Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je tenais tout d'abord à vous féliciter pour les réflexions et les propositions que contient votre rapport d'orientation.
Ces réflexions et ces propositions sont assorties de mises en garde. Elles sont aussi, n'ayons pas peur du mot, teintées d'inquiétude. Si cela peut vous réconforter, je peux vous dire que vos préoccupations sont celles de l'immense majorité des agriculteurs. Et donc les miennes.
D'abord parce que, pour la deuxième année consécutive le revenu de la ferme France a baissé en l'an 2000. 1,5 %, cela peut paraître peu à certains. Dans un contexte de reprise économique générale, 1,5 % de baisse c'est beaucoup trop. Et c'est injuste car une fois de plus les agriculteurs se trouvent exclus de la croissance.
Pour certains secteurs l'an 2000 a permis de redresser la barre après une année catastrophique. Tant mieux pour eux. Pour d'autres, en revanche, c'est perte sur perte. C'est votre cas malheureusement. Un revenu amputé du tiers en deux ans : quel autre secteur de l'économie pourrait accepter cela ?
La situation est d'autant plus préoccupante que cette année ne s'annonce guère mieux. Pour les éleveurs, d'abord, qui ne sont toujours pas sorti du tunnel, 8 mois après le début de la crise. Pour vous-même, ensuite, qui devaient faire face à des conditions climatiques déplorables qui pourraient gravement amputer vos rendements. Pour les producteurs d'oléo-protégaineux, enfin, qui, malgré nos appels, craignent de voir disparaître le plan spécifique oléagineux cette année. On dit que les agriculteurs se plaignent souvent. Mais, là, il faut avouer qu'il y a de quoi !
Face à de telles difficultés, on aurait pu espérer un peu de soutien de la part de nos concitoyens ; ou au moins un peu de compassion. Hélas ! Notre image n'a jamais été aussi mauvaise dans les médias. Une image qui, malheureusement, s'enracine chaque jour un peu plus profondément dans l'opinion publique. Tous les prétextes sont bons pour instruire le procès de " l'agriculture intensive ". Chaque société développe un système original de châtiment collectif. La notre - la société de consommation-communication - a inventé le pilori médiatique. Je sais que vous vivez particulièrement mal ces accusations permanentes. Sachez que moi aussi. Et tous les agriculteurs français de même.
Dans un tel contexte, chacun observe l'avenir en espérant y déceler une éclaircie. Le moins que l'on puisse dire c'est que la période qui s'ouvre est chargée d'incertitudes. De la " mid term review " à l'élargissement de l'Union européenne en passant par l'ouverture d'un nouveau cycle de négociation international, les mois qui viennent promettent d'être décisifs pour l'avenir de notre agriculture. Si je ne craignais pas de faire un mauvais jeu de mots, je dirais : veillons au grain! Veillons-y d'autant plus que des évolutions pourraient intervenir très vite, parfois même avant les échéances prévues. Les récentes décisions du Conseil Agricole en matière de viande bovine l'illustrent parfaitement.
Il ne s'agit pas de jouer les Cassandres. Encore moins de noircir le tableau en préambule à la démobilisation générale. Quelques signes encourageants nous parviennent. Les études de l'OCDE ou de l'USDA, d'abord, qui - comme vous le relevez - laissent espérer une augmentation du prix mondial du blé dans les 5 à 10 années qui viennent. Ou alors le rétablissement du marché de la viande bovine, certes lent - trop lent - mais réel. Et puis si la crise nous met à rude épreuve, elle nous donne aussi l'occasion d'exprimer notre sens de la solidarité. Croyez-moi, le geste que vous avez fait à travers Unigrains pour aider la filière bovine au mois de janvier a été très apprécié.
Les conditions climatiques vécues depuis l'automne m'amènent aujourd'hui à vous lancer un nouvel appel à la solidarité. Comme Michel Bar, le Président de la FDSEA du Calvados vous l'a dit hier, je souhaiterais que vous ne broyiez pas vos pailles et que vous réserviez un bon accueil aux éleveurs qui sont réellement dans le besoin.
