Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale à Radio Classique le 3 octobre 2017, sur le dédoublement des classes de cours préparatoires et les inégalités de chances des élèves.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME DURAND
Jean-Michel BLANQUER est donc ministre de l'Education nationale, il est en direct avec nous. Souvent, l'Education nationale est la base de tout, il y a au moins deux sujets qui sont fondamentaux ce matin, c'est le terrorisme et cette affaire de bataille sur la taxation des produits ostentatoires. Est-ce que vous considérez, Jean-Michel BLANQUER, que justement l'école peut faire quelque chose pour, au fond, relancer le débat sur l'équité des chances puisque maintenant on accuse le président de la République d'être le président des riches, alors est-ce que l'Education nationale va faire quelque chose pour ceux qui sont moins favorisés ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien évidemment, c'est une évidence. D'abord, l'école de la République c'est la colonne vertébrale de la République, depuis toujours, et donc, derrière cette idée-là il y a l'idée de Liberté, Egalité, Fraternité, et donc l'idée d'équité sociale. Il est évident que l'égalité des possibilités pour tous les enfants de France elle commence par l'école, c'est une évidence. Et d'ailleurs, la première des inégalités c'est une inégalité devant le langage. Vous arrivez à 3 ans à l'école maternelle, avec un capital de vocabulaire différent selon la famille dont vous êtes issu, donc l'école doit intervenir pour compenser cela et donner plus à ceux qui ont besoin de plus. C'est le sens de l'énergie toute particulière que nous mettons en cette rentrée sur les premières années de la vie. Donc, l'école maternelle bien sûr, mais notamment le CP et le CE1, avec le dédoublement des classes de cours préparatoire en Réseaux d'Education Prioritaire Renforcés, qui est en mesure unique, une mesure unique en son genre dans l'histoire de notre éducation prioritaire, et qui veut être très efficace dès le début de la scolarité de l'enfant pour lui donner toutes ses chances dans la vie.
GUILLAUME DURAND
On donne une politique économique libérale, qui est plutôt de droite, et une politique éducative, qui est une politique qui, justement, va essayer de corriger les inégalités sociales ou en tout cas cette vision, par exemple que Pierre BOURDIEU avait, à savoir que l'Education nationale ce n'est jamais qu'une gigantesque école des héritiers.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce n'est pas ça justement, et je pense que dire que l'Education nationale c'est… avoir dit cela, a parfois créé un cercle vicieux des inégalités. Aujourd'hui on essaye d'enclencher un cercle vertueux de l'égalité justement, en se concentrant là où les élèves ont le plus besoin d'un effort, mais aussi en créant plus d'espaces de liberté pour les acteurs. Je pense que tous les professeurs de France attendent cela, c'est-à-dire qu'on leur fasse confiance, que des initiatives soient prises et que, donc, le système aussi devienne plus efficace au service des élèves les plus en difficulté.
GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous êtes un ministre de l'Education de droite, parce qu'on l'a beaucoup dit, parce que vous êtes soutenu largement par la droite pour être revenu à une certaine forme d'orthodoxie éducative par rapport aux pédagos d'avant ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le ministre de l'Education nationale est, par définition, le ministre de l'intérêt général et doit être le ministre du bon sens, c'est ce que je m'efforce de faire bien entendu, et il n'y a aucune connotation politique dans ce que je fais, au sens du clivage gauche/ droite. Là où il y a une connotation, elle est juste républicaine, c'est-à-dire que, ce que l'on doit faire c'est d'abord lutter contre les inégalités, s'assurer que tous les élèves sachent lire, écrire, compter, respecter autrui, et ce serait faire insulte à la gauche que de penser qu'ils ne pensent pas cela, c'est dans l'héritage complet, et de la gauche, et de la droite, que de vouloir une école primaire qui amène tous les enfants à la compétence. Donc, parfois je m'étonne que certaines soient dérangés par cette expression, mais lire, écrire, compter, respecter autrui, c'est le socle de toutes les égalités futures, et c'est la même chose pour l'ensemble des mesures que nous prenons, qui sont des mesures sociales, j'insiste là-dessus. On revalorise les bourses de collège dans le prochain budget, on prend des mesures, la mesure que l'on appelle « Devoirs faits », qui au retour des vacances de la Toussaint va permettre de faire les devoirs au collège, dans tous les collèges de France, va bénéficier aux élèves les plus défavorisés, bien entendu. Donc, il y a une série de mesures sociales, dans ce budget de l'Education nationale, qui, bien entendu, ne sont ni de droite, ni de gauche, ce sont des mesures d'intérêt général.
