Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale à Europe 1 le 18 septembre 2017, sur le bilan de la rentrée scolaire et le dédoublement des classes de CP.

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Média : Europe 1

Texte intégral


PATRICK COHEN
Bonjour Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour Patrick COHEN.
PATRICK COHEN
Alors qu'un nouvel ouragan menace en Guadeloupe particulièrement quand et comment les enfants de Saint-Martin pourront-ils retourner à l'école ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ecoutez on a prévu un retour progressif à l'école pour les élèves de Saint Martin, donc qui normalement devaient d'ailleurs commencer cette semaine très doucement, évidemment avec le nouvel ouragan qui menace de nouveau nous prenons une mesure de fermeture ses écoles – ce qui est vrai aussi pour la Guadeloupe – et, donc, cela va évidemment retarder ce que l'on avait prévu pour cette semaine, mais néanmoins avec un certain volontarisme on a planifié ce retour progressif à la scolarisation normale, pour une scolarisation normale au retour des vacances de la Toussaint.
PATRICK COHEN
Avec des moyens supplémentaires en hommes, en matériels, en infrastructures ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Absolument, oui, oui. Il y a d'abord un travail sur le matériel, par exemple avec les pompiers à Saint Martin on a fait déjà le bilan complet du bâti - ce qui nous permet d'utiliser certains lieux et pas d'autres - et puis des modulaires vont arriver aussi pour compléter le bâti, et puis on envoie des renforts humains, des personnes qui sont volontaires pour aider à cette scolarisation.
PATRICK COHEN
Pour aller enseigner.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout à fait.
PATRICK COHEN
Nous sommes trois semaines après la rentrée scolaire, rentrée en musique parfois, pas partout, est-ce qu‘il y a eu beaucoup de fausses notes, est-ce que vous avez pu dédoubler par exemple des CP partout en éducation prioritaire ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui bien sûr et d'ailleurs si je me retourne...
PATRICK COHEN
Partout ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Partout bien entendu, la mesure a été accomplie partout. A 100 % les CP de REP + de France ont pu avoir cette mesure de dédoublement, dans 15 des cas physiquement ça n'a pas été possible parce que la commune ne pouvait pas donner une classe supplémentaire et dans ce cas on a deux maîtres ou maîtresses dans la classe, mais sinon dans 85 % des cas la division de la classe par deux a eu lieu et ce sont des classes donc de 12 élèves. Je me souviens qu'il y a deux ou trois mois tout le monde me disait que c'était impossible et, maintenant, c'est fait. C'est un peu comme la rentrée en musique aussi, elle n'a pas eu lieu partout mais elle a eu lieu, et partout où elle s'est passée tout le monde a été...
PATRICK COHEN
1 lycée sur 10.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, mais je peux vous dire qu'il va y avoir évidemment un effet de contagion pour l'année prochaine fois...
PATRICK COHEN
Pour la prochaine fois, oui.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Et puis dans les écoles et les écoles ça s'est passé très bien.
PATRICK COHEN
Deux maîtres dans une même classe ce n'est pas l'idéal non plus ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce n‘est pas ce que disent certains, moi je pense que c'est mieux d'avoir... mais vous savez que plus de maîtres que de classes est quelque chose d'apprécié par certains, donc on va regarder, mais en tout cas la mesure est réalisée et nous voyons déjà dans les pratiques de classe un début de grande satisfaction par rapport à ce qui se passait avant.
PATRICK COHEN
Votre objectif de 100 % de réussites à la fin du CP est-ce qu'il vaut dès cette année, Jean-Michel BLANQUER ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien entendu, l'objectif c'est de dire à quel point cette année est décisive, qu'on ne doit pas retarder les apprentissages, qu'on doit éviter que des enfants partent mal dans leur vie scolaire ensuite et donc c'est très important d'afficher cette priorité pour le cours préparatoire. Donc vous savez le grand objectif c'est lire, écrire, compter, respecter autrui à la fin de l'école primaire, mais c'est évidemment grâce à des bases solides que vous donnent à la fois une école maternelle réussie avec un langage qui se développe lors de l'école maternelle et puis un CP réussi avec l'entrée dans la lecture, l'écriture, le calcul et puis aussi la sociabilité, le fait de se respecter les uns les autres.
PATRICK COHEN
Avec des tests d'évaluation qui vont commencer dès cette semaine en CP ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, tout le long du mois de septembre nous commençons – ce qui est une première expérience – mais une évaluation de CP qui permet aux professeurs d'avoir une photographie des forces et des faiblesses de chaque enfant pour mieux les connaître et développer les bonnes stratégies pour les faire réussir.
