Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à TF1 le 8 juin 1999 et France 2 le 10, sur l'accord entre les Occidentaux sur le texte du projet de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU relatif au retrait des troupes serbes du Kosovo, l'entrée de la Kfor, la suspension des frappes aériennes et la préparation du pacte de stabilité dans les Balkans.

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Circonstance : Adoption par le Groupe des Huit à Cologne (Allemagne), le 8 juin 1999, d'un projet de résolution soumis au Conseil de sécurité de l'ONU pour un plan de paix au Kosovo

Média : France 2 - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Entretien à "TF1" le 8 juin 1999
Q - Monsieur le Ministre, dans quelle atmosphère se sont déroulées ces discussions du G8 ?
R - Dans une atmosphère de travail évidemment et de vraie coopération. On a vu se reconstituer l'unité des occidentaux, des Japonais et des Russes qui était d'ailleurs un des objectifs de la diplomatie française depuis le début du recours à la force. Nous n'avions en ce qui nous concerne, jamais coupé les relations de travail avec les Russes, et c'était très frappant aujourd'hui il : y avait une volonté collective d'aboutir.
Q - Alors comment jugez-vous le résultat ?
R - Très important. Depuis des semaines nous disions constamment en France qu'il fallait que la solution soit impliquée dans une résolution du Conseil de sécurité que nous voulions restaurer complètement l'autorité du Conseil de sécurité, donner à cette solution pour la paix au Kosovo toute la solennité et en même temps la précision nécessaire et la force pour la mise en oeuvre. C'est une solution en même temps solide que nous voulons bâtir et c'est à cela que nous arrivons puisque l'accord s'est fait après une longue journée plus une matinée de travail. Nous avons immédiatement transmis le texte sur lequel nous nous sommes mis d'accord au Conseil de sécurité où les travaux ont immédiatement commencé.
Q - On a eu l'impression quand même que le président Milosevic a essayé de revenir sur l'accord qu'il avait signé avec le président Ahtisaari et M. Tchernomyrdine ?
R - Non, ce sont deux choses différentes parce que dans le cadre du G8 on n'a pas à négocier avec les autorités de Belgrade. On n'a rien renégocié, on arrive à une résolution qui est strictement conforme à nos cinq points, aux conclusions du premier G8 et à tout ce que contenait le document remis par le président Ahtisaari et que le président Milosevic a du finalement accepter, là il y a une parfaite conformité.
Ce qui c'est passé dans la négociation militaire porte sur un point particulier : les conditions du retrait de l'armée yougoslave du Kosovo. Cette négociation a buté sur un ensemble de points concrets que les militaires de l'OTAN apprécieront. Il y a de vraies demandes comme par exemple le manque de carburant qui empêche de sortir au rythme prévu ; il y a de vrais problèmes qui intéressent les uns et les autres comme le déminage des routes pour certains axes de sortie ; il y avait des demandes qui étaient manifestement des prétextes. Est-ce de l'autorité des militaires. On n'en sait rien mais en tout cas, cela ne sera arrêté par aucun prétexte. Nous voulons que ce retrait total ait lieu le plus vite possible.
Ce dont nous parlions à Cologne était beaucoup plus vaste. C'était la définition de l'ensemble de la solution pour le Kosovo. C'est très important, notamment pour nous Français, que nous arrivions à une formule dans laquelle on dit que le Conseil de sécurité va autoriser le déploiement de la force, va autoriser la mise en oeuvre de cette administration civile internationale transitoire pour le Kosovo.
Q - Qui va commander cette force ?
R - Le commandant de la force est déjà choisi, c'est un général britannique. Il reste maintenant au Secrétaire général des Nations unies à prendre des décisions concernant l'administration civile. Ils auront à coopérer étroitement entre eux très instruit par les expériences bosniaques.
Q - Est-ce que les Russes pourront jouer un rôle équivoque dans cette affaire en essayant d'aider le président Milosevic à revenir sur l'accord qu'il avait donné ?
