Texte intégral
LAURENT BIGNOLAS
Vous recevez Caroline ce matin madame la ministre du Travail.
CAROLINE ROUX
Oui Muriel PENICAUD. Alors après les ordonnances sur la loi Travail elle a d'autres dossiers chauds sur son bureau et en particulier celui de la formation professionnelle. Bonjour Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Nous allons parler de la formation professionnelle mais d'abord un mot sur les annonces du président de la République, hier il annoncé le retour des emplois francs pour encourager l'embauche des habitants de quartiers prioritaires. Et là on se dit c'est le retour des emplois aidés mais avec un autre nom.
MURIEL PENICAUD
Alors d'abord ce n'est pas les emplois francs d'avant et c'est très différent des emplois aidés. Quel est le sujet ? Dans les quartiers de la ville, les quartiers prioritaires de la ville le taux de chômage est deux fois et demi qu'ailleurs, et puis il y a une véritable discrimination territoriale, c'est-à-dire que quand on habite tel ou tel quartier, quand votre CV arrive il n'est pas vu de la même façon. C'est injuste et en plus c'est une perte de chance. Et donc les emplois francs c'est une aide qu'on va donner aux employeurs qui eux prennent le pari que parce que d'où qu'on vienne on a la même qualité, on a la même qualification, on a le même rapport à l'entreprise. Donc ça va se lancer dans dix quartiers et je compte beaucoup là-dessus parce que je pense qu'une fois que le pli est pris dans l'entreprise, une fois que la personne a pu prouver sa valeur ça va bien se passer.
CAROLINE ROUX
Pourquoi c'est mieux que les emplois aidés ?
MURIEL PENICAUD
Les emplois aidés, c'est un emploi précaire, là on va encourager l'embauche en contrat à durée indéterminée, en CDI. L'emploi aidé on va en avoir aussi 200.000 l'année prochaine, mais c'est un emploi précaire pour mettre le pied à l'étirer à condition de l'accompagner par la formation, ce qui n'était pas le cas avant, des personnes qui sont très, très éloignées de la qualification. Les emplois francs ce sont des gens qui ont une qualification ou une compétence ou une envie et qui sont tout à fait capables de prendre tout de suite un emploi.
CAROLINE ROUX
Et qui habitent dans des quartiers prioritaires.
MURIEL PENICAUD
Et qui habitent dans les quartiers prioritaires et qui sont un peu stigmatisés pour ça, c'est injuste et donc on va les aider à prendre pied et à trouver un emploi durable.
CAROLINE ROUX
Le problème c'est que c'est une vieille recette les emplois francs, ce n'est pas nouveau. Alors parfois il y a des vieilles recettes qui marchent très bien mais en 2013 le gouvernement AYRAULT avait lui aussi, on s'en souvient, lancé les emplois francs, l'échec il avait été cinglant, puisqu'à peine 280 personnes avaient été embauchées. Alors vous allez me dire j'espère que vous avez tiré les leçons de ce qui n'avait pas marché.
MURIEL PENICAUD
Alors oui, et puis surtout, vous savez il ne faut pas juste mettre le principe, il faut bien regarder les détails, comment on fait les choses. Ça avait été fait un peu comme une usine à gaz, je ne rentre pas dans les détails, donc ça ne sera pas une usine à gaz.
CAROLINE ROUX
Qu'est-ce qu'il y a de différent ?
MURIEL PENICAUD
On avait limité l'âge, il fallait avoir 12 conditions en gros pour rentrer dans les cases. Personne ne rentrait dans les cases. Moi je n'aime pas mettre les gens dans les cases, je veux un dispositif qui marche et qui parle de la vraie vie des personnes qui vont chercher un emploi et on ne va pas limiter
CAROLINE ROUX
Ça veut dire que ça ne concerne pas uniquement les jeunes par exemple ?