PATRICK COHEN
Ça, ce sont des mesures immédiates. Jean-Michel BLANQUER pour cette rentrée vous avez exposé vos idées, votre vision de l'école dans deux livres, « L'école de la vie » et « L'école de demain » chez Odile Jacob, jusqu'où arriverez-vous à la mettre en oeuvre à la tête de ce ministère ? Quelques exemples : l'autonomie pédagogique et administrative des établissements avec pour leurs chefs la liberté de recruter, la reconnaissance du mérite des professeurs avec une rémunération variable, le collège commun plutôt que le collège unique.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce n'était pas le programme présidentiel, ce sont des livres que j'ai écrits avant l'élection bien entendu...
PATRICK COHEN
Oui, mais pour le dernier assez récent, octobre dernier, octobre 2016.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, mais avec des... si vous le lisez bien vous voyez qu'il y a en quelque sorte un certain nombre d'orientations parmi lesquelles on peut choisir avec pragmatisme...
PATRICK COHEN
Oui, mais ce sont des convictions profondes pour vous ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, ce sont des convictions... bien sûr, ça fait partie d'un système, le temps me manque pour expliquer évidement en quoi tout cela est cohérent, l'objectif à chaque fois c'est évidemment rehausser le niveau du système scolaire français, faire réussir tout le monde, lutter contre les inégalités, donc pour cela il faut donner à la fois plus de libertés et plus de responsabilités aux acteurs – c'est le sens que je veux donner au mot autonomie, le mot autonomie ne doit pas faire peur, il est en faveur notamment des équipes sur le terrain, je pense en particulier aux professeurs - mon message vous savez il est un message aussi d'abord et avant tout pour les familles et pour les professeurs, c'est-à-dire je dis aux professeurs : « je vous fais confiance, la France entière doit vous faire confiance » et on doit passer dans une autre logique désormais et cette logique elle passe par l'autonomie, c'est-à-dire trouver les solutions aux problèmes qui se rencontrent au plus près du terrain avec le soutien de l'institution. Beaucoup de gens voient l'Education nationale comme un monstre froid, ce que je veux montrer c'est que, au contraire, ce ministère est en soutien d'équipes de terrain en qui j'ai confiance.
PATRICK COHEN
Donc, vous allez engager des discussions dans les mois à venir avec les enseignants, avec leurs représentants, les syndicats, en vue d'une autonomie ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, bien sûr, je les vois très fréquemment et ils sont évidemment en dialogue permanent avec mon cabinet, donc...
PATRICK COHEN
Un salaire au mérite vraiment ça vous semble...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je n'ai pas... ça c'est le mot que vous utilisez, ce qui est...
PATRICK COHEN
La reconnaissance au mérite des professeurs, ça c'est dans votre livre...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui.
PATRICK COHEN
Avec une rémunération variable, ça revient à ça ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Moi je pense que l'ensemble des professeurs de France en ont un peu assez d'un système réglé par la machine et les points, on a besoin d'avoir une vision beaucoup plus humaine de la gestion des ressources humaines. Donc ce n'est pas seulement des questions de rémunération, c'est des questions aussi de mutation, c'est des questions... je reçois des dizaines de lettres par jour, encore hier j'étais à la Journée du patrimoine au ministère, il y avait des professeurs qui passaient, j'ai discuté avec plusieurs d'entre eux, ils éprouvent le besoin qu'on prenne en compte ce qu'ils sont tout simplement, donc ils ne veulent pas être des numéros, ils veulent être des acteurs, c'est exactement ce que je veux pour eux.
PATRICK COHEN
Ils ne veulent pas forcément non plus le fonctionnement du privé ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, mais on ne va pas aller vers le fonctionnement du privé, pas du tout.
PATRICK COHEN
Le budget 2018 de l'Education quel sera-t-il, il ne sera pas sacrifié, Jean-Michel BLANQUER ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, le président de la République et le Premier ministre ont clairement dit depuis le début que c'était le premier des chantiers, que c'est très important ?
PATRICK COHEN
Ah non, pas tout à fait, Emmanuel MACRON il a déclaré en juillet qu'aucun autre budget que celui des Armées ne serait augmenté en 2018 ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il a dit : « c'est le premier des chantiers » et il a dit : « la Défense et l'Education nationale sont prioritaires ».
PATRICK COHEN
Ah bon, eh bien tout est prioritaire parce qu'hier l'Intérieur était prioritaire aussi ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, parce que les fonctions régaliennes sont en effet très importantes, c'est sur d'autres sujets qu'une forme d'approche qualitative doit permettre de mieux dépenser, mais évidemment sur l'Education ça vaut aussi, ce n'est pas parce qu'on a un budget qui augmente qu'on ne change pas profondément la manière de dépenser. Par exemple je donne une priorité considérable à l'école primaire, la France aujourd'hui dépense moins pour son école primaire que les pays comparables alors qu'elle dépense plus pour son enseignement secondaire, on doit évidemment mettre les moyens que l'on a plus vers l'école primaire, d'autant plus que c'est le premier des enjeux si l'on veut qu'ensuite les choses se passent bien pour les enfants.
