la République démocratique du Congo ne peuvent qu'inspirer de vives inquiétudes...
Ensuite, deuxième impératif, il faut ménager l'outil pour durer, car notre niveau d'engagement est éprouvant pour les hommes et pour le matériel. Cet aspect a été maintes fois souligné.
Enfin, troisième point, il faut chercher des soutiens, en Europe, d'abord, quand nos partenaires ne partagent pas notre priorité sahélienne, aux Nations unies, ensuite, alors que l'attitude des États-Unis a compliqué l'adoption de la résolution 2359 sur la force du G5 au Sahel, et auprès de la société civile des pays en crise, enfin, car toute intervention, même justifiée, finit par susciter, quand elle dure, des oppositions.
La seule manière d'attaquer à la racine ce triple défi, dans le cadre d'une « approche globale », est bien identifiée par la revue stratégique : « l'autonomie stratégique ne saurait se penser en termes exclusivement militaires et suppose une articulation étroite avec [...] [la] diplomatie [...] [et le] développement. »
Madame la ministre des armées, comment contribuerez-vous à créer, avec M. le ministre des affaires étrangères, une véritable dynamique défense-diplomatie-développement, dans une optique de sortie de crise au Levant et au Sahel, mais aussi dans une perspective préventive dans un Maghreb fragile ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous avez raison, monsieur le sénateur, il est plus difficile de faire la paix que de mener des guerres. Nous l'avons vu en Irak en 2003, en Afghanistan depuis 2001 et nous pourrions le voir, à terme et dans une moindre mesure, au Sahel.
Nous voyons bien que nos adversaires sont des groupes armés terroristes et que l'action contre de tels groupes ne peut être uniquement militaire ; cela ne serait pas suffisant. Il faut, vous l'avez rappelé, lier de façon cohérente une approche diplomatique et politique - l'engagement opérationnel de nos forces armées - avec une aide au développement qui permet, au fond, de répondre à la racine du mal : la pauvreté et la détresse dont se nourrissent les terroristes.
Nous devons poursuivre, au profit de ces populations, cette approche globale, qui n'est pas nouvelle. Au sein du ministère des armées, le Centre interarmées des actions sur l'environnement est spécifiquement chargé de contribuer à sa mise en oeuvre, en complémentarité, bien sûr, avec l'action du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui est plus spécifiquement chargé du volet développement.
Sur le terrain et à l'échelon local, nous mettons également quotidiennement en oeuvre cette approche au travers d'actions civilo-militaires ou de l'aide médicale déployée en faveur des populations partout où nos troupes sont présentes. D'une façon plus ambitieuse, à l'échelon de la région sahélienne, la création de l'alliance pour le Sahel répond également à cette logique.
Nous devons donc garder à l'esprit que, dans tout conflit, au Sahel comme ailleurs, c'est l'État tout entier qui s'engage, et non seulement ses armées.
M. le président. Dans la suite du débat interactif, la parole est à M. Philippe Paul.
M. Philippe Paul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme nous tous ici, j'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale. Je veux saluer la qualité du travail réalisé par son comité de rédaction, présidé par notre collègue député européen, Arnaud Danjean.
Nous ne pouvons que partager le constat d'une France exposée et engagée dans un environnement de plus en plus instable et en proie à des menaces de plus en plus diffuses. Ce contexte périlleux nous oblige plus que jamais à être en capacité d'action et de réaction sur notre territoire national, bien sûr, mais aussi en de nombreux points du globe.
Madame la ministre, considérant que cette revue stratégique est le préalable à la préparation d'une nouvelle loi de programmation militaire, je souhaite vous sensibiliser à la nécessité d'envisager d'ores et déjà la construction d'un porte-avions nucléaire à même de succéder au Charles-de-Gaulle.
Véritable fer de lance de notre capacité de projection et d'intervention lors de situations de crise, le porte-avions constitue une composante majeure de cet « outil de défense agile, projetable et résilient » qu'appelle de ses voeux le Président de la République dans la préface de la revue stratégique, de ce « modèle d'armée complet et équilibré [...], le seul à [même de] donner à la France les moyens de son autonomie stratégique et de sa liberté d'action » que vous évoquez vous-même, madame la ministre, dans son avant-propos.
Il ne s'agit pas d'entrer aujourd'hui dans un débat sur le budget futur des armées, mais bien d'anticiper - près de vingt ans ont séparé les premières études pour la construction du Charles-de-Gaulle et son admission au service actif en 2001 -, avec cette exigence qui doit être la nôtre : leur donner des moyens opérationnels modernes et maintenir ces moyens à un niveau très élevé de performance.
Il s'agit aussi de ne pas perdre un savoir-faire technologique et industriel qui a fait ses preuves et de conserver une position forte en matière de défense en Europe, plus particulièrement au sein de l'Union européenne post-Brexit.
Enfin, envisager la permanence de cette capacité constituerait un signal fort vis-à-vis de nos armées, dont nous ne saluerons jamais assez le sens du devoir, le professionnalisme et la compétence.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, ce modèle d'armée complet que la revue stratégique appelle de ses voeux repose notamment sur la capacité de se projeter depuis la mer. Pour cela, nous disposons déjà de trois bâtiments de projection et de commandement, ou BPC, qui permettent de projeter des troupes, de conduire des opérations amphibies et de projeter outre-mer les moyens de l'État, comme cela s'est récemment fait aux Antilles.
Au-delà, la capacité de projection depuis la mer passe aussi par les avions, qui doivent pouvoir décoller d'un porte-avions.
La résurgence des États-puissance se traduit en ce moment par la construction de nombreux porte-avions dans le monde : en Chine, en Inde ou encore au Royaume-Uni. Ce constat nous rappelle que les porte-avions sont des outils militaires exceptionnels, qui fournissent non seulement une capacité de projection vers la terre mais encore une capacité d'acquisition autonome de renseignement et, surtout, de contrôle des espaces aéromaritimes. Bref, c'est un outil majeur du combat naval.
C'est aussi - cela n'est pas négligeable - un outil politique, car il a une très forte visibilité médiatique, et c'est aussi un vecteur de crédibilité vis-à-vis de nos alliés ; les récentes opérations que nous avons menées en Méditerranée, en lien avec nos alliés américains, en attestent.
Dès la prochaine loi de programmation militaire, nous devrons lancer des études pour renouveler cette composante des porte-avions. Il faudra à tout le moins préparer la succession du porte-avions Charles-de-Gaulle, qui devrait être retiré du service actif à l'horizon de 2040. Par ailleurs, l'opportunité de disposer ou non d'un second porte-avions fera partie des travaux à mener dans le cadre de la préparation de cette future loi.
M. le président. La parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'en viens à une question qui n'est pas souvent abordée.
L'industrie spatiale française bénéficie de nombreux atouts. Elle est l'un des leaders au niveau mondial ; il faut désormais tirer avantage de son excellence pour enraciner dans le paysage industriel français des compétences incomparables tournées vers les besoins du futur, facteurs d'indépendance technologique et de rayonnement politique et stratégique.
Comme le précise la revue stratégique de défense et de sécurité nationale, l'espace exoatmosphérique est en profonde mutation et en proie à des logiques de compétition tant militaire que stratégique. Des acteurs étatiques et non étatiques disposent aujourd'hui de moyens industriels leur permettant de mettre en place des satellites.
Les prouesses technologiques et scientifiques des dernières années ont contribué à l'essor d'une nouvelle manière de concevoir et d'exploiter les systèmes spatiaux, sur fond de compétition accrue entre acteurs étatiques, sur le plan tant politique qu'industriel. Support de services aujourd'hui indispensables de navigation, de communication, de météorologie ou d'imagerie, le domaine spatial est aussi un espace de confrontation ; des États peuvent aujourd'hui être à l'initiative de la mise en place de technologies potentiellement antisatellites.
Les activités liées à ce nouveau schéma posent également des questions d'ordre juridique. Le problème de l'« arsenalisation » de l'espace se pose donc en des termes renouvelés.
Face à ces nombreux défis, nous devons nous doter d'une politique spatiale ambitieuse. Pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, quel pourraient en être les contours dans la prochaine loi de programmation militaire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. La revue stratégique a effectivement insisté sur la nouvelle dimension que constitue l'espace en tant qu'espace militaire potentiel, même si la politique spatiale n'est évidemment pas nouvelle, et elle met le doigt sur les menaces que tout cela comprend.
D'abord, les nouvelles technologies banalisent l'accès à l'espace ; ce qui était autrefois l'apanage de quelques très rares grandes puissances devient aujourd'hui possible pour des entités non étatiques, avec, finalement, peu de moyens.
Par ailleurs, vous l'avez souligné, en l'absence de réglementation permettant d'en assurer la maîtrise, il y a un risque de militarisation accrue du domaine spatial.
À l'inverse, le domaine spatial offre de très nombreuses opportunités ; les technologies à l'oeuvre sont bien sûr duales et le spatial permet d'accéder, à des coûts toujours plus faibles, à de nouveaux services, qui bénéficient tant au monde civil qu'au monde militaire.
Enfin, le spatial est un domaine particulièrement approprié pour développer les coopérations européennes.
Comme nous avons souligné la nécessité de maintenir une capacité d'appréciation autonome, l'axe spatial constituera bien sûr un élément tout à fait majeur de notre prochaine loi de programmation militaire.
Dès l'année 2018, nous allons assurer la mise en service de trois satellites d'observation relevant de la Composante spatiale optique, ou CSO, qui permettront, dans la continuité du système Hélios II, de disposer de prises de vue d'une précision et d'une résolution très élevées ; notre réactivité devrait s'en trouver tout à fait renforcée.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Florence Parly, ministre. Nous travaillons par ailleurs à l'introduction d'un certain nombre de systèmes spatiaux dans la prochaine loi de programmation militaire. J'ai participé ce matin à une réunion du CoSpace, au ministère de la recherche, en présence du ministre de l'économie et de l'ensemble des industriels ; la conclusion en a été que nous avons aussi grand besoin d'une équipe de France unie, associant les entités institutionnelles et les industriels, afin de développer une préférence européenne et une capacité industrielle autonome, sans laquelle notre autonomie de renseignement et d'observation ne sera pas possible. (M. Claude Haut applaudit.)
M. Jean-Marie Bockel. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. La revue stratégique de défense et de sécurité nationale fait le constat inquiétant de la multiplication des menaces non étatiques du fait de la dissémination plus importante des armes.
Sous le précédent quinquennat, l'industrie de l'armement servait de variable d'ajustement à notre balance commerciale, c'est du moins notre vision.
Madame la ministre, le Gouvernement entend-il revoir notre politique d'exportation d'armement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, le développement de l'exportation en matière d'armement est un prolongement indispensable du développement de ces programmes eux-mêmes. Aujourd'hui, sans l'exportation, un certain nombre de programmes militaires ne pourraient pas être menés à bien. L'exportation fait donc partie intégrante, en quelque sorte, du modèle de développement de ces programmes.
L'exportation en matière d'armement contribue à résorber le déficit commercial de la France à hauteur de 14 milliards d'euros par an. Globalement, l'industrie de défense compte plus de 4 000 entreprises, grandes ou petites, et représente plus de 160 000 emplois sur notre territoire. Ces emplois sont pérennisés grâce à la commande publique, mais aussi, je viens de l'indiquer, à l'existence de marchés à l'extérieur.
Exporter ne signifie bien évidemment pas qu'il faille le faire dans n'importe quelles conditions. Il existe des règles internationales que nous respectons, sous la surveillance des entités compétentes.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour la réplique.
Mme Christine Prunaud. Merci, madame la ministre, vous êtes toujours précise dans vos réponses.
Cela dit, en la matière, il est difficile d'appeler à la diminution de l'armement quand on figure, comme c'est notre cas à nous, Français, parmi les plus gros vendeurs à l'échelon mondial.
Nous respectons, dites-vous, des règles internationales ; je n'en doute pas, mais le groupe communiste républicain citoyen et écologiste souhaiterait, et je pense qu'il n'est pas le seul, que nous soyons plus stricts - sous quelle forme ? Je ne saurais le dire dans l'immédiat - dans la sélection des pays acheteurs.
On sait qu'il existe des circuits parallèles et qu'une partie des armes que nous vendons dans des pays comme l'Irak, la Syrie ou autres est détournée ; mais, au-delà de ces marchés parallèles, nous avons d'autres inquiétudes, qui plaident pour cette exigence sur nos ventes. Je pense par exemple au Yémen, et aux soupçons de crime de guerre qui émeuvent la communauté internationale.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Christine Prunaud. Aussi, quel commerce entretenir avec ces pays ?
Enfin, pour revenir sur votre conclusion, madame la ministre, je pense qu'il ne faut pas opposer, mais vous le savez bien, le nombre d'emplois au maintien de la paix.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur les engagements extérieurs.
Deux axes contradictoires ressortent avec force de la revue stratégique : d'une part, des enjeux sécuritaires de première importance - en effet, la menace se renforce, se généralise, se durcit, se complexifie, rendant improbable un reflux des interventions extérieures - et, d'autre part, une concomitance d'opérations et de déploiements dans la durée, qui engendre un phénomène d'usure de nos ressources humaines et matérielles.
Les armées françaises ont un grand besoin de se régénérer et le maintien de nos capacités est un véritable défi. Des programmes de renouvellement du matériel ont été engagés ; je pense principalement au programme Scorpion, qui devrait offrir un certain renouvellement des capacités de combat et de soutien de l'armée de terre à moyen terme.
En attendant, la situation est particulièrement tendue. L'exemple le plus symptomatique, évoqué par notre président, est celui des véhicules de l'avant blindé. Leur taux de disponibilité est d'à peine plus de 42 %, et leur âge moyen de trente et un ans. Leurs coûts de maintien opérationnels sont extrêmement importants et les mécaniciens ne pourront pas faire éternellement des miracles.
Madame la ministre, ne pensez-vous pas qu'il serait plus efficace de concentrer les crédits sur un renouvellement accéléré de ces engins, ce qui permettrait d'offrir un niveau de protection plus important à nos militaires, plutôt que de subir des coûts extrêmement élevés de maintien en condition opérationnelle ?
Cette disponibilité des matériels comporte des dimensions plus globales, c'est la seconde partie de ma question : les opérations extérieures françaises vont-elles être réarticulées en fonction des priorités dégagées par la revue stratégique ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, vous évoquez un problème auquel nos armées sont actuellement confrontées, à savoir l'usure d'un certain nombre de matériels due à leur utilisation intense sur de multiples théâtres extérieurs, en particulier au Sahel. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que, dans le cadre du projet de loi de finances dont nous discuterons prochainement, une enveloppe particulière soit réservée à ce que nous avons appelé la protection. Il s'agit de pouvoir régénérer un certain nombre de matériels, notamment en améliorant le niveau du blindage des véhicules légers qui sillonnent les pistes du Sahel et qui sont très exposés à la menace d'engins explosifs. Nous aurons l'occasion d'y revenir, mais il s'agit là de l'une des priorités du prochain projet de loi de finances.
