Texte intégral
Monsieur le Président du CNRS,
Monsieur le Directeur général de la mondialisation,
Monsieur le Directeur de l'Institut des sciences humaines et sociales,
Mesdames et Messieurs les Directeurs des instituts français de recherche à l'étranger,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Professeurs des universités et Directeurs de recherche,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
D'abord, je vous prie d'excuser le petit contretemps qui a fait que je n'ai pas pu parler en même temps que ma collègue, Mme Vidal. C'est dû à la crise du Novitchok, ce neurotoxique qui a frappé la Grande-Bretagne et qui m'a amené à quelques conversations majeures à ce moment-là.
C'est avec grand plaisir que je participe à ce colloque consacré aux "pensées influentes". C'est une occasion de mettre en valeur l'un des réseaux du Quai d'Orsay les moins connus, et pourtant l'un des plus exceptionnels, parce qu'il est unique au monde : je parle du réseau des Instituts français de recherche à l'étranger. Occasion, plus largement, de célébrer les liens entre diplomates et chercheurs, liens qui sont anciens, féconds et surtout nécessaires.
On dit souvent que le Quai d'Orsay est le ministère de la parole. Les entretiens diplomatiques, les négociations, les discussions - j'en viens à l'instant - font partie du coeur de métier de ce ministère. Une parole qui rime avec l'action, si l'on pense à la multiplication des crises qui nous conduisent souvent à intervenir pour les prévenir ou les contenir. Mais pour être complets, la parole et l'action ont aussi besoin du savoir et de la rigueur de la démarche scientifique. C'est une réalité peu connue du grand public. Raison de plus pour y insister : la diplomatie scientifique est aussi au coeur de notre politique étrangère : c'est vrai par les échanges scientifiques que ce ministère favorise, en lien étroit avec le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, dans un contexte où la vie des idées et des savoirs n'a eu de cesse de s'internationaliser, et aussi de devenir plus concurrentielle. C'est également le cas à travers les actions scientifiques que nous portons directement, celle des 150 missions archéologiques françaises que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères soutient, celles des cinq écoles françaises à l'étranger, placées sous la responsabilité de Frédérique Vidal, et bien sûr celle du réseau qui nous rassemble aujourd'hui.
La France dispose ici d'un instrument extraordinaire, le réseau des Instituts français de recherche à l'étranger, les IFRE, ou pour tre tout à fait exact les UMIFRE, pour rappeler que ce sont bien des "Unités Mixtes" du CNRS. Ce réseau exceptionnel fait de 27 instituts, auxquels s'ajoutent 10 antennes, déploie aujourd'hui 150 chercheurs et 350 doctorants dans 34 pays, sur les cinq continents. C'est un élément à part entière de l'universalité de notre diplomatie, universalité géographique mais aussi universalité des domaines que nous portons et dont la science fait partie.
La force de ces Instituts de recherche, de ces unités communes, tient à plusieurs caractéristiques, que je voudrais rappeler rapidement. C'est en premier lieu un réseau de "terrains". Je mets ce terme au pluriel. Un réseau au plus près du terrain, tout d'abord, puisqu'il permet aux chercheurs d'être présents dans des pays parfois d'accès difficile, ceux de l'arc de crise notamment. Ces crises, ces chercheurs nous aident à les comprendre, parce qu'ils y font aussi face. Je pense notamment, pour n'en citer qu'un, à l'Institut français du Proche Orient, dont le siège était précédemment à Damas, désormais à Beyrouth, et qui effectue un travail remarquable dans une région meurtrie par les conflits. J'y insiste, parce qu'il pourrait être tentant, devant la difficulté, d'éviter d'accéder à certains terrains et d'en rester à une connaissance livresque, ou à des contacts à distance ; rien ne remplace cependant l'accès à l'objet même que l'on s'est donné, et c'est là tout le mérite du réseau des UMIFRE et de ses chercheurs, d'autant plus que l'on s'est donné l'objectif de le comprendre davantage.
C'est aussi un réseau de terrains, au pluriel, par l'ampleur des disciplines et des sujets de recherche auxquels ces Instituts se consacrent, de l'histoire des civilisations aux enjeux les plus contemporains, ceux de l'urbanisation, du climat, des mouvements migratoires, des radicalisations ou des transitions démocratiques. D'autres pays entretiennent des réseaux de ce type mais ils sont moins développés ; et aucun n'a, comme la France avec le réseau des UMIFRE, un spectre disciplinaire aussi large. Lorsque des archéologues, des politistes, des philosophes, des musicologues, parmi d'autres, se retrouvent ensemble au sein d'un Institut, cela crée un creuset interdisciplinaire qui est particulièrement précieux.
Ce réseau, vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, il y a un instant, est hérité de l'histoire ; il a d'ailleurs ses traditions ; mais ce n'est pas d'abord un héritage que nous aurions simplement pour vocation de conserver. Fort des spécificités que j'ai rappelées, les UMIFRE élaborent et produisent au présent des connaissances dont nous avons besoin, et dont notre diplomatie a un besoin particulier.
L'actualité le rappelle tous les jours, nous évoluons dans un monde totalement incertain, où des réalités que l'on croyait acquises peuvent basculer du jour au lendemain, où les crises se multiplient ou s'aggravent souvent, surtout en ce moment, et avec elles les surprises et les ruptures stratégiques. Si nous voulons agir, nous devons donc, en premier lieu, comprendre la complexité de notre environnement et mobiliser à cette fin toutes les ressources d'analyse, à commencer par celles qu'offre la recherche académique.