La vigilance à laquelle je faisais référence il y a quelques instants doit nous amener à nous mobiliser pour, comme vous le dites, appeler les Pouvoirs publics et l'opinion à plus de réalisme, de raison et de responsabilité. Dénoncer les incohérences politiques, bien sûr. Mais surtout défendre nos convictions ; à Bruxelles comme à Genève ou bientôt au Qatar. Il nous faut aussi prendre des initiatives, sur les marchés comme sur nos exploitations. Il nous faut enfin être unis et revitaliser le pacte qui, depuis plus de 50 ans, rassemble les hommes, les produits et les territoires à travers la FNSEA.
Permettez-moi, en quelques mots, de détailler ces trois grands chantiers. Vous exposer les quelques principes autour desquels je souhaite que nous nous réunissions.
Et tout d'abord, parlons un peu de politique agricole. Comme vous, je suis lucide et je vois bien que de plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer une évolution de la PAC. Puisqu'il y a débat, ne l'évitons pas. Considérons même que c'est une chance que l'agriculture soit au cur des préoccupations de nos concitoyens. Mais pour que le débat soit constructif il lui faut un minimum d'objectivité. La société réclame une meilleure prise en compte de l'environnement ? Soit. Mais mesure-t-elle l'étendue des progrès que nous avons fait dans ce domaine ? Même chose pour le débat sur la qualité. Une grande partie de l'opinion, ou de ceux qui font l'opinion, voudrait qu'on produise mieux au lieu de chercher à toujours produire plus. Je suis d'accord. Mais sait-elle que la qualité de nos produits n'a cessé de s'améliorer depuis 50 ans, si ce n'est plus? Bien sûr, il nous reste encore des efforts à faire. Mais n'oublions jamais de faire valoir ceux que nous avons déjà accomplis.
Ces réalités rappelées, je ne vois pas d'objection à engager un débat sur l'avenir de la PAC. A condition, bien sûr, de ne pas aller n'importe où n'importe comment. L'agriculture met en uvre des cycles longs, voire très longs qui excluent toute réorientation brutale. Les agriculteurs ont besoin d'un environnement économique stable. Or depuis dix ans la donne a déjà été chamboulée deux fois. Il n'est donc pas question qu'elle le soit à nouveau l'année prochaine. De plus, si réformer les OCM, cela veut dire les démanteler encore un peu plus, il ne faut pas compter sur nous.
Je dis souvent qu'il ne faut pas enfermer toutes les productions dans un schéma unique. Le modèle laitier n'est sans doute pas transposable au secteur céréalier. Et vice et versa. Chaque secteur a ses particularités et doit bénéficier d'une politique agricole adaptée. En tous cas, il y a un schéma qui ne convient à aucun secteur, c'est le modèle libéralo-libéral. Le " laissez aller, laisser faire " que les Américains ont voulu nous imposer avant de le renier avec éclat. Je crois que nous sommes d'accord sur ce point.
Le débat sur l'avenir de la PAC est certainement passionnant et essentiel. Il ne doit cependant pas nous faire oublier un autre débat, déterminant lui aussi : celui qui accompagne l'ouverture imminente d'un nouveau cycle de négociations internationales. Et là, c'est plus de fermeté dont nous avons besoin que d'esprit d'ouverture. L'Europe a respecté scrupuleusement les engagements qu'elle avait pris à Marrakech. Mais en bon élève de la classe, elle compte sur ses seuls mérites et répugne à critiquer ses petits camarades. Non ! Il ne faut pas craindre de dénoncer les abus que commettent nos concurrents. A commencer par les Etats-Unis qui, à coups d'aides exceptionnelles et de mécanismes d'aide à l'exportation plus ou moins opaques, déstabilisent les marchés internationaux. Des pratiques d'autant plus inadmissibles que nos propres soutiens à l'exportation ont été considérablement réduits et demeurent totalement transparents. A nous de rappeler ces évidences à ceux qui, bientôt, négocieront notre avenir. Rappelons leurs aussi qu'en matière de protection tarifaire les accords de Marrakech ont déjà été très loin. Le maintien des droits à l'importation à leur niveau actuel est une condition indispensable pour la survie de nos OCM. Rappelons leurs, enfin, que l'Europe a le droit de maintenir sa place sur les marchés mondiaux.