Vous m'interrogez par ailleurs sur l'évolution dans le temps des OPEX. Il est vrai que nous ne voyons pas à ce stade de réduction possible à très court terme de nos engagements. En revanche, l'évolution de la situation militaire sur un certain nombre de fronts, en particulier au Levant, appelle à revisiter ce dispositif. À cet égard, il faut se féliciter des victoires militaires qui s'accumulent ces derniers jours. Bien sûr, nous revisiterons ce dispositif en lien avec nos alliés. Le Président de la République nous a également demandé d'examiner dans quelles conditions le dispositif au Sahel pourrait être adapté pour faire face aux conditions présentes auxquelles nos armées sont confrontées.
M. le président. La parole est à M. Rachel Mazuir.
M. Rachel Mazuir. Madame la ministre, la principale nouveauté de la revue stratégique par rapport au Livre blanc de 2013 est la reconnaissance - « enfin ! », diront certains - du cyberespace comme un lieu important de conflictualité.
La prise en compte des menaces a été amorcée par le développement d'une politique de cybersécurité par l'ANSSI. Sans doute faudra-t-il aller plus loin, compte tenu de l'évolution des menaces qui persistent.
Nous savons que le Secrétariat national de la défense et de la sécurité nationale prépare une revue stratégique de cyberdéfense. Il est dommage, de notre point de vue, que ce travail n'ait pas été mené en relation plus étroite avec l'élaboration de la revue stratégique de défense, dont le volet « protection » apparaît dès lors moins, voire insuffisamment développé.
La revue préconise le renforcement prioritaire des moyens de défense et le développement de capacités offensives, mais aussi défensives. Elle annonce que « la France a décidé de se doter d'une posture permanente de cybersécurité » et va jusqu'à poser le postulat d'une invocation de l'article 51 de la charte des Nations unies dans l'hypothèse d'une cyberattaque, ce qui nous permettrait de riposter sans avoir à attendre l'avis de qui que ce soit.
Pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, si le Gouvernement entend remettre en cause le modèle original français de séparation des instances qui sont chargées de la protection et de celles qui s'occupent de la lutte informatique offensive ?
En matière de lutte informatique offensive, la revue stratégique insiste sur les capacités de détection et d'attribution, c'est-à-dire la recherche des coupables - ce n'est pas le plus facile -, ainsi que sur la capacité pour nos armées de planifier et de conduire les opérations dans l'espace numérique jusqu'au niveau tactique de façon intégrée et d'exploiter ainsi la numérisation croissante de nos adversaires. S'agit-il d'une évolution de cette doctrine ?
Enfin, quel format pensez-vous donner au commandement cyber dans le cadre de la loi de programmation militaire ? À combien évaluez-vous le montant des crédits nécessaires pour doter nos armées de capacités crédibles en personnels, bien évidemment - il faut les former -, mais aussi en moyens techniques ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, les capacités cyber du ministère des armées peuvent être distinguées en trois catégories : la mission de renseignement et d'investigation, celle de protection et de défense, celle de riposte et de neutralisation.
Dans le domaine cyber, la mission de renseignement et d'investigation revêt une très grande importance. Elle suppose des moyens dédiés, qui ne sont pas tous de nature numérique. Nous avons en effet besoin de mobiliser l'ensemble de la panoplie, laquelle comprend également le renseignement humain.
La deuxième mission de la fonction cyberdéfense, c'est la posture de protection et de défense. Elle intègre une défense en profondeur, qu'on appelle la cyberprotection. Cette cyberprotection consiste à bâtir d'épaisses murailles, ainsi qu'à veiller en permanence à leur efficacité, face à une menace toujours évolutive. La fonction cyberdéfense intègre également une défense de l'avant, qui est la lutte informatique défensive. Elle consiste à patrouiller, à guetter et à intervenir dans l'espace numérique en cas d'intrusion pour éradiquer la menace et reconstruire la muraille.
Enfin, la troisième mission est la lutte informatique offensive, que je caractériserai par deux termes : riposte et neutralisation. Il y a une distinction entre ce que fait l'ANSSI, qui est focalisée sur les aspects de défense, et ce que font les armées, qui sont centrées sur l'offensive. Cette distinction n'a pour l'instant pas lieu d'être remise en question.
La revue stratégique de cyberdéfense va très prochainement rendre ses conclusions. À cet égard, je signale qu'elle a apporté sa contribution à la revue stratégique de défense dont nous parlons aujourd'hui, ce qui devrait normalement faciliter les convergences.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Florence Parly, ministre. Enfin, j'indique que le nombre de combattants cyber au sein du ministère des armées - ils sont 3 000 aujourd'hui - est très probablement appelé à croître, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Madame la ministre, chacun s'accorde aujourd'hui à considérer que les avancées technologiques vont conditionner, bouleverser le futur de certains pays, dans le domaine tant économique que militaire. La revue stratégique se fait l'écho de ces préoccupations.
Nombre des technologies disruptives d'intérêt militaire dérivent plus que par le passé, et de façon croissante, de technologies civiles. Ces évolutions sont manifestes dans la sphère numérique. L'hyper-connectivité, les technologies du big data, l'internet des objets, la robotique, l'utilisation de l'intelligence artificielle vont avoir un impact considérable non seulement sur les armements, mais aussi sur la conduite des opérations de renseignement et de combat.
La diffusion de ces technologies efface les écarts de puissance entre États et offre également des capacités à des groupes terroristes ou criminels incontrôlés. Il faudra donc également prémunir nos administrations, nos services publics et, bien sûr, nos armées contre les risques de détournement et de pertes de contrôles de leurs propres systèmes.
Comment ces évolutions sont-elles intégrées par nos armées dans leur réflexion doctrinale ? Impliquent-elles de nouveaux modes d'organisation dans la conduite des opérations ?
Comment le commandement militaire prépare-t-il ces évolutions et y prépare-t-il les personnels ? Quels projets concrets vont, dans un avenir proche, trouver une application opérationnelle jusqu'au niveau du combattant ?
La conduite des programmes d'équipement doit-elle être pensée pour être plus agile, intégrer plus rapidement des technologies dérivées d'applications civiles, voire faire travailler ensemble start-up, officiers de programme et chercheurs sur des projets, tout en préservant nos capacités souveraines ? Un projet comme Intelligence Campus, soutenu par la direction du renseignement militaire, vous paraît-il correspondre à ces nouveaux modes d'organisation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, vous mettez le doigt sur l'un des sujets majeurs qui nous préoccupe en ce moment : la bonne façon de faire cohabiter des modes d'innovation différents, à savoir les modes d'innovation qui se développent dans le monde civil, sur des cycles très courts, et les modes d'innovation et de développement technologiques sur des temps plus longs, tels que ceux que nous avons l'habitude de mettre en oeuvre au sein du ministère des armées.
Nous souhaitons que la délégation générale à l'armement, au-delà du rôle très prééminent qu'elle joue, puisse contribuer à créer, avec l'ensemble des acteurs du ministère des armées, ce qu'on appelle aujourd'hui un écosystème favorable à l'innovation afin de permettre des fertilisations croisées entre le monde civil et le monde militaire. Il s'agit également de permettre l'accélération de l'innovation au profit des armées, ainsi que - pourquoi pas ? - une innovation plus sobre, plus frugale en termes de coût des technologies.
J'avoue ne pas avoir encore eu l'occasion de visiter Intelligence Campus, mais ce campus fait partie des sujets dont je vais m'entretenir avec la direction du renseignement militaire. Ce que je peux vous dire également, c'est qu'il est extrêmement important de disposer d'un certain nombre de plateformes permettant d'effectuer des simulations. La simulation est aujourd'hui un élément majeur pour assurer le caractère sûr et opérationnel de nos équipements. Nous devons développer nos outils de simulation et intégrer le volet cyber dont nous parlions tout à l'heure...
M. le président. Il faut conclure !
Mme Florence Parly, ministre. ... dans tous les travaux de conception de nos futurs équipements, tels que les navires. Comment éviter que nos futurs navires puissent être contrôlés par un tiers ?
Veuillez me pardonner cette réponse trop longue. J'espère que nous aurons l'occasion de reparler de ce sujet, qui mérite d'être abordé de façon plus détaillée.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero, pour la réplique.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Pour que la France maintienne son engagement international et ses domaines d'excellence, ainsi que sa capacité à intervenir, elle doit mettre en adéquation ses moyens avec ses besoins, madame la ministre.
M. le président. Je vais maintenant céder ma place à Mme Catherine Troendlé, qui va présider nos travaux pour la première fois aujourd'hui. Je ne doute pas que vous lui réserverez le meilleur accueil ! (Applaudissements.)
(Mme Catherine Troendlé remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, la photo est émouvante : un militaire souriant porte dans ses bras une petite fille endormie. Nous sommes dans l'aérogare de Saint-Martin, l'île ravagée par l'ouragan Irma. Cet instantané, publié par l'envoyé spécial de Radio France, a déclenché une étonnante polémique sur les réseaux : on a parlé d'opération de propagande de l'armée française, de néo-colonialisme !
Il y a quelques jours, un faux sondage circulait par e-mail sur le mode : « saviez-vous que ? » Cette manoeuvre visait à lister les prétendus avantages, aussi faux qu'astronomiques, dont bénéficieraient les sénateurs.
Je mesure les efforts entrepris pour nous protéger contre les cyberattaques et ceux qui sont annoncés pour doter nos armées de capacités de lutte informatique offensives, mais ces efforts seront incomplets si nous ne nous préoccupons pas des actions d'influence et de déstabilisation. La revue stratégique relève la perméabilité des sociétés européennes à la propagande djihadiste, laquelle « a fragilisé les sentiments d'appartenance, affectant ainsi la cohésion des sociétés ».
Nous sommes également l'objet d'actions conduites par des puissances étatiques de premier rang, dotées d'extraordinaires arsenaux d'influence et de déstabilisation, qui vont de la diffusion massive de fake news à la manipulation des processus électoraux, comme on l'a vu lors de la campagne présidentielle américaine.
L'instrumentalisation des réseaux sociaux est désormais considérée par le Pentagone comme la plus grande menace militaire des années à venir dans le domaine des guerres hybrides.
Je suis inquiet face à l'absence dans la revue stratégique d'exposé de stratégie de contre-influence et de promotion de nos valeurs démocratiques. Pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, les dispositifs d'ores et déjà mis en oeuvre par le Gouvernement dans ce domaine. Quel est le service chargé de lutter contre la propagation de fausses nouvelles ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Votre question, monsieur le sénateur, va bien au-delà du cas d'Irma que vous évoquez. Elle concerne toutes les propagandes.
Les réseaux sociaux sont le premier vecteur d'influence du terrorisme. L'espace numérique est un espace de combat banalisé, mais extrêmement puissant, qui imprègne notre société aujourd'hui.
Un certain nombre de moyens ont été mis en place, tels les moyens cyber du ministère des armées que j'ai évoqués tout à l'heure, lesquels sont en croissance, en termes d'effectifs et de savoir-faire, mais ils ne sont pas les seuls. Le service d'information du Gouvernement, je n'en doute pas, scrute de façon permanente les informations circulant sur les réseaux sociaux.
Enfin, une démarche a été entamée à l'échelon européen auprès d'un certain nombre de fournisseurs d'accès et de services pour obtenir la suppression sur les réseaux sociaux d'informations manifestement erronées ou mettant en cause des personnes.
J'avoue que je n'ai pas de réponse complète à votre question, monsieur le sénateur. Si nous en avions une, nous serions en mesure de contrer l'essentiel de ces attaques. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, ce qui est important, c'est de pouvoir observer,...
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Florence Parly, ministre. ... protéger et, éventuellement, intervenir. C'est ce que le ministère des armées s'efforce de faire dans son domaine.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour la réplique.
M. Olivier Cadic. Pour diriger une armée, « mieux vaut un mauvais général que deux bons », disait Napoléon. Face aux fake news, nous n'avons aucun général, et cela m'inquiète.
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Madame la ministre, la « course » technologique internationale s'avère aujourd'hui particulièrement vive, et la revue stratégique souligne le risque de décrochage. Numérique, robotique, miniaturisation, intelligence artificielle sont autant de défis pour l'avenir de notre défense.
L'innovation, avec sa part de risques, doit être placée au coeur de la démarche du ministère des armées. En effet, nous devons considérer que les défaillances d'investissement d'aujourd'hui pourraient être les lacunes capacitaires de demain. La remarque vaut tout autant pour les armements que pour notre analyse stratégique. Or les perspectives que vous présentez font état d'un risque de « décrochage technologique dont notre pays pourrait être victime ».
Dans un environnement où le secteur civil produit de plus en plus de technologies d'intérêt militaire, le risque de « nivellement opérationnel » décrit dans votre document existe bien. Aujourd'hui, avec peu de moyens, des forces armées régulières ou irrégulières, voire des groupes terroristes, peuvent mettre en échec ou entraver l'action de nos forces conventionnelles. Cette problématique vitale doit être prise en compte pour le renouvellement de nos systèmes d'armes.
Dans ce cadre, le recours à une meilleure synergie entre la recherche civile et le monde militaire peut se révéler extrêmement bénéfique.
Madame la ministre, en plus des dispositifs existants, quelles nouvelles mesures prendrez-vous afin d'encourager une forme de symbiose dans le domaine de la recherche ? Quelle sera notre capacité d'investissement à cet effet ?
Par ailleurs, une base industrielle et technologique forte est indispensable. La revue stratégique met opportunément l'accent sur ce point. Or son renforcement passe aussi par des consolidations industrielles. En particulier, quel résultat donnera l'accord de principe trouvé à l'occasion du déblocage du dossier STX sur un partenariat structurant dans le secteur de la construction navale ? Peut-on croire à un Airbus des mers militaire, associant Naval Group et Fincantieri ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, le ministère des armées, en particulier la DGA, dispose d'un certain nombre d'outils pour encourager et soutenir l'innovation. Ces outils incluent le financement de thèses et de travaux de recherche duale via le CNES et le CEA, au sein du programme 191 du ministère des armées ; le dispositif ASTRID, en partenariat avec l'ANR ; le soutien des pôles de compétitivité, un dispositif rapide en faveur de l'innovation des PME ; des contrats d'étude pour préparer les équipements futurs pour un montant de 700 millions d'euros par an ; une mission pour l'innovation participative finançant les projets des innovateurs au sein des services du ministère.
Pour ma part, je souhaite renforcer l'effort en faveur de l'innovation selon un certain nombre d'axes. Il s'agit ainsi d'améliorer la collaboration avec l'écosystème, en particulier avec les start-up, de prendre en compte de façon plus agile l'innovation civile, notamment numérique, au profit des équipements, des soutiens et du quotidien des militaires, mais aussi du fonctionnement du ministère, de développer des outils d'expérimentation et des tiers-lieux au sein du ministère, et enfin de favoriser l'innovation de rupture.
