Interview de M. Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire, avec France Inter le 1er décembre 2017, sur la politique de l'environnement.

Prononcé le 1er décembre 2017

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral


NICOLAS DEMORAND
Jusqu'à neuf heures, l'invité de France Inter est le ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas HULOT, bonjour.
NICOLAS HULOT
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Le climat, on le sait, est un enjeu et un défi mondial. Hier en Allemagne, une cour d'appel a accepté d'examiner la requête d'un paysan guide de haute montagne péruvien qui veut contraindre le géant de l'énergie RWE à réparer les effets du changement climatique dans les Andes. C'est une entreprise du nord peut être responsable de dégâts au sud. On verra, Nicolas HULOT, comment les choses vont évoluer mais à ce stade, est-ce une date importante ? Est-ce le premier acte de ce qu'on appelle la justice climatique mondiale ?
NICOLAS HULOT
Je l'ai toujours dit : l'histoire et la justice sont rarement amnésiques sur un certain nombre de sujets. Que ce soit sur les enjeux climatiques, que ce soit sur le sujet de santé environnement, à partir du moment où l'on sait, la responsabilité change de camp. Je dis ça notamment évidemment sur l'enjeu climatique. Je vois cette espèce de tentation qu'il peut y avoir à une forme de résignation, de s'accommoder au fait que peut-être on a perdu la bataille climatique. Je mets simplement en garde parce qu'effectivement à un moment ou à un autre, on nous dira : « Vous saviez à l'époque. Vous aviez la possibilité de prendre un certain nombre de décisions et vous ne l'avez pas fait ». Et puis, c'est simplement que ça ramène les entreprises quelles qu'elles soient à leurs responsabilités. Il y a la responsabilité du citoyen, la responsabilité des politiques mais ce qui serait bien derrière tout ça, c'est qu'on remette à plat le rôle d'une entreprise. Hier, j'étais à Genève à l'Organisation internationale du travail qui s'appelle maintenant le Bureau international du travail. Ils vont bientôt fêter leur centenaire, c'est-à-dire que cette organisation a été créée après la Première Guerre mondiale. Si vous relisez ce que l'on a appelé l'esprit de Philadelphie, quel était l'objet d'une entreprise ? Quel était le rôle de l'économie à l'origine des choses ? Le rôle d'une entreprise, ça n'était pas comme c'est dans le Code civil aujourd'hui le profit, ou en tout cas l'objet n'était pas le profit. C'était bien de participer à l'épanouissement humain, c'était bien au service de l'homme. Je pense que nous aurions tout à gagner dans ce siècle de mettre comme objectif de remettre les choses simplement dans le bon ordre. J'ai en charge l'économie sociale et solidaire mais l'économie aurait toujours dû rester sociale et solidaire. Je ne dis pas que le reste de l'économie ne l'est pas, mais il faut revenir aux fondamentaux. Parce que si on veut un siècle pacifié, effectivement l'économie est un moyen au service de l'homme et ça n'est pas l'homme qui est un moyen au service de l'économie, qui elle-même est indexée au service de la finance.
NICOLAS DEMORAND
Dominique SEUX nous disait tout à l'heure dans son édito qu'il y avait effectivement un débat théorique et politique passionnant pour faire ce que vous disiez : basculer la définition de l'entreprise.
NICOLAS HULOT
Revenir à l'origine, revenir à l'origine.
NICOLAS DEMORAND
Voilà. L'idée, disait Dominique SEUX, ce serait d'ajouter à l'intérêt commun des associés l'intérêt des salariés, des sous-traitants, de l'environnement voire des générations futures. Vous pensez pouvoir y arriver à ça, Nicolas HULOT ? Parce qu'on voit derrière ce qu'il faut débobiner.
NICOLAS HULOT
Voyons les choses en grand. Ce siècle doit changer son paradigme. Vous savez, j'ai découvert l'autre jour que dans l'économie sociale et solidaire, la plupart des salariés ou des bénévoles vont au travail avec le sourire. Dans le reste de l'économie, il y a simplement 12 % des gens qui vont au travail avec le sourire. Est-ce que ça, ce n'est pas un enjeu magnifique du XXIème siècle de faire en sorte que la majorité des gens aillent au travail avec le sourire ?
