Déclaration de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur l' évolution du secteur des industries de réseaux en matière d'énergie, la déréglementation et le rôle des pouvoirs publics, à Paris le 30 octobre 1997.

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Circonstance : Intervention de M.Christian Pierret aux Echos Conférences / FIEEC, sur "Les conséquences industrielles de la déréglementation en Europe" le 30 octobre 1997

Texte intégral

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer sur un sujet qui me concerne à plusieurs titres.
J'ai en effet, en tant que secrétaire d'État à l'Industrie, la charge de la conduite de la politique du gouvernement dans le domaine de l'énergie et des télécommunications. Je suis également concerné de très près par la compétitivité des industries qui opèrent dans ces secteurs.
Avant de vous livrer mon analyse, je voudrais m'arrêter une seconde sur le terme même de "déréglementation".
Ce concept pose problème : il a peut être un intérêt historique, dans la mesure où, au début de l'évolution des industries de réseau vers des organisations plus ouvertes à la concurrence, des mesures ont été prises dans certains pays pour abroger les réglementations sur les monopoles ou les droits exclusifs d'exploitation.
Aujourd'hui, dans le contexte actuel, à la lumière de l'expérience acquise dans divers pays, ce terme de " déréglementation " introduit plus de confusion dans le débat que de clarté.
En effet, d'une part il minimise les évolutions en cours qui n'ont pas pour objet l'évolution d'un système réglementé vers un système non réglementé. Il s'agit en fait de changer les règles du jeu et de mettre au point de nouvelles règles, dans les industries de réseau pendant longtemps organisées de manière monopolistique, pour permettre l'émergence de mécanismes de marché, encadrés selon des modalités propres aux spécificités de ces secteurs et, en particulier, des impératifs de Service Public dans certains cas.
D'autre part, l'observation de l'évolution vers des organisations plus concurrentielles dans les pays qui se sont déjà engagés dans cette voie, montre que ces évolutions ne vont pas nécessairement dans le sens du " moins de réglementation " et se traduisent en général au contraire pal un surcroît de règles et de régulation publique. Il faut être attentif à cette dérive.
Vous avez eu raison de souligner à quel point les enjeux de ce que l'on appelle la dérégulation du secteur des industries de réseaux sont étroitement liés aux enjeux des industries d'équipement. Il est à mon sens indispensable que les responsables de la mise en oeuvre de cette politique de dérégulation, que ce soit au plan national ou au plan européen, en soient conscients.
Ceci est d'autant plus nécessaire aujourd'hui que notre économie, y compris et surtout dans les secteurs des télécommunications et de l'énergie évolue dans un contexte fortement internationalisé que vous connaissez tous ici très bien.
La façon dont vous avez abordé cette question aujourd'hui me semble donc innovante, pertinente et essentielle pour comprendre les évolutions de ces industries. Le Secrétariat d'État à l'Industrie a d'ailleurs récemment engagé cette réflexion, en liaison avec les professionnels concernés, afin de contribuer à la convergence de toutes les politiques concernées en faveur d'un développement harmonieux des réseaux de l'énergie et de l'information en Europe et dans notre pays.
SYNTHÈSE
Les interventions à ce colloque s'appuient notamment sur les enseignements qu'il est possible de tirer de la mise en oeuvre de ce qu'il est convenu d'appeler la dérégulation du secteur des télécommunications, et de leur transposition éventuelle au secteur de l'énergie.
Parmi les conclusions les plus importantes, il a été noté que la dérégulation du secteur des télécommunications s'accompagne d'une baisse des coûts et des prix, de l'apparition de nouvelles technologies et finalement, d'une amélioration très sensible du service apporté à l'utilisateur final.