C'est pourquoi j'ai également annoncé que les crédits du programme 144, consacré à l'innovation et aux études, devraient être portés à 1 milliard d'euros par an dès 2022, contre 730 millions d'euros aujourd'hui.
Enfin, vous m'interrogez sur le projet de consolidation entre Naval Group et Fincantieri. Ce projet a été lancé sous forme d'études à conduire lors du précédent sommet franco-italien qui s'est déroulé à Lyon. En ce moment même, les équipes de Fincantieri et de Naval Group, accompagnées par le ministère des armées et le ministère de l'économie de chacun de nos deux pays, travaillent en vue de présenter un projet à la fin du premier semestre de 2018.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. La revue stratégique fait un état des lieux des menaces pesant sur notre pays. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu'il devrait être complété par un autre état des lieux, celui de la situation humaine, matérielle et financière du ministère des armées ?
Vous avez annoncé tout à l'heure la trajectoire budgétaire, par anticipation sur la loi de programmation militaire, ce qui réduit un peu l'exercice ou le contraint. Pensez-vous que cette trajectoire sera suffisante, compte tenu de l'état de nos armées et de la menace, pour répondre aux différents défis qui se présentent à nous ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, j'ai en effet indiqué que, à partir de 2018, les moyens consacrés au ministère des armées remonteraient en puissance. Cette remontée en puissance était indispensable compte tenu, d'une part, du très fort taux d'utilisation de nos forces au cours des années précédentes et, d'autre part, de la nécessité de reconstituer notre potentiel pour faire face aux différentes menaces.
Nous devons aussi préparer le futur. La prochaine loi de programmation militaire devra trouver un juste équilibre entre ce qui est absolument indispensable, c'est-à-dire la reconstitution de notre potentiel d'action, avec les moyens existants, et la préparation de l'avenir. Les programmes d'équipements de défense, nous le voyons bien, sont des programmes au long cours. Nous touchons aujourd'hui les dividendes, si je puis dire, des décisions qui ont été prises par nos prédécesseurs il y a parfois trente ans. C'est à nous qu'il revient aujourd'hui d'assurer la préparation de l'avenir, c'est-à-dire de prendre des décisions qui n'auront d'effets visibles, dans certains cas, que dans trente ou quarante ans.
Oui, monsieur le sénateur, j'ai conscience des contraintes qui vont peser sur ce budget ! Le fait qu'il soit en progression ne signifie pas que nous ne devons pas être extrêmement vigilants sur la bonne utilisation de chaque euro investi.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Madame la ministre, je ne mets aucunement en doute votre volonté de bien faire et de faire plus. Vous parlez de « reconstruire le potentiel », mais quelle sera la fin de l'exécution budgétaire 2017 ? L'impasse serait potentiellement de l'ordre de 4 milliards d'euros, soit plus de 10 % du budget ! Comme l'a rappelé Christian Cambon tout à l'heure, des véhicules, des avions ont plus de trente ans !
Dans notre rapport, que vous avez bien voulu lire, nous estimons à 2,5 milliards d'euros les investissements nécessaires dans le parc immobilier. Je crains que la vérité des chiffres nous conduise à penser que, compte tenu de la situation dont vous héritez et de la menace qui pèse sur notre pays, l'effort que vous prévoyez de consentir ne permette pas de satisfaire l'ensemble des besoins.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Leroy.
M. Henri Leroy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'aborder deux sujets indissociables.
J'évoquerai tout d'abord le rôle de la gendarmerie nationale dans la défense de notre pays, de ses intérêts et de nos ressortissants, tant sur le sol national qu'à des milliers de kilomètres, dans nos territoires ultramarins.
On ne peut envisager la doctrine de sécurité sans prendre conscience de la spécificité évidente de la gendarmerie : son ancrage territorial, ses capacités judiciaires, militaires, administratives, ses relations privilégiées avec nos concitoyens et les autres armées.
Dans le contexte de menace terroriste, nous ne pouvons ignorer l'aggravation de la porosité entre les activités criminelles et le financement d'organisations djihadistes transnationales. Que ce soit en matière de lutte contre le trafic d'armes en provenance des Balkans occidentaux ou de drogues en provenance de la bande sahélo-saharienne, la gendarmerie a une véritable expertise des filières et de leurs interactions.
Madame la ministre, alors que le risque d'attentat ne cesse de croître, dans quelle mesure les métiers de la gendarmerie, qui ont une réelle valeur ajoutée dans notre outil de sécurité nationale, peuvent-ils être optimisés et développés ?
Enfin, je ne saurais conclure sans évoquer un point capital de notre politique de défense : nos ressources humaines. Vous aurez beau « cybernétiser » ou moderniser, il n'est point de défense sans ressources humaines. Or nous savons tous que celles-ci sont véritablement épuisées. Ne pensez-vous pas que nos militaires, qui ne sont pas des fonctionnaires comme les autres, du fait même de leur condition militaire vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mériteraient une réelle amélioration de leurs conditions de travail et de vie, au sens large du terme ? Il y va de la détermination de nos troupes à défendre nos valeurs.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, la gendarmerie est une force armée rattachée au ministère de l'intérieur, qui couvre et incarne l'État sur 95 % de son territoire, au profit de la moitié de la population. Elle constitue une force de continuité et de souveraineté, quelle que soit l'intensité des crises.
Les gendarmes ont de remarquables capacités à mener un certain nombre d'opérations en complément de celles des armées elles-mêmes. La gendarmerie apporte en effet des appuis quantitatifs et qualitatifs essentiels, d'abord par l'existence de gendarmeries spécialisées, ensuite grâce à des missions communes réalisées en métropole - c'est le cas dans le cadre de l'opération Sentinelle ou bien outre-mer, par exemple en Guyane, dans le cadre de l'opération Harpie -, enfin lors des opérations extérieures.
La gendarmerie fait en quelque sorte le lien entre les opérations intérieures et les opérations extérieures menées par nos armées. Elle est un acteur clé de l'anticipation dans le cadre de ses activités de renseignement ; elle est un acteur clé de la résilience de la Nation ; elle est enfin également un acteur clé de la dissuasion. L'interopérabilité et la complémentarité entre la gendarmerie et les armées sont des atouts majeurs pour notre pays.
Vous rappelez enfin que, sans les femmes et les hommes de la défense, nos armées ne seraient rien. C'est bien pour cette raison, monsieur le sénateur, que j'ai souhaité pouvoir proposer d'ici à quelques jours un plan en faveur des militaires et de leurs familles. Je considère que, sans famille heureuse, il n'y a pas de soldat efficace. C'est la raison pour laquelle un certain nombre de mesures, qui ont vocation à se traduire...
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Florence Parly, ministre. ... de façon très concrète dès l'année 2018, seront proposées d'ici à quelques jours. Je suis sûre que nous aurons l'occasion d'y revenir ensemble.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary.
M. Serge Babary. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ma question concerne le maintien en condition opérationnelle des matériels de nos armées, sujet déjà abordé par plusieurs de mes collègues, ce qui est le signe d'une inquiétude assez générale.
Le président Cambon nous a, non sans humour, parfaitement présenté la situation. La politique du toujours plus loin, toujours plus longtemps et avec toujours moins n'est plus tenable. Il y va de la sécurité même de nos soldats. La multiplication des OPEX sur des théâtres où les conditions sont difficiles, combinée aux besoins de nos forces de souveraineté, pèse sur l'ensemble de notre appareil de défense. Nos matériels sont plus qu'usés, nos soldats sont fatigués et ont des difficultés à maintenir les niveaux d'entraînement.
Certes, des efforts budgétaires ont été engagés pour prendre en compte cette problématique, mais il s'agit de développer une véritable politique en la matière : le volet « soutien » mérite d'être repensé.
Madame la ministre, quelles actions précises entendez-vous mettre en oeuvre pour permettre une réelle amélioration de la situation ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, le maintien en condition opérationnelle est une de mes préoccupations majeures - j'avoue, pour être tout à fait franche, qu'elle était aussi celle d'un certain nombre de mes prédécesseurs.
Que pouvons-nous faire à très court terme ?
Dans la mesure où les matériels sont fortement sollicités, il m'a tout d'abord semblé indispensable, dans le cadre des arbitrages budgétaires qu'il a fallu rendre au sein de l'enveloppe globale qui nous a été allouée pour 2018, d'assurer une progression des moyens consacrés au maintien en condition opérationnelle, toutes forces confondues. Le budget, d'un montant de 6 milliards d'euros, sera donc augmenté de 400 millions d'euros en 2018 par rapport à 2017. Il s'agit d'une première étape.
Seconde question, comment faire en sorte, au-delà des investissements que je viens de mentionner, que nos matériels soient plus disponibles, et le soient dans de meilleures conditions ? Aujourd'hui, les taux de disponibilité, comme l'a souligné le président Cambon, ne sont pas acceptables.
Permettez-moi toutefois d'apporter une nuance à votre propos, monsieur Cambon : le taux de disponibilité, lorsqu'il s'agit de matériels engagés dans les opérations, n'est évidemment pas du tout celui qui a été décrit. Mais vous le savez parfaitement...
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Heureusement !
Mme Florence Parly, ministre. Le niveau d'indisponibilité des matériels est notamment préoccupant dans le domaine aéronautique. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à M. Chabbert de bien vouloir réaliser un audit sur le maintien en condition opérationnelle dans ce domaine. Il me fera part de ses propositions d'ici à quelques semaines. Il ne suffit pas d'investir : encore faut-il pouvoir utiliser pleinement des matériels qui ont bénéficié des investissements de la Nation.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.
M. Serge Babary. Je prends acte de vos remarques et de vos initiatives, madame la ministre.
Nous serons très attentifs, eu égard à l'importance du sujet, à la réalité de ce qui sera proposé pour 2018.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut.
M. Ronan Le Gleut. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale affiche de très grandes ambitions dans de nombreux domaines.
Je voudrais saluer ce formidable travail, dont nous sommes nombreux à partager les ambitions, tout en nous interrogeant sur la capacité budgétaire à y répondre, même en tenant compte de la hausse annoncée.
Se pose aussi un problème d'articulation de la revue stratégique avec la loi de programmation militaire, articulation qui lui a valu d'être surnommée « la rotule » dans le milieu militaire.
Je m'inspire de ce surnom pour soulever un autre problème d'articulation, celui pouvant survenir entre les ambitions européennes - j'approuve d'ailleurs pleinement le renforcement des partenariats européens - et l'OTAN : comment les choses se passeront-elles si des pays européens non membres de l'OTAN intègrent l'IEI, l'initiative européenne d'intervention, ou si des militaires étrangers, venus de pays non membres de l'OTAN, intègrent, comme le souhaite le Président de la République, l'armée française ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, l'initiative européenne d'intervention, appelée récemment de ses voeux par le Président de la République, sera ouverte à tous les États qui seront volontaires pour la rejoindre, unis autour de valeurs communes, partageant une même vision sécuritaire, tout en souhaitant faire les efforts nécessaires pour lancer des engagements communs de natures très diverses, car pouvant aller de l'évacuation de ressortissants à des opérations de très haute intensité, en passant par la lutte contre le terrorisme.
L'initiative européenne d'intervention a vocation à renforcer l'autonomie stratégique de l'Europe et donc l'ensemble des instruments de politique de sécurité et de défense commune. Les pays de l'Union européenne seront prioritairement associés à cette initiative, mais celle-ci ne se limitera cependant pas à l'Union européenne : elle sera tout à fait transposable à l'OTAN ou à des formats ad hoc.
Monsieur le sénateur, notre objectif est en effet bien de dépasser la question des cadres institutionnels pour favoriser, et c'est finalement la seule chose qui compte, la construction d'une culture stratégique commune entre Européens.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la revue stratégique de défense et de sécurité nationale.
Je vous remercie, madame la ministre, mes chers collègues, de votre participation à cette nouvelle forme d'échanges interactifs.
Source http://www.senat.fr, le 27 octobre 2017
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la revue stratégique de défense et de sécurité nationale.
Pour ce débat, la conférence des présidents a retenu une nouvelle organisation, plus interactive.
L'auteur du débat, en l'occurrence la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, disposera d'un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée qui ne devra pas excéder dix minutes. Nous entamerons ensuite une séquence de questions-réponses. Chaque orateur disposera de deux minutes maximum, y compris la réplique, avec possibilité d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
(...)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dès son élection, le Président de la République a souhaité que soit menée une revue stratégique. Cette étude avait un objectif : produire une analyse fine et complète de la situation stratégique internationale et en tirer les conséquences pour notre défense. J'ai confié ce travail à un comité d'experts venus de toutes les disciplines et présidé par M. Danjean, qui a abouti à cette revue stratégique à la fois lucide et ambitieuse pour nos armées, fixant un cap clair et une vision pour la prochaine loi de programmation militaire.
Dans quelques instants, je répondrai aux questions que ce document pose sur notre environnement stratégique et l'avenir de notre défense. Je suis particulièrement heureuse de pouvoir le faire par ces échanges que vous avez voulus plus libres et plus francs et qui permettront d'aborder vos interrogations - celles de la représentation nationale - sans tabou ni fausse pudeur, ce qui est précisément l'objectif de la revue stratégique.
Ce travail était un exercice ambitieux. Il visait, bien sûr, à actualiser l'analyse menée dans le Livre blanc de 2013. Depuis quatre ans, le monde a sans doute changé plus vite et plus fortement que nous nous y attendions. Plus largement, cette revue a permis d'identifier les intérêts de la France dans un contexte particulièrement imprévisible et mouvant. Elle prépare l'avenir de notre défense, définit notre vision en France et en Europe et, enfin, établit les aptitudes requises pour atteindre notre ambition.
La revue stratégique fait d'abord un constat : aujourd'hui, la France est plus sollicitée et plus engagée qu'elle ne l'a été depuis longtemps. La menace du terrorisme djihadiste reste centrale pour notre sécurité. Nos ennemis ont changé d'organisation, de visages, de noms, mais ils sont encore plus violents et peut-être encore plus déterminés. Ne nous y trompons pas, la prise de Raqqa et la défaite, sans doute très proche, de Daech ne signifient pas la fin du terrorisme, de son idéologie et de sa barbarie.
À cette menace s'ajoute une instabilité croissante aux portes de l'Europe. J'ai à l'esprit les vulnérabilités persistantes dans le Sahel, la déstabilisation durable du Proche et du Moyen-Orient ou la crise migratoire, mais aussi des phénomènes plus larges qui nous touchent et qui appellent le monde entier à s'adapter : les risques pandémiques, les dérèglements climatiques, les trafics ou la criminalité organisée.
Face à ces menaces, la France répond fermement et chaque fois que c'est nécessaire. Elle est impliquée dans un grand nombre d'opérations, supérieur à nos prévisions. Nos armées sont très sollicitées, à l'extérieur comme sur le territoire national, avec pour conséquence une forte mise sous tension de nos capacités et de nos ressources.
