Interview de M. Bruno Lemaire, ministre de l'économie et des finances, avec France Inter le 7 février 2018, sur les taux d'intérêt, les inondations et la neige et sur la politique du gouvernement en faveur du pouvoir d'achat des Français.

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Média : France Inter

Texte intégral


NICOLAS DEMORAND
Jusqu'à 9h l'invité de France Inter est le ministre de l'Economie et des Finances, bonjour Bruno Le MAIRE....
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Nicolas DEMORAND.
NICOLAS DEMORAND
En une semaine la Bourse de Tokyo Bruno Le MAIRE a perdu 8,55 %, Wall Street 8,26, le Dax allemand 7,10 points, le CAC 40 6,64, des mouvements aussi violents on ne les avait pas vus depuis des années, est-ce excessif de parler de krach Bruno Le MAIRE ? Etes-vous inquiet ?
BRUNO LE MAIRE
Oui c'est excessif et je ne suis pas inquiet, c'est une correction qui était attendue et c'est une correction qui était nécessaire, qu'il est bon que la réalité à un moment donné reprenne ses droits et qu'il n'y ait pas un écart trop important entre la valorisation boursière des actifs et la réalité de la valeur de ces actifs, c'est cette correction que nous voyons aujourd'hui. En revanche ça ne veut pas dire qu'il faut rester les bras croisés ! Quelles conséquences est-ce qu'il faut en tirer et quelle conséquence nous en avons tirée depuis plusieurs mois, parce que cette correction était anticipée ? La première, c'est de maintenir une régulation financière ferme, quand j'ai proposé il y a quelques semaines la régulation du bitcoin on m'a dit : « mais c'est totalement inutile, c'est formidable bitcoin », sauf qu'il est passé de 20.000 dollars en quelques jours à 6.500 dollars, ça peut vouloir dire la ruine des épargnants qui ont investi sur le bitcoin, il faut réguler le système financier, réguler le bitcoin et nous le ferons à l'occasion du prochain des G20 ; la deuxième conclusion qu'il faut en tirer c'est qu'il faut poursuivre la transformation économique de la France pour avoir une croissance robuste, solide, qui crée des emplois, c'est ce que nous avons commencé à faire, c'est ce que nous continuerons à faire notamment avec le projet de loi sur la croissance et la transformation des entreprises ; et puis la troisième conséquence, qui me paraît peut-être la plus importante, c'est que nous savons qu'avec ce retour de la croissance nous aurons des politiques monétaires moins accommodantes, notamment de la part de la Banque centrale européenne, les taux d'intérêts vont remonter nous le savons, nous l'avons anticipé - nous avons prévu des taux d'intérêt qui seraient autour de 1,85 % pour les taux sur 10 ans contre 1,1 % en 2017, c'est deux milliards d'euros en plus de charge de la dette pour la France - nous avons anticipé notre trajectoire budgétaire, cette augmentation des taux. Mais la vraie conséquence qu'il faut en tirer c'est qu'il faut réduire la dette, nous devons nous débarrasser de cette dette qui est un poison pour l'économie française, un poison pour l'argent des Français, parce que l'argent dont je vous parle - ces charges de la dette qui augmentent - c'est l'argent des Français, je vais vous dire mon sentiment profond c'est de l'argent jeté par les fenêtres, il faut réduire la dette.
NICOLAS DEMORAND
Encore un mot, le prix de l'argent si j'ose dire qui remonte c'est l'une des causes de ce qui a ressemblé à une panique à Wall Street, là vous venez de dire voilà que vous aviez anticipé cette hausse des taux d'intérêt...
BRUNO LE MAIRE
Bien sûr, certaines anticipations sont...
NICOLAS DEMORAND
Est-ce que ça ne va pas entretenir la machine ?