R - Je ne crois pas que l'on puisse dire cela. Les Russes ont leurs problèmes, ils sont partagés entre un désir de coopération avec leurs partenaires occidentaux notamment européens, et d'autre part une opinion publique qui a très mal vécu tout cela, qui a une solidarité qui est peut-être plus épidermique que profonde - mais qui était très visible en cette période - avec les Serbes et ils avaient à tenir compte des différents éléments. Ils ont eu du mal peut-être à surmonter cette contradiction dans leur situation mais j'ai trouvé que nous avons eu du coté des Russes, qu'il s'agisse du président Eltsine, qu'il s'agisse de M. Tchernomyrdine dans les missions qu'il a accomplies à sa demande, qu'il s'agisse du ministre Ivanov avec lequel nous avons bouclé l'accord aujourd'hui, nous avons eu des partenaires responsables, fiables, animés d'un véritable esprit de coopération. Ils ne nous ont jamais ur rien et quand ils avaient des problèmes ils nous l'ont dit, quand ils pouvaient s'engager ils nous l'ont dit. Auourd'hui je considère que,avec ce travail d'une journée et demie l'accord sur la résolution, l'accord très important que nous avons passé et qui n'est pas dans le texte sur la séquence,à partir des propositions françaises pour la mise en oeuvre de tout cela dans les heures ou les jours qui viennent avec la décision de co-parrainer tous ensemble la résolution du Conseil de sécurité, nous sommes dans un vrai partenariat avec la Russie.
Q - C'est vous qui avez proposé cette séquence à synchronisation. Est-ce que vous pourriez nous dire comment maintenant les choses vont se passer ?
R - La discussion tournait en rond parce que les Russes demandaient absolument qu'il y ait une suspension avant le vote de la résolution. C'était tout à fait impossible pour nous de suspendre avant qu'il y ait un début de retrait vérifié. Les Serbes, relayés par les Russes, disaient qu'il n'y avait pas de raison qu'il y ait un début de retrait avant les votes de la résolution et encore moins qu'il y ait entrée de la force pour le Kosovo, la Kfor, avant qu'il y ait une résolution. Ce point de principe au fond rejoint nos positions sur le Conseil de sécurité mais comme les préalables mis par les uns et les autre n'étaient pas les mêmes nous n'arrivions pas à enclencher la séquence de la décision.
C'est à ce moment là, hier, que j'ai proposé que l'on rapproche le plus possible dans le temps ces différentes décisions pour qu'elles soient finalement quasi simultanées, en tout cas parfaitement synchronisées sur un laps de temps très court pour que la question des préalables tombe et que l'on n'ait plus à se demander qui commence quoi. On devrait donc travailler sur cette base dans les heures qui viennent au Conseil de sécurité, à l'OTAN qui doit prendre des dispositions sur la Kfor, dans la négociation entre les autorités de l'OTAN et les autorités yougoslaves sur les modalités du retrait. Tout doit être prêt pour être déclenché à peu près en même temps, pas exactement à la même minute, mais en tout cas en rapprochant comme cela les éléments de la séquence, on a pu surmonter les blocages qui existaient encore hier après-midi.
Q - Alors le début ce sera quoi ?
R - Précisément tout doit avoir lieu à peu près en même temps. En un laps de temps très court on doit avoir l'adoption de la résolution, la conclusion de l'accord militaire sur le retrait, le début du retrait, le quasi début de l'entrée de la Kfor, la suspension. Tout cela doit être lié dans le laps de temps le plus court possible pour que les problèmes ne resurgissent pas dans les passages d'une étape à une autre. C'est maintenant la tâche actuelle.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juin 1999)
Entretien à "France 2" le 10 juin 1999
Q - Depuis quelques jours, les observateurs ont l'impression que le processus de paix connaît des accélérations et des moments de freinage. Diriez-vous, aujourd'hui, qu'il n'y a plus de véritables obstacles à la paix ?