A Seattle, nous avons mené une action unitaire et exemplaire en faveur de l'agriculture française. Je souhaite qu'en novembre, à Doha, nous reformions la même équipe. Je suis sûr que vous répondrez favorablement à cet appel.
Des politiques agricoles, il en faut. Les particularités du secteur agricole exigent un engagement fort de l'Etat. Mais tout ne dépend pas de lui. Nous pouvons - nous devons - prendre des initiatives pour défendre nos intérêts, à commencer par notre revenu.
J'ai coutume de dire que le revenu doit avant tout dépendre des prix. Certes, ce principe est plus facile à mettre en oeuvre dans certains secteurs que dans d'autres. Mais il ne faut jamais oublier que chaque franc obtenu par le marché, c'est autant d'argent en moins à réclamer auprès des Pouvoirs publics. N'y voyez surtout pas une condamnation des primes compensatoires. Ces aides demeureront des compléments de revenu indispensables tant que nous resterons dans les schémas actuels au niveaux européen et mondial. Néanmoins, je crois que nous n'échapperons pas à un nouveau débat sur les soutiens agricoles.
Ce nécessaire soutien public n'exclue pas que nous prenions des initiatives pour tirer le meilleur prix de notre production. Bien au contraire. Il nous faut cultiver la diversité de nos produits, occuper chaque segment de marché, du produit standard au produit sous label en passant par le bio. Faisons jouer la complémentarité de nos systèmes de production plutôt que de les opposer. Le travail que vous avez accompli dans ce domaine mérite d'être souligné. Qu'il s'agisse de la mise au point d'une grille de classification des céréales ou de la recherche permanente de nouveaux débouchés, vous avez démontré que les céréaliers étaient déterminés à tirer le meilleur parti du marché.
Diversifier ses débouchés, valoriser sa production, c'est bien. Recueillir les dividendes de ses investissements, c'est mieux. Pour cela, il faut un minimum d'organisation : le libre jeu du marché aboutit trop souvent à une captation de la valeur ajoutée par l'aval. Il appartient aux Pouvoirs publics de corriger les excès les plus flagrants. Mais nous pouvons, nous aussi, agir pour faire respecter nos intérêts. Je crois intimement aux vertus de la concertation interprofessionnelle ; à un dialogue permanent entre clients et fournisseurs où les producteurs prennent toute leur place. Je suis donc très heureux de voir naître inter-céréales même si je ne comprends pas la décision de reporter l'examen par le CSO de cette mesure. Puisqu'une naissance est toujours le moment de formuler des voeux, je lui souhaite une longue vie et une brillante carrière au service de la promotion des céréales.
L'environnement est aussi un domaine où nous avons intérêt à prendre des initiatives. Agir plutôt que subir. L'agriculture raisonnée et les chartes de production relèvent de cette démarche. Qu'il s'agisse de mieux valoriser nos produits ou de répondre aux demandes de la société, nous avons tout à gagner à prendre les choses en main plutôt que de voir s'accumuler les contraintes réglementaires. Aux Congrès des Sables d'Olonnes, nous avons adopté à la quasi-unanimité - moins neuf abstentions - un rapport où nous prenions des engagements en faveur de l'agriculture raisonnée, de la traçabilité et de la gestion des innovations en agriculture. Ce document doit devenir un véritable programme d'action. Vous avez contribué activement à son élaboration. Je souhaite donc que nous travaillions ensemble à sa mise en uvre.
Enfin, prendre des initiatives, ce n'est pas qu'une ambition collective. Cela doit être aussi l'affaire de chacun. Vous avez raison d'insister sur l'objectif de compétitivité. Etre compétitif nécessite un environnement réglementaire, fiscal et social adéquat. Pas trop de charges en particulier. Mais cela dépend aussi de l'agriculteur, de sa capacité à faire évoluer son système de production, à maîtriser ses coûts et à profiter des dernières innovations. Il n'y a pas d'incompatibilité entre une agriculture à la fois innovante et moderne et une agriculture durable : la meilleure garantie de durabilité de l'agriculture, c'est la durabilité des agriculteurs.