BRUNO LE MAIRE
Non, non, parce que je crois qu'il est bon une fois encore que la réalité reprenne ses droits, l'argent ce n'est pas gratuit, les actifs ils ont une certaine valeur, je pense qu'il faut garder les pieds sur terre, c'est comme ça que on maîtrise bien son avenir économique, qu'on maîtrise bien sa croissance. Oui les taux d'intérêts vont remonter, quand je vous dis que nous l'avons anticipée ça figure d'une manière chiffrée dans le projet de loi de finances et dans notre trajectoire budgétaire, mais réduire la dette c'est une priorité absolue, ça passe par la réduction des déficits - donc de la dépense publique - et le Premier ministre a indiqué très clairement à l'ensemble des ministres que les lettres plafonds, c'est-à-dire les budgets dont ils allaient disposer, c'était un plafond, c'était un maximum et si on peut faire moins ce sera mieux et, en deuxième lieu, réduire la dette c'est relancer la croissance et développer l'activité, c'est de permettre à nos entreprises de se porter mieux, c'est tout l'objet du projet de loi que je présenterai.
NICOLAS DEMORAND
Donc, pas de krach en tout cas à prévoir à la bourse ?
BRUNO LE MAIRE
Non, pas d'inquiétude à avoir, mais le sens des réalités et le sens des responsabilités.
NICOLAS DEMORAND
Venons-en à quelques sujets qui paralysent la France aujourd'hui, les inondations et la neige, sale temps pour beaucoup de nos concitoyens. Sur le front des inondations quand sera déclaré l'état de catastrophe naturelle, c'est imminent, c'est prévu, vous avez une date ?
BRUNO LE MAIRE
C'est imminent, mais ça dépend évidemment de la décrue, des dégâts qui pourront être constatés et des demandes qui seront faites par les maires. Moi je me suis rendu lundi en Seine-Maritime avec Sébastien LECORNU, le secrétaire d'Etat chargé de cette question-là, j'ai vu à quel point la vie pour tous les habitants qui sont touchés par les inondations c'est un calvaire, c'est du froid, c'est pas d'électricité, c'est de l'inquiétude pour les personnes âgées, pour les enfants, c'est des transports qui sont impossibles, donc je redis à tous les assureurs que je reverrai en fin de semaine : « faites vite, faites bien et faites simple, rajoutez pas des tracas à des gens qui ont déjà vécu depuis plusieurs semaines des situations qui sont horriblement difficiles.
NICOLAS DEMORAND
On a déjà la facture de ces inondations ?
BRUNO LE MAIRE
Pas encore, pour le moment nous avons une évaluation...
NICOLAS DEMORAND
La fourchette d'estimation ?
BRUNO LE MAIRE
Plutôt inférieure aux dernières inondations de 2016, mais je reste prudent, nous verrons après la décrue.
NICOLAS DEMORAND
C'est-à-dire, on est à combien environ ?
BRUNO LE MAIRE
Je ne peux pas vous donner de chiffre, parce que je ferai une erreur et je ne veux pas créer des attentes excessives ou des inquiétudes excessives chez vos auditeurs.
NICOLAS DEMORAND
Un mot sur la neige, on s'étonne toujours que quelques centimètres de neige sème une telle pagaille en France, à Paris également. Vous y pouvez quelque chose au gouvernement...
BRUNO LE MAIRE
A la neige, non.
NICOLAS DEMORAND
A la neige, non.
BRUNO LE MAIRE
A la neige, non.
NICOLAS DEMORAND
Et au fait de projeter du sel sur les routes l'avez- vous fait en assez grande quantité, Monsieur le Ministre ?
BRUNO LE MAIRE
Sur les routes ce n'est pas quelques centimètres, je le rappelle c'est 20 centimètres, je ne vous cache pas que je ne jette pas du sable et du sel tous les matins sur la neige répandue en France, on peut...
NICOLAS DEMORAND
Mais le ministre en charge du sel et du sable l'a-t-il fait assez ?
