Texte intégral
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Soyez le bienvenu, Jean-Michel BLANQUER. Bonjour.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci d'être avec nous. C'est le jour du budget 2018. Le vôtre devait être augmenté, il l'est. De combien ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Environ 1,4 milliard mais vous aurez les détails aujourd'hui puisqu'il y aura la présentation officielle du gouvernement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc 1,4 milliard.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Voilà.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et le budget total étant de ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ça dépend comment vous comptez parce que si vous comptez les pensions et les retraites, mais enfin en gros on dépasse les 50 milliards d'euros sans pensions et retraites, et donc les 70 milliards d'euros avec pensions et retraites.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire ? C'est le budget numéro un.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien entendu. Bien sûr, c'est le budget numéro un de la nation, ça le reste et c'est surtout consolidé, si je puis dire, parce que c'est affiché comme une priorité politique par le président de la République depuis le début.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'enseignement supérieur va atteindre 4,5 milliards, plus 700 millions, c'est-à-dire avec vous et votre collègue Frédérique VIDAL, c'est plus 2 milliards dans ce budget.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Absolument. Ce qui montre bien que l'on sait avoir des priorités. L'éducation et l'enseignement supérieur, ce sont évidemment des investissements pour l'avenir. Ce gouvernement, si vous voulez, ne choisit pas simplement de mettre de l'argent en plus, il choisit d'avoir des priorités. C'est-à-dire par exemple ce qu'on a fait sur l'école primaire est quelque chose de très important dès cette rentrée et on met des moyens au service de ces priorités.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est 2018, 1,4 milliard ; 2019, rien ou c'est encore un milliard ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, vous verrez. Vous verrez mais, encore une fois, l'argent n'est pas tout. Ce qui compte, c'est les priorités. Le fait par exemple de dédoubler les classes de cours préparatoire est tout à fait significatif de ce que l'on veut faire, c'est-à-dire une école primaire qui apprend à lire, écrire, compter, respecter autrui. On veut que 100 % des élèves réussissent et pour ça, on met des moyens au service de cela.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça, vous l'avez pratiquement réussi, à la fois le dédoublement et en même temps, deux profs quand il y a 24 élèves. Mais pendant le quinquennat, de quelle façon vous allez réduire les effectifs ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Les effectifs
JEAN-PIERRE ELKABBACH
De l'éducation nationale.
JEAN-MICHEL BLANQUER
On ne va pas réduire les effectifs de l'éducation nationale. On a simplement une politique de discernement à avoir. Vous savez, la France dépense moins que la moyenne des pays de l'OCDE pour son école primaire. Inversement, elle dépense plus pour son secondaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc votre souci est de rééquilibrer.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mon souci, c'est d'avoir une école primaire qui ait les moyens d'être à la hauteur des enjeux. On a 20 % des élèves qui sortent de l'école sans maîtriser les savoirs fondamentaux. Si j'ai une priorité j'en ai quelques-unes mais la première, c'est évidemment l'école primaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Parce que tout commence à l'école primaire, peut-être même à la maternelle. Vous êtes sûr que chaque euro est bien utilisé ? Qu'il n'y a pas de gâchis ou de gaspillage ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est évidemment mon travail de mieux gérer. On doit savoir faire des économies sur certains sujets pour mieux dépenser sur d'autres. Avec un million d'agents, j'ai évidemment des marges de manoeuvre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On a vu naître hier une polémique inattendue et assez brutale. Le géographe Michel LUSSAULT, qui présidait le Conseil supérieur des programmes depuis quelques années, a donné brutalement sa démission. Et d'autre part, on peut dire qu'il a pris les devants parce que vous ne vouliez pas le maintenir.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non. Il a démissionné, il a fait un choix qu'on peut respecter. C'est son choix. Vous savez, moi j'affiche des priorités très claires. Il y a un cap dans cette maison. Ce cap, c'est celui que je viens de vous indiquer pour l'école primaire, mais c'est vrai aussi pour le secondaire où on a besoin à la fois de consolider les savoirs de nos élèves
