Interview de M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’Etat, porte-parole du Gouvernement, à France 2 le 13 mars 2018, sur le climat social à Mayotte et la situation dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

CAROLINE ROUX
Bonjour.
LAURENT BIGNOLAS
J'ai croisé le porte-parole du gouvernement, Benjamin GRIVEAUX.
CAROLINE ROUX
Eh bien ça tombe bien, parce que c'est mon invité !
LAURENT BIGNOLAS
Ah ben voilà, il ne s'est pas trompé de porte.
CAROLINE ROUX
Cette semaine, vous le savez, est marquée par un regain de tensions sociales, tensions qui demeurent dans les EHPAD, retraités en colère qui se mobiliseront jeudi, alors que les cheminots vont décider quelle suite donner au mouvement. Et de la tension sociale, il y en a aussi assez loin d'ici, mais c'est toujours la France, à Mayotte.
- Jingle -
CAROLINE ROUX
Bonjour Benjamin GRIVEAUX.
BENJAMIN GRIVEAUX
Bonjour.
CAROLINE ROUX
On parle de Mayotte. Une manifestation sur fond de grève générale aura donc lieu à Mayotte aujourd'hui. La venue de la ministre et les quelques annonces qu'elle a faites hier n'ont pas suffi à faire retomber la tension. Est-ce que vous avez un plan B ?
BENJAMIN GRIVEAUX
D'abord, ça fait des années, voire des décennies, qu'à Mayotte la situation est difficile. La ministre s'y est rendue hier, il y avait un premier sujet immédiat, qui était de pouvoir faire en sorte que la rentrée scolaire se fasse. Elle s'est faite dans 110 des 180 classes, qui sont à Mayotte. Juste pour que vos téléspectateurs soient bien au courant, en 10 ans, il y a 50 % d'élèves en plus à Mayotte. La maternité de Mayotte, c'est la première maternité de France, avec 10 000 naissances par an, et donc la question de l'éducation...
CAROLINE ROUX
Personne n'a dit que c'était simple.
BENJAMIN GRIVEAUX
Non non, mais c'est simplement pour replacer et dire que ce n'est pas ces dernières semaines seulement, mais ces dernières années, que les choses se sont très amplement dégradées. Donc il y a d'abord...
CAROLINE ROUX
Vous laissez entendre que ce n'est pas la responsabilité du gouvernement...
BENJAMIN GRIVEAUX
Ce n'est pas ce que je suis en train de dire.
CAROLINE ROUX
D'accord.
BENJAMIN GRIVEAUX
Le gouvernement il est en responsabilités, il agit. La ministre s'y est rendue, on a 1 000 forces de sécurité qui ont été déployées, supplémentaires, sur l'île de Mayotte, il y a une gendarmerie que sera construite, il y a la police de sécurité qui va pouvoir justement entrer en action sur ce territoire, et puis il faut y consacrer des moyens supplémentaires, notamment en termes de sécurité, ce sera fait pour les écoles. Et l'objectif c'est que le calme puisse revenir rapidement dans l'île.
CAROLINE ROUX
Mais le problème, c'est que les annonces ont été faites et que l'intersyndicale parle de mascarade, il y a même deux sénateurs la République En Marche !, qui considèrent que le gouvernement n'a pas pris la mesure de la situation sur place. C'était ma première question. Est-ce que vous avez un plan B ? Comment faire pour que la situation s'apaise, alors même que les annonces ont été plutôt mal reçues, les annonces de la ministre de l'Outre-mer, Annick GIRARDIN ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Vous savez que dans une situation où vous avez un conflit, qui dure depuis déjà des semaines, ce n'est pas quand vous annoncez les choses, que le conflit subitement s'estompe et que les envies des uns ou des autres sont comblées. Et donc moi j'appelle à nouveau à beaucoup de responsabilités, les élus locaux...
CAROLINE ROUX
A qui vous lancez cet appel ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Les élus locaux, les responsables syndicaux. Il y aura une conférence sur l'avenir de Mayotte qui sera tenue par la ministre des Outre-mer, il y a eu les Assises de l'Outre-mer qui ont permis de nourrir déjà les premiers éléments sur ce qui sera mis en place et ce qu'il faut mettre en place, mais c'est quelque chose à long terme. Il fallait agir dans l'urgence, sur la rentrée scolaire, sur la sécurisation, et ensuite c'est un travail de long terme...
CAROLINE ROUX
Vous avez raison.