La revue stratégique, ensuite, prend acte de ce que nous soupçonnions déjà : l'équilibre du monde tel que nous le connaissions à la sortie de la guerre froide est révolu. L'environnement stratégique est aujourd'hui articulé autour de multiples pôles dont les équilibres, les forces et les intentions sont changeants et parfois imprévisibles. Chaque État cherche à affirmer sa puissance, notamment militaire, et entre dans une logique de compétition pour l'accès aux ressources, pour le contrôle des espaces stratégiques et pour l'armement.
C'est l'objet d'un troisième constat dressé par la revue : nos forces sont plus contestées et nos ennemis plus équipés et mieux armés. La diffusion des technologies et la dissémination d'équipements conventionnels modernes ont permis à certains acteurs de détenir et de maîtriser des capacités qui, il y a peu, étaient seulement accessibles à certains États.
Les terrains de conflits évoluent eux aussi. À la terre, à la mer et aux airs, qui nous étaient familiers, s'ajoutent désormais l'espace et le cyberespace. Ceux-ci sont devenus des domaines d'affrontement à part entière, impliquant des acteurs parfois inconnus ou intraçables, dont les actes peuvent avoir des conséquences dramatiques sur notre sécurité et sur le quotidien de nos concitoyens.
Enfin - c'est le quatrième constat issu de la revue stratégique -, les nouvelles technologies ont radicalement changé nos forces et nos vulnérabilités. Elles représentent une opportunité formidable. L'intelligence artificielle, la robotique ou les biotechnologies déboucheront sans doute sur des applications militaires décisives. Cependant, la révolution technologique est aussi un enjeu, car nous devons la saisir pleinement, sous peine d'être dépassés. Enfin, elle peut également devenir une source de vulnérabilité. C'est pourquoi l'espace numérique, dans son ensemble, doit se trouver au centre de nos priorités.
Dans cet environnement stratégique à la fois instable et imprévisible, la France est et restera une puissance majeure. Elle continuera à intervenir partout où ses intérêts sont menacés. Sa voix sera entendue, écoutée et respectée.
Notre autonomie stratégique n'est pas négociable. Nous la consoliderons, notamment en renouvelant les deux composantes de la dissuasion nucléaire. Nous poursuivrons nos efforts en faveur du renseignement et nous renforcerons de front les cinq fonctions stratégiques : dissuasion, prévention, protection, intervention et connaissance et anticipation, en prêtant une attention particulière à la prévention des risques et des conflits.
L'assurance de notre autonomie stratégique passe également par un modèle d'armée complet et équilibré. C'est le gage de notre souveraineté comme de notre liberté. Nous devons être en mesure de détenir toutes les aptitudes et toutes les capacités pour répondre à toutes les menaces.
Nous protégerons et nous garantirons notre autonomie totale dans les domaines de la dissuasion, de la protection du territoire et de ses approches, du renseignement, du commandement des opérations, des opérations spéciales ou de l'espace numérique. Dans les autres champs, nous mènerons les partenariats et les coopérations nécessaires pour assurer la pleine capacité d'action de nos forces.
Nous assumerons pleinement notre dimension européenne. Nous avons tout intérêt à ce qu'une défense européenne puisse se construire autour d'intérêts partagés. La France, comme l'a indiqué le Président de la République à la Sorbonne le 26 septembre dernier, sera à l'initiative de cette dynamique. Nous avancerons avec ceux qui le peuvent et ceux qui le souhaitent. Nous assumerons également pleinement nos responsabilités au sein de l'OTAN et nous renforcerons nos partenariats bilatéraux partout dans le monde.
Quand je parle d'Europe, je pense aussi à notre industrie. Nous devons accompagner et encourager le développement d'une industrie européenne de défense solide et réputée. Plus largement, l'industrie et la recherche doivent être au fondement de notre stratégie. C'est un socle économique puissant, une garantie du succès de nos exportations comme de notre innovation.
L'innovation, justement, nous devons la prendre à bras-le-corps, en faire notre force et notre moteur. Je parle d'innovation technologique, de recherche, mais également de cet esprit d'innovation qui doit guider toutes les femmes et tous les hommes de la défense. L'audace doit les accompagner dans leurs décisions, dans la recherche de processus plus efficaces, dans la modernisation de notre action. Cet esprit d'innovation est une condition pour l'attractivité de la défense, pour l'efficacité de nos missions et donc pour la sécurité et la liberté des Français.
Cette revue stratégique nous offre un apport immense : identifier nos aptitudes prioritaires et agir, agir vite et fermement. Ce sera précisément l'objet de la prochaine loi de programmation militaire à qui la revue donne un corps et une vision. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
- Débat interactif -
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat sous forme de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Les auteurs de questions disposent chacun de deux minutes, y compris la réplique. Le Gouvernement a la possibilité d'y répondre pour une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ainsi que le Président de la République l'avait annoncé le 13 juillet dernier à l'hôtel de Brienne, la revue stratégique examine notre environnement et les menaces auxquelles nous sommes confrontés. Elle s'inscrit d'ailleurs très naturellement dans le sillage du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013. On y retrouve la même volonté de jeter un regard lucide et sans concession, pour reprendre vos mots, madame la ministre, sur un contexte « en dégradation rapide et durable », tout en affirmant notre ambition de maintenir notre autonomie stratégique. Elle dresse le constat d'un durcissement des environnements opérationnels, avec le retour des États-puissance - la Russie - ou la fragilisation croissante de certains acteurs étatiques, ou de l'omniprésence des menaces terroristes ou cyber toujours plus diffuses.
S'y ajoutent « des fragilités multiples » : démographie, climat, risques sanitaires, criminalité organisée.
On ne peut donc que saluer la volonté de relever le défi pour le quinquennat en cours de conserver un modèle de défense complet et équilibré pour agir et répondre à l'ensemble des menaces. Néanmoins, l'intention affichée par la revue stratégique se heurte à la dure réalité des premières annonces. En effet, comme l'a rappelé le président Cambon, outre la coupe budgétaire de juillet dernier qui a affecté les armées à hauteur de 850 millions d'euros, l'intégration au budget de la défense des mesures de « resoclage » budgétaires des OPEX, qui dépassent les 200 millions d'euros par an, le financement des mesures non prises en compte dans la loi de programmation militaire actuelle, décidées en 2016, à savoir 996 millions d'euros, auxquels s'ajoutent les coûts à venir engendrés par le renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire, ne doivent pas compromettre la poursuite d'autres programmes pour nos armées sur le terrain.
Certes, l'orientation de notre budget de la défense est à la hausse, avec une augmentation de 1,8 milliard d'euros pour 2018 et 1,7 milliard d'euros en 2019 et 2020. Mais cette hausse utile se révèle en réalité bien limitée.
Je vous remercie, madame la ministre, de nous apporter des garanties sur la question centrale des moyens, point d'inquiétude majeure pour nos armées, mais également, et plus généralement, pour nos concitoyens, car il y va aussi des questions de sécurité intérieure.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Je vous remercie tout d'abord, madame la sénatrice, d'avoir reconnu la qualité du travail réalisé par le comité des experts. Je les remercie moi-même d'avoir insisté sur la double nécessité de réaffirmer une ambition et une autonomie stratégique propres à la France, sans pour autant écarter, bien au contraire, la construction de partenariats.
Vous appelez mon attention sur le fait que, au-delà des grands engagements, il faut évidemment tenir un certain nombre de promesses. C'est exactement dans cet esprit que s'est inscrit le Gouvernement. Les premières décisions du Président de la République témoignent d'une remontée en puissance d'un budget qui, comme cela a été rappelé, a été malmené au regard de l'écart croissant entre les engagements qui sont allés bien au-delà de ce que la présente loi de programmation militaire prévoyait et les moyens qui, pour ce qui concerne, en tout cas, la première période de la loi de programmation, étaient en forte déflation, même si un coup d'arrêt a été réalisé en fin de période.
Durant le quinquennat, la remontée en puissance sera très significative : 1,8 milliard d'euros en 2018 et, les années suivantes, 1,7 milliard chaque année. Ce sont 30 milliards de plus par rapport au quinquennat précédent qui seront alloués au budget du ministère des armées.
Néanmoins, vous avez raison d'appeler mon attention, la vigilance s'impose quant aux décisions qui peuvent se prendre ici ou là.
Permettez-moi de profiter des dix-huit secondes qui me restent pour vous dire que les 850 millions d'euros d'annulations de crédits étaient en quelque sorte le prix collectif à payer pour régler un certain nombre d'impasses budgétaires, notamment celle qui portait, par exemple, sur le financement des OPEX, mais pas seulement. C'est un coup d'entrée, si je puis dire, dans le quinquennat. J'exercerai la plus grande vigilance pour faire en sorte que ces annulations de crédits n'aient pas d'impact, comme je m'y suis engagée, sur les forces, en particulier nos forces en opération.
Par ailleurs, le président de votre commission nous a invités à faire preuve d'une grande vigilance à l'égard du ministère des finances et, croyez-moi, je m'y attelle.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la revue stratégique souligne à quel point nos armées sont sollicitées de façon croissante, dans un contexte de durcissement, d'instabilité et de diffusion des menaces.
La défense et la sécurité nationale, c'est avant tout des femmes et des hommes qui s'engagent pour notre pays. Leurs engagements impliquent leurs familles, qui en subissent les conséquences de plein fouet. Le récent rapport du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire met en évidence de forts enjeux de fidélisation. Difficulté à concilier vie militaire et vie personnelle, mobilité professionnelle du conjoint, reconversion, lassitude face aux difficultés rencontrées en matière d'hébergement sont autant d'écueils.
Je voudrais insister ici en particulier sur la politique immobilière du ministère. Même si les crédits vont augmenter en 2018, le parc est très dégradé, sa maintenance ayant été longtemps sacrifiée pour préserver les dépenses d'infrastructures des grands équipements, des grands programmes d'armement.
Le rattrapage doit s'inscrire dans la durée et se poursuivre résolument. Il manque 400 logements de militaires en région parisienne. Les logements sociaux de l'îlot Saint-Germain ne seront que partiellement affectés aux familles des militaires : 50 sur 250. C'est insuffisant, d'autant que cet immeuble subit une forte décote, de près des deux tiers de son prix, ce qui représente un préjudice important pour le budget des armées.
Dans ce contexte, peut-on se passer du Val-de-Grâce, alors que la revue mentionne que les enjeux de protection du territoire vont durer, particulièrement en Île-de-France, et que les besoins de nos soldats en termes d'hébergement sont considérables ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous avez raison, monsieur le sénateur, de pointer du doigt l'une des difficultés sans doute majeures qu'éprouvent les militaires et leurs familles en matière de logement.
Vous avez rappelé la nécessité de fidéliser nos soldats. Le récent rapport du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire a fait état de chiffres qui montrent qu'il n'y a pas de difficultés particulières en matière de recrutement pour nos soldats. En revanche, il convient de porter une attention particulière pour assurer la fidélisation dans le temps ; le logement y contribue probablement ou insuffisamment, suivant où l'on se place.
Pour ce qui me concerne, l'immobilier est une priorité. L'augmentation du budget du ministère le montre, avec 1,2 milliard d'euros en 2017 et 1,5 milliard d'euros en 2018.
Par ailleurs, dans le cadre du plan Famille que j'annoncerai prochainement, un chapitre entier sera consacré à la question du logement, tant celle-ci est majeure.
Il est vrai que nos emprises ont fait l'objet d'une réorganisation en profondeur en Île-de-France du fait de la mise en service, si je puis dire, du grand ensemble de Balard il y a quelques mois. C'est dans ce contexte que le Val-de-Grâce ainsi que l'îlot Saint-Germain ont été mis en vente, dans des cadres différents.
Pour ce qui concerne le Val-de-Grâce, c'est une cession en bloc qui a été décidée dans son principe. Elle fait l'objet d'un appel à projets, qui est géré par la Ville de Paris. Concernant l'îlot Saint-Germain, c'est-à-dire la seconde fraction, celle-ci sera cédée par morceaux ou par sous-ensembles.
Vous avez appelé mon attention sur le fait que des décotes importantes ont été réalisées pour les emprises qui avaient déjà été cédées. C'est en effet un sujet de préoccupation, mais, vous le savez, ces décotes sont aussi la contrepartie d'autres engagements, qui permettent également de récupérer, dans le cadre des emprises cédées, un certain nombre de logements pour nos militaires. Il nous revient de trouver le point d'équilibre entre un prix de cession convenable et un nombre de logements obtenus en contrepartie satisfaisant.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour la réplique.
M. Joël Guerriau. Madame la ministre, votre réponse ne me satisfait pas pleinement pour ce qui concerne le Val-de-Grâce. Nous souhaitons voir clairement figurer dans la future loi de programmation militaire la résolution qui sera la vôtre de faire en sorte que les questions immobilières ne soient pas un rattrapage de l'instant, mais qu'elles s'inscrivent véritablement dans la durée.
S'agissant du plan Famille, nous serons évidemment très vigilants sur le fait d'y trouver toutes les données que nous attendons, notamment les annonces du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un monde en pleine mutation, où les dangers se multiplient et les périls s'accentuent, notre pays doit adapter et faire évoluer ses réponses en termes de défense, de sécurité et de protection. La revue stratégique le fait avec mesure et intelligence.
Je tiens, madame la ministre, à saluer la qualité du travail réalisé dans des délais contraints, tout en rattachant cette analyse pointue de la capacité militaire de la France au récent plaidoyer du Président de la République pour une Initiative pour l'Europe, Europe qui est, permettez-moi de le citer, " notre histoire, notre identité, notre horizon, ce qui nous protège et ce qui nous donne un avenir".
Je m'attarderai sur un point précis que je considère comme essentiel, l'Europe de la défense et, plus précisément, le fonds européen de la défense.
Oui, les défis à relever aujourd'hui et demain en termes de sécurité et de défense sont multiples et complexes ! Les États membres ne sont pas en mesure de les relever seuls. Et il n'appartient pas à la France de les relever seule...
Avec l'annonce de la création de ce fonds européen le 7 juin dernier, ce constat est désormais contrarié. Il s'agira dorénavant de coordonner intérêts nationaux et autonomie stratégique, industrielle et technologique de l'Europe, d'offrir à l'ensemble des États membres des ressources militaires communes, ce qui permettra ainsi à l'Union européenne de mettre en oeuvre une véritable politique de coopération en matière de défense. La Commission a annoncé que son financement aurait lieu selon les cycles budgétaires de l'Union européenne et à partir de financements nationaux.
Madame la ministre, ma question est simple : pouvez-vous nous apporter des précisions sur le calendrier de mise en activité de ce fonds ainsi que sur les estimations en termes de coûts et d'économies pour notre budget national ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur, l'un des objectifs fixés par le Président Macron lors de son intervention à la Sorbonne est de faire en sorte que l'Union européenne dispose à l'avenir d'un véritable budget commun de défense. De ce point de vue, le fonds européen de la défense, qui est en cours de création, constitue l'une des premières pierres de cette politique, même si le Président de la République nous appelle à aller au-delà.