MURIEL PENICAUD
Du coup ça ne sera pas que les jeunes parce qu'il y a des séniors qui ont beaucoup à apporter dans les entreprises, qui ne trouvent pas d'emploi aujourd'hui, des séniors ou des moins séniors d'ailleurs, on est sénior très jeune maintenant, à tous âges, donc voilà c'est pour tous les âges du moment qu'on habite dans ce quartier là on pourra y accéder.
CAROLINE ROUX
Le président croit au testing dans l'entreprise pour lutter contre la discrimination et il croit au name on chain, c'est-à-dire on va donner les noms des entreprises qui font de la discrimination et ça suffira à faire rentrer les choses dans le rang. Est-ce que vous êtes aussi optimiste ?
MURIEL PENICAUD
Il y a deux types Le testing c'est quoi ? C'est qu'on envoie des CV à l'aveugle selon le quartier où on habite etc. à des entreprises et on voit si elles réagissent de la même façon, c'est comme ça qu'on sait qu'il y a une véritable discrimination, ça a été fait avec les défenseurs de droit, régulièrement on le fait ; et donc je pense qu'il y a des entreprises qui ont une politique qui est discriminatoire, c'est condamnable. Il y en a beaucoup qui ne se rendent pas compte, c'est un biais inconscient, et là il faut à la fois faire du testing et on va aussi les accompagner. Il y a des associations comme « Nos quartiers ont du talent », « Mozaïk RH » qui font un super boulot là-dessus et qui montrent qu'au-delà des a priori, des inconscients, vous savez c'est comme les hommes et les femmes, voilà il y a plein d'a priori partout, il faut casser les a priori et pour ça il faut avoir des opérations un peu « punchées ».
CAROLINE ROUX
L'idée, la volonté je pense que vous l'avez, vous le dites ce matin, le président l'a sans doute aussi, c'est la méthode, ça fait des années que ça dure. On ne découvre pas ce problème de discrimination à l'embauche notamment, pourquoi est-ce que le fait simplement de nommer les entreprises peut suffire ? Est-ce qu'il faut aller jusqu'à des sanctions ? Est-ce que ce serait inapproprié de sanctionner des entreprises pour de la discrimination par exemple ?
MURIEL PENICAUD
D'abord il n'y a rien qui suffit, il n'y a jamais une chose qui suffit, c'est tout un ensemble, cette prise de conscience aussi. Il y a des sanctions contre la discrimination, ça existe déjà. Vous savez c'est comme tous les sujets qui sont aussi des sujets de société, aussi des représentations, il faut à la fois de la sanction, il faut de l'incitation et puis il faut beaucoup en parler et il faut montrer aussi des histoires réussies pour dépasser aussi un certain nombre de préjugés.
CAROLINE ROUX
Alors il faut en parler, et elles en parlent du harcèlement. Libération révèle encore ce matin le témoignage de 8 femmes qui accusent l'ancien président des jeunes socialistes de harcèlement. La loi elle existe dans l'entreprise pour lutter contre le harcèlement, qu'est-ce qu'on fait pour qu'elle soit appliquée ?
MURIEL PENICAUD
Alors la loi condamne très précisément et sévèrement toute forme d'harcèlement sexuel, toutes formes de discrimination, donc du point de vue législatif dans l'entreprise, comme vous le dites, ce n'est pas le sujet. Je pense qu'il y a deux choses qu'il faut faire. D'abord je veux saisir les partenaires sociaux, c'est-à-dire les employeurs et les organisations syndicats pour qu'elles fassent aussi des propositions sur ce sujet, parce qu'on n'en parle pas assez
CAROLINE ROUX
Quel rôle elles peuvent jouer ?
MURIEL PENICAUD
On peut faire de la prévention, par exemple il y a beaucoup de discrimination, il y a beaucoup d'harcèlement qui se fait sur un terrain où on fait - c'est ce qu'on appelle le sexisme ordinaire - des blagues lourdes, et puis un peu plus lourdes, puis un peu plus lourdes. Ça crée tout un climat qui fait qu'un certain nombre de femmes ne se sentent pas à l'aise, c'est pareil pour les homosexuels d'ailleurs. Elles ne se sentent pas à l'aise. Et puis un jour il y en a qui dérapent. Donc il y a beaucoup de prévention à faire, il faut former tout le management. Moi je suis en train de compléter pour tout mon ministère, que tout le monde soit formé. Beaucoup de collègues font ça aussi. Dans les entreprises il faut former tout le management.