GUILLAUME DURAND
Celui qui vous quitté, qui dirigeait la réforme des programmes, Michel LUSSAULT, est-ce qu'il est vrai que dans la réforme qu'il a menée, il avait supprimé tout ce qui rappelait, au fond, les racines chrétiennes de la France, ainsi que le fait national, ou est-ce que c'est une histoire inventée par la presse ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Parfois il y a des exagérations sur ce sujet. Le point qui est le plus important dans ce que nous avons à faire comme inflexion dans les programmes, à mes yeux, porte plus sur les savoirs fondamentaux, notamment le français, et par exemple, chose sur laquelle j'insiste beaucoup, c'est la grammaire, qui a été trop édulcorée au cours des dernières années, donc on a une série de choses à faire, mais je ne veux pas par…
GUILLAUME DURAND
Mais quelqu'un va le remplacer, forcément.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je vais rencontrer le Conseil Supérieur des Programmes dans les prochains jours et je vais avoir une discussion avec le Conseil sur l'avenir que nous donnons à cette instance.
GUILLAUME DURAND
Mais il y aura un nom. Vous avez un nom ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, en tout cas je n'ai pas de nom à vous donner ce matin, mais en tout cas je veux d'abord… Si vous voulez, contrairement à l'image que certains cherchent parfois à donner de moi, j'écoute beaucoup, j'essaye de consulter, de regarder, d'être pragmatique, et donc c'est ce que je vais faire sur ce sujet comme sur les autres, et dépasser les polémiques un peu vaines.
GUILLAUME DURAND
On a l'impression, puisque vous avez participé justement à une réunion avec François BAYROU à Guidel, que, tout d'un coup, Jean-Michel BLANQUER, qui a réussi sa rentrée scolaire, devient un personnage politique, ou en tout cas que vous abordez la question de la politique.
JEAN-MICHEL BLANQUER
A partir du moment où vous êtes membre d'un gouvernement vous êtes un homme politique, ce serait absurde de dire le contraire. Je ne l'étais pas avant, je le deviens par le simple fait de devenir membre d'un gouvernement. Ce gouvernement est soutenu par des forces politiques, dont François BAYROU qui a été un pilier de la campagne d'Emmanuel MACRON à partir du début de l'année, et puis qui, videmment, continue à être un pourvoyeur d'idées, de soutien, pour le gouvernement, il est tout à fait normal de travailler avec lui.
GUILLAUME DURAND
D'où la question politique. En allant à WHIRLPOOL, est-ce qu'Emmanuel MACRON, aujourd'hui, essaye de rééquilibre l'image qu'on essaye de lui coller, ou qu'il se colle tout seul, c'est-à-dire d'être le président des riches ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Comme vous dites, c'est une image qu'on essaye de lui coller, qui ne correspond à rien. On insiste sur certains points en oubliant, d'ailleurs, de voir la dimension sociale qu'il y a derrière ces points, on fait semblant de ne pas voir qu'il va y avoir en fait une augmentation du pouvoir d'achat des plus défavorisés au travers des différentes mesures prises, le gouvernement a donné tous les éléments pour que l'on voit cela. A la fin du quinquennat les mesures prises vont aboutir à une forme de 13e mois pour les personnes qui sont au SMIC, quand on cumule l'ensemble des mesures prises, que ce soit les mesures sur la taxe d'habitation, les mesures sur la compensation de la CSG, toute une série d'éléments aboutissent à ce résultat. Et donc, aujourd'hui on voit bien qu'il y a une campagne pour essayer de le faire passer pour le président des riches, il est surtout le président d'une France qui va mieux.
