Interview de M. Gérard Collomb, ministre de l'intérieur, avec France 2 le mai 2018, sur les violences commises par des militants radicalisés au cours de la manifestation du 1er mai.

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Média : France 2

Texte intégral


LAURENT BIGNOLAS
Vous recevez ce matin le ministre de l'Intérieur, Gérard COLLOMB.
CAROLINE ROUX
Oui, Gérard COLLOMB qui depuis hier, vous le savez bien, est mis en cause après l'irruption à Paris de 1 200 militants radicalisés, casseurs qui se sont livrés à des violences en plein Paris. La droite parle de faillite de l'Etat.
- Jingle -
CAROLINE ROUX
Bonjour Gérard COLLOMB.
GERARD COLLOMB
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Alors, nous avons tous ce matin en tête une image, une image en particulier, celle de 1 200 militants, cagoulés, de noir vêtus, en rangs serrés, sur le Pont d'Austerlitz, qui semblaient défier, en réalité, l'ordre, l'Etat, vous. Pourquoi se sont-ils retrouvés dans cette situation-là, pourquoi n'ont-ils pas été interpellés avant ?
GERARD COLLOMB
Je veux d'abord dénoncer ces violences qui sont totalement inadmissibles, et dire que les auteurs seront évidemment recherchés et traduits devant la justice. Nous avons interpellé 283 personnes, 209 sont aujourd'hui en garde à vue. Hier, une relation s'est faite entre le Préfet de police de la ville de Paris et le procureur de la République, de manière à pouvoir traiter ces dossiers. On a affaire...
CAROLINE ROUX
Ils seront sanctionnés lourdement, c'est ça que vous laissez entendre.
GERARD COLLOMB
On a affaire à une violence qui monte dans les propos, dans les appels. Voyez, par exemple, là j'ai un appel à la manifestation qui a été envoyé : « Une journée en enfer », avec comme image, des policiers qui prennent feu. Voilà ce qu'on voit sur les réseaux sociaux.
CAROLINE ROUX
Ça, vous le saviez, vous ne le découvrez pas en tant que ministre de l'Intérieur.
GERARD COLLOMB
Ça nous le savons. Nous le savons, mais nous ne pouvons pas interpeller un certain nombre de gens, qui effectivement arrivent comme vous et moi en civil, et puis qui tout d'un coup s'habillent en black-bloc, se mettent au milieu de la foule. Et évidemment, pour aller les chercher, voyez, le défilé était composé, on va dire, de trois parties. Première partie, vous avez à peu près 10 000 personnes qui sont devant les blacks-blocs, qui se sont réunies, plutôt de tendances, des étudiants, plutôt de tendance d'extrême gauche, et puis vous avez les black-blocs et ensuite les organisations syndicales. Ça veut dire que lorsque vous êtes policier, si effectivement tout de suite vous chargez, vous faites des blessés, parce que vous allez sur des gens qui ne sont pas organisés, et il faut aller chercher derrière les blacks-blocs...
CAROLINE ROUX
Donc, vous dites ce matin aux gens qui vous regardent : on ne peut rien faire, ils ont gagné.
GERARD COLLOMB
Si, on peut faire, nous sommes en train de regarder l'identité d'un certain nombre de gens, et ils seront recherchés et traduits devant la justice.
CAROLINE ROUX
Comment est-ce qu'on peut faire mieux ? J'imagine qu'en tant que ministre de l'Intérieur, vous vous posez quand même cette question, au lendemain d'une journée comme celle-ci, avec ces images qui ont fait le tour du monde. Comment est-ce qu'on peut faire mieux, comment est-ce qu'on peut travailler en amont ? Vous avez anticipé la venue de ces blacks-blocs, vous avez été pris par surprise. Ils étaient plus nombreux que prévu ?
GERARD COLLOMB
Oui, ils étaient plus nombreux que prévu, on en comptait à peu près, 5, 600, il y ENA eu le double. Et donc vous avez vu que c'était assez spectaculaire, et aujourd'hui il y a les appels qui sont lancés de toute l'Europe, pour pouvoir venir en France, lors de ces manifestations.
CAROLINE ROUX
Donc, comment on fait ?
GERARD COLLOMB
Vous comprenez, lorsque vous avez une partie de la classe politique, sur les marches, qui appelle à faire la fête à MACRON, certains le prennent au pied de la lettre, et disent : « Eh bien voilà, on va aller effectivement dans une volonté de casser un certain nombre d'agents des forces de sécurité », et donc de subvertir l'Etat républicain.
