Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail à Europe 1 le 7 novembre 2017, sur la situation économique et sociale et l'apprentissage.

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Média : Europe 1

Texte intégral


PATRICK COHEN
Bonjour Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Bonjour.
PATRICK COHEN
Les ordonnances sur la réforme du code du travail sont en vigueur depuis la fin septembre, depuis un peu plus d'un mois, est-ce que les entreprises se sont saisies des nouveaux dispositifs ou est-ce qu'elles en ont manifesté l'intention ?
MURIEL PENICAUD
Alors, beaucoup d'entreprises s'impliquent maintenant, j'ai vu 3.000 chefs d'entreprise ces dernières semaines, et avec mon…
PATRICK COHEN
3.000 ?
MURIEL PENICAUD
Avec mon équipe, on a vu près de 5.000 DRH, eh bien, on fait le service après-vente, parce que, si vous voulez, la loi, ça permet le cadre pour que les acteurs s'en saisissent, mais le but, c'est que ça transforme en positif la réalité des entreprises et des salariés, et je peux vous dire que je vois beaucoup de PME, TPE, mais aussi beaucoup d'investisseurs étrangers qui ont envie de se saisir des opportunités de marché, et d'embaucher, et que ça a d'une certaine façon libéré. Donc je suis assez confiante…
PATRICK COHEN
Donc on ne dira pas beaucoup de bruit pour pas grand-chose sur cette réforme ?
MURIEL PENICAUD
Ah, je pense qu'on est au tout début de la mise en oeuvre, et je crois beaucoup que le fait de renforcer le dialogue social au sein de l'entreprise, au plus près des salariés et des entreprises, oui, ça va faire des changements, certains, tout de suite, et d‘autres, dans la durée.
PATRICK COHEN
Quand ferez-vous un premier bilan ?
MURIEL PENICAUD
Le premier bilan, j'ai désigné trois personnes pour faire une évaluation tout au long, on fera un point d'étape dans six mois, et puis, on fera un vrai bilan dans deux ans, pour voir toutes les implications que ça a eu.
PATRICK COHEN
Il y a une épreuve encore devant vous, c'est la ratification par le Parlement de la loi qui porte la réforme, les ordonnances, ce sera fin novembre sans doute, il n'y a pas de – vous n'avez pas d'inquiétude – il n'y a pas de risque ?
MURIEL PENICAUD
Alors, d'abord, ce n'est pas une épreuve, la démocratie sociale et la démocratie politique…
PATRICK COHEN
Bon, une épreuve ou un…
MURIEL PENICAUD
La démocratie, c'est bien. Non, je commence cet après-midi à la Commission des Affaires sociales, et donc c'est un processus qui va s'étager entre maintenant et janvier, entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
PATRICK COHEN
Alors, vous ouvrez cette semaine un cycle de concertations et de négociations aussi, sur une réforme, une refonte de l'apprentissage et de la formation professionnelle, réforme considérée comme essentielle. Quel est votre modèle, quel devrait être le bon système qui aide les individus à s'adapter aux besoins du marché du travail, Muriel PENICAUD ?
MURIEL PENICAUD
Je crois que le bon système, d'abord, c'est que nos enfants aient un avenir, aujourd'hui, on a 1.300.000 jeunes qui sont ni à l'école ni à l'université, ni en emploi ni en apprentissage. Et les pays qui ont vaincu le chômage de masse des jeunes, c'est des pays qui ont un apprentissage d'excellence, où, comme en France, en théorie, on peut aller du CAP à l'ingénieur, mais aujourd'hui, nous n'avons que 400.00 apprentis, alors que l'apprentissage a des bons résultats. Donc le premier sujet, c'est que nos dispositifs doivent permettre aux jeunes d'avoir un avenir, de choisir leur métier, et puis, d'évoluer, de pouvoir aussi changer d'avis et progresser. Et puis, c'est pareil pour les salariés…
PATRICK COHEN
Parce que l'apprentissage est souvent perçu comme le recours aux situations d'échec scolaire…
MURIEL PENICAUD
Oui, alors, c'est un paradoxe, parce que, alors, dans l'enseignement supérieur, il est bien perçu comme une voie d'excellence, pas toujours aux autres niveaux, pourtant, 70 % des jeunes qui vont en apprentissage ont un CDI sept mois après leur apprentissage. Donc c'est déjà une voie de réussite, et on veut faire une voie d'excellence avec mon collègue, Jean-Michel BLANQUER, beaucoup plus grande. Et puis, pour les salariés, c'est pareil, tout le monde veut pouvoir avoir un avenir, c'est-à-dire un emploi, et si possible, une évolution de carrière, or, la meilleure protection contre le chômage aujourd'hui, c'est la compétence dans un monde qui bouge, et qui bouge vite. Et donc il faut être beaucoup plus efficace en matière de formation aussi des salariés et des demandeurs d'emploi.