Peser sur les négociations internationales et communautaires, organiser les filières et prendre des initiatives pour mieux valoriser nos produits : c'est le rôle du syndicalisme et pour l'instant nous l'avons plutôt bien rempli. Si nous avons été efficaces, c'est que nous avons su jouer l'union plutôt que la stratégie du cavalier seul. L'unité dans la diversité plutôt que la fragmentation du paysage syndical.
La force de la FNSEA, vous le savez, c'est le croisement qu'elle réalise entre les produits et les territoires. Récemment encore nous avons pu mesurer l'intérêt d'une telle organisation. Rappelez-vous " l'action fuel " et les mesures de détaxation que nous avons obtenues du gouvernement. Sans cette mobilisation, nul doute que l'année 2000 aurait été encore plus catastrophique. Sans cette action unitaire, nous n'aurions certainement pas progressé autant sur le front des bio-carburants. Rappelons-nous aussi les élections chambre d'agriculture que nous avons gagnées haut la main. Il ne faudrait pas que les perdants parviennent à nous faire croire le contraire !
Bien sûr, tout n'est pas parfait au sein de la " grande maison ". Il y a même un certain nombre de choses à revoir, à commencer par le Comité de coordination des AS qui doit redevenir un véritable lieu de concertation et d'arbitrage. C'est l'objectif de la réflexion stratégique que nous menons depuis maintenant trois ans. Ce sera également un des thèmes principaux des journées de réflexion nationale qui se tiendront à Paris les 5 et 6 juillet prochains. Journées qui doivent déboucher sur un véritable plan d'action. Je sais que vous répondrez présents à cette invitation et que vous contribuerez activement au débat. Car la FNSEA sans les AS ne serait pas la FNSEA. Sachons conjuguer produits et territoires.
Enfin, je ne voudrais pas conclure sans dire un mot de la modulation. Dès la parution du décret en mars 2000, nous avons déposé un recours en annulation devant le Conseil d'Etat. L'arrêt n'a pas encore été rendu mais il semble que les juges administratifs ont, comme nous, relevé certaines incohérences entre la modulation à la française et la législation communautaire. Un tel jugement, s'il se confirmait, serait déjà un demi succès. Il ne doit cependant pas nous détourner de notre véritable objectif : trouver une alternative à cette modulation qui crée plus d'injustice qu'elle n'en corrige. Vous avez fait des propositions dans ce sens. Nous en avons fait aussi lors de notre Congrès des Sables d'Olonnes. Il faut que le dispositif soit européen, ajustable et équitable. Affirmons ensemble - et rapidement - des propositions avant d'envoyer la balle dans le camp du ministre.
Chers amis;
Puisque dans deux mois s'ouvrira, ici-même, le 27ème festival du cinéma américain, je vous propose de leurs laisser quelques idées pour leurs prochains films. Nous pourrions, par exemple, leur suggérer de tourner la suite de ce film que vous connaissez tous "Le bon, la brute et le truand " avec, comme principaux acteurs, l'Union européenne, le Groupe de Cairns et les Etats-Unis. Je vous laisse le soin de répartir les rôles ! Ou alors, dans le genre science fiction, une super production - subventionnée, cela va sans dire - intitulée " A la rencontre de l'agriculture du 3ème type ".
Nous pourrions alors jouer les critiques de cinémas. Et je vous assure que la critique serait facile !
Peut-être ainsi nos concitoyens comprendraient-ils que, comme la culture, l'agriculture n'est pas un secteur comme les autres. Que, pour s'épanouir, le modèle agricole européen à besoin d'être protégé et qu'il faut, plus que jamais, des politiques agricoles dignes de ce nom.
C'est ma conviction. Je suis sûr que c'est aussi la votre.
Je vous remercie.
