Déclaration de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur les prix agricoles, les aides à l'agriculture et le contingentement de la production agricole, Annecy le 14 juin 2001.

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Circonstance : Congrès du CNJA à Annecy le 14 juin 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
La dernière fois que j'étais à la tribune d'un Congrès du CNJA, c'était il y a 15 ans ; à Montauban. Plein de fougue et d'audace, je quittais alors mes fonctions de secrétaire général. Vous comprendrez donc que ce moment - aujourd'hui - a quelque chose de particulier pour moi.
Mais rassurez-vous : si quelques années ont passé, je reste en pleine forme. Je crois avoir gardé une certaine jeunesse d'esprit, pas mal de vigueur et beaucoup de dynamisme. En tout cas, mon enthousiasme syndical est intact. Et il en faut pour succéder à Luc, tant il a donné à notre syndicalisme.
Venons-en à votre Congrès.
Je vous ai écoutés. Je vous ai lus. Et vous me direz si je vous ai compris. Pour prendre une de vos expressions, je dirais que nous sommes sur la même longueur d'onde. Comme vous, je crois profondément à la politique des prix. Une politique qui repose sur une baisse systématique des prix, compensée par des aides directes, n'est pas - et ne peut pas être - une bonne politique. Elle finit par nous anesthésier et nous déconnecter des réalités. Tout ce que nous pouvons obtenir par les prix, c'est autant d'aides et donc de raisons de nous justifier en moins.
Aussi, quand vous nous proposez de bâtir un système qui permettrait à chaque pays d'assurer sa sécurité alimentaire, un système où les prix permettraient à chaque agriculteur de vivre décemment de son travail, je ne peux que dire oui.
Pour les pays en voie de développement, il n'y a certainement pas d'autre politique agricole possible. Et pourtant ils ont bien besoin de politique agricole tant sont grands leurs besoins alimentaires. Besoins que nous ne pourrons pas satisfaire. Je dirais même que nous ne devons pas avoir pour ambition de les satisfaire : chaque pays, chaque région du monde, a le droit d'assurer sa propre sécurité alimentaire. Bien entendu, il ne faut pas non plus se faire trop d'illusions, ni susciter de faux espoirs : créer une Union douanière et des mécanismes communs de gestion des marchés, c'est difficile. C'est encore plus difficile quand les pays qui veulent s'unir sont pauvres. Mais nous ne devons pas priver les pays du Tiers Monde de cette possibilité et même les aider s'ils souhaitent s'engager dans cette voie.
Chez nous, la problématique n'est pas la même : Dieu merci, nous n'avons plus de famine à craindre. Mais nous avons d'autres problèmes. La baisse de nos revenus, d'abord. 3 % de moins en 2000 encore et une fois de plus les agriculteurs sont exclus de la croissance. La disparition d'un nombre sans cesse croissant d'agriculteurs, ensuite. Tout cela, pourquoi ? Parce que les prix agricoles sont systématiquement tirés vers le bas. Vous avez raison de dire que lorsque les prix baissent, c'est notre métier qui se dévalue. Oui ! Un agriculteur doit avant tout vivre du marché et de la vente de ses produits. C'est une question d'éthique professionnelle. Et l'éthique, nos valeurs, c'est - après notre revenu - ce qui nous fait vivre. Qui nous rend fiers d'exercer le métier d'agriculteur.
Car de la fierté, nous en avons bien besoin actuellement. Doit-on s'en étonner quand on voit l'image que les médias donnent de notre profession ? Une image qui, malheureusement, s'enracine peu à peu dans l'opinion publique. En tant que président de la FNSEA, je ne peux pas accepter cela. Nous devons combler le fossé qui s'est creusé entre la réalité de l'agriculture et la perception qu'en a l'opinion. Et si pour cela il nous faut ouvrir nos exploitations, n'ayons pas peur de le faire. Montrons nos pratiques, en élevage comme en grandes cultures. Nous n'avons rien à cacher. Nous avons même toutes les raisons d'être fiers des progrès que nous avons accomplis. Fiers, de la diversité et de la richesse de nos productions. Fiers de notre action en faveur de l'environnement, même si des progrès restent encore à faire.