NICOLAS DEMORAND
Encore un mot sur cette affaire germano-péruvienne. Ce qui est intéressant, c'est que le géant de l'énergie RWE n'est pas implanté au Pérou mais le plaignant estime que ce géant de l'énergie a un rôle dans le réchauffement climatique et donc, en dernière instance, dans les risques d'inondation de l'endroit où il vit. Le spectre du coût de la responsabilité écologique potentielle est gigantesque.
NICOLAS HULOT
Nicolas DEMORAND, je l'ai dit bien avant tout le monde. Enfin, je n'étais pas le premier et pas le seul. Mais quand je place l'enjeu climatique sur un sujet de justice, c'est parce que les conséquences climatiques c'est l'injustice absolue. Pourquoi ? Parce que ça frappe des hommes, des femmes et des enfants qui subissent les conséquences d'un phénomène qu'ils n'ont pas provoqué. Qui lui-même est la conséquence d'un mode de développement dont ils n'ont pas profité et qui, parfois, s'est fait sur leur dos. Ça fait quand même beaucoup pour les mêmes populations. Nous ne sommes pas responsables de ce qui s'est forcément passé en amont, mais on ne peut pas s'en dédouaner et notre responsabilité est engagée immédiatement. Hier, quand j'étais également à l'Organisation internationale des migrations, on me confirmait que le d'ores et déjà le changement climatique occasionne deux fois plus de déplacements dans le monde que les conflits. Notre responsabilité, elle est là et tout temps que nous perdons à agir, à mettre en oeuvre, à renforcer notre ambition quelque part transforme maintenant cette responsabilité en une forme de culpabilité.
NICOLAS DEMORAND
On revient en France. Le sujet est moins spectaculaire que le nucléaire ou le glyphosate, mais c'est un levier puissant qui consiste à régler le problème des passoires thermiques. L'idée est simple : pour réduire sa dépendance au nucléaire, il faut consommer moins d'énergie et donc essayer de boucher en quelque sorte ces passoires thermiques. Est-ce que c'est ça ? On vous a beaucoup reproché d'avoir abandonné l'objectif de 2025 mais est-ce que c'est ça le chemin que vous avez privilégié, Nicolas HULOT ? A savoir actionner le levier de la passoire thermique et de la rénovation thermique plutôt que l'autre chemin qui était possible.
NICOLAS HULOT
Mais non. En fait, il y a un seul chemin avec quatre objectifs et les quatre objectifs sont indissociables. Il y a effectivement, dans les objectifs de la transition énergétique, un objectif qui est de réduire notre consommation. D'ailleurs c'est une bonne nouvelle : on a commencé non seulement à la stabiliser mais elle a baissé, donc ça prouve que c'est possible. Ça, c'est l'intérêt de tout le monde. Quand à confort égal, à service égal, vous pouvez baissez votre consommation, pour les ménages vous gagnez en pouvoir d'achat et pour les entreprises vous gagnez évidemment en pouvoir d'investissement. On sait le faire, nos entreprises savent le faire sauf qu'il faut massifier. Il faut le faire maintenant à l'échelle industrielle et il faut mettre dans les mains notamment des citoyens des dispositifs d'accompagnement incitatifs. En plus c'est rentable assez rapidement. On peut rentabiliser ces investissements, y compris dans les copropriétés, dans des temps assez courts. On a présenté un plan avec Jacques MEZARD sur l'efficacité énergétique en privilégiant ce qu'on appelle les passoires thermiques, et en privilégiant notamment ceux qu'on appelle les précaires énergétiques. C'est-à-dire ceux qui sont dans une double peine, qui ont froid et qui en plus ont du mal à boucler leurs fins de mois. On a mis un plan sur la table. C'est un peu ma méthode, pardon, mais on met ce plan à la concertation pendant trois mois, puis après évidemment on va valider un certain nombre de points.
NICOLAS DEMORAND
Quatorze milliards d'ici la fin du quinquennat pour les passoires, vous les aurez ?
NICOLAS HULOT
Si vous regardez le plan, notamment dans ce qu'on appelle le Grand plan d'investissement d'avenir, ils sont là sur les cinq ans. On change véritablement l'échelle mais, vous savez, ce n'est pas de la dépense pour le coup. Parce que tout ce que l'on met pour économiser nos dépenses d'énergie, tout ce que l'on met pour diminuer nos importations de pétrole, de gaz et de charbon évidemment puisqu'on va même fermer nos centrales à charbon, c'est assez rapidement rentable. Ça, c'est typiquement le genre d'investissement qui n'est pas un investissement maastrichtien à perte. C'est un investissement où on fait très rapidement de l'économie et de l'économie durable.
