Déclaration de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville, sur l'évolution de la politique d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et le rôle du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, Paris le 14 juin 1994.

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Circonstance : Réunion du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle à Paris le 14 juin 1994

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Je me félicite de voir aujourd'hui à nouveau réunie cette instance de consultation et de propositions qui n'avait malheureusement pas tenu de réunion depuis plus de trois ans.
Je remercie de leur présence tous ceux qui ont déjà participé à ce conseil et qui ont souhaité, malgré leur déception bien compréhensible devant sa mise en sommeil, continuer à y siéger. Permettez-moi d'accueillir les nouvelles personnalités de ce conseil, assez profondément renouvelé, comme l'exigeaient les textes qui en fixent la composition.
La matinée d'aujourd'hui, consacrée à la reprise de vos travaux, ne nous permettra pas d'entrer dans le détail des problèmes. Nous avons néanmoins souhaité laisser une large part au débat, ainsi que vous l'avez vu dans l'ordre du jour.
J'ai souhaité que Madame Hélène GISSEROT, qui est la coordinatrice nationale de l'année internationale de la femme, puisse vous présenter le rapport que la France va remettre à l'O.N.U. à la fin du mois, qui ouvre des perspectives pour les femmes dans la décennie à venir. Il me semble que ce sera un éclairage utile pour les travaux que vous allez mener.
Vous avez reçu le bilan de l'état de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes pour 1990 et 1991. Il est bien sûr déjà un peu ancien et le service du droit des femmes est en train de rédiger le rapport des années 1992 et 1993 qui vous sera présenté lors de la prochaine réunion du conseil.
Ce bilan est très contrasté

Les femmes confirment leur engagement dans l'activité professionnelle, leur niveau de formation initiale s'élève, elles accèdent plus souvent que par le passé à des emplois non traditionnels et à des emplois plus qualifiés, les fonctions de hautes responsabilités sont ouvertes à un certain nombre d'entre elles. Mais, dans le même temps, elles sont plus exposées que les hommes aux emplois précaires et au sous-emploi.
En outre, elles restent très concentrées dans certaines filières de formation professionnelle, dont on sait pertinemment qu'elles sont moins porteuses d'emplois valorisants, et l'écart entre les salaires masculins et féminins reste constant.
Il nous faut bien noter par ailleurs que les évolutions que l'on peut constater accentuent les disparités entre celles qui peuvent bénéficier de ces progrès et celles qui, au contraire, en raison de la situation de l'emploi, voient leur condition se détériorer.
Au regard de ce constat, que vous connaissez parfaitement, il est évident que le conseil supérieur de l'égalité professionnelle et le service du droit des femmes continuent d'avoir un rôle important à jouer.
Le conseil supérieur a un triple rôle.
Tout d'abord, il suit régulièrement l'application du dispositif d'égalité professionnelle.
Il a aussi pour mission de mettre en oeuvre des études, des recherches et formule des propositions pour faire progresser l'égalité professionnelle.
Enfin, il peut être appelé à donner un avis sur la législation concernant le travail des femmes et sur les modifications du droit du travail lorsque celles-ci peuvent avoir des incidences sur l'égalité professionnelle