(Source http://www.fnsea.fr, le 4 décembre 2001)
Mesdames, Messieurs,
Je tenais tout d'abord à vous féliciter pour les réflexions et les propositions que contient votre rapport d'orientation.
Ces réflexions et ces propositions sont assorties de mises en garde. Elles sont aussi, n'ayons pas peur du mot, teintées d'inquiétude. Si cela peut vous réconforter, je peux vous dire que vos préoccupations sont celles de l'immense majorité des agriculteurs. Et donc les miennes.
D'abord parce que, pour la deuxième année consécutive le revenu de la ferme France a baissé en l'an 2000. 1,5 %, cela peut paraître peu à certains. Dans un contexte de reprise économique générale, 1,5 % de baisse c'est beaucoup trop. Et c'est injuste car une fois de plus les agriculteurs se trouvent exclus de la croissance.
Pour certains secteurs l'an 2000 a permis de redresser la barre après une année catastrophique. Tant mieux pour eux. Pour d'autres, en revanche, c'est perte sur perte. C'est votre cas malheureusement. Un revenu amputé du tiers en deux ans : quel autre secteur de l'économie pourrait accepter cela ?
La situation est d'autant plus préoccupante que cette année ne s'annonce guère mieux. Pour les éleveurs, d'abord, qui ne sont toujours pas sorti du tunnel, 8 mois après le début de la crise. Pour vous-même, ensuite, qui devaient faire face à des conditions climatiques déplorables qui pourraient gravement amputer vos rendements. Pour les producteurs d'oléo-protégaineux, enfin, qui, malgré nos appels, craignent de voir disparaître le plan spécifique oléagineux cette année. On dit que les agriculteurs se plaignent souvent. Mais, là, il faut avouer qu'il y a de quoi !
Face à de telles difficultés, on aurait pu espérer un peu de soutien de la part de nos concitoyens ; ou au moins un peu de compassion. Hélas ! Notre image n'a jamais été aussi mauvaise dans les médias. Une image qui, malheureusement, s'enracine chaque jour un peu plus profondément dans l'opinion publique. Tous les prétextes sont bons pour instruire le procès de " l'agriculture intensive ". Chaque société développe un système original de châtiment collectif. La notre - la société de consommation-communication - a inventé le pilori médiatique. Je sais que vous vivez particulièrement mal ces accusations permanentes. Sachez que moi aussi. Et tous les agriculteurs français de même.
Dans un tel contexte, chacun observe l'avenir en espérant y déceler une éclaircie. Le moins que l'on puisse dire c'est que la période qui s'ouvre est chargée d'incertitudes. De la " mid term review " à l'élargissement de l'Union européenne en passant par l'ouverture d'un nouveau cycle de négociation international, les mois qui viennent promettent d'être décisifs pour l'avenir de notre agriculture. Si je ne craignais pas de faire un mauvais jeu de mots, je dirais : veillons au grain! Veillons-y d'autant plus que des évolutions pourraient intervenir très vite, parfois même avant les échéances prévues. Les récentes décisions du Conseil Agricole en matière de viande bovine l'illustrent parfaitement.
Il ne s'agit pas de jouer les Cassandres. Encore moins de noircir le tableau en préambule à la démobilisation générale. Quelques signes encourageants nous parviennent. Les études de l'OCDE ou de l'USDA, d'abord, qui - comme vous le relevez - laissent espérer une augmentation du prix mondial du blé dans les 5 à 10 années qui viennent. Ou alors le rétablissement du marché de la viande bovine, certes lent - trop lent - mais réel. Et puis si la crise nous met à rude épreuve, elle nous donne aussi l'occasion d'exprimer notre sens de la solidarité. Croyez-moi, le geste que vous avez fait à travers Unigrains pour aider la filière bovine au mois de janvier a été très apprécié.
Les conditions climatiques vécues depuis l'automne m'amènent aujourd'hui à vous lancer un nouvel appel à la solidarité. Comme Michel Bar, le Président de la FDSEA du Calvados vous l'a dit hier, je souhaiterais que vous ne broyiez pas vos pailles et que vous réserviez un bon accueil aux éleveurs qui sont réellement dans le besoin.