R - Il y a un enchaînement sur lequel il faut veiller étape après étape. C'est une chance d'ailleurs que cette réunion du G8 ait été prévue pour cette semaine. Nous avons été ensemble hier et aujourd'hui et nous avons eu ensemble les réunions spéciales de lundi et mardi. Nous aurons donc passé toute la semaine ensemble, ce qui a permis, chaque fois que les choses se grippaient quelque part de redonner, en les coordonnant depuis cette réunion, les instructions correspondantes au Conseil de sécurité, à l'OTAN et à Kumanovo. Nous avons donc réussi à synchroniser les choses comme il le fallait, à rebâtir chaque fois la séquence et nous avons réussi à redonner les éléments qu'il fallait pour que la séance se déroule.
Le retrait commence. Cela va permettre au Secrétaire général de l'OTAN de le constater très vite. A partir de là, il va saisir le Secrétaire général de l'ONU. C'est lui qui va dire au Conseil de sécurité qu'il peut se réunir, lorsque la résolution sera adoptée la force pourra entrer. Nous aurons mis en place la solution de paix à laquelle nous avions travaillé depuis de si nombreuses semaines. Après, c'est une question de mise en oeuvre avec une énorme tâche qui nous attend.
Q - A votre avis, Monsieur le Ministre, à quel moment la KFOR pourra-t-elle entrer au Kosovo ?
R - Elle va rentrer dès que la résolution aura été adoptée d'une part, et, dès qu'elle le pourra techniquement d'autre part, mais je crois qu'elle est fin prête.
Q - Ce qui compte aujourd'hui également, c'est l'après-guerre, pour vous, qui est aujourd'hui ou demain à Belgrade l'interlocuteur de la France et de l'Europe ? Est-ce toujours Slobodan Milosevic ?
R - L'après-guerre concerne en priorité le Kosovo. L'après-guerre concerne ensuite la question des Balkans. Nous avons cet après-midi à Cologne où la réunion des ministres du G8 est terminée maintenant, une réunion spéciale dite du "Pacte de stabilité" avec plus d'une quarantaine de participants, pays et organisations, sur l'avenir des Balkans.
En ce qui concerne la Yougoslavie, je crois qu'il faut distinguer les questions qui seraient purement humanitaires et d'autre part, la participation de la Yougoslavie de demain à l'ensemble des grands plans de développement qui vont être bâtis, soit dans le pacte de stabilité, soit par la Conférence sur les Balkans. Nous avons dit depuis des semaines que cela s'adresserait à la Yougoslavie démocratisée, par les Serbes, ce qui est souhaitable;
Q - Les troupes françaises qui vont participer à la KFOR seront en quelque sorte en première ligne. Cela veut-il dire que c'est le signe que la France jouera un rôle particulier dans la suite du règlement total du conflit ?
R - La France joue un rôle de premier plan depuis le début, depuis l'engagement initial diplomatique, politique, ensuite militaire pour aboutir à la solution de cette crise. Nous l'avons été à chaque instant. Nous le sommes, nous l'avons été pendant l'épisode des frappes par lequel il a fallu passer. Nous l'avons été dans l'élaboration de la solution et encore ces derniers jours, pour mettre cette solution de synchronisation qui a permis de résoudre les obstacles de dernière minute à propos de l'enchaînement des séquences.
Nous le serons dans le Kosovo, à la fois sur le plan militaire puisque nous allons être dans les tout premiers éléments à entrer. Nous le serons sur le plan civil puisque l'Union européenne et à travers elle, nous-mêmes, allons jouer un rôle de tout premier plan pour la reconstruction d'une société kosovare libre et ensuite démocratique. Il y a évidemment la question qui reste posée de l'approche sur la Yougoslavie. Je crois qu'il faudra distinguer ce qui relève de l'action humanitaire proprement dit d'autres plans plus ambitieux
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juin 1999)