Texte intégral
Monsieur le Directeur général,
Monsieur le Commissaire,
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs.
Il est sans doute peu de combats plus importants à mener que celui qui nous rassemble aujourd'hui, à Paris, pour cette neuvième conférence mondiale sur le tabac et la santé.
Trop longtemps sous-estimés, voire volontairement ignorés, les méfaits du tabac sont désormais pleinement connus, même si nous n'en avons peut-être pas encore pleinement pris la mesure.
Pour la France. ce sont plus de 65.000 vies qui sont prématurément fauchées par un cancer, une maladie cardiaque ou artérielle ou une bronchite chronique terminale, provoqués par la consommation de tabac.
Pour le monde entier, ce sont près de 3 millions de morts par an, selon les experts.
Ce fléau atteint tous les pays, sans qu'un seul puisse s'en dire épargné. Cette conférence qui réunit des délégués de plus d'une centaine de pays est là pour en témoigner.
Il touche toutes les classes d'âge.
Il concerne désormais presque autant les femmes que les hommes.
C'est dire l'ampleur du défi qui nous est posé, à nous tous, responsables politiques et internationaux, médecins et scientifiques, parents et éducateurs. Car notre responsabilité est entière quand, devant un fléau dont nous connaissons les causes et les conséquences désastreuses, nous ne mettons pas tout en oeuvre pour le prévenir.
La caractéristique de l'action contre le tabagisme pour un gouvernement, c'est qu'on en mesure très vite les difficultés, notamment politiques, et qu'on n'en recueille les fruits qu'après de longues années. Ce n'est pas toujours, reconnaissons-le, une cause facile à défendre.
Le tabagisme et ses conséquences pour la santé ne sont pas une fatalité à laquelle il conviendrait de se résigner car nous ne serions capable ni de la prévenir ni de la combattre. Au contraire, nous pouvons le faire avec efficacité pour peu que nous en ayons la volonté et que nous nous en donnions les moyens.
Avoir la volonté de lutter contre le tabagisme. c'est tout d'abord refuser les faux-semblants et les arguments hypocrites pour ne rien faire.
Non, la liberté individuelle à laquelle nous sommes tous profondément attachés n'est pas incompatible avec une action résolue de lutte contre le tabagisme !
Ayant ouvertement pour objet d'influer sur les comportements individuels, la politique de lutte contre le tabagisme, comme celle menée contre l'alcoolisme, n'est en rien contradictoire avec le respect des libertés individuelles. Au contraire, fournissant à chacun les informations sur les dangers du tabac, les politiques de santé publique renforcent les conditions d'exercice de ces libertés et renvoient chacun devant ses responsabilités.
Avoir la volonté de lutter, c'est également accepter l'impopularité de mesures contraignantes, alors qu'aucun bénéfice immédiat ne pourra en être retiré. C'est à long terme que se feront sentir les effets bénéfiques des politiques de lutte contre le tabagisme. C'est en ce sens un des défis les plus importants posés au responsable politique. C'est son devoir et son honneur de le relever.
Avoir la volonté de lutter contre le tabagisme, c'est, enfin, savoir résister aux groupes de pression, aux intérêts catégoriels, aux avantages économiques et fiscaux fugitifs, pour garder, avec constance, le souci de la santé publique comme premier guide pour l'action politique.
Cette volonté, notre volonté commune, qui nous rassemble aujourd'hui, peut se conforter et se nourrir des effets bénéfiques des actions menées depuis près de vingt années et que j'ai eu l'honneur d'engager dans mon pays lors de ma première participation au gouvernement en qualité de Ministre de la Santé, en 1976.
Car la lutte contre la consommation de tabac n'est pas un combat sans espoir, même s'il n'admet aucune relâche dans l'effort à accomplir. Dès lors qu'est mise en place une politique globale et responsable, le succès peut être au rendez-vous.
La France s'est attachée, au cours des dernières années à mener une politique continue et diversifiée pour lutter contre le tabagisme :
- en accroissant les taxes sur le tabac ;
- en réglementant strictement l'usage du tabac dans les lieux publics ;
- en interdisant toute forme de publicité qui puisse inciter à la consommation de tabac ;
- en menant une action résolue de contrôle de la qualité et de respect des normes de goudrons et de nicotine.
L'effet de ces mesures est indéniable et le scepticisme qui les a accueillies, contradictoire d'ailleurs avec la violence avec laquelle elles furent parfois combattues, a fait place à la conviction partagée qu'elles sont efficaces.
Ainsi, en France, la consommation de tabac s'est globalement réduite, tout particulièrement chez les hommes. De même, le respect des non-fumeurs par les fumeurs s'est notablement amélioré.
Mais, plus encore que ces mesures contraignantes, l'action la plus efficace est celle qui résulte des grandes campagnes d'information et de prévention menées depuis plusieurs années.