La vigilance à laquelle je faisais référence il y a quelques instants doit nous amener à nous mobiliser pour, comme vous le dites, appeler les Pouvoirs publics et l'opinion à plus de réalisme, de raison et de responsabilité. Dénoncer les incohérences politiques, bien sûr. Mais surtout défendre nos convictions ; à Bruxelles comme à Genève ou bientôt au Qatar. Il nous faut aussi prendre des initiatives, sur les marchés comme sur nos exploitations. Il nous faut enfin être unis et revitaliser le pacte qui, depuis plus de 50 ans, rassemble les hommes, les produits et les territoires à travers la FNSEA.
Permettez-moi, en quelques mots, de détailler ces trois grands chantiers. Vous exposer les quelques principes autour desquels je souhaite que nous nous réunissions.
Et tout d'abord, parlons un peu de politique agricole. Comme vous, je suis lucide et je vois bien que de plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer une évolution de la PAC. Puisqu'il y a débat, ne l'évitons pas. Considérons même que c'est une chance que l'agriculture soit au cur des préoccupations de nos concitoyens. Mais pour que le débat soit constructif il lui faut un minimum d'objectivité. La société réclame une meilleure prise en compte de l'environnement ? Soit. Mais mesure-t-elle l'étendue des progrès que nous avons fait dans ce domaine ? Même chose pour le débat sur la qualité. Une grande partie de l'opinion, ou de ceux qui font l'opinion, voudrait qu'on produise mieux au lieu de chercher à toujours produire plus. Je suis d'accord. Mais sait-elle que la qualité de nos produits n'a cessé de s'améliorer depuis 50 ans, si ce n'est plus? Bien sûr, il nous reste encore des efforts à faire. Mais n'oublions jamais de faire valoir ceux que nous avons déjà accomplis.
Ces réalités rappelées, je ne vois pas d'objection à engager un débat sur l'avenir de la PAC. A condition, bien sûr, de ne pas aller n'importe où n'importe comment. L'agriculture met en uvre des cycles longs, voire très longs qui excluent toute réorientation brutale. Les agriculteurs ont besoin d'un environnement économique stable. Or depuis dix ans la donne a déjà été chamboulée deux fois. Il n'est donc pas question qu'elle le soit à nouveau l'année prochaine. De plus, si réformer les OCM, cela veut dire les démanteler encore un peu plus, il ne faut pas compter sur nous.
Je dis souvent qu'il ne faut pas enfermer toutes les productions dans un schéma unique. Le modèle laitier n'est sans doute pas transposable au secteur céréalier. Et vice et versa. Chaque secteur a ses particularités et doit bénéficier d'une politique agricole adaptée. En tous cas, il y a un schéma qui ne convient à aucun secteur, c'est le modèle libéralo-libéral. Le " laissez aller, laisser faire " que les Américains ont voulu nous imposer avant de le renier avec éclat. Je crois que nous sommes d'accord sur ce point.
Le débat sur l'avenir de la PAC est certainement passionnant et essentiel. Il ne doit cependant pas nous faire oublier un autre débat, déterminant lui aussi : celui qui accompagne l'ouverture imminente d'un nouveau cycle de négociations internationales. Et là, c'est plus de fermeté dont nous avons besoin que d'esprit d'ouverture. L'Europe a respecté scrupuleusement les engagements qu'elle avait pris à Marrakech. Mais en bon élève de la classe, elle compte sur ses seuls mérites et répugne à critiquer ses petits camarades. Non ! Il ne faut pas craindre de dénoncer les abus que commettent nos concurrents. A commencer par les Etats-Unis qui, à coups d'aides exceptionnelles et de mécanismes d'aide à l'exportation plus ou moins opaques, déstabilisent les marchés internationaux. Des pratiques d'autant plus inadmissibles que nos propres soutiens à l'exportation ont été considérablement réduits et demeurent totalement transparents. A nous de rappeler ces évidences à ceux qui, bientôt, négocieront notre avenir. Rappelons leurs aussi qu'en matière de protection tarifaire les accords de Marrakech ont déjà été très loin. Le maintien des droits à l'importation à leur niveau actuel est une condition indispensable pour la survie de nos OCM. Rappelons leurs, enfin, que l'Europe a le droit de maintenir sa place sur les marchés mondiaux.
