Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé à France 2 le 30 janvier 2018, sur la situation des EHPAD et notamment la colère des personnels.

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Média : France 2

Texte intégral


CAROLINE ROUX
Bonjour Agnès BUZYN.
AGNES BUZYN
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Alors, jamais il n'y a eu une telle unité pour porter la colère des personnels des maisons de retraite médicalisées. Pourquoi en est-on arrivé là ?
AGNES BUZYN
Parce que, d'abord, les personnes âgées qui arrivent en EHPAD sont de plus en plus dépendantes par rapport au modèle des EHPAD d'il y a quelques années, parce qu'on a réussi à maintenir à domicile beaucoup plus longtemps les personnes âgées, et de fait, les besoins en personnels ont augmenté, sans que forcément, les financements ne suivent derrière. Donc on arrive face à une situation où les personnes âgées sont dépendantes, sont malades, et on a besoin de plus de personnels.
CAROLINE ROUX
Et on a besoin de plus de moyens, voilà ce que vous répondent les gens qui travaillent dans ces EHPAD. 50 millions d'euros que vous avez annoncés, ça n'a pas fait baisser la colère dans les EHPAD. Qu'est-ce que vous leur dites ce matin ?
AGNES BUZYN
Alors, en fait, beaucoup plus d'argent est prévu, donc ça a été tout à fait anticipé, ces besoins ont été anticipés, et donc le budget pour 2018, l'Etat finance la partie médicale, la partie soins de l'EHPAD, l'Etat ne finance pas la dépendance, c'est à la charge des départements. Mais sur la partie médicale, l'Etat a prévu 100 millions d'euros supplémentaires, 72 millions d'euros pour des postes de soignants, 10 millions d'euros pour des postes d'infirmières de nuit, 28 millions d'euros pour accompagner les EHPAD en difficulté, et j'ai rajouté 50 millions d'euros fléchés. Donc le budget 2018, qui a été voté en décembre…
CAROLINE ROUX
Vous n'irez pas au-delà, c'est ça qu'on comprend ce matin ?
AGNES BUZYN
Mais c'est déjà énormément d'argent, et donc le budget des EHPAD, est le budget qui va le plus augmenter dans tout le budget de la Sécurité sociale cette année. C'est ce qui a été voté par le Parlement en décembre, et évidemment, les budgets arrivent en 2018, nous sommes en janvier.
CAROLINE ROUX
Donc ça veut dire que cette colère, elle n'est plus justifiée ?
AGNES BUZYN
Non, elle est justifiée, je comprends l'épuisement des personnels, et d'ailleurs, nous avons en septembre mis en place un groupe de travail sur la qualité de vie au travail dans les EHPAD et sur les carrières, et j'attends le rapport qui va être fait par l'ensemble des parties prenantes sur cette question de la qualité de vie. Donc depuis le mois de septembre, l'ensemble des responsables dans les EHPAD travaille sur la qualité de vie, et va me fournir en fait des recommandations.
CAROLINE ROUX
Vous les entendez, ces témoignages depuis quelques jours, c'est un milieu que vous connaissez par coeur, et parfois, on les découvre. Alors, par exemple, il y a des aides-soignantes qui racontent que le temps consacré au lavage, à l'habillage, à la mise en fauteuil est passé en quelques années de 40 à 10 minutes ; on ne peut pas bien faire son travail dans ces conditions-là. Que peut répondre la ministre de la Santé à des témoignages comme ceux-ci ?
AGNES BUZYN
Alors, en fait, ça fait écho au fait que ces personnes sont de plus en plus dépendantes, et donc ça pose la question…
CAROLINE ROUX
Et les personnels, de moins en moins nombreux.
AGNES BUZYN
Non, le personnel est resté stable, voire en augmentation, l'objectif, c'est qu'il augmente régulièrement dans les EHPAD, pour accompagner les personnes de plus en plus âgées, donc il n'a pas diminué, mais les personnes sont devenues beaucoup plus dépendantes qu'avant. Avant, on arrivait en EHPAD comme dans une maison de retraite, ça n'est plus le cas aujourd'hui, et clairement, nous avons besoin de travailler sur le financement de la dépendance, qui va augmenter dans les vingt ans qui viennent.
CAROLINE ROUX
Pascal CHAMPVERT dit ce matin : « le gouvernement n'a pas pris la mesure de la situation. »
AGNES BUZYN
Au contraire, on l'a complètement anticipée, et le budget de la Sécurité sociale voté en décembre tient compte de ces besoins en augmentation.
CAROLINE ROUX
Quelle est la priorité de la ministre sur la gestion de ce dossier-là, c'est de faire baisser la pression au plus vite… ?
AGNES BUZYN
Non, c'est d'expliquer.
CAROLINE ROUX
D'expliquer quoi ?
AGNES BUZYN
D'expliquer, d'abord, que le budget est en augmentation, mais que le temps de mise en oeuvre d'un budget, qui vise à créer des postes, et par rapport à l'urgence et aux besoins, il y a évidemment un décalage ressenti par les personnels, et puis, travailler sur la dépendance qui est à la charge des départements, et qui est aujourd'hui aussi une des problématiques du financement des EHPAD…
CAROLINE ROUX
Ça veut dire qu'il faut mettre la pression sur les départements ?
AGNES BUZYN