La confiance passe par la transparence. Montrons que nous sommes résolument engagés dans cette agriculture raisonnée, comme nous l'avons décidé au Congrès des Sables d'Olonnes.
Bien sûr vous trouverez des gens pour critiquer votre rapport. Mais il y a une chose qu'il démontre et qui ne souffre aucune discussion, c'est l'importance de la protection tarifaire. On ne peut espérer développer un modèle agricole original si les frontières laissent passer n'importe quel produit à n'importe quel prix. Surtout si ces produits ne respectent pas les cahiers des charges que nous nous imposons. Je l'ai dit dès mon arrivée à la tête de la FNSEA : l'alignement systématique sur le moins disant mondial ne peut tenir lieu de politique agricole. Les accords de Marrakech ont déjà été très loin dans ce domaine : 36 % de baisse des tarifs douaniers, c'est considérable ! Un pas de plus dans cette direction et je ne donne pas cher de nos campagnes.
Nous sommes donc d'accord sur l'essentiel. Je me pose cependant un certain nombre de questions.
Tout d'abord : quelle chance avons-nous de renverser la vapeur dans un monde entièrement dominé par le credo libéral ? Je sais ce que vous allez me dire : si les pays européens et les PVD s'unissent, ils pourront faire plier les chantres du libéralisme. Mais comment faire pour que nos partenaires européens nous suivent sur cette voie ? Rappelez-vous les négociations Agenda 2000 et notre difficulté à préserver les quotas laitiers face aux attaques du Groupe de Londres.
Autre question, sur un tout autre registre : une telle politique - et notamment le contingentement généralisé de la production - ne risque-t-elle pas de nous conduire vers une agriculture ultra-administrée, repliée sur elle-même et - une fois l'autosuffisance atteinte - privée de tout dynamisme ?
Je suis sûr que vous avez d'excellentes réponses à toutes ces questions. Nous aurons certainement l'occasion d'en reparler.
Laissez-moi maintenant vous donner ma vision des choses. Les quelques principes de bon sens autour desquels je souhaite que nous nous réunissions.
Le premier, et j'y tiens beaucoup, c'est qu'il ne faut pas enfermer toutes les productions dans un schéma unique. Le modèle laitier, malgré tous ses mérites, n'est pas reproductible partout. Pas plus que le modèle céréalier ou betteravier. Chaque secteur a ses particularités et doit bénéficier d'une politique agricole adaptée. J'allais dire " sur mesure ".
S'il n'y a pas de schéma universel, il y a, je crois, des principes qui sont valables pour toutes les productions. Il y en a deux auxquels je suis particulièrement attaché. Ils sont d'ailleurs indissociables. Le premier, c'est la maîtrise de la production. Et là, il n'y a pas de mystère, il faut des Organisations Communes de Marché dignes de ce nom. Le second, c'est l'organisation des filières dont l'accord interprofessionnel est l'un des instruments privilégiés. Une interprofession où les producteurs prennent toute leur place est une condition nécessaire pour un partage équitable de la valeur ajoutée.
Quant aux aides, je crois, comme vous, que ce sont des instruments de politique agricole tout à fait pertinent, notamment pour compenser des handicaps naturels ou rémunérer les services rendus à la société. Les aides, en tant que compensations économiques, resteront indispensables tant que les prix ne seront pas rémunérateurs.
La place à accorder aux aides directes, le niveau de la protection tarifaire ou le degré de maîtrise de la production : ces sujets sont au cur du débat. Ils ne doivent cependant pas occulter tous les autres. A commencer par la politique de la qualité qui doit nous permettre de répondre encore mieux à la demande des consommateurs. Nous mettons d'ores et déjà sur le marché une gamme très riche de produits ; des produits standards aux produits bio en passant par les productions sous labels et sous AOC. Continuons sur cette voie là. Intensifions nos efforts pour mieux répondre à l'évolution de la demande et élever notre niveau global de qualité en garantissant toujours une sécurité sanitaire absolue.