A Seattle, nous avons mené une action unitaire et exemplaire en faveur de l'agriculture française. Je souhaite qu'en novembre, à Doha, nous reformions la même équipe. Je suis sûr que vous répondrez favorablement à cet appel.
Des politiques agricoles, il en faut. Les particularités du secteur agricole exigent un engagement fort de l'Etat. Mais tout ne dépend pas de lui. Nous pouvons - nous devons - prendre des initiatives pour défendre nos intérêts, à commencer par notre revenu.
J'ai coutume de dire que le revenu doit avant tout dépendre des prix. Certes, ce principe est plus facile à mettre en oeuvre dans certains secteurs que dans d'autres. Mais il ne faut jamais oublier que chaque franc obtenu par le marché, c'est autant d'argent en moins à réclamer auprès des Pouvoirs publics. N'y voyez surtout pas une condamnation des primes compensatoires. Ces aides demeureront des compléments de revenu indispensables tant que nous resterons dans les schémas actuels au niveaux européen et mondial. Néanmoins, je crois que nous n'échapperons pas à un nouveau débat sur les soutiens agricoles.
Ce nécessaire soutien public n'exclue pas que nous prenions des initiatives pour tirer le meilleur prix de notre production. Bien au contraire. Il nous faut cultiver la diversité de nos produits, occuper chaque segment de marché, du produit standard au produit sous label en passant par le bio. Faisons jouer la complémentarité de nos systèmes de production plutôt que de les opposer. Le travail que vous avez accompli dans ce domaine mérite d'être souligné. Qu'il s'agisse de la mise au point d'une grille de classification des céréales ou de la recherche permanente de nouveaux débouchés, vous avez démontré que les céréaliers étaient déterminés à tirer le meilleur parti du marché.
Diversifier ses débouchés, valoriser sa production, c'est bien. Recueillir les dividendes de ses investissements, c'est mieux. Pour cela, il faut un minimum d'organisation : le libre jeu du marché aboutit trop souvent à une captation de la valeur ajoutée par l'aval. Il appartient aux Pouvoirs publics de corriger les excès les plus flagrants. Mais nous pouvons, nous aussi, agir pour faire respecter nos intérêts. Je crois intimement aux vertus de la concertation interprofessionnelle ; à un dialogue permanent entre clients et fournisseurs où les producteurs prennent toute leur place. Je suis donc très heureux de voir naître inter-céréales même si je ne comprends pas la décision de reporter l'examen par le CSO de cette mesure. Puisqu'une naissance est toujours le moment de formuler des voeux, je lui souhaite une longue vie et une brillante carrière au service de la promotion des céréales.
L'environnement est aussi un domaine où nous avons intérêt à prendre des initiatives. Agir plutôt que subir. L'agriculture raisonnée et les chartes de production relèvent de cette démarche. Qu'il s'agisse de mieux valoriser nos produits ou de répondre aux demandes de la société, nous avons tout à gagner à prendre les choses en main plutôt que de voir s'accumuler les contraintes réglementaires. Aux Congrès des Sables d'Olonnes, nous avons adopté à la quasi-unanimité - moins neuf abstentions - un rapport où nous prenions des engagements en faveur de l'agriculture raisonnée, de la traçabilité et de la gestion des innovations en agriculture. Ce document doit devenir un véritable programme d'action. Vous avez contribué activement à son élaboration. Je souhaite donc que nous travaillions ensemble à sa mise en uvre.
Enfin, prendre des initiatives, ce n'est pas qu'une ambition collective. Cela doit être aussi l'affaire de chacun. Vous avez raison d'insister sur l'objectif de compétitivité. Etre compétitif nécessite un environnement réglementaire, fiscal et social adéquat. Pas trop de charges en particulier. Mais cela dépend aussi de l'agriculteur, de sa capacité à faire évoluer son système de production, à maîtriser ses coûts et à profiter des dernières innovations. Il n'y a pas d'incompatibilité entre une agriculture à la fois innovante et moderne et une agriculture durable : la meilleure garantie de durabilité de l'agriculture, c'est la durabilité des agriculteurs.