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il y a des minorités qui n'acceptent pas votre politique et le cap.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. Il y a des gens qui s'énervent quand je dis lire, écrire, compter, respecter autrui. Il y a des gens qui s'agacent quand je dis qu'il faut que les élèves se respectent les uns les autres et qu'on prépare le futur de différentes façons. Bien s'il s'agace, il en tire les conséquences et c'est son problème. Ce n'est pas le mien.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous dites qu'il s'en aille, et il s'en va.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il s'en va, voilà.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et il paraît que dès le premier jour, au mois d'août, il avait senti que vous aviez des réserves à son égard. Il y avait des raisons ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Des réserves, d'autres que moi en ont eu aussi ces dernières années par rapport au travail qu'il a pu accomplir. Voilà, il en tire les conséquences.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais c'est la première attaque frontale critique et politique contre Jean-Michel BLANQUER.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ça prouve que j'agis.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il dit que vous multipliez sans discussion et concertation des annonces unilatérales idéologiques, et que vous cherchez à satisfaire quelques bas instincts d'une clientèle politique.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, mais ce sont des propos outranciers. Le simple fait qu'il puisse dire des choses comme ça signifient qu'il n'était pas fait pour ce poste, donc c'est normal qu'il s'en aille.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui. Mais vous pensez que lui aussi se démasque ? Quand il dit par exemple qu'il vous reproche d'avoir fait la une de Valeurs Actuelles et de Causeur, sous-entendu des magazines de droite. Il oublie que vous étiez aussi dans L'Obs. Il fallait peut-être lui demander l'autorisation ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, c'est ça. Il faudrait que je demande l'autorisation à monsieur DUSSAULT d'aller dans des journaux. Ma conception de la démocratie, c'est de parler à tout le monde, je l'ai fait. Excusez-moi, mais c'est de la politique et ça ne m'intéresse pas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais vous êtes dans un milieu qui est très politisé, idéologisé.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr mais le président du Conseil supérieur des programmes est censé avoir une certaine hauteur de vue. Il démontre qu'il n'en a pas par ces propos, on passe à autre chose. Ce n'est pas non plus un sujet très important.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous n'aimez pas qu'on vous mette à droite ou à gauche. Vous êtes à droite, à gauche en même temps ? Où vous êtes ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je suis d'abord dans le gouvernement d'Emmanuel MACRON qui a clairement montré qu'on pouvait dépasser ce clivage. S'il y a bien un sujet sur lequel le clivage peut être dépassé, c'est l'éducation. L'éducation est d'intérêt général, elle doit unir la société. L'école ira mieux quand la société française sera unie autour de son école. C'est mon message. Je ne sers absolument pas les polémiques. Je cherche à avoir des mesures pragmatiques, de bon sens pour remettre l'école au milieu du village.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'école mérite le consensus national.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr, bien sûr. Les sociétés qui vont bien sont les sociétés où il y a eu un consensus de la société autour de son école.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous vous attendez à d'autres démissions ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, pas spécialement, non. Encore une fois, si des gens sont dérangés par le fait que je dis lire, écrire, compter, respecter autrui, franchement
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qu'ils s'en aillent.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Qu'ils s'en aillent, bien sûr. Mais je pense que j'ai 95 % des Français qui pensent que j'ai parfaitement raison d'être dans cette volonté tout simplement de transmission des connaissances et des valeurs à nos enfants. C'est une question d'avenir et il n'y a pas de raison de faire de polémique autour de ça.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce Conseil supérieur de l'éducation et des programmes, vous le maintenez ? Vous le changez ? Vous le réorganisez ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce Conseil correspond à des textes, il est dans le Code de l'éducation. Bien entendu pour ma part, je respecte les institutions et il a évidemment vocation à travailler.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il y aura un nouveau patron.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr, il y aura un nouveau patron.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez le nom tout de suite ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce sera quelque chose qui sera fait dans les prochains jours.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un homme, une femme ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Vous verrez bien. Ça peut être un homme ou une femme.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un homme ou une femme ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Un homme ou une femme.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