Dernier principe auquel je crois profondément : c'est la nécessité de réguler le commerce international, sans oublier que l'exportation joue un rôle important pour notre agriculture et nos industries agro-alimentaires. Pour que l'Europe et les autres régions du Monde puissent faire vivre leur modèle agricole, il faut maîtriser la mondialisation. C'est comme au foot. Vous savez que je suis un mordu du ballon rond. Eh bien, pour pouvoir jouer, il faut des règles et un arbitre. Le commerce mondial des produits agricoles, c'est pareil. Les règles, c'est l'accord de Marrakech et celles qui sortiront du prochain cycle de négociation international. L'arbitre, c'est l'organisation mondiale du commerce. Moi, je ne suis pas de ceux qui crient " à mort l'arbitre ! ". L'OMC, on peut la critiquer et elle doit certainement évoluer sur un certain nombre de points. Mais elle a le mérite d'être là. Sans elle, les choses seraient encore pires.
Voilà tracées en quelques grandes lignes, ma vision des choses en matière de politique agricole. Comme vous le voyez, nos objectifs ne sont pas si éloignés. Reste à nous mettre d'accord sur le chemin à emprunter. Ensemble, cela va sans dire.
Et là, d'après ce que j'ai lu et entendu de votre stratégie à court et moyen termes, je crois que nous sommes plutôt en phase.
Nouer des alliances avec le reste de la société ? Bien sûr ! Avec les consommateurs, les syndicats de salariés, les ONG, les partis politiques ? Evidemment ! D'ailleurs, nous pourrions le faire ensemble. Nous gagnerons en efficacité.
S'opposer à toute nouvelle baisse de prix lors de la révision à mi-parcours de l'agenda 2000 ? Assurément ! Je ne veux pas d'une réforme de la PAC au rabais et dans la précipitation l'année prochaine. Surtout s'il ne s'agit que d'une réforme dont l'objectif serait uniquement budgétaire. Commençons par tirer parti de toutes les possibilités qu'offre Agenda 2000 et gardons-nous d'ouvrir la boîte de Pandore du budget européen.
Peser sur les négociations internationales ? Bien entendu ! Je souhaite d'ailleurs qu'à l'occasion de la conférence ministérielle qui se tiendra en novembre à Doha nous nous mobilisions, tous ensembles, comme nous l'avons fait à Seattle. Nous devons occuper le terrain, fut-il désertique, pour défendre nos convictions auprès de ceux qui négocient notre avenir. C'est plus efficace que le spectacle de rue ou le démontage de Mac Do !
Que de combats en perspective, mes amis ! Pour les gagner, il nous faudra être forts, convaincants, déterminés. Il nous faudra aussi être unis. Comme par le passé. Les dernières élections aux chambres d'agriculture sont là pour nous le rappeler. Notre unité a anéanti les espoirs de ceux qui voulaient broyer du Guyau ou de la FNSEA.
Au cours de votre huis-clos, vous avez abordé la question des relations avec la FNSEA. J'espère que Jean-Luc m'en fera un petit compte-rendu personnel. Vous savez que depuis quelques temps on entend dire, ça et là, qu'il est temps de régler les choses de façon radicale. Qu'on ne peut plus se payer le luxe d'avoir deux organisations et que les Jeunes Agriculteurs doivent réintégrer le giron aîné. Devenir la section jeune de la FNSEA.
Je le dis tout net au cas où il y aurait encore une ambiguïté : ce n'est pas ma façon de voir les choses. Je n'ai pas oublié les principes que j'avais lorsque j'étais moi-même au CNJA.