GUILLAUME DURAND
Oui, mais toute réforme libérale de l'économie aboutit forcément à ce jugement ou à cette pancarte.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Parce qu'il y a des gens qui ne comprennent pas qu'il faut plus de liberté pour aller vers plus d'égalité, tant qu'on n'aura pas compris ça on sera dans des clivages qui ne servent à rien, des clivages contreproductifs. Une partie de la gauche comprend très bien ce que je suis en train de dire, comme une partie de la droite évidemment. On a besoin de changer de logiciel dans notre manière d'analyser les choses, il peut y avoir bien entendu des critiques, il peut y avoir du débat démocratique, c'est bien normal, mais on ne doit pas être dans un manichéisme absurde qui est celui qui fait que la France est le seul pays, dans les pays comparables en Europe, à avoir un chômage de masse, ce n'est pas pour rien, c'est évidemment parce que nous avons pris de mauvaises décisions dans le passé. Aujourd'hui Emmanuel MACRON a le courage de regarder les questions en face, et sur les sujets économiques, comme sur d'autres, d'agir avec rationalité, à la lumière des faits, à la lumière de ce qui a été prouvé dans d'autres pays. Et donc, ce n'est absolument pas le président des riches, je vous donne rendez-vous en fin de quinquennat, vous verrez que les inégalités auront diminué.
GUILLAUME DURAND
Est-ce qu'il faut taxer les produits ostentatoires, d'après vous ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, en tout cas ça peut…
GUILLAUME DURAND
C'est ce que réclame justement BAYROU, c'est ce que réclame une partie de la République En Marche, et BLANQUER y pense !
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'abord, ce n'est pas mon sujet principal puisque moi il n'y a rien d'ostentatoire dans mes sujets, si vous voulez, mais sur le principe ça ne me pose aucun problème.
GUILLAUME DURAND
Est-ce qu'il faudra à un moment, quand même, envisager une réforme du bac de manière à ce qu'il devienne sélectif ? Est-ce que c'est sérieux quand on veut créer justement des élèves qui sont dignes de la compétition internationale, de recevoir, c'est quand même ça, le baccalauréat à 90 % des gens ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il va y avoir une réforme du baccalauréat, la concertation pour cette réforme va commencer dans très peu de temps…
GUILLAUME DURAND
C'est important, parce que jusqu'à présent vous n'en n'avez jamais parlé.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, oui, il y aura une réforme du baccalauréat, c'est quand même un engagement présidentiel. Nous allons engager la concertation à partir du mois d'octobre, elle se terminera au début de l'année 2018. L'objectif c'est d'avoir un nouveau baccalauréat pour juin 2021 et…
GUILLAUME DURAND
Plus sélectif ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le but n'est pas d'être plus sélectif. Il est normal que vu le type de société dans lequel nous entrons, de civilisation dans laquelle nous sommes, très technologique en particulier, il est normal de rechercher la plus grande qualification de l'ensemble de la population, le paradigme du 21e siècle n'est pas celui du 20e siècle. Simplement, il faut rechercher la diversité des excellences et faire en sorte que la répartition des bacheliers, après le baccalauréat, soit réussie pour que tout le monde aille vers la réussite. C'est ce sur quoi nous sommes en train de travailler.
GUILLAUME DURAND
Mais alors, le baccalauréat il sanctionnera le secondaire ou il continuera à être la porte d'entrée vers le supérieur ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le baccalauréat, sans anticiper sur ce que va donner cette concertation, mais l'objectif que l'on se fixe c'est qu'il soit un levier de réussite vers l'enseignement supérieur, pour ceux qui le passent bien entendu, et donc cela signifie que, par exemple les choix que vous allez faire, la plus grande possibilité de choix à l'intérieur de votre futur baccalauréat, doit indiquer quelque chose de ce que vous serez en mesure de réussir ultérieurement.
GUILLAUME DURAND
C'est une certaine forme d'annonce que nous faites ce matin, donc ce bac, même si c'était dans la campagne présidentielle, que ce baccalauréat, les concertations démarrent et il y aura une réforme. Il y a un point qui évidemment préoccupe beaucoup de gens c'est, est-ce que l'école joue son rôle dans le domaine de la lutte contre le terrorisme ? Alors, évidemment, on ne va pas demander à des profs et à des élèves de monter au créneau contre la violence, mais il semble qu'il y ait beaucoup de trous, il semble qu'il y ait beaucoup de gens qui contestent le fondamental de l'école républicaine. Dans ce domaine qu'est-ce que vous faites, surtout après l'affaire de Marseille, surtout dans un contexte où on se pose quand même beaucoup de questions, sur les institutions ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr, il y a évidemment beaucoup à faire, beaucoup des choses que nous avons à faire en la matière sont structurelles, sont sur la durée, et c'est ce que nous sommes en train d'approfondir en ce moment même. Si l'école fonctionne bien, si l'école devient vraiment une école de la confiance, dans une société de confiance, on va progressivement réduire à néant tous ces foyers de post-vérité, de complotisme, de ces éléments qui aujourd'hui…
GUILLAUME DURAND
Et d'incidents. Il y a eu combien d'incidents l'année dernière justement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'incidents, vous voulez dire de violence ?