Non, je pense qu'il faut travailler avec l'ensemble des acteurs pour réfléchir au modèle de financement de la dépendance de demain, et j'ai d'ailleurs demandé deux rapports au mois de septembre, pour nous orienter, car nous allons passer de 1,5 million de personnes de plus de 85 ans à 5 millions de personnes âgées de plus de 85 ans en 2050, et nous n'avons pas aujourd'hui réfléchi à la façon dont nous allons accompagner ces 5 millions de personnes.
CAROLINE ROUX
Vous connaissez le « hashtag balance ton hosto » ?
AGNES BUZYN
Oui.
CAROLINE ROUX
Vous allez voir de temps en temps les témoignages ?
AGNES BUZYN
On me les rapporte, et je ne suis pas…
CAROLINE ROUX
Vous avez honte parfois de ce que vous lisez ?
AGNES BUZYN
Vous savez, j'ai travaillé 25 ans dans les hôpitaux, je connais certaines photos, elles me parlent, donc je n'apprends rien…
CAROLINE ROUX
Et ? Sauf qu'aujourd'hui, vous êtes ministre.
AGNES BUZYN
Oui, eh bien, je pense qu'il y a un plan d'action à avoir pour l'hôpital, et je le présenterai d'ailleurs normalement au mois de février, nous travaillons dessus…
CAROLINE ROUX
Le problème, c'est quand on regarde les chiffres, on se dit : elle ne va pas pouvoir annoncer de bonnes nouvelles au mois de février, la ministre de la Santé, parce que, 1,6 milliard d'économies demandées pour l'hôpital, comment est-ce qu'on peut annoncer des bonnes nouvelles ?
AGNES BUZYN
Alors, ce n'est pas exactement ce chiffre-là, il y a, d'abord, une augmentation du budget de la Sécurité sociale pour la partie maladie. Ce budget…
CAROLINE ROUX
Sur l'hôpital…
AGNES BUZYN
Donc sur l'hôpital, il est aussi en augmentation de 2 %, donc ça, c'est des milliards en plus…
CAROLINE ROUX
C'est des économies qu'on leur demande aussi.
AGNES BUZYN
Non, ce sont des économies que nous faisons aussi sur les médicaments, sur les achats, il n'y a pas que des économies à faire sur les personnels, loin de là, au contraire. Moi, je suis convaincue qu'il faut plus de personnels soignants.
CAROLINE ROUX
Et est-ce que vous êtes prête à aborder la question des nouveaux modes de financement pour l'hôpital ?
AGNES BUZYN$
C'est moi qui l'ai proposé, donc je suis la première persuadée qu'il faut proposer un nouveau mode…
CAROLINE ROUX
Pour aller jusqu'où ?
AGNES BUZYN
Pour aller vers moins de tarifications à l'activité, je pense que ça a fait perdre le sens aux soignants de leurs missions, on cherche à faire travailler l'hôpital comme une entreprise, or, l'hôpital a plein d'autres missions, notamment de recevoir tout le monde, nuit et jour, ça n'est pas une entreprise comme une autre. Et donc j'ai, dès mon arrivée au ministère, considéré qu'on devait changer ce mode de financement.
CAROLINE ROUX
Alors, il y a parfois des bonnes nouvelles, enfin, vous allez essayer d'annoncer des bonnes nouvelles aux Français, sur le zéro reste à charge, vous voyez ce matin les professionnels de santé et les assureurs pour permettre aux patients de se faire soigner sans qu'ils n'aient à sortir le moindre euro, dentaire, optique, audioprothèses, si les Français ne paient plus, qui va payer ?
AGNES BUZYN
Alors, d'abord, les Français paieront s'ils choisissent du superflu, des choses luxueuses, ils auront bien entendu à payer. Donc ce qu'on souhaite rendre… pris en charge, en tous les cas, à 100 %, c'est un panier de soins qui corresponde à des besoins essentiels et à des prothèses ou à des lunettes de qualité. Ça ne sera pas la totalité évidemment de l'optique, parce qu'on peut imaginer qu'on choisisse des verres teintés ou… voilà. Donc ensuite, il y aura une répartition des dépenses en plus, entre les mutuelles et l'assurance-maladie obligatoire, mais aussi nous allons travailler sur la chaîne de valeur de production de ces produits, lunettes ou audioprothèses.
CAROLINE ROUX
Comment va se passer la négociation, si les assureurs, les mutuelles, les audioprothésistes, les dentistes, j'en passe, ne se mettent pas d'accord, qu'est-ce qui se passe ? Vous tranchez ?
AGNES BUZYN
Alors, d'abord, les négociations commencent, l'objectif est partagé, je n'ai pas trouvé d'acteur ou de responsable qui ne souhaite pas s'investir dans cet objectif pour les Français, ensuite, évidemment, l'Etat sera amené à trancher si on sent des résistances ou des réticences. Ce que l'on doit dire quand même, c'est que cette réforme mettra un certain temps à être appliquée, parce que ça va changer des équilibres dans les professions, et que, on ne peut pas tout régler en un an.
CAROLINE ROUX
J'ai une dernière question très rapide, vous allez retrouver demain, au Conseil des ministres, Gérald DARMANIN, visé dans une enquête préliminaire suite à une accusation de viol, l'ensemble du gouvernement a volé au secours de Gérald DARMANIN, c'est aussi votre cas ?
AGNES BUZYN
Oui, absolument…
CAROLINE ROUX
Pour quelle raison ?
AGNES BUZYN
D'abord, il n'est pas mis en examen, donc les règles sont claires, la justice suit son cours. Si Gérald DARMANIN est mis en examen, il prendra ses responsabilités, ça n'est pas le cas. Il a toujours été transparent sur cette affaire, et donc on peut lui en être gré.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup.
AGNES BUZYN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er février 2018