Il faut aussi saluer les efforts récents que consentent ensemble les Européens. Cela est certainement lié à une prise de conscience de l'importance des menaces qui pèsent tout autour de l'Europe pour avancer dans le domaine de l'Europe de la défense.
Le fonds européen de la défense est une étape vraiment décisive puisqu'il permettra de financer la recherche de défense ainsi que certaines phases de développement de programmes capacitaires, notamment le développement de prototypes. En effet, l'Union européenne s'apprête à accepter de financer à hauteur de 20 % de telles dépenses, contrairement à ce qui se faisait auparavant.
Le financement partiel du développement de programmes capacitaires est une proposition phare de la Commission qui, au-delà, souhaite pouvoir créer un programme européen de développement industriel de défense.
Vous m'avez interrogée sur le calendrier de mise en oeuvre de ce fonds. L'objectif est d'adopter le règlement permettant d'engager ces dépenses dans les prochaines semaines ; une réunion aura lieu au mois de novembre à Bruxelles sur cette question. De plus, il est envisagé d'affecter 500 millions d'euros en 2019, 500 millions d'euros en 2020, puis, pour les années suivantes, de passer à 1 milliard d'euros par an.
Il conviendra évidemment d'être très attentif aux modalités de mise en oeuvre, en vue de nous assurer que les projets financés soient bien définis par les États eux-mêmes.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Florence Parly, ministre. Naturellement - mais il vaut mieux le dire -, ces fonds bénéficient à la base industrielle et technologique de défense européenne.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai lu avec intérêt la revue stratégique de défense et de sécurité nationale. On y insiste sur la remise en cause des certitudes et le brouillage des lignes, comme le monde en connaît depuis la chute du mur de Berlin.
Face à un monde de plus en plus chaotique, complexe et souvent incertain, notre diplomatie a besoin d'un cadre d'action fort, cohérent et ambitieux.
Nous avons aujourd'hui le devoir d'oeuvrer en faveur d'un ordre collectif, avec nos alliés et tous nos partenaires. Pour ce faire, la revue préconise plusieurs axes forts pour renouveler la diplomatie de la France : une sécurité qui prenne en compte l'émergence de nouveaux acteurs ; une indépendance qui impose de revisiter les termes de la souveraineté, y compris européenne ; enfin, une influence qui va de pair avec la défense des biens communs universels.
À cet égard, mon interrogation porte sur l'enjeu que constitue le renseignement économique et financier, sujet actuellement à la croisée de diverses sphères et de plusieurs administrations. En effet, nos impératifs de sécurité nationale s'étendent non seulement à la défense du territoire, mais aussi à la préservation des capacités économiques de la Nation. L'interdépendance et la concurrence économiques à l'échelle mondiale se sont accrues et se révèlent des sources importantes de tensions et de conflits possibles entre les États. L'information s'avère désormais une condition essentielle de la compétitivité.
Dans le cadre de la nouvelle loi de programmation militaire, je souhaite connaître les intentions de Mme la ministre des armées concernant le développement de l'intelligence économique, sachant que son importance reste sous-évaluée en France, contrairement à nos partenaires anglo-saxons qui en ont fait une de leurs priorités en matière de renseignement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous avez raison de le souligner, monsieur le sénateur, le renseignement économique et financier est un enjeu absolument majeur pour la protection de nos intérêts vitaux, si je puis dire. Au travers des intérêts de nos entreprises, il y va des intérêts du pays.
Cette question est à l'intersection de l'action de plusieurs ministères, et le ministère des armées y contribue naturellement. En effet, il participe à l'accompagnement des capacités économiques de la Nation.
Ce renseignement recouvre différentes thématiques : une thématique politico-économique, une thématique concurrentielle, technologique ou bien financière. Pour ce qui nous concerne, nous nous intéressons à la lutte contre l'ingérence économique extérieure.
De ce point de vue, je veux souligner le travail réalisé par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense, qui contribue à déceler et neutraliser les menaces affectant le potentiel scientifique et technique de la Nation.
Ce combat a enfin une dimension cybernétique, un domaine dans lequel les services de renseignement et l'état-major des armées jouent là encore, aux côtés de l'ANSSI, un rôle central.
Vous m'interrogez sur les moyens. Ceux-ci sont en constante augmentation : de 2014 à 2017, les fonctions globalement entendues de cyberdéfense et de renseignement auront vu leurs effectifs augmenter de près de 1 800 emplois. Pour ce qui concerne la seule année 2018, dans le cadre du prochain budget qui sera soumis à votre approbation, ces effectifs augmenteront encore de 848 emplois. Il s'agit d'une dynamique que nous souhaitons poursuivre ; mais nous aurons bien entendu le loisir d'y revenir dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire. Je n'en doute pas, nous chercherons à maintenir cette priorité.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Madame la ministre, la parution de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale me laisse perplexe sur bien des points, notamment pour ce qui concerne le développement de programmes nucléaires en France.
Au-delà du traité de non-prolifération des armes nucléaires, auquel notre pays n'a adhéré qu'en 1992, 122 pays ont adopté en juillet dernier à l'ONU un traité d'interdiction des armes nucléaires. Dans ce contexte, comment expliquer le refus de notre diplomatie de participer a minima aux discussions menées à l'ONU ?
Par ailleurs, comment expliquer le poids toujours plus important de la part de la dissuasion nucléaire dans notre budget ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, le désarmement nucléaire reste un sujet de préoccupation majeur pour notre pays. Il est nécessaire si l'on veut aboutir un jour à un monde sans armes. Ce principe de désarmement est actuellement encadré par un traité de non-prolifération, qui reste aujourd'hui la norme fondamentale en matière de désarmement nucléaire.
Par ailleurs, un traité d'interdiction a été récemment signé, et le prix Nobel de la paix a été attribué au mouvement ICAN. Pour légitime qu'il soit, ce traité d'interdiction ne tient pas compte, de notre point de vue, de la réalité géostratégique actuelle. Pourquoi ?
On le voit bien, les démonstrations de force actuelles de certaines nations, tel le programme nucléaire nord-coréen, traduisent l'émergence d'une menace vitale pour notre pays que peuvent représenter les États qui cherchent à adopter l'arme nucléaire. Il nous semble donc tout à fait prioritaire, essentiel même, de prendre toutes les mesures visant à renforcer la non-prolifération et le désarmement dans le cadre des structures internationalement reconnues aujourd'hui.
Ne vous méprenez pas sur mes propos, la France est et reste adhérente au traité de non-prolifération, et elle mettra toute son énergie pour faire en sorte que celui-ci soit respecté et mis en oeuvre.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour la réplique.
Mme Christine Prunaud. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui me satisfait au moins sur un point : vous insistez sur le traité de non-prolifération. Le groupe CRCE demande évidemment à aller bien au-delà.
Les superpuissances, dont nous faisons partie, ont manqué, selon nous, une occasion historique avec le traité d'interdiction des armes nucléaires. C'est un peu comme si l'on avait remis en cause la volonté des 122 pays qui l'ont signé. Certes, vu le contexte, dites-vous, on doit se préparer à intervenir au regard des conflits qui existent dans le monde entier. Vous avez évoqué la Corée du Nord, mais il y a aussi les États-Unis, voire peut-être le Japon, en pleine réflexion.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Christine Prunaud. Comme l'a dit le président de la commission, plus l'escalade est grande, plus on a tendance à renforcer la dissuasion nucléaire. Or c'est ce que nous souhaitons remettre en cause.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent.
Mme Sylvie Goy-Chavent. La revue stratégique montre que la présence des armées sur le territoire national est appelée à durer. Au-delà de la menace terroriste, il y a les enjeux migratoires, le contrôle des frontières, la protection des événements sportifs et culturels notamment.
L'évolution récente de l'opération Sentinelle semble au final assez homéopathique : elle permettra sans doute à l'armée de terre de sortir du sur-régime, mais le totem des 10 000 soldats est toujours là, et l'articulation avec les forces de sécurité intérieure n'est pas repensée en profondeur.
La vraie question me semble aller au-delà des effectifs et de l'articulation des différentes forces. Il faut s'interroger sur le rôle même de l'armée en matière de sécurité intérieure. Est-ce, par exemple, à l'armée d'assurer des missions de police aux frontières ?
Alors que les forces de police et de gendarmerie sont à bout de souffle après des mois de lutte contre le terrorisme et de maintien de l'ordre, l'armée elle-même extrêmement sollicitée sur les théâtres extérieurs fait office de palliatif.
L'opération Sentinelle devait être provisoire, comme, d'ailleurs, l'état d'urgence. On sait aujourd'hui que la menace terroriste ne cesse de se renforcer. Les revers de l'État islamique en Irak et en Syrie font craindre le retour rapide des djihadistes français et de leurs familles, qui cultivent la haine des juifs, des mécréants et de toutes nos valeurs humanistes et républicaines.
Ne faut-il pas alors, madame la ministre, repenser complètement le système et clarifier la situation afin de savoir si nos armées doivent se concentrer sur les opérations extérieures ou assurer la sécurité intérieure, à moins que vous ne souhaitiez renforcer considérablement leurs effectifs ?
M. Jean-Marie Bockel et Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, je crois que l'armée est bien dans son rôle lorsque, dans un certain nombre de cas très particuliers, elle apporte sa contribution aux forces de sécurité du ministère de l'intérieur. C'est le cas pour la lutte contre les feux de forêt ; cela a été le cas, de manière éclatante, lorsque l'ouragan Irma a saccagé les îles des Antilles.
Des savoir-faire et des matériels particuliers viennent donc en appui de tous les secouristes, civils ou autres, qui se sont engagés sur ces terrains. De ce point de vue, la présence du bâtiment de projection et de commandement Tonnerre a été un appoint décisif pour ce type d'opération. À cet égard, je rends hommage à tous ceux qui se sont mobilisés.
S'agissant de l'opération Sentinelle, beaucoup de débats ont en effet eu lieu. Les militaires doivent-ils passer du temps pour défendre le territoire national ? La réponse a été donnée de façon extrêmement claire.
D'une part, des moyens importants ont été conférés à l'armée de terre, qui a vu le nombre de ses effectifs progresser de manière importante pour pouvoir répondre à ses besoins. D'autre part, l'efficacité des interventions réalisées par les hommes et les femmes qui sont engagés dans cette opération se passe de longs discours. Leur présence est sécurisante, dissuasive. Lorsqu'ils font face à une menace, ils agissent avec professionnalisme et protègent la sécurité des Français.
Il ne s'agit pas du tout de mélanger les genres. Il faut continuer à entraîner et à maintenir nos soldats dans des opérations qui se déroulent sur des fronts extérieurs. Néanmoins, il faut aussi continuer à les entraîner à une mission différente, mais tout aussi utile à notre pays, à savoir la protection du territoire national.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, pour la réplique.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Je vous remercie de cette réponse, madame la ministre. Je veux simplement appeler de nouveau votre attention sur l'état d'épuisement de nos forces armées, de ces hommes et de ces femmes qui se dévouent au quotidien pour défendre nos valeurs et protéger nos vies.
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.
M. Cédric Perrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la revue stratégique présentée la semaine dernière devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées par Arnaud Danjean est un document « solide », pour paraphraser le président Cambon. Je souhaite remercier et féliciter son auteur, ainsi que le comité de rédaction, de ce travail remarquable : ils ont travaillé vite et bien, ce qui nous permet de nous concentrer sur la loi de programmation militaire sans perdre de temps.
Madame la ministre, la revue prône le maintien d'un modèle d'armée complet et équilibré. Entre les menaces diffuses de basse intensité et le retour des États-puissance, il va falloir dessiner des priorités pour nos armées. Dans ce contexte, il s'agit de définir les pays européens volontaires politiquement et, surtout, capables militairement de participer à une coopération. Des choix stratégiques majeurs vont devoir être faits ; les sujets sont évidemment nombreux, mais il en est un sur lequel je souhaite m'arrêter, celui des drones.
Je souhaite saluer votre décision de suivre les recommandations que Gilbert Roger et moi avions formulées dans un rapport, celle d'armer nos drones.
Se pose aussi la question de la surveillance aérienne du territoire national, qui doit être repensée. La surveillance des frontières ou des grands événements comme les Jeux olympiques de 2024 est à préparer dès maintenant.
Les drones sont un nouvel outil à exploiter. Les besoins et les demandes en la matière vont exploser et, tout comme nous ne faisons plus aujourd'hui d'opération militaire sans un drone, sans doute demain n'organiserons-nous plus aucune manifestation ni aucun grand événement sans un drone.
Les Harfang seront prochainement retirés du service, les Reaper et les Patroller seront largement, voire exclusivement mobilisés pour les opérations extérieures. La prochaine loi de programmation militaire permettra peut-être - vous nous le direz - de mobiliser de nouveaux moyens de nature à aller dans le sens que je viens d'évoquer.
Enfin, quelle étape supplémentaire faut-il franchir pour préparer l'avenir ? Envisagez-vous de passer du drone armé au drone de combat ? Quel sera le système de combat du futur ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous le savez mieux que personne, monsieur le sénateur, les drones sont devenus un système d'arme incontournable dans les opérations modernes, auxquelles ils apportent, d'une part, une capacité à durer sur les zones d'action et, d'autre part, une complète discrétion, laquelle permet de réduire les risques encourus par les équipages. J'ai donc fixé trois priorités au ministère des armées.
La première consiste à conforter notre capacité d'acquérir du renseignement au moyen de drones aériens. Pour cela, nous allons poursuivre la livraison des systèmes de drones Reaper, mettre en service le système de drones tactiques Patroller et préparer le futur drone MALE européen.
La deuxième priorité consiste à élargir le champ des capacités permises par les drones. C'est ainsi que, au cours des prochaines années, vous l'avez rappelé, les drones MALE seront armés. Ces drones aériens seront d'abord introduits sur les bâtiments de la marine, au travers du programme SDAM, ou « système de drone aérien marine », ainsi que les drones de surface et sous-marins, dans le cadre de la guerre des mines navales, au travers du programme « système de lutte anti-mines marines futur ». Ce programme s'accompagnera de la robotisation de l'action terrestre, dans le cadre du programme Scorpion.
Enfin, troisième priorité, nous devons penser plus loin, et explorer la place que pourront en effet prendre les drones de combat, dans le cadre du « système de combat aérien futur » ; tel est le sens de ce programme, que nous conduisons en coopération avec nos alliés britanniques.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la revue stratégique dresse un tableau global de l'environnement dans lequel notre pays et l'Europe évoluent. Sur ce point, la partie touchant à la sécurité continentale mérite, me semble-t-il, une attention particulière. L'analyse de la « déconstruction de l'architecture de sécurité en Europe » paraît singulièrement juste, au regard notamment des entreprises de déstabilisation engagées par Moscou à l'endroit de l'Ukraine, qui font fi de tous les traités et des fondements les plus élémentaires du droit international.