Toutefois, il serait, à mon sens, erroné de penser que la dérégulation constitue le seul facteur de progrès dans ces industries. L'existence d'un secteur fortement contrôlé par les États n'a pas empêché le développement d'une industrie performante et compétitive. Je ne m'étendrai pas sur le cas de notre pays, qui a institué des compagnies d'électricité et de télécommunications, et qui a vu se développer des industries d'équipement, qui comptent parmi les plus importantes, les plus performantes et les plus innovantes du monde.
A mon sens, la dérégulation correspond à une phase d'accélération du développement des industries de réseaux qui résulte, dans certains cas, de l'apparition de nouvelles technologies, et dans d'autres, de l'achèvement de la phase de construction des grands réseaux dans la plupart des pays industrialisés.
LES ÉVOLUTIONS DES INDUSTRIES DE RÉSEAUX
Que nous enseigne donc l'expérience acquise dans le secteur des télécommunications ?
Que la compétitivité des entreprises s'est considérablement améliorée du fait de la baisse des prix des équipements et de l'amélioration de leurs performances : la banalisation des produits, l'ouverture des marchés ont abouti au développement de grandes séries de fabrication, qui ont permis d'engager de grands programmes de réduction des coûts et d'innovations technologiques.
A l'inverse, les innovations technologiques ont remis en cause le sentiment alors généralisé que la constitution de monopoles régionaux ou nationaux était la seule façon rationnelle d'exploiter un réseau.
Va-t-on assister, dans des conditions comparables, à des évolutions similaires dans le secteur de l'énergie ? Ce n'est pas certain, pour des raisons relativement simples :
Premièrement, et cela a été dit aujourd'hui, l'énergie, contrairement aux télécommunications et en dépit des progrès engagés dans le domaine des énergies renouvelables, est encore, et sans doute pour longtemps, une ressource rare et éloignée. En outre, son utilisation abusive peut nuire à l'environnement.
Deuxièmement, le besoin en électricité n'est pas de nature à croître dans les mêmes conditions que celui des télécommunications, dopé par la transmission des données informatiques et la téléphonie mobile.
Troisièmement, il n'existe pas, à ce jour, dans le secteur de l'électricité de perspectives d'évolutions technologiques majeures et brutales, telles que la téléphonie mobile ou les transmissions à haut débit dans les télécommunications. Certes, l'apparition de technologies de production décentralisée telles que les piles à combustible ou la cogénération, ou encore, l'utilisation des technologies de l'électronique et de l'informatique dans les réseaux permettent d'entrevoir de nouveaux concepts de production d'énergie et d'améliorer le fonctionnement des réseaux existant, mais les évolutions y seront de toutes manières, semble-t-il, lentes et progressives.
Quatrièmement, la structure des coûts de production et de transport de l'énergie comporte une part importante et incompressible de coûts proportionnels à la quantité mise à disposition du client. Ceci reflète une réalité physique des réseaux de l'énergie qui rend difficilement concevable une multiplication des réseaux de transport et de distribution parallèles ou encore l'existence durable de surcapacités excessives de production.
Pour toutes ces raisons donc, et compte tenu, notamment, du caractère vital du secteur pour l'économie et de la dépendance de la plupart des nations à l'égard de sources d'approvisionnement en énergies primaires, les évolutions ne devraient pas être aussi marquées que dans le secteur des télécommunications, et le poids des options politiques passées et à venir sera encore déterminant pour ces évolutions.