CAROLINE ROUX
Vous dites qu'il y a une part de responsabilité, notamment de la France Insoumise, dans les violences qui ont eu lieu hier.
GERARD COLLOMB
Je ne parle pas de la France Insoumise.
CAROLINE ROUX
Ah ben « La fête à MACRON », c'est eux.
GERARD COLLOMB
Ah ben « La fête à MACRON », il n'y a pas qu'eux, vous en avez dans tous les sites libertaires, on va faire « La fête à MACRON », à la fois pour le 1er mai, en particulier. Ce n'était pas pour la manifestation de MELENCHON, c'était pour le 1er mai. Mais, attention effectivement aux verbes que l'on emploie, parce qu'un certain nombre de jeunes peuvent y être sensibles, et moi vous savez, je suis d'une génération qui a vu se développer le phénomène brigadiste, par exemple, et donc j'ai peur qu'un certain nombre de gens soient aspirés par cette spirale des mots, et donc, demain, ne commettent un certain nombre d'actes qui soient effectivement totalement inadmissibles.
CAROLINE ROUX
Est-ce qu'il faut faire plus en matière de renseignements, sur ces groupes-là ?
GERARD COLLOMB
Nous le faisons. Nous le faisons.
CAROLINE ROUX
Marine LE PEN dit, par exemple : « Ces milices d'extrême gauche devraient être dissoutes depuis bien longtemps ». Est-ce qu'on peut dissoudre ces milices d'extrême gauche, comme le dit Marine LE PEN ? Quel travail vous pouvez faire en termes de renseignements ?
GERARD COLLOMB
Pour pouvoir dissoudre, il faut effectivement avoir des dossiers solides, parce que si vous allez devant les tribunaux et que vous n'avez pas de preuves assez solides, on l'a vu par exemple, un certain nombre de gens qui étaient soupçonnés d'actes très répréhensibles, finalement se sont vus acquittés...
CAROLINE ROUX
Vous ne les avez pas les dossiers.
GERARD COLLOMB
Donc il faut avoir des dossiers solides. Nous sommes en train de les constituer.
CAROLINE ROUX
Vous ne les avez pas, à l'heure où on se parle. Ça c'est la question que je vous posais. C'est-à-dire qu'on ne sait pas d'où ils viennent...
GERARD COLLOMB
Je ne peux pas vous répondre sur cette question, mais sachez que l'ensemble des services est actif, pour répondre à cette problématique nouvelle.
CAROLINE ROUX
Quelles instructions avez-vous données à la Préfecture de Paris ? Dans un cas comme celui-ci, quelle est la priorité du ministre de l'Intérieur ? C'est de dire : « Tant pis, on laisse casser, on les interpelle après » ? Quelles sont les consignes que vous donnez ?
GERARD COLLOMB
Non, si vous voulez, par exemple par rapport au McDonald's qui a été incendié, ça se produit d'une manière très brutale, et les forces de l'ordre interviennent 5 minutes après. Donc si vous voulez, évidemment, mais...
CAROLINE ROUX
Après.
GERARD COLLOMB
Mais oui, parce que vous ne pouvez pas fendre la foule qui se trouve devant les blacks-blocs, c'est à partir du moment où effectivement ils passent à l'attaque d'un certain nombre de magasins, que les gens s'écartent et que nous pouvons effectivement nous en prendre aux blacks-blocs.
CAROLINE ROUX
Mais après, encore une fois, les images que l'on a vues hier et qu'on va voir encore sans doute toute la journée, vous ne dites pas : « Il faut adapter les dispositifs, il faut peut-être changer de stratégie » ?
GERARD COLLOMB
Le dispositif, si vous voulez, était déjà adapté. Par rapport à ce qui se faisait par les années passées, le dispositif de prise en main des blacks-blocs a été effectivement adapté, mais on ne peut pas faire face, malgré la mobilisation de 21 compagnies, à des mouvements qui tout d'un coup prennent une ampleur qui n'avait jamais été connue.
CAROLINE ROUX
Donc, ça veut dire qu'on ne pourra plus jamais manifester en France, sans violences ?
GERARD COLLOMB
Si, ça veut dire que nous allons nous adapter, que par exemple pour...
CAROLINE ROUX
Comment ?
GERARD COLLOMB
... les prochaines manifestations, il y aura encore plus de forces de l'ordre, avec la volonté cette fois-ci de séparer totalement les manifestants de ceux qui veulent casser.