Depuis la première campagne de lutte contre le tabac dont j'avais pris l'initiative en 1976. "Prenez la vie à pleins poumons", nos outils de communication se sont considérablement affinés. Leur impact est indéniable, comme le montrent régulièrement les enquêtes d'opinion : Ainsi, lorsque l'on interroge les Français sur les principaux thèmes de santé pour lesquels ils se jugent bien informés, le tabac arrive en première position (81 %), devant le SIDA (79 %).
Conscients des dangers du tabac, les Français sont, dans leur majorité d'accord, avec les mesures prises pour restreindre ou interdire l'usage du tabac dans les lieux publics couverts, dans les collèges et les lycées, dans les transports en commun, ou dans les entreprises en dehors des endroits spécifiques.
Ces succès, cette adhésion progressive aux objectifs de santé publique, nous les devons, sans nul doute à l'action continue de nombreux médecins et scientifiques qui ont su expliquer et convaincre. Et je suis particulièrement heureuse de voir certains d'entre eux dans cette salle. Je sais combien, collectivement, nous leur devons pour leur courage et pour leur entêtement.
Je souhaite que, dans la ligne de l'initiative "Europe contre le cancer", engagée depuis plusieurs années, nous parvenions très vite, entre pays européens, à coordonner et à adopter des règles minimum communes, notamment pour ce qui concerne la publicité. Malgré ces succès incontestables, malgré une réelle prise de conscience par une grande partie de la population des dangers du tabac et de la nécessité de le combattre, trois phénomènes inquiétants rendent plus nécessaires que jamais une action résolue de chacun des gouvernements et de la communauté internationale.
- Le premier est la persistance d'une consommation trop fréquente de tabac chez les jeunes. Pour ne prendre que le seul exemple de la France, en 1994, 30,5 % des jeunes de 12 à 18 ans se reconnaissaient comme fumeurs. Or, nous le savons désormais, plus la consommation de tabac est précoce, plus les conséquences sur la santé sont graves.
Il nous faut donc mener une action résolue en direction des jeunes pour prévenir l'entrée dans le tabagisme.
Les enquêtes montrent combien l'environnement des adolescents, qu'il soit familial ou amical, est l'élément déterminant du tabagisme. La consommation de tabac est considérée par nombre de jeunes comme un élément d'intégration dans le monde des adultes. C'est dire quelle est notre responsabilité !
Je souhaite vivement que votre conférence permette de mieux définir les moyens de prévenir la consommation de tabac chez les jeunes. Cela passe, sans aucun doute, par l'information et par la formation. Cela passe également par une prise de conscience par tous de la nécessité de ne pas donner du fumeur une image valorisante. L'école, mais également les grands média que sont la télévision et le cinéma, et la publicité ont un rôle primordial à jouer en ce domaine.
Le deuxième phénomène préoccupant est l'accroissement de la consommation de tabac chez les femmes. Selon les estimations de l'Organisation Mondiale de la Santé, le tabagisme est responsable de la mort de 300 000 femmes chaque année dans les pays développés. L'accroissement de la consommation de tabac chez les femmes devrait porter ce chiffre à près d'un million en 2020.
Dès maintenant, en France, le cancer du poumon des femmes s'accroît considérablement et appelle une action très volontariste pour lutter contre le tabagisme des femmes.
Le réseau international des femmes contre le tabagisme a été créé, en 1990, à l'occasion de la 7ème conférence mondiale contre le tabagisme. Je souhaite que son action de sensibilisation auprès des femmes des pays développés et des pays en développement bénéficie du soutien des gouvernements et de votre conférence.
La troisième évolution particulièrement inquiétante est la diffusion du tabagisme dans les pays en développement. Certes, l'usage du tabac n'est pas l'apanage des pays riches, mais son extension actuelle est un phénomène nouveau dans lequel nous avons, nous pays industrialisés, une responsabilité très lourde. De même, est inquiétante la diffusion du tabagisme dans les pays de l'Est de l'Europe, à l'occasion des changements à d'autres égards qu'ils traversent actuellement, si heureux.
C'est pourquoi, je souhaite que votre conférence puisse s'attacher à définir les moyens d'enrayer cette évolution, notamment en marquant la nécessité d'une coopération internationale accrue, sous l'égide de l'Organisation Mondiale de la Santé, dont je salue le rôle qu'elle a su jouer en cette matière.
En déclarant ouverte cette neuvième conférence mondiale sur le tabac, permettez-moi Mesdames et Messieurs, de mesurer le chemin parcouru depuis vingt ans, quand la lutte contre le tabagisme n'était alors considérée que comme une lubie de quelques médecins. Votre présence ici, à Paris, montre combien la préoccupation de santé publique a pris corps dans l'ensemble de la communauté internationale.
Cela ne rend votre tâche, durant cette conférence, que plus importante.
Soyez assurés que vos travaux sont très attendus et qu'ils sont appelés à inspirer les politiques que mettront en place les gouvernements et les organismes internationaux au cours des prochaines années.