[rires] Ils avaient mis lui, Najat VALLAUD-BELKACEM et même Vincent PEILLON, en place les rythmes scolaires. Désormais, la semaine de quatre jours est appliquée, on l'a vu, en majorité.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, pas en majorité, non. Pour un peu plus d'un tiers.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
43 %, 44 %, pas loin de la moyenne.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Des communes mais pas des élèves.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les élèves français vont faire 144 jours de classe. L'OCDE et beaucoup de gens vous disent que c'est 37 jours de moins que la moyenne européenne. Est-ce que ça veut dire que c'est 1 : le meilleur moyen d'assurer l'avenir des élèves de leur donner moins de cours que les autres européens ? Ou alors qu'ils sont plus fragiles, peut-être, les écoliers français ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
De nouveau, on retrouve les enjeux de pragmatisme. Il y a quelques années, on a imposé à toute la France quatre jours et demi. Ç'a donné de très bonnes choses dans certains endroits, de très mauvaises choses dans d'autres endroits. Ce que le président de la République a voulu avec le Premier ministre et que j'ai mis en oeuvre, c'est tout simplement de donner aux communautés éducatives, c'est-à-dire aux communes et aux écoles se parlant ensemble, la possibilité de choisir.
Aujourd'hui, comme vous l'avez dit, il y a autour de 40 % des communes qui ont fait ce choix. Pourquoi ? Parce que d'un côté vous avez les choix de la ville de Paris qui a beaucoup de moyens, qui est Paris, où vous avez des grandes villes de France aussi qui ont les moyens de faire ça. Puis vous avez des villages de montagne, des îles isolées, et cetera, qui étaient complètement démunis face à cette nouvelle réalité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ma question était est-ce que c'est bien que les écoliers français, contrairement aux écoliers européens, fassent moins de cours et soient peut-être moins formés ? Ou alors on les forme mieux qu'ailleurs ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le sujet est beaucoup plus vaste. Le sujet c'est que 1 : J'ai une étude qui me montre qu'il n'y a pas de différence d'impact pour les enfants entre quatre et quatre et demi ; que les réalités sont très différentes d'un endroit à un autre ; qu'il faut donc responsabiliser les gens. C'est ce que j'ai fait, c'est-à-dire que j'ai donné le choix. Parce qu'encore une fois, c'est pragmatisme et bon sens.
Vous avez beaucoup de gens qui nous écoutent qui savent très bien que le passage à quatre jours et demi a constitué de la fatigue pour leurs enfants, d'autres qui savent que quatre jours et demi, ç'a été bien pour d'autres raisons. Dans certains endroits, les activités périscolaires sont très bonnes, dans d'autres elles ont été très mauvaises.
Maintenant, on va aller vers du pragmatisme. Comme j'ai aussi la jeunesse et la vie associative dans mes compétences, je vais faire des propositions prochainement pour justement enrichir cette vie périscolaire pour que les enfants aient des activités intelligentes en plus de l'école avec la Ministre de la Culture et avec la Ministre des Sports.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Michel BLANQUER, vous aviez annoncé une réflexion et des décisions sur le temps des enfants et des enseignants. Dans l'excellent livre que vous avez publié avant d'être ministre, « L'école de la vie » - il y en avait eu deux vous promettiez de revoir le temps de travail des enseignants. Vous marquiez votre préférence pas pour annualiser mais pour pluri-annualiser. Qu'est-ce que vous allez faire ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
En tout cas, la vision reste la même. C'est-à-dire qu'on doit avoir une vision beaucoup plus ouverte du temps de tout le monde d'ailleurs. Dans le monde dans lequel nous entrons, on doit avoir une vision du temps totalement différente. Là, en parlant de pluri-annualisation, ce que je veux dire c'est aussi d'ouvrir la carrière. C'est-à-dire que ça doit être possible par exemple de passer du temps à l'étranger, c'est d'ailleurs en syntonie avec ce que le président de la République a dit hier sur l'Europe ; avoir la possibilité une année d'avoir un certain horaire, une autre année d'en avoir un autre. Bref, de pouvoir utiliser son temps de travail de manière beaucoup plus libre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous y allez, vous le ferez.