BENJAMIN GRIVEAUX
... qu'il va falloir engager, avec les élus, avec le monde économique, avec le monde syndical, et avec l'ensemble des administrations sur l'île.
CAROLINE ROUX
Et avec des moyens pour Mayotte. Je donne quelques chiffres : 84 % des personnes vivent à Mayotte sous le seuil de pauvreté, c'est 4 fois plus que la population en 30 ans, c'est 45 % de la population étrangère en situation irrégulière, c'est la première maternité de France. Est-ce qu'il faut un plan d'urgence ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Avec 70 %...
CAROLINE ROUX
Oui...
BENJAMIN GRIVEAUX
Vous savez, on peut faire des plans d'urgence et des effets d'annonces, il faut agir très concrètement.
CAROLINE ROUX
Il faut des moyens.
BENJAMIN GRIVEAUX
La maternité de Mayotte, c'est 10 000 naissances par an, dont 70 % qui sont issues de parents étrangers, il faut être clair, venant des Comores. Pourquoi ? Parce que quand vous avez un mois de RSA à Mayotte, c'est une année de revenus aux Comores. Donc on est sur une île qui a une spécificité très particulière, il faut donc y déployer des moyens particuliers, c'est la réflexion qui est engagée sur la question de la maternité et du statut extraterritorial que nous pourrions conférer à cette maternité.
CAROLINE ROUX
Juste, pour que les choses soient bien claires. Il y a d'une part, donc, un plan d'urgence que vous avez rappelé, donc annoncé par la ministre hier, mais est-ce que vous êtes en train de nous expliquer ce matin qu'il y aura un plan à long terme, avec des moyens conséquents dégagés pour le long terme, pour Mayotte, et quels genres de moyens ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Ce qui a été annoncé, c'est qu'il y avait d'abord les Assises de l'Outre-mer et qu'ensuite va se tenir une conférence sur l'avenir de Mayotte, avec l'ensemble des personnes, à savoir notamment le monde économique, le monde de l'administration et l'administration à Mayotte, mais également l'ensemble des syndicats.
CAROLINE ROUX
Et avec une enveloppe budgétaire conséquente pour Mayotte.
BENJAMIN GRIVEAUX
Ecoutez, on commence d'abord par établir les besoins, savoir où sont les priorités, avant de mettre en face une enveloppe, mais il y aura des moyens supplémentaires, les moyens supplémentaires l'Etat les a mis, quand on envoie 1 000 personnels de sécurité supplémentaires, en quelques semaines seulement, ce sont des moyens, ce sont des capitaux publics que nous envoyons à Mayotte.
CAROLINE ROUX
Mais ça n'est pas suffisant, disent les responsables locaux. Trois semaines de barrages, d'opérations de blocage dans le 101ème département français. Sincèrement, est-ce que vous n'avez pas tardé à réagir ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Ecoutez, une chose est sûre, n'ont pas tardé à instrumentaliser cette situation politiquement, Laurent WAUQUIEZ et les oppositions, de manière parfaitement irresponsable, en jetant de l'huile sur le feu. Nous, nous agissons de manière très concrète sur le terrain, la rentrée scolaire, on nous annonçait qu'elle n'aurait pas lieu, elle a eu lieu hier à Mayotte, on est concentré, vous savez, sur le quotidien, c'est l'école, c'est la reprise, la levée des barrages pour pouvoir retrouver des circulations normales sur l'île, et c'est ça qui nous intéresse, et assez peu le reste.
CAROLINE ROUX
On n'y est pas encore, sur la situation normale.
BENJAMIN GRIVEAUX
On n'y est pas encore. On n'y est pas encore.
CAROLINE ROUX
Est-ce qu'il faut que le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur se rendent sur place ? C'est ce que réclament l'intersyndicale et les élus locaux.
BENJAMIN GRIVEAUX
Vous avez une ministre des Outre-mer, qui a toute la légitimité et qui a toute latitude pour pouvoir intervenir, elle s'y est rendue dès dimanche soir, elle y est encore aujourd'hui.
CAROLINE ROUX
La réponse est non, pas de Premier ministre et pas de ministre de l'Intérieur.
BENJAMIN GRIVEAUX
En tout cas, la ministre des Outre-mer est pleinement mobilisée sur ce dossier, et elle fait un travail remarquable.