GUILLAUME DURAND
D'incidents, et de violence, et de gens qui contestent l'école républicaine, soit qui contestent l'éducation donnée aux filles, soit qui contestent l'éducation physique donnée aux filles, soit qui contestent même l'Histoire de France.
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'accord. Alors, là vous pointez le fondamentalisme islamiste tel qu'il peut se donner à voir dans le monde scolaire, comme dans d'autres mondes, oui, c'est un phénomène qui existe, et j'ai justement la volonté de nommer les problèmes, et c'en est un. C'est pourquoi la première chose que j'ai décidée en la matière c'est la création d'une unité laïcité au ministère qui va venir – avec son équivalent dans chaque rectorat de France pour venir en soutien de chaque établissement qui se trouve confronté à cela. Le premier des problèmes, quand il y a le type de phénomènes que vous dites, par exemple un professeur de sciences qui voit contester telle règle scientifique par ses élèves au nom de la religion, eh bien, le premier problème qui est rencontré c'est la solitude de ce professeur devant ce type de situation. L'institution doit être totalement solidaire dans ce type de cas, donc c'est l'ensemble de l'établissement qui doit faire corps, qui doit expliquer, qui doit remettre les choses comme elles doivent l'être, c'est-à-dire que, évidemment, les sciences doivent être enseignées dans cet exemple. Et si le problème dépasse l'établissement, alors c'est l'ensemble de l'institution, et donc moi-même, qui viendrons en soutien.
GUILLAUME DURAND
Je vais employer un mot qui est un peu violent, mais est-ce que ce n'est pas le moment, justement, les gens qui contestent l'institution, de les virer ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
J'ai déjà pris une mesure de ce type, il y a évidemment la règle…
GUILLAUME DURAND
Et non pas les réinsérer perpétuellement s'ils contestent l'institution dans laquelle ils sont.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Vous parlez là des élèves ou des adultes ?
GUILLAUME DURAND
Des élèves.
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'accord. Si vous parlez des élèves, ce que j'ai demandé aux chefs d'établissement c'est, bien entendu, que les conseils de discipline aient lieu chaque fois qu'ils doivent avoir lieu. Une des choses que j'ai pu changer en arrivant c'est de dire qu'on ne doit pas mettre les problèmes sous le tapis, autrement dit, quand il y a un problème on doit le nommer et ensuite on doit l'affronter. Dès lors que la République n'est pas sur la défensive, mais à l'offensive, elle peut résoudre tous les problèmes, c'est une question de volonté et, encore une fois, d'unité, d'être capable de regarder cela en face ensemble. C'est ce qui va se passer sur ce type de problèmes, j'ai dit par exemple aux chefs d'établissement, qui parfois pouvaient croire que moins il y avait de conseils de discipline, plus cela signifiait que l'établissement allait bien, ce qui est évidemment factice, eh bien de les faire chaque fois que nécessaire. L'exclusion de l'élève ce n'est jamais une solution très bonne parce que c'est, d'une certaine façon, mettre le problème à côté, par contre les sanctions, les mesures d'intérêt général, et le signe que l'on donne, que la République est forte et que ses principes sont forts, ça c'est fondamental.
GUILLAUME DURAND
Mais il n'y a pas une progression du salafisme chez les élèves - comme l'a écrit par exemple un proviseur qui travaille dans les quartiers Nord de Marseille - actuellement en France ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
La situation est très hétérogène, et, bien sûr qu'il y a des problèmes comme celui que ce principal a pointé, et bien sûr que nous devons réagir, et c'est ce que nous allons faire.
GUILLAUME DURAND
Jean-Michel BLANQUER était l'invité politique de la matinale, merci à vous, bonne journée.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci.
GUILLAUME DURAND
Et bonne suite pour cette rentrée de l'Education nationale.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 octobre 2017