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est typiquement un sujet de discussion avec les organisations syndicales, avec l'ensemble
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça concerne aussi les temps de vacances ? Les vacances de Pâques, les vacances de la Toussaint, les vacances d'été ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Vous y avez fait référence : je vais ouvrir une grande concertation qui va durer toute l'année, pendant plusieurs mois, sur le temps et l'espace de l'enfant et de l'adolescent au XXIème siècle, de façon à avoir une vision complète, systémique de cet enjeu. Parce qu'on ne peut se raisonner sur ces choses qu'en regardant tous les facteurs, en partant d'abord du temps de l'enfant.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le temps de l'enfant, c'est la question du sommeil, c'est la question des vacances.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien mais avec votre expérience, vous dites que les vacances sont trop longues, assez longues, on est pour le statu quo ? Là si vous faites une réflexion, c'est que vous pensez à des changements.
JEAN-MICHEL BLANQUER
On est pour la discussion parce que ce sujet doit se voir sur le quotidien, donc la journée, la semaine et l'année. Et c'est en voyant ces trois dimensions du temps pour l'enfant que l'on peut avoir un raisonnement sur l'ensemble.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous votre flair, je ne dis pas votre préférence
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je pense qu'il faut mieux répartir le temps sur l'année. Ça mériterait de mieux répartir le temps et, en tout cas, d'avoir une réflexion sur ce qui se passe pour l'élève quand il n'est pas en classe. C'est évident.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans le livre aussi, vous trouviez nécessaire de c'est votre mot « dépoussiérer le bac », cet examen bicentenaire. Quand vous allez commencer à le dépoussiérer ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Dès la semaine prochaine, si je puis dire, puisqu'on va entamer là aussi une concertation. Vous savez, comme promis il y a une série de concertations qui commencent sur différents sujets. Sur le baccalauréat, c'est dans quelques jours que j'annoncerai le nom des personnes en charge de mener cette concertation de façon à ce qu'au début de l'année 2018, on ait la perspective sur ce que sera le bac en 2021. Mais en amont, cela aura eu un impact sur les différents
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais on ne change rien avant 2020, 2021, c'est ça ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Si. Ce qui changera, ce sera ce qui se passera en classe en Seconde, en Première et en Terminale auparavant pour tenir compte de ce
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans le livre, je vous cite : « Il n'y a plus grand sens à maintenir cette immense machinerie qui mobilise toutes les énergies pendant 45 jours et ampute le mois de juin de tous les lycéens. » Et vous disiez : « L'avenir est de conserver quelques épreuves-clefs au contrôle final et d'évaluer l'ensemble des autres matières sous la forme d'un contrôle continu. » Ce seront les pistes Blanquer ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce seront aussi les pistes Macron. Il l'a dit dans la campagne électorale.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord. Macron-Blanquer, donc ça se fera.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. Ça a vocation à se faire, bien sûr.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous voulez interdire dès 2018 le téléphone portable au collège. Les chefs d'établissement vous ont répondu en ironisant et en ne mettant pas trop de bonne volonté. Ils répondent : « Comment fait-on ? Un casier par élève, c'est-à-dire des centaines de casiers ? Un casier par classe ? » Il faudrait retrancher, disent-ils, dix minutes de cours pour déposer et récupérer le portable. Vous le ferez appliquer ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, bien sûr, on le fera appliquer. Simplement là aussi s'ouvre un temps de discussion sur les aspects pratiques. Le principe est fixé. On sait très bien que c'est très mauvais pour la concentration. Il peut y avoir d'ailleurs des exceptions. Un professeur peut demander qu'on prenne les téléphones portables parce qu'il y a un usage pédagogique, mais ça reste exceptionnel.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous n'en voulez pas au collège et au lycée.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, parce que c'est un facteur de déconcentration, c'est un facteur de désordre, c'est parfois un facteur de harcèlement. Il y a déjà des établissements qui savent l'interdire, donc on prendra exemple sur les modèles réussis.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le numérique et la formation permanente, c'est la mission donnée par le président de la République dans le discours qu'il a prononcé hier à la Sorbonne devant des étudiants. C'est Emmanuel MACRON, l'Européen, qui parle des universités.