PATRICK COHEN
Bien sûr, il faut combiner à la fois l'apprentissage et la formation continue, la formation professionnelle. Sur l'apprentissage, c'est un système aujourd'hui effroyablement compliqué, avec de multiples interlocuteurs. A l'avenir, qui aura la main, aujourd'hui, ce sont les régions, sur l'apprentissage, qui s'inquiètent de l'idée de perdre leurs compétences, et leurs financements donc…
MURIEL PENICAUD
Alors, le but de la concertation avec les régions et les partenaires sociaux, ça va d'abord de se mettre d'accord sur la situation actuelle, sur l'ambition, et puis après, on va discuter qui fait quoi et comment. Pour un jeune aujourd'hui, oui, c'est difficile de trouver… d'abord, de savoir quel est le niveau d'insertion, mes chances d'avoir un emploi, combien je gagnerai si je fais un apprentissage, c'est difficile de trouver une entreprise si on n'a pas de réseau, c'est difficile de trouver un CFA parfois, on ne peut rentrer qu'en septembre ou en décembre, on ne peut pas rentrer tout au long de l'année. Pour les entreprises, parfois, les diplômes ne correspondent pas aux métiers qui ont évolué, eh bien, elles aussi, elles ne peuvent embaucher qu'une fois ou deux par an. Donc il y a plein, plein, plein de verrous qui expliquent pourquoi on n'arrive pas à faire de l'apprentissage une grande voie de réussite, comme en complément de l'Education nationale, et avec des passerelles à faire entre les deux…
PATRICK COHEN
Vous ne m'avez pas répondu, qui aura la main, qui aura la main ?
MURIEL PENICAUD
Eh bien, qui aura la main, c'est une question, alors, en France, on aime bien dire qui va prendre le pouvoir avant de savoir, mais qu'est-ce qu'on va faire ensemble, donc moi, j'ai une vision de la concertation, c'est d'abord, on va discuter, c'est quoi notre ambition pour nos jeunes. Après, on va voir comment on s'organise, et donc qui fait quoi.
PATRICK COHEN
Oui, mais qui a le…
MURIEL PENICAUD
Et je ne commence pas par le comment…
PATRICK COHEN
Qui a le pouvoir, ça peut être la réponse à la question sur les blocages, pourquoi ça bloque parce que…
MURIEL PENICAUD
Non, parce qu'il y a des blocages de tous ordres, vraiment, on les a bien identifiés, et donc je pense que, en fait, de toute façon, on aura besoin des entreprises, des partenaires sociaux, des régions. Vous savez, aujourd'hui…
PATRICK COHEN
Des branches professionnelles…
MURIEL PENICAUD
Et des branches professionnelles. Aujourd'hui, notre système, il ne tourne pas autour du jeune et de l'entreprise, c'est le jeune et l'entreprise qui doivent s'adapter au système, c'est pour ça que je dis qu'il faut faire une révolution copernicienne, c'est-à-dire changer, et vraiment, que les systèmes et les institutions soient au service des jeunes et des entreprises, et pas l'inverse.
PATRICK COHEN
Je vous demandais tout à l'heure si vous aviez des modèles, vous avez visité récemment des pays d'Europe qui sont souvent cités en exemple, la Suisse, le Danemark, la Suisse qui compte dans son gouvernement deux ministres issus de l'apprentissage, qui ont été apprentis.