CAROLINE ROUX
Alors, il paraît qu'il y a un mot qu'il ne faut pas prononcer : cagnotte. Cagnotte, 4,3 milliards de recettes fiscales, on peut appeler ça aussi une bonne fortune fiscale, ce sont les mots utilisés par le rapporteur du budget, et lui il dit : « Il faudrait, pourquoi pas, les redistribuer, là où il y en a besoin », et là où il y en a besoin, c'est notamment dans les EPAD. Le mouvement de colère n'a pas faibli depuis les annonces du gouvernement, on rappelle que le gouvernement avait annoncé 50 millions d'euros pour les EHPAD les plus en difficultés. Pourquoi non ? Pourquoi ne pas aller là où il y a urgence ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Mais, je vais vous dire une chose : il y a une urgence dans ce pays, c'est que depuis 40 ans, aucun budget n'a été voté à l'équilibre.
CAROLINE ROUX
Justement, ça fait 40 ans, donc maintenant...
BENJAMIN GRIVEAUX
Aucun budget n'a été voté à l'équilibre, dans un pays qui a 2 000 milliards de dettes, il n'y a pas de cagnotte, il n'y a pas de cagnotte. Notre responsabilité c'est de ne pas laisser à la génération qui viendra après nous, ce que la génération qui était là avant nous, nous a laissé sur les bras, à savoir une dette absolument inqualifiable et des déficits. Moi, mon objectif, c'est que la génération d'après, le premier budget de l'Etat ne soit pas imposé par les marchés et par le remboursement des intérêts de la dette, mais que ce soit des choix politiques, qu'on puisse choisir de les mettre dans l'éducation, dans la santé, sur les personnes âgées, bref sur des priorités politiques, et pas à la solde, eh bien des marchés qui nous demandent de rembourser, à juste titre, la dette qui a été contractée, faute de choix politiques courageux ces 30 dernières années.
CAROLINE ROUX
C'est non pour les EHPAD.
BENJAMIN GRIVEAUX
Je ne vous dis pas que c'est non, mais ce que je veux dire, c'est qu'une cagnotte, ça existe quand vous avez un budget bien géré, et que vous êtes en excédent, ça n'est pas le cas en France et ça n'est pas le cas en France depuis 40 ans.
CAROLINE ROUX
Alors, je vous pose la question autrement. Est-ce qu'il y a d'autres moyens à allouer pour les EHPAD, qui considèrent visiblement que le compte n'y est pas ?
BENJAMIN GRIVEAUX
La question des EHPAD, c'est la question du 4ème âge, ce n'est pas simplement en mettant quelques millions d'euros ou quelques dizaines de millions d'euros supplémentaires sur la table, c'est en prenant le sujet de manière globale, et à nouveau, là c'est une question qui n'a pas été abordée pendant 15 ou 20 ans. On sait que la population française vit plus longtemps et c'est heureux, que l'espérance de vie, nous avons gagné 10 ans d'espérance de vie en 25 ans, et c'est heureux, et donc ça implique des changements dans l'organisation de la prise en charge du 4ème âge, etc. ça n'a pas été fait, c'est ce que la ministre de la Santé et des Affaires sociales, Agnès BUZYN, est en train de mettre en place.
CAROLINE ROUX
C'est qui les commentateurs fatigués ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Je... j'en vois bien quelques-uns.
CAROLINE ROUX
Ça c'est une expression d'Emmanuel MACRON, mais qui doit se sentir visé ? Les corps intermédiaires ? Les syndicats ? Les journalistes ? Qui sont les commentateurs fatigués ?
BENJAMIN GRIVEAUX
Les commentateurs fatigués sont sans doute ceux qui voient le verre toujours à moitié vide, n'arrivent pas à se projeter dans l'avenir, à faire part d'un peu d'optimisme, ça n'est pas l'état d'esprit avec lequel travaille ce gouvernement, et je vais vous faire une confiance, je crois que ça n'est pas l'état d'esprit de beaucoup de nos concitoyens qui en ont assez des querelles politiques, des instrumentalisations politiciennes, et qui préfèrent se projeter dans l'avenir. C'est difficile, on est dans une situation importante, on est sans doute à un tournant de l'histoire de notre pays, et donc nous laissons les commentateurs fatigués au passé et nous, nous nous tournons vers l'avenir.
CAROLINE ROUX
Mais la critique, c'est possible quand même, la critique, la concertation, la discussion.
BENJAMIN GRIVEAUX
Mais la critique est évidemment la bienvenue, le dialogue, la concertation. Regardez. Nous avons engagé de concertations avec des citoyens, sur l'ensemble des textes qui sont présentés au Parlement, c'est la première fois que c'est fait sous la Vème République, et je m'en réjouis.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Benjamin GRIVEAUX.Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 mars 2018