EMMANUEL MACRON, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DISCOURS DU 26/09/2017
Je propose la création d'universités européennes qui seront un réseau d'universités de plusieurs pays d'Europe mettant en place un parcours où chacun de leurs étudiants étudiera à l'étranger et suivra des cours dans deux langues au moins. Des universités européennes qui seront aussi des lieux d'innovation pédagogique, de recherche d'excellence. Nous devons nous fixer d'ici à 2024 d'en construire au moins une vingtaine mais nous devons, dès la prochaine rentrée universitaire, structurer les premières avec de véritables semestres européens et de véritables diplômes européens.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comment vous appliquez et déclinez cet appel de la Sorbonne ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
En travaillant avec nos partenaires européens. Je pense qu'Emmanuel MACRON a ouvert des pistes extrêmement intéressantes hier. Je sais, parce que je discute avec mes homologues européens, que ça rencontre un écho puisque s'il y a bien une chose que tout le monde retient de la construction européenne, c'est le programme Erasmus pour les étudiants. On doit maintenant franchir un cran. J'en parlais tout à l'heure pour les professeurs, c'est vrai pour les élèves de collège, de lycée, pour les étudiants bien entendu. Il doit y avoir notre capacité, comme ç'a été le cas d'ailleurs dans certains siècles précédents, à circuler en Europe.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et d'abord, il faut améliorer les universités françaises avec Frédérique VIDAL.
JEAN-MICHEL BLANQUER
On les améliorera, on les améliorera de cette façon justement. C'est-à-dire qu'on sera plus fort et on sera à la fois plus ouvert et plus capable d'exercer notre souveraineté scientifique si nous faisons cela.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il faut moderniser les universités françaises, il vous en donne la mission. On a entendu hier les initiatives du président de la République visionnaire inspiré de l'Europe et il est à la fois critiqué ou soutenu pour ce qu'il a proposé. Il multiplie dans son adresse les « alors je vous dis », « et alors je vous dis », écoutez-le encore.