MURIEL PENICAUD
Absolument, et j'ai emmené il y a 15 jours…
PATRICK COHEN
…Dirigeant de banque.
MURIEL PENICAUD
Les partenaires sociaux, qui vont être les négociateurs de ces réformes, et puis plusieurs présidents de région, et nous sommes allés ensemble, en Suisse, et au Danemark. On ne va pas copier ce qu'ils font, mais quand même se laisser interpeller, où on voit des jeunes fiers d'être en apprentissage, il y a très peu de chômage des jeunes, et donc je pense que, oui, c'est un… ce n'est pas un modèle, parce qu'on ne peut jamais copier exactement, mais c'est une inspiration, parce que ça montre qu'un autre avenir est possible pour nos jeunes, qu'il n'y a pas de fatalité, qu'on peut y arriver, si on est tous résolus à le faire.
PATRICK COHEN
Il y aura quand même des déçus. Vous allez répondre à des présidents de région qui s'inquiètent de… ?
MURIEL PENICAUD
Oui, et d'ailleurs, je les vois tous la semaine prochaine.
PATRICK COHEN
Et vous leur direz ?
MURIEL PENICAUD
Et je leur dirai, voilà, mettons-nous d'accord sur l'ambition, et on va travailler ensemble sur comment on fait.
PATRICK COHEN
Et ensuite on regarde les compétences et qui touche la taxe d'apprentissage notamment, c'est beaucoup de milliards qui sont en jeu. Ensuite vous aurez un énorme chantier, la réforme de l'Assurance chômage, Muriel PENICAUD, là aussi est-ce que vous avez une idée du point d'arrivée, là-dessus, ce que vous voulez obtenir ? Vous avez promis déjà, ce qui est important, qu'il n'y aurait pas de changement dans le montant et la durée de l'indemnisation.
MURIEL PENICAUD
Oui, le sujet n'est pas de modifier le coeur du système. Les partenaires sociaux, en termes d'indemnisation, durée/montant, les partenaires sociaux ont signé il y a quelques mois un accord qui se met juste en oeuvre ce mois-ci, par contre nous pensons que, aujourd'hui, il y a des sécurités qui manquent. L'Assurance chômage c'est un filet de sécurité pour nos concitoyens, et aujourd'hui ça a été conçu par statuts, mais pas liés à la personne. Qu'est-ce que ça veut dire ? Quelqu'un qui est salarié aujourd'hui, et qui, demain, devient entrepreneur ou micro-entrepreneur, et il y en a beaucoup, l'année dernière, 500.000 créations d'entreprises dont 250.000 micro-entrepreneurs, ou qui travaillent sur une plateforme, ces concitoyens-là ne sont pas protégés en termes d'Assurance chômage. Et donc, ce qu'on veut, c'est avoir une protection, un filet de sécurité, qui marche, en fait, quelle que soit votre situation dans la vie. Donc ça c'est le premier sujet…
PATRICK COHEN
Mais quelles contreparties, parce que ça, ça va coûter très cher, on le sait.
MURIEL PENICAUD
Eh bien, dans quelques semaines nous commencerons la concertation et nous mettrons des hypothèses sur la table, que nous discuterons avec les partenaires sociaux.
PATRICK COHEN
Mais des hypothèses qui ne touchent pas à la forme ou à la durée de l'indemnisation ? J'insiste, parce qu'il y a l'idée, qui revient souvent, d'aller vers une allocation forfaitaire, vous savez, comme au Royaume-Uni, au lieu de l'indemnisation actuelle qui est proportionnelle au salaire.
MURIEL PENICAUD
Alors, je n'ai pas emmené les partenaires sociaux, au Royaume-Uni, voir le modèle.
PATRICK COHEN
Donc votre modèle, ce n'est pas un modèle anglais, clairement.