NICOLAS DEMORAND
Nicolas HULOT, on a mille sujets à aborder encore avec vous et avec les auditeurs de France Inter. J'aimerais juste vous montrer la une de L'Obs cette semaine : « Pourquoi je reste ? Hulot s'explique ». Là, c'est affirmatif. Je vous retourne la question : pourquoi vous restez au gouvernement ?
NICOLAS HULOT
Ce qui m'arrange, c'est qu'un jour j'apprends que je pars, le lendemain j'apprends que je reste. C'est devenu une espèce de jeu dans lequel je ne me retrouve pas toujours. Je ne me pose pas la question tous les matins de savoir si je vais être encore au gouvernement demain matin. D'abord, je suis là non pas pour rester, pour exister : je suis là pour faire. Tant que j'ai le sentiment que ça avance - même si parfois évidemment j'aimerais que ça avance plus vite, mais il faut parfois un peu patienter pour aller plus vite après - je n'ai aucune raison de me poser cette question. Je ne me la pose pas tous les matins et je ne l'agite pas comme une sorte de menace tous les matins avec mes interlocuteurs au gouvernement. Je reste parce que je suis rentré. On ne part pas comme ça au bout de six mois au prétexte que vous avez quelques contrariétés. Tous les ministres ont des contrariétés parce qu'il faut combiner les souffrances du court terme et les enjeux de long terme. C'est un phasage, une synchronisation qui est fatigante, épuisante mais on est là pour ça.
NICOLAS DEMORAND
Yannick JADOT vous demande dans ce numéro de L'Obs si vous avez même essayé. Essayer sur le glyphosate, essayer sur le nucléaire, essayer sur le CETA. Les combats ont été perdus mais est-ce que vous les avez menés, Nicolas HULOT ?
NICOLAS HULOT
Ce garçon me surprend. Non, d'ailleurs il ne me surprend pas parce qu'il est très prévisible. D'abord, il est constant dans une forme d'adresse à vous lancer des couteaux au moment où vous ne vous y attendez pas. Mais je ne m'en étonne pas parce que j'ai connu ça au moment des primaires d'Europe Ecologie. Je ne suis pas sûr qu'en étant aussi caricatural, il serve la cause qu'il est censé défendre. Je le dis très gentiment. Là, on ne peut pas, à mon avis, faire plus de mauvaise foi. J'ai l'habitude d'être assez mesuré mais enfin, je suis bien placé pour vous dire que le réseau diplomatique français, moi-même, le président MACRON, on a fait tout ce qu'on a pu. Au passage, si la France n'était pas intervenue dans la lumière mais également dans l'ombre, on revotait pour dix ans l'autorisation du glyphosate. Grâce à notre position, d'abord on a changé d'échelle. Parce que ce sujet-là, et derrière le glyphosate l'ensemble des pesticides, il est maintenant incontournable et on est en train de basculer. On est passé d'une stratégie qui était de reconduire sans autre prescription maintenant à une volonté de sortir d'une manière programmée de l'ensemble de ces molécules. C'est une vraie victoire. Je rappelle quand même que la France n'était pas seule, elle a eu ses alliés. On a simplement eu au dernier moment une défection, parce que nous pensions que l'Allemagne allait simplement s'abstenir. Vous l'avez vu d'ailleurs, Madame MERKEL elle-même s'en est affectée. Le ministre de l'Agriculture allemand a décidé pour finir de voter contre. Mais franchement, la France a été au rendez-vous et donc je trouve que c'est un peu injuste. C'est bien évidemment sur les sujets de santé, sur les sujets climatiques d'avoir une exigence, une critique constructive, mais en même temps ça désespère tout le monde quand on n'est pas capable de cranter ce qui va dans le bon sens.
NICOLAS DEMORAND
Je vous sens en colère, une colère froide mais une colère réelle.
NICOLAS HULOT
Oui, parce que les effets d'estrade c'est très sympathique. Mais encore une fois, les sujets que l'on sert ne peuvent pas se nourrir de posture politicienne. Ce n'est pas à la hauteur des enjeux, je le dis très sincèrement et puis j'en ai un peu assez qu'on me sourit en face et puis dès qu'on a le dos tourné, qu'on essaie d'exister dans les médias.
NICOLAS DEMORAND
Nicolas HULOT est l'invité de France Inter jusqu'à neuf heures.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 décembre 2017