Peser sur les négociations internationales et communautaires, organiser les filières et prendre des initiatives pour mieux valoriser nos produits : c'est le rôle du syndicalisme et pour l'instant nous l'avons plutôt bien rempli. Si nous avons été efficaces, c'est que nous avons su jouer l'union plutôt que la stratégie du cavalier seul. L'unité dans la diversité plutôt que la fragmentation du paysage syndical.
La force de la FNSEA, vous le savez, c'est le croisement qu'elle réalise entre les produits et les territoires. Récemment encore nous avons pu mesurer l'intérêt d'une telle organisation. Rappelez-vous " l'action fuel " et les mesures de détaxation que nous avons obtenues du gouvernement. Sans cette mobilisation, nul doute que l'année 2000 aurait été encore plus catastrophique. Sans cette action unitaire, nous n'aurions certainement pas progressé autant sur le front des bio-carburants. Rappelons-nous aussi les élections chambre d'agriculture que nous avons gagnées haut la main. Il ne faudrait pas que les perdants parviennent à nous faire croire le contraire !
Bien sûr, tout n'est pas parfait au sein de la " grande maison ". Il y a même un certain nombre de choses à revoir, à commencer par le Comité de coordination des AS qui doit redevenir un véritable lieu de concertation et d'arbitrage. C'est l'objectif de la réflexion stratégique que nous menons depuis maintenant trois ans. Ce sera également un des thèmes principaux des journées de réflexion nationale qui se tiendront à Paris les 5 et 6 juillet prochains. Journées qui doivent déboucher sur un véritable plan d'action. Je sais que vous répondrez présents à cette invitation et que vous contribuerez activement au débat. Car la FNSEA sans les AS ne serait pas la FNSEA. Sachons conjuguer produits et territoires.
Enfin, je ne voudrais pas conclure sans dire un mot de la modulation. Dès la parution du décret en mars 2000, nous avons déposé un recours en annulation devant le Conseil d'Etat. L'arrêt n'a pas encore été rendu mais il semble que les juges administratifs ont, comme nous, relevé certaines incohérences entre la modulation à la française et la législation communautaire. Un tel jugement, s'il se confirmait, serait déjà un demi succès. Il ne doit cependant pas nous détourner de notre véritable objectif : trouver une alternative à cette modulation qui crée plus d'injustice qu'elle n'en corrige. Vous avez fait des propositions dans ce sens. Nous en avons fait aussi lors de notre Congrès des Sables d'Olonnes. Il faut que le dispositif soit européen, ajustable et équitable. Affirmons ensemble - et rapidement - des propositions avant d'envoyer la balle dans le camp du ministre.
Chers amis;
Puisque dans deux mois s'ouvrira, ici-même, le 27ème festival du cinéma américain, je vous propose de leurs laisser quelques idées pour leurs prochains films. Nous pourrions, par exemple, leur suggérer de tourner la suite de ce film que vous connaissez tous "Le bon, la brute et le truand " avec, comme principaux acteurs, l'Union européenne, le Groupe de Cairns et les Etats-Unis. Je vous laisse le soin de répartir les rôles ! Ou alors, dans le genre science fiction, une super production - subventionnée, cela va sans dire - intitulée " A la rencontre de l'agriculture du 3ème type ".
Nous pourrions alors jouer les critiques de cinémas. Et je vous assure que la critique serait facile !
Peut-être ainsi nos concitoyens comprendraient-ils que, comme la culture, l'agriculture n'est pas un secteur comme les autres. Que, pour s'épanouir, le modèle agricole européen à besoin d'être protégé et qu'il faut, plus que jamais, des politiques agricoles dignes de ce nom.
C'est ma conviction. Je suis sûr que c'est aussi la votre.
Je vous remercie.
(Source http://www.fnsea.fr, le 4 décembre 2001)