EMMANUEL MACRON
Je le dis à tous les dirigeants européens, je le dis à tous les parlementaires en Europe, je le dis à tous les peuples européens, vous n'avez qu'un choix simple : celui de choisir de laisser un peu plus de place à chaque élection aux nationalistes, à ceux qui détestent l'Europe, ou vous avez le choix de prendre vos responsabilités partout et de vouloir cette Europe en prenant tous les risques, chacun dans nos pays. Parce que cet attachement, au coeur nous devons l'avoir. J'ai choisi. Je vous remercie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il a choisi. Et comment donner envie d'Europe - ce continent qui est le nôtre et qui a longtemps été une Terre de sang, comme on l'a dit - de donner envie d'Europe à des peuples qui n'y croient plus ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
On peut dire ça comme ça, en effet. Je pense que sur ce sujet fondamental comme sur d'autres sujets comme l'école, le message d'Emmanuel MACRON, c'est : « Ne soyons pas sur la défensive. » Parce que quand on est sur la défensive, on ne fait que reculer les sacs de sable les uns derrière les autres. On doit être à l'offensive, on doit avoir des idées, on doit avoir une vision. On a la chance d'avoir un président qui nous propose cette vision, qui a réussi à gagner l'élection présidentielle justement en rétablissant un optimisme français. De toute ma vie, je n'ai jamais vu cet optimisme français et je le vois aussi quand je vais à l'étranger, l'optimisme.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est contagieux l'optimisme et la confiance ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Aujourd'hui, si vous voulez, ce qui change incroyablement si on se reporte ne serait-ce qu'à il y a quelques mois, ce qui est incroyable c'est que la France est devenue le pays que l'on regarde, le pays d'où viennent les bonnes nouvelles dans un monde où il n'y en a pas beaucoup.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ne pouvez pas dire le contraire en tant que ministre du président MACRON choisi par lui.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, mais même si je n'étais pas au gouvernement, je le dirais.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui. Dans l'école de la république laïque, comment on enseignera les religions ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Dans l'école de la république laïque, on fait d'abord respecter la laïcité. C'est un point fondamental, je l'ai dit. Je vais prendre un certain nombre de mesures dans ce sens, notamment pour venir en soutien des établissements où des problèmes se posent, donc on fait respecter cette laïcité. Et cette laïcité, bien entendu, n'est pas de l'athéisme, c'est évidemment le respect de toutes les religions. Vous savez, la laïcité c'est synonyme de liberté. On a la chance en France d'être une république laïque, ça signifie qu'on a la chance d'être dans un pays où l'Etat est neutre par rapport aux religions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord. Mais est-ce que vous dites : « Pas de prosélytisme » et en même temps : « Pas de signe ostentatoire de telle ou telle religion ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien entendu.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça, vous le maintenez.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Forcément, oui. C'est la loi déjà, les règles sont là. Je n'ai qu'une chose à faire, si je puis dire, c'est de les faire respecter.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans la loi antiterrorisme, Gérard COLLOMB, Ministre de l'Intérieur, annonce que les policiers, les gendarmes, les personnels de l'administration pénitentiaire, les douaniers qui seraient soupçonnés de radicalisation seraient radiés ou licenciés. Est-ce qu'il faut faire la même chose pour les enseignants comme le demande Valérie PECRESSE ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il y a bien entendu une interrogation à avoir chaque fois qu'il y a une dérive de ce type chez un personnel de la fonction publique, c'est évident. C'est un sujet sur lequel on va travailler.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non mais vous avez senti quelques indices par-ci, par-là ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a eu des cas déjà ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
J'ai bien sûr repéré déjà des cas et, bien entendu, donné des instructions quand je vois que quelque chose ne va pas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous voulez redresser l'école ? Vous voulez relancer, adapter l'éducation, mais n'est-ce pas déjà, si je peux me permettre, le passé avec des savoirs et des méthodes qui sont déjà obsolètes ? Comment on va transmettre l'avenir ? Comment le faire ? Comment rendre, j'ai envie de dire, l'esprit souple, inventif, curieux, créatif ? Parce qu'en ce qui concerne l'intelligence, il y a déjà les services que va rendre l'intelligence artificielle ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Nous rentrons dans un nouveau monde, nous sommes rentrés dans un nouveau monde et un certain d'évolutions s'accélèrent, notamment les évolutions technologiques.
Pour moi, vous savez, la question centrale de notre temps, de l'époque que nous vivons qui est une époque large, c'est comment est-ce qu'un monde de plus en plus technologique peut être quand même un monde de plus en plus humain ? Evidemment, une des réponses centrales à cette question, c'est le rôle de l'école.