Je tiens à rendre hommage à la place que vous avez progressivement prise dans la réflexion et la mise en oeuvre des dispositifs qui couvrent le champ complexe et pourtant particulièrement important pour les femmes de l'égalité professionnelle.
Les représentants des salariés, du patronat et de l'administration, ainsi que les personnalités qualifiées ont mené, dans le cadre des travaux des groupes, des réflexions pragmatiques aboutissant à des propositions concrètes. Je n'en prendrai qu'un exemple : les contrats pour la mixité des emplois.
Vous en connaissez le principe : un accord entre la salariée, son entreprise et l'Etat, sur des mesures destinées à faciliter l'accès d'une femme à un poste traditionnellement occupé par des hommes ; ces contrats portent le plus souvent soit sur des actions de formation, soit sur des adaptations du poste de travail, l'Etat couvrant 50 % du coût de la mesure.
Cette mesure, bien adaptée aux PME et PMI, jusqu'à 600 salariés, se développe dans l'ensemble du territoire. Au 31 décembre 1993, 818 femmes avaient bénéficié d'un contrat de ce type.
Des contrats se mettent en place qui prennent en compte le potentiel féminin et font un véritable choix stratégique pour les entreprises. A titre d'exemple, on peut mentionner le succès remporté par les contrats de mixité dans le transport en milieu rural.
Je remercie et félicite le Conseil d'avoir su, grâce à cette mesure, renforcer et élargir le champ du dispositif d'égalité professionnelle.
Plusieurs d'entre vous auraient souhaité que votre Conseil puisse donner un avis sur la loi de la famille actuellement en discussion au Parlement. Ce n'aurait sans doute pas été inconcevable mais vous savez que ce texte n'avait pas pour objet d'intervenir dans les problèmes d'emploi proprement dits même si certains n'ont pas caché qu'ils souhaitaient que cette loi soit l'occasion de dégager des emplois pour les hommes en incitant les femmes à rester au foyer. Il n'en est rien puisque toutes les mesures législatives adoptées, notamment le congé parental, sont applicables aux hommes comme aux femmes.
Il n'en demeure pas moins que le poids des mentalités et des réalités concrètes est tel que nous savons bien que les femmes seront majoritairement utilisatrices des possibilités ouvertes aux salariés pour concilier vie professionnelle et vie familiale. J'observe d'ailleurs que même en Suède, pays si souvent donné en exemple, et où il y a depuis des années une très forte incitation à ce que les hommes assument à égalité le partage des tâches, ce n'est que dans 8 % des cas que les pères bénéficient du salaire parental.
Dès 1988, le conseil supérieur de l'égalité professionnelle a pris l'initiative de mettre en place un groupe de travail intitulé "Gestion des entreprises et prise en compte des responsabilités familiales". Quatre axes prioritaires en ont été dégagés qui ont fait l'objet de propositions :
- les femmes en situation de travail
- les congés parentaux spéciaux
- les structures d'accueil des jeunes enfants et les rythmes scolaires
- l'aménagement du temps de travail.

Ces axes sont toujours d'actualité et les différents dispositifs législatifs nouveaux me paraissent répondre à ces préoccupations.
Pour relancer la politique d'égalité professionnelle, il me semble que nous devons mener une démarche volontariste et pragmatique. On ne peut pas isoler l'égalité professionnelle des autres dispositifs d'amélioration des conditions de travail ; si cette dimension essentielle n'est pas prise en compte dans l'ensemble des dispositifs en faveur de l'emploi, notre politique d'égalité sera inopérante ou, au mieux, très marginale.
Aussi, je souhaite que la commission permanente qui sera mise en place en septembre nous conseille sur les priorités à retenir dans notre action.
Je pense, par exemple, qu'il pourrait être intéressant de concentrer nos efforts sur des métiers en mutation ou en développement. Je sais que cette préoccupation a été évoquée, lors des réunions préalables à ce Conseil, et qu'à plusieurs reprises vous avez indiqué votre souhait de voir se mettre en place une recherche action, soit sur les services de proximité, soit sur les emplois de la grande distribution. Ces deux pistes, mais il y en a d'autres, sont intéressantes car nous savons que ces emplois majoritairement féminins sont souvent peu qualifiés et assez mal organisés.
J'ai été frappée pendant le débat de politique générale concernant la "loi famille" d'entendre, de la part des députés de tous les bancs, une préoccupation convergente de voir les femmes accéder à des emplois plus qualifiés ou de moindre pénibilité, qui leur permettent de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle, alors que l'on pouvait craindre que soit plus largement exprimée la thèse de l'incompatibilité de l'emploi féminin et de la maternité.
Les horaires, le niveau de salaires, la précarité, le peu de qualification des emplois ont été souvent cités comme une source de tension rendant particulièrement difficile la vie des femmes. Ces discours traduisent parfaitement l'évolution qui s'est faite au cours de cette dernière décennie et d'une prise de conscience de ces réalités de la part de la plupart des décideurs. On ne peut que s'en réjouir.
Je voudrais en conclusion, vous suggérer un calendrier précis de vos travaux : en 1994, mise en place de la commission permanente et définition des groupes de travail.
Ces groupes pourraient être au nombre de trois :
- l'un portant sur le problème des classifications et rémunérations
- l'autre sur la conciliation vie professionnelle/vie familiale
- Et enfin le dernier, qui fonctionnerait plus comme un comité de pilotage, aurait pu poursuivre un travail en profondeur avec une branche professionnelle ou auprès d'une salariée pour expérimenter et développer nos dispositions d'égalité professionnelle.
Aujourd'hui, vous êtres renouvelés pour trois ans et je souhaite que nous nous fixions ces objectifs à trois ans. Je prends d'ailleurs l'engagement de vous réunir à nouveau au début de 1995 pour un premier bilan intermédiaire.
Je vous remercie.