Dans un monde en crise, les sciences humaines et sociales - puisque ce sont elles qui nous rassemblent aujourd'hui - ont une pertinence particulière, car, en interrogeant la manière dont les êtres humains font ou défont les sociétés, elles peuvent aider notre diplomatie à mieux comprendre les bouleversements à l'oeuvre autour de nous. L'organisation prochaine d'un colloque consacré au Maghreb contemporain et qui s'appuiera notamment sur les UMIFRE de la région sera l'occasion d'en apporter la preuve par l'exemple.
En menant cette analyse du monde contemporain, les UMIFRE contribuent aussi, très concrètement, à en résoudre certaines tensions. Il est clair que dans une époque à la recherche de nouveaux équilibres et de nouveaux repères, les échanges culturels, les travaux scientifiques jouent un rôle médiateur, et le savoir offre une langue commune. Cette langue commune peut bien sûr être l'objet de disputes et de controverses, mais son horizon demeure celui de l'universalité.
Dans la mondialisation conflictuelle que nous connaissons aujourd'hui, la diplomatie scientifique est donc un instrument de communication et de dialogue irremplaçable, et les UMIFRE jouent là encore un rôle de premier ordre. Aujourd'hui, je veux donc confirmer l'engagement du ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour l'excellence de la recherche française à l'étranger, et assurer votre réseau de notre plein soutien. Je l'ai dit pour commencer : ce réseau est peut-être méconnu, mais il n'est pas secondaire, et c'est l'honneur du Quai d'Orsay que de lui garantir les moyens de son fonctionnement et de son développement, partout où cela a du sens, en relation avec le CNRS qui est, je tiens à le souligner, un excellent partenaire.
À l'occasion de cette journée, je voudrais simplement mettre l'accent sur deux enjeux qui me semblent revêtir une importance particulière pour l'avenir.
Le premier est de consolider la place des UMIFRE au sein du paysage français de la recherche, dont ils sont les postes avancés, partout dans le monde, et de renforcer par-là même notre attractivité scientifique. Vous le savez mieux que quiconque, la coopération internationale fait depuis longtemps partie du quotidien des chercheurs. Pour autant, l'attractivité, l'internationalisation de la recherche reste encore un défi à relever pour notre pays. C'est l'engagement de Frédérique Vidal. À ses côtés, c'est également celui de mon ministère. En lien étroit avec notre réseau de coopération et d'action culturelle, les UMIFRE ont un rôle premier à jouer pour répondre à cette exigence.
Ce rôle marche dans les deux sens : à la fois pour projeter nos chercheurs à l'international, les accompagner sur les terrains où ils souhaitent agir, mais aussi, en retour, pour conforter l'attractivité scientifique de la France, qui est l'un de nos grands chantiers.
En cela d'ailleurs, il faut rappeler que l'influence de la France n'est pas seulement l'affaire des diplomates, même si ces derniers jouent un rôle éminent; cette influence est une affaire collective dans l'ensemble de nos missions. J'encourage, à cet égard, les initiatives prises par les UMIFRE, lorsque ses chercheurs interviennent dans les universités locales, en y créant des séminaires, en y élaborant des coopérations, et donnant ainsi à leurs pairs, la meilleure image de notre pays.
En écho à cette remarque, le deuxième enjeu me paraît être précisément de conforter la place des UMIFRE au sein de notre réseau diplomatique, le rôle qu'ils peuvent donc jouer dans notre diplomatie d'influence, mais aussi en appui direct de notre diplomatie globale. Je l'ai dit tout à l'heure, les analyses que nous menons dans cette maison ont besoin de l'expertise qui peut être celle des chercheurs. Je sais que des initiatives ont déjà été prises : des post-doctorats ont par exemple été créés, financés par certains postes, sur des sujets d'intérêt direct pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, et hébergés au sein des UMIFRE. C'est en tout cas une perspective que je veux encourager, qu'il s'agisse de la gestion des crises, ou bien de problématiques comme celles liées au développement, autre axe prioritaire de notre politique étrangère.
Avec le même souci de conforter leur place au sein du réseau diplomatique, toujours dans le respect de la spécificité forte des chercheurs, je veux saluer et encourager les projets ambitieux que conduisent certains de ces Instituts qui peuvent être considérés comme exemplaires.
Mesdames et Messieurs,
Vous le voyez, nous avons de très belles perspectives. Je sais qu'il y a notamment eu un speed-dating ce matin entre des directeurs d'UMIFRE et des partenaires potentiels. Il y a aussi la dynamique industrielle que vous venez d'évoquer. Vous avez, vous-mêmes, chacun un rôle à jouer - quand vous n'êtes pas déjà en poste dans notre réseau - pour mieux faire connaître l'engagement du Quai d'Orsay aux côtés de la recherche française en sciences humaines et sociales, pour que cette recherche continue d'être une référence partout dans le monde.
En saluant à distance Frédérique Vidal, en remerciant plus particulièrement le CNRS pour le travail que nous faisons en commun, vous me permettez enfin de remercier la direction générale de la mondialisation, qui a préparé ce colloque et qui assure au quotidien le suivi du réseau des UMIFRE, au coeur de notre diplomatie d'influence.
Merci de votre attention.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 avril 2018