Dans le même temps, force est de constater que l'unilatéralisme dont l'administration Trump se prévaut participe de ce registre et nous touche collectivement en tant qu'Européens. En témoignent ainsi non seulement sa volonté de désengager les États-Unis de la COP 21, qui met en péril l'ambition de réguler le changement climatique, mais également celle de remettre en cause l'accord historique de Vienne sur le nucléaire iranien, alors même que celui-ci a vocation à être un important outil de stabilisation d'une partie du monde pour le moins tourmentée.
Cette posture, qui devient une constante de la politique extérieure américaine et qui va à l'encontre des intérêts européens, suscite des interrogations sur le lien transatlantique, pourtant valorisé par la revue stratégique comme un « élément clé de la sécurité européenne », l'OTAN restant « pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre ».
N'y a-t-il pas, madame la ministre, une contradiction entre, d'une part, la telle valorisation d'une alliance, certes importante au regard de l'histoire et du rôle qu'elle joue mais qui semble tout de même peu ou prou en voie de délitement, et, d'autre part, la volonté de tendre vers « une autonomie stratégique européenne », actée par la revue ? Comment envisagez-vous de concilier le nécessaire développement d'une Europe de la défense avec le maintien de ce lien transatlantique aujourd'hui fortement fragilisé et pour le moins imprévisible ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, vous soulevez une question que je comprends et qui est largement partagée dans le monde - d'ailleurs, nos alliés américains nous la posent -, mais qui, en même temps, me paraît théorique. En effet, aujourd'hui, les pays européens prennent conscience, je l'indiquais précédemment, de la nécessité de se protéger et d'investir dans leur propre sécurité. Par ailleurs, l'OTAN appelle à une montée en puissance des budgets de ses membres. Il y a donc de ce fait, me semble-t-il, une parfaite cohérence entre la démarche que les Européens adoptent dans le cadre de l'Union européenne et ce que l'OTAN appelle de ses voeux dans le cadre d'une alliance plus large.
La France est à la fois un allié sûr, fiable, au sein de l'OTAN, et un membre de l'Union européenne, au sein de laquelle elle prône la montée en puissance d'une Europe de la défense, dont je parlais tout à l'heure.
Je ne vois pas de contradiction entre l'un et l'autre ; je vois au contraire un renforcement et des synergies qui vont s'exercer de l'un vers l'autre. En outre, le fait que nous soyons aux avant-postes de la construction de l'Europe de la défense ne signifie nullement que nous nous désengagions en quoi que ce soit de l'alliance atlantique. Ainsi, j'étais récemment sur la frontière estonienne, où nous avons des bataillons engagés aux côtés de bataillons britanniques dans le cadre d'une force de l'OTAN ; c'est un engagement que nous n'avons pas l'intention de remettre en question. Nous avons été présents en Lituanie en 2017 et nous y serons encore en 2018.
On ne peut donc pas, selon moi, parler de contradiction mais, au contraire, de complémentarité.
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est à un triple défi que nos armées sont confrontées dans leurs opérations extérieures.
D'abord, les menaces persistent, voire s'accroissent. Il y a certes des victoires au Levant - saluons le symbole de Raqqa -, mais le Sahel n'est pas stabilisé et Boko Haram reste actif. Qu'adviendra-t-il si les djihadistes chassés du Levant se replient dans cette zone ? La République centrafricaine mais aussi la République démocratique du Congo ne peuvent qu'inspirer de vives inquiétudes...
Ensuite, deuxième impératif, il faut ménager l'outil pour durer, car notre niveau d'engagement est éprouvant pour les hommes et pour le matériel. Cet aspect a été maintes fois souligné.
Enfin, troisième point, il faut chercher des soutiens, en Europe, d'abord, quand nos partenaires ne partagent pas notre priorité sahélienne, aux Nations unies, ensuite, alors que l'attitude des États-Unis a compliqué l'adoption de la résolution 2359 sur la force du G5 au Sahel, et auprès de la société civile des pays en crise, enfin, car toute intervention, même justifiée, finit par susciter, quand elle dure, des oppositions.
La seule manière d'attaquer à la racine ce triple défi, dans le cadre d'une « approche globale », est bien identifiée par la revue stratégique : « l'autonomie stratégique ne saurait se penser en termes exclusivement militaires et suppose une articulation étroite avec [...] [la] diplomatie [...] [et le] développement. »
Madame la ministre des armées, comment contribuerez-vous à créer, avec M. le ministre des affaires étrangères, une véritable dynamique défense-diplomatie-développement, dans une optique de sortie de crise au Levant et au Sahel, mais aussi dans une perspective préventive dans un Maghreb fragile ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Vous avez raison, monsieur le sénateur, il est plus difficile de faire la paix que de mener des guerres. Nous l'avons vu en Irak en 2003, en Afghanistan depuis 2001 et nous pourrions le voir, à terme et dans une moindre mesure, au Sahel.
Nous voyons bien que nos adversaires sont des groupes armés terroristes et que l'action contre de tels groupes ne peut être uniquement militaire ; cela ne serait pas suffisant. Il faut, vous l'avez rappelé, lier de façon cohérente une approche diplomatique et politique - l'engagement opérationnel de nos forces armées - avec une aide au développement qui permet, au fond, de répondre à la racine du mal : la pauvreté et la détresse dont se nourrissent les terroristes.
Nous devons poursuivre, au profit de ces populations, cette approche globale, qui n'est pas nouvelle. Au sein du ministère des armées, le Centre interarmées des actions sur l'environnement est spécifiquement chargé de contribuer à sa mise en oeuvre, en complémentarité, bien sûr, avec l'action du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui est plus spécifiquement chargé du volet développement.
Sur le terrain et à l'échelon local, nous mettons également quotidiennement en oeuvre cette approche au travers d'actions civilo-militaires ou de l'aide médicale déployée en faveur des populations partout où nos troupes sont présentes. D'une façon plus ambitieuse, à l'échelon de la région sahélienne, la création de l'alliance pour le Sahel répond également à cette logique.
Nous devons donc garder à l'esprit que, dans tout conflit, au Sahel comme ailleurs, c'est l'État tout entier qui s'engage, et non seulement ses armées.
M. le président. Dans la suite du débat interactif, la parole est à M. Philippe Paul.
M. Philippe Paul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme nous tous ici, j'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale. Je veux saluer la qualité du travail réalisé par son comité de rédaction, présidé par notre collègue député européen, Arnaud Danjean.
Nous ne pouvons que partager le constat d'une France exposée et engagée dans un environnement de plus en plus instable et en proie à des menaces de plus en plus diffuses. Ce contexte périlleux nous oblige plus que jamais à être en capacité d'action et de réaction sur notre territoire national, bien sûr, mais aussi en de nombreux points du globe.
Madame la ministre, considérant que cette revue stratégique est le préalable à la préparation d'une nouvelle loi de programmation militaire, je souhaite vous sensibiliser à la nécessité d'envisager d'ores et déjà la construction d'un porte-avions nucléaire à même de succéder au Charles-de-Gaulle.
Véritable fer de lance de notre capacité de projection et d'intervention lors de situations de crise, le porte-avions constitue une composante majeure de cet « outil de défense agile, projetable et résilient » qu'appelle de ses voeux le Président de la République dans la préface de la revue stratégique, de ce « modèle d'armée complet et équilibré [...], le seul à [même de] donner à la France les moyens de son autonomie stratégique et de sa liberté d'action » que vous évoquez vous-même, madame la ministre, dans son avant-propos.
Il ne s'agit pas d'entrer aujourd'hui dans un débat sur le budget futur des armées, mais bien d'anticiper - près de vingt ans ont séparé les premières études pour la construction du Charles-de-Gaulle et son admission au service actif en 2001 -, avec cette exigence qui doit être la nôtre : leur donner des moyens opérationnels modernes et maintenir ces moyens à un niveau très élevé de performance.
Il s'agit aussi de ne pas perdre un savoir-faire technologique et industriel qui a fait ses preuves et de conserver une position forte en matière de défense en Europe, plus particulièrement au sein de l'Union européenne post-Brexit.
Enfin, envisager la permanence de cette capacité constituerait un signal fort vis-à-vis de nos armées, dont nous ne saluerons jamais assez le sens du devoir, le professionnalisme et la compétence.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, ce modèle d'armée complet que la revue stratégique appelle de ses voeux repose notamment sur la capacité de se projeter depuis la mer. Pour cela, nous disposons déjà de trois bâtiments de projection et de commandement, ou BPC, qui permettent de projeter des troupes, de conduire des opérations amphibies et de projeter outre-mer les moyens de l'État, comme cela s'est récemment fait aux Antilles.
Au-delà, la capacité de projection depuis la mer passe aussi par les avions, qui doivent pouvoir décoller d'un porte-avions.
La résurgence des États-puissance se traduit en ce moment par la construction de nombreux porte-avions dans le monde : en Chine, en Inde ou encore au Royaume-Uni. Ce constat nous rappelle que les porte-avions sont des outils militaires exceptionnels, qui fournissent non seulement une capacité de projection vers la terre mais encore une capacité d'acquisition autonome de renseignement et, surtout, de contrôle des espaces aéromaritimes. Bref, c'est un outil majeur du combat naval.
C'est aussi - cela n'est pas négligeable - un outil politique, car il a une très forte visibilité médiatique, et c'est aussi un vecteur de crédibilité vis-à-vis de nos alliés ; les récentes opérations que nous avons menées en Méditerranée, en lien avec nos alliés américains, en attestent.
Dès la prochaine loi de programmation militaire, nous devrons lancer des études pour renouveler cette composante des porte-avions. Il faudra à tout le moins préparer la succession du porte-avions Charles-de-Gaulle, qui devrait être retiré du service actif à l'horizon de 2040. Par ailleurs, l'opportunité de disposer ou non d'un second porte-avions fera partie des travaux à mener dans le cadre de la préparation de cette future loi.
M. le président. La parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'en viens à une question qui n'est pas souvent abordée.
L'industrie spatiale française bénéficie de nombreux atouts. Elle est l'un des leaders au niveau mondial ; il faut désormais tirer avantage de son excellence pour enraciner dans le paysage industriel français des compétences incomparables tournées vers les besoins du futur, facteurs d'indépendance technologique et de rayonnement politique et stratégique.
Comme le précise la revue stratégique de défense et de sécurité nationale, l'espace exoatmosphérique est en profonde mutation et en proie à des logiques de compétition tant militaire que stratégique. Des acteurs étatiques et non étatiques disposent aujourd'hui de moyens industriels leur permettant de mettre en place des satellites.
Les prouesses technologiques et scientifiques des dernières années ont contribué à l'essor d'une nouvelle manière de concevoir et d'exploiter les systèmes spatiaux, sur fond de compétition accrue entre acteurs étatiques, sur le plan tant politique qu'industriel. Support de services aujourd'hui indispensables de navigation, de communication, de météorologie ou d'imagerie, le domaine spatial est aussi un espace de confrontation ; des États peuvent aujourd'hui être à l'initiative de la mise en place de technologies potentiellement antisatellites.
Les activités liées à ce nouveau schéma posent également des questions d'ordre juridique. Le problème de l'« arsenalisation » de l'espace se pose donc en des termes renouvelés.
Face à ces nombreux défis, nous devons nous doter d'une politique spatiale ambitieuse. Pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, quel pourraient en être les contours dans la prochaine loi de programmation militaire ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. La revue stratégique a effectivement insisté sur la nouvelle dimension que constitue l'espace en tant qu'espace militaire potentiel, même si la politique spatiale n'est évidemment pas nouvelle, et elle met le doigt sur les menaces que tout cela comprend.
D'abord, les nouvelles technologies banalisent l'accès à l'espace ; ce qui était autrefois l'apanage de quelques très rares grandes puissances devient aujourd'hui possible pour des entités non étatiques, avec, finalement, peu de moyens.
Par ailleurs, vous l'avez souligné, en l'absence de réglementation permettant d'en assurer la maîtrise, il y a un risque de militarisation accrue du domaine spatial.
À l'inverse, le domaine spatial offre de très nombreuses opportunités ; les technologies à l'oeuvre sont bien sûr duales et le spatial permet d'accéder, à des coûts toujours plus faibles, à de nouveaux services, qui bénéficient tant au monde civil qu'au monde militaire.
Enfin, le spatial est un domaine particulièrement approprié pour développer les coopérations européennes.
Comme nous avons souligné la nécessité de maintenir une capacité d'appréciation autonome, l'axe spatial constituera bien sûr un élément tout à fait majeur de notre prochaine loi de programmation militaire.
Dès l'année 2018, nous allons assurer la mise en service de trois satellites d'observation relevant de la Composante spatiale optique, ou CSO, qui permettront, dans la continuité du système Hélios II, de disposer de prises de vue d'une précision et d'une résolution très élevées ; notre réactivité devrait s'en trouver tout à fait renforcée.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Florence Parly, ministre. Nous travaillons par ailleurs à l'introduction d'un certain nombre de systèmes spatiaux dans la prochaine loi de programmation militaire. J'ai participé ce matin à une réunion du CoSpace, au ministère de la recherche, en présence du ministre de l'économie et de l'ensemble des industriels ; la conclusion en a été que nous avons aussi grand besoin d'une équipe de France unie, associant les entités institutionnelles et les industriels, afin de développer une préférence européenne et une capacité industrielle autonome, sans laquelle notre autonomie de renseignement et d'observation ne sera pas possible. (M. Claude Haut applaudit.)
M. Jean-Marie Bockel. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. La revue stratégique de défense et de sécurité nationale fait le constat inquiétant de la multiplication des menaces non étatiques du fait de la dissémination plus importante des armes.
Sous le précédent quinquennat, l'industrie de l'armement servait de variable d'ajustement à notre balance commerciale, c'est du moins notre vision.
Madame la ministre, le Gouvernement entend-il revoir notre politique d'exportation d'armement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, le développement de l'exportation en matière d'armement est un prolongement indispensable du développement de ces programmes eux-mêmes. Aujourd'hui, sans l'exportation, un certain nombre de programmes militaires ne pourraient pas être menés à bien. L'exportation fait donc partie intégrante, en quelque sorte, du modèle de développement de ces programmes.
L'exportation en matière d'armement contribue à résorber le déficit commercial de la France à hauteur de 14 milliards d'euros par an. Globalement, l'industrie de défense compte plus de 4 000 entreprises, grandes ou petites, et représente plus de 160 000 emplois sur notre territoire. Ces emplois sont pérennisés grâce à la commande publique, mais aussi, je viens de l'indiquer, à l'existence de marchés à l'extérieur.
Exporter ne signifie bien évidemment pas qu'il faille le faire dans n'importe quelles conditions. Il existe des règles internationales que nous respectons, sous la surveillance des entités compétentes.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour la réplique.
Mme Christine Prunaud. Merci, madame la ministre, vous êtes toujours précise dans vos réponses.
Cela dit, en la matière, il est difficile d'appeler à la diminution de l'armement quand on figure, comme c'est notre cas à nous, Français, parmi les plus gros vendeurs à l'échelon mondial.