BRUNO LE MAIRE
On peut toujours faire mieux. On peut toujours faire mieux en termes de prévention, en termes d'alerte, je pense qu'on s'améliore à chaque fois, je considère que tout cela était totalement imprévu - c'est-à-dire les 20 centimètres de neige - voilà personne n'avait anticipé que ce serait aussi important, aujourd'hui toutes les mesures sont prises sur le déneigement, sur le salage ; et surtout ce qui me paraît peut-être le plus important pour ceux qui sont sans abris, qui sont confrontés au froid, qui doivent dormir dehors, 10.000 places supplémentaires ont été créées cette année, 1.000 places supplémentaires immédiates pour cette semaine, ça cela me paraît une priorité absolue.
NICOLAS DEMORAND
Vous ne cessez de répéter Bruno Le MAIRE que les Français peuvent concrètement voir sur leur feuille de paie un gain net de pouvoir d'achat lié à la qualité des réformes que vous avez menées, mais au standard de France Inter - qui est un indicateur comme un autre - dès qu'un membre...
BRUNO LE MAIRE
Un bon indicateur !
NICOLAS DEMORAND
Oui, un très bon indicateur. Dès qu'un membre du gouvernement est notre invité - vous allez pouvoir le constater par vous-même dans une vingtaine de minutes - les auditeurs disent le contraire : « le pouvoir d'achat ne monte pas, il baisse », alors qui ment ? Est-ce les auditeurs de France Inter ?
BRUNO LE MAIRE
Non, personne ne ment en la matière. Mais moi je voudrais juste rappeler la cohérence de la politique que menons et le cap qui est fixé, parce que je vois effectivement beaucoup d'impatience – ce que je peux parfaitement comprendre - mais pour répondre à ces impatiences je pense que la meilleure réponse est de rappeler le cap du gouvernement : le cap c'est la relance de notre économie pour avoir des entreprises qui créent des emplois et des Français qui vivent bien de leur travail, moi c'est pour ça que je me bats, que les Français vivent bien de leur travail. Quand on supprime les charges sociales sur l'assurance maladie et l'assurance chômage, c'est pour qu'à la fin du mois les gens se disent : « ça rapporte plus de travailler », quand nous augmentons...
NICOLAS DEMORAND
Mais à la fin du mois ou à la fin de l'année ?
BRUNO LE MAIRE
A la fin du mois, parce qu'on commence dès début 2018, mais ça ne prendra effet de manière pleine et entière qu'effectivement qu'à la fin de l'année 2018, c'est pour ça qu'il y a des impatiences, mais je vais y revenir sur ce caractère progressif...
NICOLAS DEMORAND
Attendez, Français attendez, c'est ça ?
BRUNO LE MAIRE
Je dis Français nous savons où nous allons, nous voulons une croissance qui crée des emplois et du travail qui paye, c'est pour ça que le président la République a été élu, c'est ça la cohérence de notre politique. Il serait beaucoup plus facile, Nicolas DEMORAND, de redistribuer tout de suite - comme certains nous le disent et comme on le fait depuis 30 ans - en disant : « ça y est la croissance est de retour, 1,9 % formidable, c'est Byzance » et on distribue et on distribue et on distribue, ce serait...
NICOLAS DEMORAND
Vous l'avez fait pour les plus riches, Bruno Le MAIRE, quand même ?
BRUNO LE MAIRE
Nous n'avons pas redistribué aux plus riches, nous avons permis à notre économie...
NICOLAS DEMORAND
Mais enfin l'ISF ça se voit tout de suite en janvier, pour les autres il faudra attendre la fin de l'année.
BRUNO LE MAIRE
Mais, Nicolas DEMORAND, nous l'avons fait pour que notre économie se finance mieux, que nos entreprises grandissent, qu'elles créent des emplois et que les gens puissent vivre de leur travail. Exonération de charges sociales, augmentation de la prime d'activité, demain exonération de charges sur les heures supplémentaires, c'est toujours la même philosophie : le travail doit payer, et ceux qui travaillent en France doivent se dire qu'ils peuvent vivre correctement de leur travail. Alors oui nous le faisons de façon progressive c'est vrai et c'est peut-être ce qui n'est pas le mieux compris aujourd'hui, parce que si nous avions tout fait tout de suite ça aurait creusé nos déficits et creusé la dette, or je l'ai dit précédemment il faut réduire nos déficits et réduire la dette française.