Pour ça, il faut avoir une position d'équilibre. L'équilibre, c'est premièrement donner à chaque enfant des racines, de lui donner une capacité à lire, écrire, compter, connaître son histoire, sa géographie, avoir une culture générale. Vous voyez, je travaille beaucoup avec la Ministre de la Culture sur la question des arts, de la musique, de tous ces éléments qui, notamment à l'école primaire dans les premières années de la vie, vous donnent les bases, vous donnent l'assise dans la vie, le socle sur lequel vous allez tout déployer ensuite et une capacité d'adaptation.
Et puis deuxièmement, il faut aussi une capacité à s'adapter, une capacité à par exemple maîtriser les technologies d'où l'importance du numérique à l'école, notamment au collège et au lycée.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous l'avez souligné déjà dans le livre publié il y a trois ans mais il y a une accélération. Est-ce que vous avez lu « La guerre des intelligences » de Laurent ALEXANDRE ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non mais j'ai prévu de le lire, oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je vous l'offre. Parce qu'en plus, il vous est dédié, à tous les enseignants, qui exercent, dit-il, « le métier le plus important du XXème siècle. »
JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci beaucoup.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il dit : « Les petits-enfants de nos enfants n'iront plus à l'école. Le savoir sera transmis par d'autres moyens, la révolution est en cours. On n'aura même plus besoin de salle de classe. » Donc vous préparez l'école aussi de 2040.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Sur ce point, Laurent ALEXANDRE dit toujours beaucoup de choses très visionnaires et intelligentes. Sur ce point, l'avenir le dira mais je ne suis pas sûr d'être d'accord parce que je pense que plus on va avoir ce monde technologique et plus on va avoir besoin de lieu où on est ensemble, où il y a de l'humanité, et ça c'est fondamental.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais la difficulté, c'est de préparer à des métiers qui n'existent pas encore.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui. C'est pour ça qu'il faut préparer à des compétences. Par exemple, en ce moment on fait une expérimentation dans les lycées professionnels sur le numérique pour montrer que les lycées professionnels peuvent être à la pointe des compétences numériques. On aura des évolutions d'enseignement professionnel dans le futur montrant que, pour les métiers du futur, l'enseignement professionnel peut être à la pointe.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Nous avons tous en mémoire, et on va terminer par là, les images terribles des écoles dévastées de Saint-Barthélemy et surtout de Saint-Martin où vous étiez. Vous avez promis d'y retourner au moment de la reprise des classes à la Toussaint. Où en sont les travaux de reconstruction ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est un sujet que je regarde quotidiennement. C'est un sujet difficile puisque le cyclone a vraiment abattu beaucoup de bâtiments. Il y a tout un travail qui est fait par la collectivité locale et puis les services de l'Etat en ce moment-même.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les cours vont reprendre à la date prévue ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il y a déjà quelques petites activités qui ont commencé à reprendre et nous avons toujours cet objectif de reprise des cours à la rentrée des vacances de la Toussaint.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous tiendrez votre promesse ? Est-ce que vous irez ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, j'irai. Bien sûr.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quand ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je pense que le Premier ministre va y aller. Je pense que j'irai avec lui après les vacances de la Toussaint.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Après les vacances de la Toussaint ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est à préciser encore mais, bien entendu, j'ai promis que j'irai et je vais y aller.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous n'irez pas seul, vous irez avec lui. Très bien. Merci d'être venu et on a envie de vous dire : « Donnez des chances à la conscience et à la poésie sur les algorithmes. » Que ce ne soit pas trop brutal pour nous.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il faut faire le pari de la personne humaine, le pari de l'homme. C'est absolument fondamental. C'est l'éducation qui définit l'être humain et donc c'est absolument fondamental d'avoir l'institution de l'éducation, c'est-à-dire l'école, au coeur de la société. C'est pour ça qu'on a besoin d'avoir la confiance de la société française autour de son école. C'est aussi mon travail de réussir ce cercle vertueux de la confiance.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci d'être venu, et puis vous reviendrez.
JEAN-MICHEL BLANQUER
J'espère. Merci.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est très important l'éducation.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 octobre 2017