Nous respectons, dites-vous, des règles internationales ; je n'en doute pas, mais le groupe communiste républicain citoyen et écologiste souhaiterait, et je pense qu'il n'est pas le seul, que nous soyons plus stricts - sous quelle forme ? Je ne saurais le dire dans l'immédiat - dans la sélection des pays acheteurs.
On sait qu'il existe des circuits parallèles et qu'une partie des armes que nous vendons dans des pays comme l'Irak, la Syrie ou autres est détournée ; mais, au-delà de ces marchés parallèles, nous avons d'autres inquiétudes, qui plaident pour cette exigence sur nos ventes. Je pense par exemple au Yémen, et aux soupçons de crime de guerre qui émeuvent la communauté internationale.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Christine Prunaud. Aussi, quel commerce entretenir avec ces pays ?
Enfin, pour revenir sur votre conclusion, madame la ministre, je pense qu'il ne faut pas opposer, mais vous le savez bien, le nombre d'emplois au maintien de la paix.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur les engagements extérieurs.
Deux axes contradictoires ressortent avec force de la revue stratégique : d'une part, des enjeux sécuritaires de première importance - en effet, la menace se renforce, se généralise, se durcit, se complexifie, rendant improbable un reflux des interventions extérieures - et, d'autre part, une concomitance d'opérations et de déploiements dans la durée, qui engendre un phénomène d'usure de nos ressources humaines et matérielles.
Les armées françaises ont un grand besoin de se régénérer et le maintien de nos capacités est un véritable défi. Des programmes de renouvellement du matériel ont été engagés ; je pense principalement au programme Scorpion, qui devrait offrir un certain renouvellement des capacités de combat et de soutien de l'armée de terre à moyen terme.
En attendant, la situation est particulièrement tendue. L'exemple le plus symptomatique, évoqué par notre président, est celui des véhicules de l'avant blindé. Leur taux de disponibilité est d'à peine plus de 42 %, et leur âge moyen de trente et un ans. Leurs coûts de maintien opérationnels sont extrêmement importants et les mécaniciens ne pourront pas faire éternellement des miracles.
Madame la ministre, ne pensez-vous pas qu'il serait plus efficace de concentrer les crédits sur un renouvellement accéléré de ces engins, ce qui permettrait d'offrir un niveau de protection plus important à nos militaires, plutôt que de subir des coûts extrêmement élevés de maintien en condition opérationnelle ?
Cette disponibilité des matériels comporte des dimensions plus globales, c'est la seconde partie de ma question : les opérations extérieures françaises vont-elles être réarticulées en fonction des priorités dégagées par la revue stratégique ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, vous évoquez un problème auquel nos armées sont actuellement confrontées, à savoir l'usure d'un certain nombre de matériels due à leur utilisation intense sur de multiples théâtres extérieurs, en particulier au Sahel. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que, dans le cadre du projet de loi de finances dont nous discuterons prochainement, une enveloppe particulière soit réservée à ce que nous avons appelé la protection. Il s'agit de pouvoir régénérer un certain nombre de matériels, notamment en améliorant le niveau du blindage des véhicules légers qui sillonnent les pistes du Sahel et qui sont très exposés à la menace d'engins explosifs. Nous aurons l'occasion d'y revenir, mais il s'agit là de l'une des priorités du prochain projet de loi de finances.
Vous m'interrogez par ailleurs sur l'évolution dans le temps des OPEX. Il est vrai que nous ne voyons pas à ce stade de réduction possible à très court terme de nos engagements. En revanche, l'évolution de la situation militaire sur un certain nombre de fronts, en particulier au Levant, appelle à revisiter ce dispositif. À cet égard, il faut se féliciter des victoires militaires qui s'accumulent ces derniers jours. Bien sûr, nous revisiterons ce dispositif en lien avec nos alliés. Le Président de la République nous a également demandé d'examiner dans quelles conditions le dispositif au Sahel pourrait être adapté pour faire face aux conditions présentes auxquelles nos armées sont confrontées.
M. le président. La parole est à M. Rachel Mazuir.
M. Rachel Mazuir. Madame la ministre, la principale nouveauté de la revue stratégique par rapport au Livre blanc de 2013 est la reconnaissance - « enfin ! », diront certains - du cyberespace comme un lieu important de conflictualité.
La prise en compte des menaces a été amorcée par le développement d'une politique de cybersécurité par l'ANSSI. Sans doute faudra-t-il aller plus loin, compte tenu de l'évolution des menaces qui persistent.
Nous savons que le Secrétariat national de la défense et de la sécurité nationale prépare une revue stratégique de cyberdéfense. Il est dommage, de notre point de vue, que ce travail n'ait pas été mené en relation plus étroite avec l'élaboration de la revue stratégique de défense, dont le volet « protection » apparaît dès lors moins, voire insuffisamment développé.
La revue préconise le renforcement prioritaire des moyens de défense et le développement de capacités offensives, mais aussi défensives. Elle annonce que « la France a décidé de se doter d'une posture permanente de cybersécurité » et va jusqu'à poser le postulat d'une invocation de l'article 51 de la charte des Nations unies dans l'hypothèse d'une cyberattaque, ce qui nous permettrait de riposter sans avoir à attendre l'avis de qui que ce soit.
Pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, si le Gouvernement entend remettre en cause le modèle original français de séparation des instances qui sont chargées de la protection et de celles qui s'occupent de la lutte informatique offensive ?
En matière de lutte informatique offensive, la revue stratégique insiste sur les capacités de détection et d'attribution, c'est-à-dire la recherche des coupables - ce n'est pas le plus facile -, ainsi que sur la capacité pour nos armées de planifier et de conduire les opérations dans l'espace numérique jusqu'au niveau tactique de façon intégrée et d'exploiter ainsi la numérisation croissante de nos adversaires. S'agit-il d'une évolution de cette doctrine ?
Enfin, quel format pensez-vous donner au commandement cyber dans le cadre de la loi de programmation militaire ? À combien évaluez-vous le montant des crédits nécessaires pour doter nos armées de capacités crédibles en personnels, bien évidemment - il faut les former -, mais aussi en moyens techniques ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, les capacités cyber du ministère des armées peuvent être distinguées en trois catégories : la mission de renseignement et d'investigation, celle de protection et de défense, celle de riposte et de neutralisation.
Dans le domaine cyber, la mission de renseignement et d'investigation revêt une très grande importance. Elle suppose des moyens dédiés, qui ne sont pas tous de nature numérique. Nous avons en effet besoin de mobiliser l'ensemble de la panoplie, laquelle comprend également le renseignement humain.
La deuxième mission de la fonction cyberdéfense, c'est la posture de protection et de défense. Elle intègre une défense en profondeur, qu'on appelle la cyberprotection. Cette cyberprotection consiste à bâtir d'épaisses murailles, ainsi qu'à veiller en permanence à leur efficacité, face à une menace toujours évolutive. La fonction cyberdéfense intègre également une défense de l'avant, qui est la lutte informatique défensive. Elle consiste à patrouiller, à guetter et à intervenir dans l'espace numérique en cas d'intrusion pour éradiquer la menace et reconstruire la muraille.
Enfin, la troisième mission est la lutte informatique offensive, que je caractériserai par deux termes : riposte et neutralisation. Il y a une distinction entre ce que fait l'ANSSI, qui est focalisée sur les aspects de défense, et ce que font les armées, qui sont centrées sur l'offensive. Cette distinction n'a pour l'instant pas lieu d'être remise en question.
La revue stratégique de cyberdéfense va très prochainement rendre ses conclusions. À cet égard, je signale qu'elle a apporté sa contribution à la revue stratégique de défense dont nous parlons aujourd'hui, ce qui devrait normalement faciliter les convergences.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Florence Parly, ministre. Enfin, j'indique que le nombre de combattants cyber au sein du ministère des armées - ils sont 3 000 aujourd'hui - est très probablement appelé à croître, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Madame la ministre, chacun s'accorde aujourd'hui à considérer que les avancées technologiques vont conditionner, bouleverser le futur de certains pays, dans le domaine tant économique que militaire. La revue stratégique se fait l'écho de ces préoccupations.
Nombre des technologies disruptives d'intérêt militaire dérivent plus que par le passé, et de façon croissante, de technologies civiles. Ces évolutions sont manifestes dans la sphère numérique. L'hyper-connectivité, les technologies du big data, l'internet des objets, la robotique, l'utilisation de l'intelligence artificielle vont avoir un impact considérable non seulement sur les armements, mais aussi sur la conduite des opérations de renseignement et de combat.
La diffusion de ces technologies efface les écarts de puissance entre États et offre également des capacités à des groupes terroristes ou criminels incontrôlés. Il faudra donc également prémunir nos administrations, nos services publics et, bien sûr, nos armées contre les risques de détournement et de pertes de contrôles de leurs propres systèmes.
Comment ces évolutions sont-elles intégrées par nos armées dans leur réflexion doctrinale ? Impliquent-elles de nouveaux modes d'organisation dans la conduite des opérations ?
Comment le commandement militaire prépare-t-il ces évolutions et y prépare-t-il les personnels ? Quels projets concrets vont, dans un avenir proche, trouver une application opérationnelle jusqu'au niveau du combattant ?
La conduite des programmes d'équipement doit-elle être pensée pour être plus agile, intégrer plus rapidement des technologies dérivées d'applications civiles, voire faire travailler ensemble start-up, officiers de programme et chercheurs sur des projets, tout en préservant nos capacités souveraines ? Un projet comme Intelligence Campus, soutenu par la direction du renseignement militaire, vous paraît-il correspondre à ces nouveaux modes d'organisation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Madame la sénatrice, vous mettez le doigt sur l'un des sujets majeurs qui nous préoccupe en ce moment : la bonne façon de faire cohabiter des modes d'innovation différents, à savoir les modes d'innovation qui se développent dans le monde civil, sur des cycles très courts, et les modes d'innovation et de développement technologiques sur des temps plus longs, tels que ceux que nous avons l'habitude de mettre en oeuvre au sein du ministère des armées.
Nous souhaitons que la délégation générale à l'armement, au-delà du rôle très prééminent qu'elle joue, puisse contribuer à créer, avec l'ensemble des acteurs du ministère des armées, ce qu'on appelle aujourd'hui un écosystème favorable à l'innovation afin de permettre des fertilisations croisées entre le monde civil et le monde militaire. Il s'agit également de permettre l'accélération de l'innovation au profit des armées, ainsi que - pourquoi pas ? - une innovation plus sobre, plus frugale en termes de coût des technologies.
J'avoue ne pas avoir encore eu l'occasion de visiter Intelligence Campus, mais ce campus fait partie des sujets dont je vais m'entretenir avec la direction du renseignement militaire. Ce que je peux vous dire également, c'est qu'il est extrêmement important de disposer d'un certain nombre de plateformes permettant d'effectuer des simulations. La simulation est aujourd'hui un élément majeur pour assurer le caractère sûr et opérationnel de nos équipements. Nous devons développer nos outils de simulation et intégrer le volet cyber dont nous parlions tout à l'heure...
M. le président. Il faut conclure !
Mme Florence Parly, ministre. ... dans tous les travaux de conception de nos futurs équipements, tels que les navires. Comment éviter que nos futurs navires puissent être contrôlés par un tiers ?
Veuillez me pardonner cette réponse trop longue. J'espère que nous aurons l'occasion de reparler de ce sujet, qui mérite d'être abordé de façon plus détaillée.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero, pour la réplique.
Mme Isabelle Raimond-Pavero. Pour que la France maintienne son engagement international et ses domaines d'excellence, ainsi que sa capacité à intervenir, elle doit mettre en adéquation ses moyens avec ses besoins, madame la ministre.
M. le président. Je vais maintenant céder ma place à Mme Catherine Troendlé, qui va présider nos travaux pour la première fois aujourd'hui. Je ne doute pas que vous lui réserverez le meilleur accueil ! (Applaudissements.)
(Mme Catherine Troendlé remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, la photo est émouvante : un militaire souriant porte dans ses bras une petite fille endormie. Nous sommes dans l'aérogare de Saint-Martin, l'île ravagée par l'ouragan Irma. Cet instantané, publié par l'envoyé spécial de Radio France, a déclenché une étonnante polémique sur les réseaux : on a parlé d'opération de propagande de l'armée française, de néo-colonialisme !
Il y a quelques jours, un faux sondage circulait par e-mail sur le mode : « saviez-vous que ? » Cette manoeuvre visait à lister les prétendus avantages, aussi faux qu'astronomiques, dont bénéficieraient les sénateurs.
Je mesure les efforts entrepris pour nous protéger contre les cyberattaques et ceux qui sont annoncés pour doter nos armées de capacités de lutte informatique offensives, mais ces efforts seront incomplets si nous ne nous préoccupons pas des actions d'influence et de déstabilisation. La revue stratégique relève la perméabilité des sociétés européennes à la propagande djihadiste, laquelle « a fragilisé les sentiments d'appartenance, affectant ainsi la cohésion des sociétés ».
Nous sommes également l'objet d'actions conduites par des puissances étatiques de premier rang, dotées d'extraordinaires arsenaux d'influence et de déstabilisation, qui vont de la diffusion massive de fake news à la manipulation des processus électoraux, comme on l'a vu lors de la campagne présidentielle américaine.
L'instrumentalisation des réseaux sociaux est désormais considérée par le Pentagone comme la plus grande menace militaire des années à venir dans le domaine des guerres hybrides.
Je suis inquiet face à l'absence dans la revue stratégique d'exposé de stratégie de contre-influence et de promotion de nos valeurs démocratiques. Pouvez-vous nous indiquer, madame la ministre, les dispositifs d'ores et déjà mis en oeuvre par le Gouvernement dans ce domaine. Quel est le service chargé de lutter contre la propagation de fausses nouvelles ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Votre question, monsieur le sénateur, va bien au-delà du cas d'Irma que vous évoquez. Elle concerne toutes les propagandes.
Les réseaux sociaux sont le premier vecteur d'influence du terrorisme. L'espace numérique est un espace de combat banalisé, mais extrêmement puissant, qui imprègne notre société aujourd'hui.
Un certain nombre de moyens ont été mis en place, tels les moyens cyber du ministère des armées que j'ai évoqués tout à l'heure, lesquels sont en croissance, en termes d'effectifs et de savoir-faire, mais ils ne sont pas les seuls. Le service d'information du Gouvernement, je n'en doute pas, scrute de façon permanente les informations circulant sur les réseaux sociaux.
Enfin, une démarche a été entamée à l'échelon européen auprès d'un certain nombre de fournisseurs d'accès et de services pour obtenir la suppression sur les réseaux sociaux d'informations manifestement erronées ou mettant en cause des personnes.
J'avoue que je n'ai pas de réponse complète à votre question, monsieur le sénateur. Si nous en avions une, nous serions en mesure de contrer l'essentiel de ces attaques. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, ce qui est important, c'est de pouvoir observer,...
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Florence Parly, ministre. ... protéger et, éventuellement, intervenir. C'est ce que le ministère des armées s'efforce de faire dans son domaine.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour la réplique.