NICOLAS DEMORAND
Pourquoi votre discours n'imprime pas, pourquoi le standard – vous allez le voir tout à l'heure - ne vous croit pas ?
BRUNO LE MAIRE
Parce que c'est long et parce que c'est difficile, et que je n'ai jamais pensé un instant que ça viendrait en un claquement de doigt et que ce serait facile, et que notre objectif justement c'est d'aller au fond des problèmes français. C'est quoi les problèmes économiques français ? Nos entreprises sont trop petites, elles n'exportent pas assez, elles n'innovent pas assez, elles ne créent pas assez d'emplois, nous allons y remédier. C'est quoi le problème français ? C'est que nous n'avons pas les formations et qualifications dont nos entreprises ont besoin, il y a de la croissance, des entreprises cherchent des emplois et elles ne trouvent pas les gens dont elles ont besoin. J'étais à Metz lundi, j'ai rencontré une grande concession automobile, son directeur me dis : « je cherche 45 emplois, je cherche des carrossiers, je cherche des peintres, je cherche des soudeurs, j'en ai trouvé aucun », eh bien c'est à ces problèmes-là qu'il faut répondre, ils sont absolument prioritaire, et c'est d'ici deux ans que les Français verront qu'effectivement cette politique - qui va au fond des problèmes - peut effectivement permettre aux Français d'être mieux formés, mieux qualifiés, de trouver un emploi, permettront à ceux qui travaillent de vivre mieux de leur travail et permettront de faire baisser le chômage qui est le problème principal de la France. C'est une politique de long terme.
NICOLAS DEMORAND
Bruno Le MAIRE, le Premier ministre l'a annoncé hier sur Facebook, il pourrait y avoir désocialisation des heures supplémentaires - le terme est tout de même étrange...
BRUNO LE MAIRE
Ça veut dire exonération de charges sociales.
NICOLAS DEMORAND
Voilà ! Exactement. C'est pour quand ?
BRUNO LE MAIRE
Il a parlé de 2020, le plus tôt sera le mieux, si ça peut être fait en 2020 nous le ferons en 2020, ça dépendra de la situation des finances publiques. La situation des finances publiques, vous l'avez compris, c'est quelque chose qui n'est pas négociable parce qu'on a trop joué avec dans le passé et que lorsque les taux d'intérêt remontent creuser la dette c'est jeter de l'argent par les fenêtres, lorsqu'il y a un point de taux d'intérêt en plus qu'on prenne bien conscience de ce que ça représente, c'est trois milliards d'euros de dépenses supplémentaires, c'est l'équivalent de ce qu'on dépense sur la baisse de la taxe d'habitation 2018. Moi je n'aime pas jeter l'argent par les fenêtres et je pense que mon rôle de ministre des Finances c'est de faire en sorte que les comptes publics de la Nation soient bien tenus, qu'on ne jette pas l'argent du contribuable par les fenêtres.
NICOLAS DEMORAND
Donc là c'est hypothétique si on vous entend bien, c'est hypothétique ?
BRUNO LE MAIRE
Dès que ce sera possible, si la situation des comptes publics est bien redressée en 2020 et si on a des recettes supplémentaires qui nous permettent de baisser l'endettement de la France nous le ferons dès 2020, mais si jamais il y a un accident de croissance, que les comptes publics finalement ne se redressent pas au rythme attendu, qu'il faut attendre une année de plus, nous attendrons une année de plus. Il faut être responsable, c'est comme ça que nous aurons des résultats solides pour les Français.
NICOLAS DEMORAND
Beaucoup de questions encore à vous poser Bruno Le MAIRE, en plus de celles des auditeurs de France Inter, on vous retrouve juste après la revue de presse de Claude ASKOLOVITCH.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 février 2018