PATRICK COHEN
Donc le budget de l'Education nationale augmentera l'an prochain, avec ces créations de postes ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
A l'école primaire oui il y aura des créations de postes en cohérence avec ce que je viens de vous dire. Ce qui est dommage quand on parle budget c'est qu'on parle euros et qu'on a l'impression, voilà, si ça augmente tout va bien, si ça baisse tout va mal, ce n'est pas comme ça que ça marche, c'est-à-dire ce qu'il faut c'est avoir...
PATRICK COHEN
Non, il n'y a pas de jugement de valeur dans ma question.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, je ne dis pas que c'est ce que vous vous pensez. Ce qu'il faut c'est des priorités tout simplement, un sens, donc il faut d'abord raisonner qualitativement, pourquoi on fait les choses, vers quoi on va et c'est je crois ce que nous sommes en train de dessiner très clairement dans chaque département ministériel - et c'est ce que je fais pour l'Education – et au service de cette politique, alors il y a un budget qui peut augmenter - et c'est le cas – mais la fin en soi ce n'est pas l'argent, la fin en soi c'est les objectifs qualitatifs que l'on poursuit de réussite des élèves, de lutte contre les inégalités.
PATRICK COHEN
Une question enfin pour le pédagogue que vous êtes Jean-Michel BLANQUER, puisqu'un mot a fait irruption dans le débat public, qu'on entend parfois dans les salles de classe, c'est le mot de fainéant, il faut s'y prendre comment avec les fainéants ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oh ! Le mot de fainéant fait partie de la langue française, c'est d'ailleurs un assez joli mot, il exact qu'il y a des élèves qui travaillent moins que d'autres, donc il ne faut pas avoir peur de le dire, donc il faut les pousser à travailler bien entendu, là-dessus il y a beaucoup d'éléments pour créer de la motivation – si c'est ça votre question. Notre système manque parfois de création de désir et donc la clé de la pédagogie c'est évidemment de créer du désir, depuis SOCRATE on sait ça et même avant, et donc la création du désir est probablement la meilleure façon de lutter contre la paresse si c'est ça que vous voulez...
PATRICK COHEN
Vous vous êtes parfois casser les dents avec des expérimentations qui étaient fondées sur le désir ou la promesse, je pense à la fameuse histoire de la cagnotte dans l'Académie de Créteil ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, qui souvent est apparue dans les médias de manière complètement déformée, mais c'est la question...
PATRICK COHEN
Qui n'était pas une vraie cagnotte, qui était une récompense...
JEAN-MICHEL BLANQUER
Tout à fait, il n'était pas question d'argent ni rien...
PATRICK COHEN
Si les élèves se comportaient bien tout au long de l'année.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, mais la question de la motivation elle est absolument fondamentale. Vous savez toutes les choses sont question d'équilibre, vous avez parlé de mon livre tout à l'heure, c'est ce que je développe-là, donc tout est question d'équilibre, en particulier il faut toujours et le plaisir et l'effort, il faut et le travail et l'engagement, c'est-à-dire le désir d'apprendre. Souvent on oppose les choses les unes aux autres, en réalité il faut les deux à la fois, c'est ce que je prône évidemment.
PATRICK COHEN
Un dernier mot. Un intervenant, un enseignant a été écarté d'un collège de Côte d'Or ces derniers jours suspecté de radicalisation, c'est un cas isolé ou vous avez chiffré, dénombré le nombre de situations de ce genre dans l'Education nationale, Jean-Michel BLANQUER ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est un cas isolé, mais comme vous le savez je vais créer une unité Laïcité au ministère ces prochains jours, cette unité aura des correspondants dans chaque rectorat et le but est d'affronter tous les sujets qui ont trait à ce type de problème, c'est-à-dire le problème de la radicalisation en l'espèce mais de façon plus générale toutes les atteintes à la laïcité et, donc, nous allons nous doter des instruments qui nous permettrons d'éviter qu'un cas isolé comme celui-ci se reproduise.
PATRICK COHEN
Vous avez des chiffres là-dessus ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, justement c'est ce que travail permettra.
PATRICK COHEN
Vous allez essayer d'en avoir. Merci Jean-Michel BLANQUER, ministre de l'Education nationale, d'être venu ce matin au micro d'Europe 1.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 septembre 2017