M. Olivier Cadic. Pour diriger une armée, « mieux vaut un mauvais général que deux bons », disait Napoléon. Face aux fake news, nous n'avons aucun général, et cela m'inquiète.
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Madame la ministre, la « course » technologique internationale s'avère aujourd'hui particulièrement vive, et la revue stratégique souligne le risque de décrochage. Numérique, robotique, miniaturisation, intelligence artificielle sont autant de défis pour l'avenir de notre défense.
L'innovation, avec sa part de risques, doit être placée au coeur de la démarche du ministère des armées. En effet, nous devons considérer que les défaillances d'investissement d'aujourd'hui pourraient être les lacunes capacitaires de demain. La remarque vaut tout autant pour les armements que pour notre analyse stratégique. Or les perspectives que vous présentez font état d'un risque de « décrochage technologique dont notre pays pourrait être victime ».
Dans un environnement où le secteur civil produit de plus en plus de technologies d'intérêt militaire, le risque de « nivellement opérationnel » décrit dans votre document existe bien. Aujourd'hui, avec peu de moyens, des forces armées régulières ou irrégulières, voire des groupes terroristes, peuvent mettre en échec ou entraver l'action de nos forces conventionnelles. Cette problématique vitale doit être prise en compte pour le renouvellement de nos systèmes d'armes.
Dans ce cadre, le recours à une meilleure synergie entre la recherche civile et le monde militaire peut se révéler extrêmement bénéfique.
Madame la ministre, en plus des dispositifs existants, quelles nouvelles mesures prendrez-vous afin d'encourager une forme de symbiose dans le domaine de la recherche ? Quelle sera notre capacité d'investissement à cet effet ?
Par ailleurs, une base industrielle et technologique forte est indispensable. La revue stratégique met opportunément l'accent sur ce point. Or son renforcement passe aussi par des consolidations industrielles. En particulier, quel résultat donnera l'accord de principe trouvé à l'occasion du déblocage du dossier STX sur un partenariat structurant dans le secteur de la construction navale ? Peut-on croire à un Airbus des mers militaire, associant Naval Group et Fincantieri ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, le ministère des armées, en particulier la DGA, dispose d'un certain nombre d'outils pour encourager et soutenir l'innovation. Ces outils incluent le financement de thèses et de travaux de recherche duale via le CNES et le CEA, au sein du programme 191 du ministère des armées ; le dispositif ASTRID, en partenariat avec l'ANR ; le soutien des pôles de compétitivité, un dispositif rapide en faveur de l'innovation des PME ; des contrats d'étude pour préparer les équipements futurs pour un montant de 700 millions d'euros par an ; une mission pour l'innovation participative finançant les projets des innovateurs au sein des services du ministère.
Pour ma part, je souhaite renforcer l'effort en faveur de l'innovation selon un certain nombre d'axes. Il s'agit ainsi d'améliorer la collaboration avec l'écosystème, en particulier avec les start-up, de prendre en compte de façon plus agile l'innovation civile, notamment numérique, au profit des équipements, des soutiens et du quotidien des militaires, mais aussi du fonctionnement du ministère, de développer des outils d'expérimentation et des tiers-lieux au sein du ministère, et enfin de favoriser l'innovation de rupture.
C'est pourquoi j'ai également annoncé que les crédits du programme 144, consacré à l'innovation et aux études, devraient être portés à 1 milliard d'euros par an dès 2022, contre 730 millions d'euros aujourd'hui.
Enfin, vous m'interrogez sur le projet de consolidation entre Naval Group et Fincantieri. Ce projet a été lancé sous forme d'études à conduire lors du précédent sommet franco-italien qui s'est déroulé à Lyon. En ce moment même, les équipes de Fincantieri et de Naval Group, accompagnées par le ministère des armées et le ministère de l'économie de chacun de nos deux pays, travaillent en vue de présenter un projet à la fin du premier semestre de 2018.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. La revue stratégique fait un état des lieux des menaces pesant sur notre pays. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu'il devrait être complété par un autre état des lieux, celui de la situation humaine, matérielle et financière du ministère des armées ?
Vous avez annoncé tout à l'heure la trajectoire budgétaire, par anticipation sur la loi de programmation militaire, ce qui réduit un peu l'exercice ou le contraint. Pensez-vous que cette trajectoire sera suffisante, compte tenu de l'état de nos armées et de la menace, pour répondre aux différents défis qui se présentent à nous ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, j'ai en effet indiqué que, à partir de 2018, les moyens consacrés au ministère des armées remonteraient en puissance. Cette remontée en puissance était indispensable compte tenu, d'une part, du très fort taux d'utilisation de nos forces au cours des années précédentes et, d'autre part, de la nécessité de reconstituer notre potentiel pour faire face aux différentes menaces.
Nous devons aussi préparer le futur. La prochaine loi de programmation militaire devra trouver un juste équilibre entre ce qui est absolument indispensable, c'est-à-dire la reconstitution de notre potentiel d'action, avec les moyens existants, et la préparation de l'avenir. Les programmes d'équipements de défense, nous le voyons bien, sont des programmes au long cours. Nous touchons aujourd'hui les dividendes, si je puis dire, des décisions qui ont été prises par nos prédécesseurs il y a parfois trente ans. C'est à nous qu'il revient aujourd'hui d'assurer la préparation de l'avenir, c'est-à-dire de prendre des décisions qui n'auront d'effets visibles, dans certains cas, que dans trente ou quarante ans.
Oui, monsieur le sénateur, j'ai conscience des contraintes qui vont peser sur ce budget ! Le fait qu'il soit en progression ne signifie pas que nous ne devons pas être extrêmement vigilants sur la bonne utilisation de chaque euro investi.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Madame la ministre, je ne mets aucunement en doute votre volonté de bien faire et de faire plus. Vous parlez de « reconstruire le potentiel », mais quelle sera la fin de l'exécution budgétaire 2017 ? L'impasse serait potentiellement de l'ordre de 4 milliards d'euros, soit plus de 10 % du budget ! Comme l'a rappelé Christian Cambon tout à l'heure, des véhicules, des avions ont plus de trente ans !
Dans notre rapport, que vous avez bien voulu lire, nous estimons à 2,5 milliards d'euros les investissements nécessaires dans le parc immobilier. Je crains que la vérité des chiffres nous conduise à penser que, compte tenu de la situation dont vous héritez et de la menace qui pèse sur notre pays, l'effort que vous prévoyez de consentir ne permette pas de satisfaire l'ensemble des besoins.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Leroy.
M. Henri Leroy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'aborder deux sujets indissociables.
J'évoquerai tout d'abord le rôle de la gendarmerie nationale dans la défense de notre pays, de ses intérêts et de nos ressortissants, tant sur le sol national qu'à des milliers de kilomètres, dans nos territoires ultramarins.
On ne peut envisager la doctrine de sécurité sans prendre conscience de la spécificité évidente de la gendarmerie : son ancrage territorial, ses capacités judiciaires, militaires, administratives, ses relations privilégiées avec nos concitoyens et les autres armées.
Dans le contexte de menace terroriste, nous ne pouvons ignorer l'aggravation de la porosité entre les activités criminelles et le financement d'organisations djihadistes transnationales. Que ce soit en matière de lutte contre le trafic d'armes en provenance des Balkans occidentaux ou de drogues en provenance de la bande sahélo-saharienne, la gendarmerie a une véritable expertise des filières et de leurs interactions.
Madame la ministre, alors que le risque d'attentat ne cesse de croître, dans quelle mesure les métiers de la gendarmerie, qui ont une réelle valeur ajoutée dans notre outil de sécurité nationale, peuvent-ils être optimisés et développés ?
Enfin, je ne saurais conclure sans évoquer un point capital de notre politique de défense : nos ressources humaines. Vous aurez beau « cybernétiser » ou moderniser, il n'est point de défense sans ressources humaines. Or nous savons tous que celles-ci sont véritablement épuisées. Ne pensez-vous pas que nos militaires, qui ne sont pas des fonctionnaires comme les autres, du fait même de leur condition militaire vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mériteraient une réelle amélioration de leurs conditions de travail et de vie, au sens large du terme ? Il y va de la détermination de nos troupes à défendre nos valeurs.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, la gendarmerie est une force armée rattachée au ministère de l'intérieur, qui couvre et incarne l'État sur 95 % de son territoire, au profit de la moitié de la population. Elle constitue une force de continuité et de souveraineté, quelle que soit l'intensité des crises.
Les gendarmes ont de remarquables capacités à mener un certain nombre d'opérations en complément de celles des armées elles-mêmes. La gendarmerie apporte en effet des appuis quantitatifs et qualitatifs essentiels, d'abord par l'existence de gendarmeries spécialisées, ensuite grâce à des missions communes réalisées en métropole - c'est le cas dans le cadre de l'opération Sentinelle ou bien outre-mer, par exemple en Guyane, dans le cadre de l'opération Harpie -, enfin lors des opérations extérieures.
La gendarmerie fait en quelque sorte le lien entre les opérations intérieures et les opérations extérieures menées par nos armées. Elle est un acteur clé de l'anticipation dans le cadre de ses activités de renseignement ; elle est un acteur clé de la résilience de la Nation ; elle est enfin également un acteur clé de la dissuasion. L'interopérabilité et la complémentarité entre la gendarmerie et les armées sont des atouts majeurs pour notre pays.
Vous rappelez enfin que, sans les femmes et les hommes de la défense, nos armées ne seraient rien. C'est bien pour cette raison, monsieur le sénateur, que j'ai souhaité pouvoir proposer d'ici à quelques jours un plan en faveur des militaires et de leurs familles. Je considère que, sans famille heureuse, il n'y a pas de soldat efficace. C'est la raison pour laquelle un certain nombre de mesures, qui ont vocation à se traduire...
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Florence Parly, ministre. ... de façon très concrète dès l'année 2018, seront proposées d'ici à quelques jours. Je suis sûre que nous aurons l'occasion d'y revenir ensemble.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary.
M. Serge Babary. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ma question concerne le maintien en condition opérationnelle des matériels de nos armées, sujet déjà abordé par plusieurs de mes collègues, ce qui est le signe d'une inquiétude assez générale.
Le président Cambon nous a, non sans humour, parfaitement présenté la situation. La politique du toujours plus loin, toujours plus longtemps et avec toujours moins n'est plus tenable. Il y va de la sécurité même de nos soldats. La multiplication des OPEX sur des théâtres où les conditions sont difficiles, combinée aux besoins de nos forces de souveraineté, pèse sur l'ensemble de notre appareil de défense. Nos matériels sont plus qu'usés, nos soldats sont fatigués et ont des difficultés à maintenir les niveaux d'entraînement.
Certes, des efforts budgétaires ont été engagés pour prendre en compte cette problématique, mais il s'agit de développer une véritable politique en la matière : le volet « soutien » mérite d'être repensé.
Madame la ministre, quelles actions précises entendez-vous mettre en oeuvre pour permettre une réelle amélioration de la situation ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, le maintien en condition opérationnelle est une de mes préoccupations majeures - j'avoue, pour être tout à fait franche, qu'elle était aussi celle d'un certain nombre de mes prédécesseurs.
Que pouvons-nous faire à très court terme ?
Dans la mesure où les matériels sont fortement sollicités, il m'a tout d'abord semblé indispensable, dans le cadre des arbitrages budgétaires qu'il a fallu rendre au sein de l'enveloppe globale qui nous a été allouée pour 2018, d'assurer une progression des moyens consacrés au maintien en condition opérationnelle, toutes forces confondues. Le budget, d'un montant de 6 milliards d'euros, sera donc augmenté de 400 millions d'euros en 2018 par rapport à 2017. Il s'agit d'une première étape.
Seconde question, comment faire en sorte, au-delà des investissements que je viens de mentionner, que nos matériels soient plus disponibles, et le soient dans de meilleures conditions ? Aujourd'hui, les taux de disponibilité, comme l'a souligné le président Cambon, ne sont pas acceptables.
Permettez-moi toutefois d'apporter une nuance à votre propos, monsieur Cambon : le taux de disponibilité, lorsqu'il s'agit de matériels engagés dans les opérations, n'est évidemment pas du tout celui qui a été décrit. Mais vous le savez parfaitement...
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Heureusement !
Mme Florence Parly, ministre. Le niveau d'indisponibilité des matériels est notamment préoccupant dans le domaine aéronautique. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à M. Chabbert de bien vouloir réaliser un audit sur le maintien en condition opérationnelle dans ce domaine. Il me fera part de ses propositions d'ici à quelques semaines. Il ne suffit pas d'investir : encore faut-il pouvoir utiliser pleinement des matériels qui ont bénéficié des investissements de la Nation.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.
M. Serge Babary. Je prends acte de vos remarques et de vos initiatives, madame la ministre.
Nous serons très attentifs, eu égard à l'importance du sujet, à la réalité de ce qui sera proposé pour 2018.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut.
M. Ronan Le Gleut. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale affiche de très grandes ambitions dans de nombreux domaines.
Je voudrais saluer ce formidable travail, dont nous sommes nombreux à partager les ambitions, tout en nous interrogeant sur la capacité budgétaire à y répondre, même en tenant compte de la hausse annoncée.
Se pose aussi un problème d'articulation de la revue stratégique avec la loi de programmation militaire, articulation qui lui a valu d'être surnommée « la rotule » dans le milieu militaire.
Je m'inspire de ce surnom pour soulever un autre problème d'articulation, celui pouvant survenir entre les ambitions européennes - j'approuve d'ailleurs pleinement le renforcement des partenariats européens - et l'OTAN : comment les choses se passeront-elles si des pays européens non membres de l'OTAN intègrent l'IEI, l'initiative européenne d'intervention, ou si des militaires étrangers, venus de pays non membres de l'OTAN, intègrent, comme le souhaite le Président de la République, l'armée française ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le sénateur, l'initiative européenne d'intervention, appelée récemment de ses voeux par le Président de la République, sera ouverte à tous les États qui seront volontaires pour la rejoindre, unis autour de valeurs communes, partageant une même vision sécuritaire, tout en souhaitant faire les efforts nécessaires pour lancer des engagements communs de natures très diverses, car pouvant aller de l'évacuation de ressortissants à des opérations de très haute intensité, en passant par la lutte contre le terrorisme.
L'initiative européenne d'intervention a vocation à renforcer l'autonomie stratégique de l'Europe et donc l'ensemble des instruments de politique de sécurité et de défense commune. Les pays de l'Union européenne seront prioritairement associés à cette initiative, mais celle-ci ne se limitera cependant pas à l'Union européenne : elle sera tout à fait transposable à l'OTAN ou à des formats ad hoc.
Monsieur le sénateur, notre objectif est en effet bien de dépasser la question des cadres institutionnels pour favoriser, et c'est finalement la seule chose qui compte, la construction d'une culture stratégique commune entre Européens.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la revue stratégique de défense et de sécurité nationale.
Je vous remercie, madame la ministre, mes chers collègues, de votre participation à cette nouvelle forme d'échanges interactifs.
Source http://www.senat.fr, le 27 octobre 2017