MURIEL PENICAUD
Ce n'est pas un modèle anglais, mais je pense, en revanche, qu'il faut qu'on puisse élargir le filet de sécurité. Aujourd'hui, si vous voulez, si vous changez de statut, en France, et on a le même sujet pour les retraites et dans tous les domaines, si vous changez de statut vous tombez un peu dans un trou, donc je pense qu'il faut accompagner la personne, dans la formation, dans l'Assurance chômage, quelle que soit son évolution dans la vie. On ne travaille plus à vie dans la même entreprise, on ne travaille plus à vie même, souvent, dans le même métier, ou il a tellement changé qu'il faut se former en continu, donc il faut aussi qu'on soit fluide là-dessus, il faut qu'on puisse accompagner chacun. Donc on va avoir des belles discussions.
PATRICK COHEN
Oui, des grosses discussions, notamment sur la reprise en main éventuelle de l'Etat sur la gouvernance de l'UNEDIC, qui est un sujet…
MURIEL PENICAUD
Alors moi, c'est toujours la même chose, on va d'abord parler de ce qu'on fait, et après on voit les conséquences, ou pas, en termes de gouvernance.
PATRICK COHEN
Alors, ce qu'on fait il y a deux questions qui fâchent, qui sont d'un côté et de l'autre, les contrôles renforcés pour les chômeurs, comme le souhaite le MEDEF, et puis la surtaxation, ou le bonus-malus sur les contrats courts, qui là fait horreur au patronat. Sur ces deux aspects, vous allez avancer, Muriel PENICAUD, dans quel sens ?
MURIEL PENICAUD
Alors, quel est le sujet des contrats courts ? Aujourd'hui, 85 % des salariés travaillent en CDI, ce qui est quand même beaucoup mieux à des tas d'égards, notamment pour avoir une autonomie, pouvoir trouver un logement, avoir une sécurité, mais 80 % des offres sont en CDD et en intérim, et aujourd'hui on a un taux de précarité qui est plus élevé que d'autres pays. Bien sûr, il y a toujours une flexibilité, il y a des besoins immédiats, mais il y a des entreprises qui recourent de façon excessive à l'emploi précaire. Et donc, on veut tout simplement… parce que tout ça c'est l'argent de tout le monde, il est mutualité, eh bien que ceux qui vont plus vers l'emploi en CDI, finalement payent moins d'Assurance chômage, et inversement. Donc je pense que c'est une logique qui peut être comprise par tout le monde.
PATRICK COHEN
Et les chômeurs davantage contrôlés ?
MURIEL PENICAUD
Alors, il faut à la fois plus aider, et mieux contrôler. Plus aider, ça veut dire qu'on peut contrôler, ça a du sens le contrôle si, oui, le chômeur on lui propose, très vite, dès qu'il commence, une perspective, un bilan de compétences, une formation, une perspective, et à ce moment-là, oui il y a une minorité… la majorité des demandeurs d'emploi, la très grande majorité, ils n'ont qu'un but, c'est de trouver un emploi. Il y a une minorité de gens qui abusent, qui fraudent, eh bien, je pense que tout le monde comprend que c'est l'intérêt général de les contrôler.
PATRICK COHEN
Le chômage, Muriel PENICAUD, vous ne commentez pas les chiffres mensuels de Pôle emploi, mais est-ce que vous pourriez nous dire ce matin que la tendance, cette tendance à la décrue, devrait se poursuivre dans les mois à venir ?
MURIEL PENICAUD
Alors, comme le prochain rendez-vous trimestriel sera début décembre, et donc qu'on s'approche de début décembre, oui, on est sur une tendance, je pense, de confirmation, notamment la création d'emplois est quelque chose… Je crois que c'est d'ailleurs pour ça qu'il faut continuer fort les réformes maintenant, parce qu'on a une conjoncture économique qui est favorable, la croissance est assez robuste, c'est pour ça qu'il faut investir à fond dans les compétences des gens pour que les demandeurs d'emploi puissent saisir cette chance de retrouver un emploi, et puis c'est aussi pour ça qu'il faut continuer, et nous le ferons, les réformes de fond.
PATRICK COHEN
Merci Muriel PENICAUD, ministre du Travail, d'être venue ce matin au micro d'Europe 1.
source : Service d'information du Gouvernement, le 13 novembre 2017