Pour autant, il ne faut pas considérer la situation comme immuable. Les études menées et les débats de cette journée nous montrent que même dans un contexte global de stabilité des réseaux physiques de l'énergie, des évolutions et des innovations technologiques peuvent voir le jour, dans le sens d'une amélioration sensible du service au client :
*il a été ainsi noté aujourd'hui que les coûts pourraient être réduits pour le consommateur, grâce aux gains de productivité réalisés par tous les intervenants du réseau, qu'ils soient opérateurs, fournisseurs, intermédiaires et prestataires de services, ainsi que par une amélioration technique des performances des systèmes et composants mis en oeuvre. Ce phénomène est d'ailleurs déjà sensible dans le secteur électrique, même dans un contexte non dérégulé, compte tenu de la baisse des charges et besoins financiers,
*l'introduction des technologies de l'information serait susceptible de créer de nouveaux services au client, en améliorant la connaissance de ses besoins et en lui proposant des produits adaptés à un coût acceptable pour lui,
*l'apparition de nouveaux acteurs ou intermédiaires dans les réseaux pour optimiser les recettes commerciales des opérateurs serait de nature à générer de nouveaux marchés d'équipements d'interfaces ou de modernisation des réseaux actuels,
*des synergies pourraient être développées entre les réseaux d'énergie et les autres réseaux, générant ainsi de nouveaux besoins en matériels de couplage et d'interface,
*dans le domaine de la production, les arbitrages économiques en faveur de tel ou tel type de production d'énergie pourraient évoluer, du fait de la variété des comportements d'investisseurs qui opéreraient, et le rythme de remplacement des équipements existants pourrait être sensiblement modifié...
La liste est longue en effet des perspectives de bouleversements pressentis, au regard du constat de ce qui s'est passé dans le secteur des télécommunications et des opportunités technologiques.
RÔLE DES POUVOIRS PUBLICS
Mon sentiment est toutefois qu'il convient de rester très prudent et proche des réalités. En effet, le rôle des pouvoirs publics dans les mutations qui s'annoncent dans les réseaux de l'énergie est considérable.
Comme dans le secteur des télécommunications, ceux-ci doivent assurer que ces évolutions répondront à de multiples objectifs, de la satisfaction du consommateur à la pérennité du système mis en place, tout en maintenant et en développant le savoir-faire acquis dans les industries concernées.
De plus, dans le secteur de l'électricité, il faut tenir compte des choix, souvent pertinents, du passé et des perspectives inquiétantes de dépendance énergétique et de dégradation de l'environnement.
Il est clair, par exemple, que le choix fait par la France du développement d'une industrie nucléaire compétitive et sûre est de nature à influencer profondément la mise en oeuvre dans notre pays des mutations envisagées, tant les enjeux économiques et politiques qui y sont liés sont considérables .
Il me semble pourtant essentiel que les industries qui maîtrisent aujourd'hui ces métiers liés aux réseaux participent activement à l'innovation et la production industrielle qui accompagnera les mutations des réseaux. Cela a largement été le cas jusqu'à présent, et devra le rester dans le futur dérégulé.
Comme dans tous les pays, ce secteur présente de fortes particularités en France. Il est caractérisé, notamment, mais pas uniquement en France, par une forte concentration des acteurs et un savoir-faire étendu et partagé entre les opérateurs et les fabricants d'équipements, tant en matière de systèmes que de technologies.
De même, la notion de service publique y est particulièrement développée et représente aux yeux de la population un gage d'intégration sociale et d'aménagement du territoire.
Je ne me prononcerai pas aujourd'hui sur la multitude d'interrogations qui résultent des débats de ce colloque. Je puis cependant vous assurer qu'il est bien clair pour moi que la compétitivité des secteurs de l'électricité et des télécommunications, tous acteurs confondus, est d'autant mieux assurée et plus profitable pour un pays que le lien entre les technologies et leur emploi sur les réseaux est bien compris.
Il faut notamment toujours veiller à ce que les options qui sont prises dans le cadre d'une économie très ouverte ne sacrifient pas l'avenir à la préservation de situations figées.
C'est là un des sujets de préoccupation majeurs du secrétariat d'État à l'Industrie ces prochaines années, et je souhaite que, au-delà de cette journée d'information que je vous remercie encore d'avoir organisé, le dialogue continue entre les opérateurs, les industriels et les pouvoirs publics pour perpétuer, dans un contexte international très ouvert, le développement d'une industrie performante au service de la collectivité française, certes, mais qui sache aussi se placer hors de France dans un monde avide d'un progrès pour lequel tant les télécommunications que l'énergie sont nécessaires.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 20 août 2002)