CAROLINE ROUX
Pardon ça veut dire quoi être formé ? C'est quoi être formé ?
MURIEL PENICAUD
Ça veut dire se rendre compte qu'il y a des bais inconscients. il y a beaucoup d'hommes qui ne sont pas du tout de mauvaise volonté mais qui ne se rendent pas compte que leurs attitudes, leurs comportements créent ce climat sur lequel le sexisme se développe.
CAROLINE ROUX
Ça vous est arrivé vous ?
MURIEL PENICAUD
Oui, vous savez moi je n'ai pas encore rencontré de femme à qui ce n'est jamais arrivé, alors plus ou moins lourd mais
CAROLINE ROUX
Des blagues sexistes.
MURIEL PENICAUD
Plus ou moins une pression qui va plus ou moins loin mais oui.
CAROLINE ROUX
Ça vous est arrivé, vous avez l'air de dire comme toutes les femmes quoi ?
MURIEL PENICAUD
Comme une grande majorité de femmes.
CAROLINE ROUX
C'est la différence entre blagues sexistes un peu lourdes et harcèlement. C'est ça qui est difficile à arbitrer ?
MURIEL PENICAUD
Non ce n'est pas difficile, vous savez on sait très bien qu'on est mal à l'aise, on sait très bien qu'on n'est pas consentante, mais il faut que les hommes et les femmes s'y mettent. Il faut aussi en parler dans les familles. Moi depuis trois semaines que tout ça est parti moi je suis surprise le nombre de gens qui ont commencé à en parler à leur femme, à leur fille, qui leur dit : eh bien oui, moi j'ai vécu un truc c'était limite ou même c'était carrément pénible, et qui le découvrent avec stupéfaction. Donc il faut en parler encore et puis faire une véritable mobilisation des managers et des syndicats sur ce sujet.
CAROLINE ROUX
Un mot sur la réforme de la formation professionnelle, vous avez ouvert une négociation avec les partenaires sociaux, quels sont les points sur lesquels le gouvernement ne transigera pas ? Est-ce que c'est une négociation trs ouverte ou est-ce que vous fixez quand même des lignes rouges aux partenaires sociaux ?
MURIEL PENICAUD
Alors ce matin j'enverrai aux partenaires sociaux le document d'orientation qui est celui sur lequel ils vont qu'est le cadre de la négociation, donc les partenaires sociaux vont négocier sur la formation dans l'entreprise pour les salariés. Et puis nous allons discuter avec eux et avec les régions sur la formation des demandeurs d'emploi. Aujourd'hui quels sont les enjeux ? Il y en a trois. Il y en a un c'est qu'on est au-devant de mutations énormes sur le plan technologique donc ça peut être un risque pour les salariés ou alors une formidable chance à condition d'investir à fond sur la formation. C'est pareil pour les jeunes et les demandeurs d'emploi, c'est pour ça que nos jeunes, c'est l'avenir de nos enfants, nos petits-enfants, c'est pour cela que nous allons investir 15 milliards sur la formation des jeunes et des demandeurs d'emploi à toutes ces formidables mutations qui arrivent. Deuxièmement, il y a un sujet de liberté de choix, vous savez la meilleure protection contre le chômage c'est d'avoir un métier, une qualification et puis d'évoluer tout au long de la vie puisque les métiers vont changer et pour ça c'est très important qu'aujourd'hui quelqu'un qui travaille dans une petite entreprise il a moins de chance d'accéder à la formation que dans une grande. Quelqu'un qui est ouvrier et employé il a moins de chance qu'un cadre, c'est tout ça qu'il faut il faut que ça soit un droit pour tous, réellement, et que ça soit une chance pour tous.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Merci.
Source : service d'information du Gouvernement, le 20 novembre 2017