CAROLINE ROUX
Est-ce qu'il peut y avoir des contrôles d'identité en amont, aux abords des manifestations ?
GERARD COLLOMB
Pour le moment, il ne peut pas y avoir de contrôles d'identité.
CAROLINE ROUX
Pourquoi ?
GERARD COLLOMB
Tout simplement parce que ce n'est pas légal, qu'on ne peut pas contrôler. Le droit de manifestation est libre dans notre pays, mais effectivement il faut qu'il soit encadré.
CAROLINE ROUX
Est-ce que ça, par exemple, il faudrait adapter la loi ?
GERARD COLLOMB
Si le phénomène se développait comme on l'a vu hier, bien évidement qu'il faudrait, à un moment donné, peut-être, pouvoir avoir une organisation plus serrée, avec les organisations syndicales qui organisent un certain nombre de manifestations. Vous voyez, pour la manifestation d'hier, il y avait 297 évènements dans le pays, ils se sont à peu près passés dans le calme, et les blacks-blocs avaient visiblement concentré leurs efforts, simplement sur Paris, pour pouvoir avoir la plus grande visibilité médiatique, et donc c'est ce qu'ils veulent, c'est montrer qu'il y a une capacité à faire en sorte que l'on détruise dans la rue l'ordre républicain, c'est inadmissible, nous ne l'admettrons pas.
CAROLINE ROUX
Et ils seront fermement sanctionnés, condamnés ?
GERARD COLLOMB
Ils seront sanctionnés, condamnés, et surtout les meneurs seront effectivement repérés et demain ils seront traduits devant la justice.
CAROLINE ROUX
On a trop attendu pour faire ce travail de renseignements sur ces groupes d'extrême gauche ? On a trop attendu ? On l'a fait naturellement sur tout ce qui concerne le terrorisme, mais en matière de renseignements, est-ce qu'on a traité ça avec un peu de négligence ?
GERARD COLLOMB
Non, on n'a pas traité ça avec négligence, je peux vous dire que j'ai des dossiers sur les groupes extrémistes, qu'ils soient de droite ou de gauche, d'ailleurs, qui nous montrent effectivement quels sont leurs agissements, et donc nous sommes en train de constituer un certain nombre de dossiers qui nous permettront demain de traduire un certain nombre de personnes devant la justice.
CAROLINE ROUX
On peut dire aujourd'hui que les Français ne verront plus ces images ?
GERARD COLLOMB
Je voudrais vous le dire, mais il y a un mouvement qui est puissant, donc je demande à chacun de mesurer le sens de ses paroles, parce que c'est à l'ensemble de celles et ceux qui organisent des manifestations, d'être aussi responsables, en tout cas, nous...
CAROLINE ROUX
Vous parlez des syndicats, des services d'ordre des syndicats, par exemple ?
GERARD COLLOMB
En tout cas, nous ferons tout pour qu'effectivement ce genre de fait ne se reproduise pas.
CAROLINE ROUX
Il y a une responsabilité de la part des syndicats eux-mêmes qui organisent ces manifestations ?
GERARD COLLOMB
Les syndicats, ce n'est pas les syndicats organisés, c'est la parole qui quelquefois peut être portée. Voyez, quand la parole est extrême, un certain nombre de gens prennent ces paroles au pied de la lettre et donc vont casser, parce qu'ils pensent que c'est comme cela que l'on peut agir pour porter non pas des revendications, mais l'idée d'un changement brutal de société. On sait où cela a pu mener par le passé.
CAROLINE ROUX
Laurent WAUQUIEZ, vous parlez d'excès de parole, en tout cas Laurent WAUQUIEZ a regretté les terribles images pour notre pays, et il a évoqué la faillite de l'Etat.
GERARD COLLOMB
Oui, je pense qu'il n'y a pas de faillite de l'Etat. Voyez, je discutais hier avec les cadres de la Préfecture de police, et ils me disaient : à pareille époque, dans les dernières manifestations, nous allions faire le tour des hôpitaux. Ici on n'a pas fait le tour des hôpitaux, parce que personne n'a été blessé.
CAROLINE ROUX
La ZAD, les expulsions, ça reprend quand ?
GERARD COLLOMB
Ecoutez, l'ordre républicain sera assuré dans la ZAD, comme il sera assuré partout en France.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Gérard COLLOMB.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 mai 2018