Dans les temps difficiles que nous traversons actuellement, nous avons plus que jamais besoin du CNJA. D'un CNJA qui doit rester l'école de formation à la responsabilité et au syndicalisme. D'un CNJA imaginatif qui nous bouscule, qui nous oblige à sortir de notre routine intellectuelle. "Quand la jeunesse se refroidit, disait Bernanos, c'est le monde entier qui se met à claquer des dents".
Bien sûr nous devons faire jouer les synergies entre nos deux organisations, peut-être même mettre en commun certaines activités pour réduire nos charges. Mais nous devons le faire dans le respect de nos identités respectives.
Après ce Congrès, après ce rapport " décapant ", je suis plus confiant que jamais dans vos capacités à jouer pleinement votre rôle d'aiguillon du syndicalisme agricole.
A nous maintenant de vous démontrer que les aînés peuvent bouger. Rendez-vous les 5 et 6 juillet, à Paris, pour les journées nationales de réflexion sur la rénovation du syndicalisme FNSEA. Journées qui déboucheront sur un véritable plan d'action. Je m'y engage.
Enfin, je ne voudrais pas terminer sans parler de la crise qui frappe notre élevage. Car elle n'est pas terminée, loin de là. Et ce ne sont pas les chiffres biaisés de la Commission des comptes de l'agriculture - pour qui, tenez-vous bien, le revenu des éleveurs bovins a progressé de 14 % en l'an 2000 ! - Ce ne sont pas ces chiffres qui vont mettre du baume au cur à nos éleveurs. Cela risque plutôt de les irriter. Face à un tel séisme, je trouve infiniment regrettable que l'administration ait refusé de prendre en compte les pertes réelles. Les calculs forfaitaires vont induire des distorsions dans les compensations. Des distorsions entre éleveurs dans même département et des distorsions entre départements. C'est inéluctable et c'est inéquitable.
Cette crise nous met tous à l'épreuve. Mais il y en a pour qui les circonstances actuelles sont encore plus dures : ceux à qui on a annoncé un jour que l'ESB avait été détectée chez une de leurs bêtes. La suite, vous la connaissez : c'est l'abattage total avec tout le désarroi et les difficultés que cela implique. Face à un tel drame, les Pouvoirs publics doivent pleinement assumer leur responsabilité. Les nouvelles règles d'indemnisation arrêtées le 30 mars ne sont pas acceptables et doivent être revues.
Même chose pour la fièvre aphteuse. La crise a été plutôt bien gérée mais l'administration refuse d'assumer les conséquences économiques de ses décisions. Il faudra que cela change et que le gouvernement tienne ses engagements ! Il faudra aussi qu'au plus vite l'AFSSA et le Gouvernement clarifient leur position sur l'abattage sélectif. L'abattage total, nous l'avons soutenu car c'était le seul moyen de préserver la confiance du consommateur. Et Dieu sait si ce n'était pas facile. Depuis le début de l'année il y a une nouvelle donne puisque tous les animaux de plus de 30 mois sont testés. Si de nouvelles données scientifiques permettent d'éviter l'abattage total, il faudra en prendre acte. Et vite !
La situation dramatique que vivent nos éleveurs ne m'empêche pas de me soucier des autres secteurs. Loin de là. Je suis particulièrement inquiet pour les oléagineux qui n'en finissent pas de subir les conséquences des désastreux accords de Berlin. Pour leur épargner un nouveau coup en 2002, j'ai demandé au Ministre, en accord avec la FOP, de tout mettre en uvre pour prolonger d'un an la période transitoire bénéficiant au plan oléagineux français.
Mesdames, Messieurs, mes chers amis,
Mon quota de temps étant épuisé, je vais m'arrêter là. Je ne voudrais pas subir de pénalité lors de votre prochain congrès.
Laissez-moi quand même vous dire que l'engagement syndical, ce n'est pas une affaire de génération. Vous pourrez donc compter sur moi pour défendre, à vos côtés, l'avenir des jeunes agriculteurs. Je sais aussi que vous répondrez présents pour mener les combats qui nous attendent.
Je vous remercie.
(source http://www.cnja.com, le 24 septembre 2001)