Texte intégral
GUILLAUME DURAND
Bonjour Florence PARLY.
FLORENCE PARLY
Bonjour.
GUILLAUME DURAND
Vous êtes ministre des Armées, votre nomination a été une certaine forme de surprise puisque vous ne faisiez pas partie du groupe, disons, des macroniens qui ont gagné la présidentielle. Nous allons parler évidemment de politique, de programmation militaire, de service national, un peu petit d'actualité et de vous, puisqu'on vous dit extraordinairement discrète, à la fois de caractère, et c'est aussi, semble-t-il, une méthode. Mais nous allons passer par la case « Les coulisses du pouvoir » de Guillaume TABARD.
( ) Chronique de Guillaume TABARD
GUILLAUME DURAND
Nous allons retrouver Florence PARLY. Vous avez 54 ans, vous avez été ministre du Budget à l'époque où Lionel JOSPIN était Premier ministre de la France, vous avez fait Sciences Po et l'ENA et vous avez travaillé à la direction d'AIR FRANCE et de la SNCF, voilà pour ceux qui vous connaissent peu. Nous sommes en direct. Je le disais tout à l'heure en présent l'émission, à 7h30, que des camarades à moi qui sont des spécialistes des questions militaires m'avaient raconté qu'à un moment vous leur avez dit que finalement vous étiez très contente, quand on tapait sur Google on tombait sur Parly 2, Parly 3, plutôt que sur votre nom, ce qui veut dire que vous assumez cette discrétion.
FLORENCE PARLY
Je l'assume dans la mesure où je considère que, d'abord, il faut essayer de comprendre, comprendre l'environnement dans lequel je suis, vous l'avez rappelé, j'ai été nommé au ministère des Armées, c'était assez peu attendu, c'est un monde que je ne connaissais pas et donc je me suis d'abord efforcée de le connaître, comme d'ailleurs je l'ai toujours fait dans toutes mes précédentes responsabilités. Je considère qu'avant de parler il faut pouvoir prendre la mesure des choses. Et donc, c'est effectivement un peu une méthode, mais cette méthode elle me permet ensuite d'agir, en tout cas c'est ce que je fais.
GUILLAUME DURAND
Et les dossiers sont nombreux, il y a la Loi de Programmation
FLORENCE PARLY
Les dossiers sont nombreux, j'ai donc passé beaucoup de temps en déplacements, d'abord sur le terrain, parce que, vous le savez, les armées françaises sont déployées sur notre territoire, de façon très diffuse, elles sont par ailleurs présentes également sur des théâtres d'opérations extérieures. Je me suis beaucoup déplacée à l'étranger parce que c'est une responsabilité qui y conduit, évidemment c'est le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères qui est le plus en contact et qui est le plus amené à voyager de par le monde, mais les militaires assument une responsabilité qui me conduit à devoir être présente aussi vis-à-vis de mes homologues ministres de la Défense. Et puis enfin, j'ai pu accompagner un certain nombre de déplacements, qu'il s'agisse du président de la République ou du Premier ministre. Donc, c'est très important pour pouvoir prendre la mesure des choses, et ensuite prendre à bras-le-corps les dossiers. Alors, le premier dossier que
GUILLAUME DURAND
On va les prendre les uns après les autres. J'ai une question qui est liée un peu à l'actualité, avant qu'on parle des dossiers militaires qui sont extrêmement importants. Vous avez appartenu à un gouvernement où il y avait JOSPIN, CHEVENEMENT, FABIUS, DSK, AUBRY, ALLEGRE, LANG, là il y a 1500 Black Blocs dans la rue, et le Premier ministre est, d'une certaine manière, un peu obligé d'intervenir tout azimut, pendant que le président est en Australie, pour défendre son ministre de l'Intérieur. Alors, on parle beaucoup de la solitude du pouvoir d'Emmanuel MACRON, est-ce que vous avez l'impression que le pouvoir d'aujourd'hui est un pouvoir beaucoup plus solitaire que ne l'était le pouvoir que vous avez connu quand vous étiez au Budget il y a maintenant des années ?
FLORENCE PARLY
Les situations étaient extrêmement différentes. Je rappelle que lorsque Lionel JOSPIN était Premier ministre nous étions en situation de cohabitation et que cette situation de cohabitation créait une réalité, c'est-à-dire la nécessité d'avoir une majorité parlementaire extrêmement cohérente du fait de la cohabitation. Nous sommes aujourd'hui dans une situation très différente, où le président de la République a été élu au second tour face à Marine LE PEN, il a confirmé de façon massive la majorité qu'il avait obtenue à la présidentielle, dans le cadre des législatives, et nous avons un gouvernement qui est un gouvernement extrêmement cohérent, extrêmement collectif
GUILLAUME DURAND
Je ne le nie pas, mais quand vous entendez le Premier ministre dire que l'Etat est présent, l'Etat est là, c'est une manière de se défendre face à une sorte d'apparence de faiblesse de l'autorité.
FLORENCE PARLY
Mais, l'autorité est tout à fait présente puisque les forces de l'ordre ont été parfaitement préparées. La présence de ces Black Blocs était, comme l'a dit le préfet de police hier, tout à fait anticipée, donc un dispositif a été mis en place, il s'est avéré effectivement très efficace puisque, d'une part, les manifestations du 1er mai, les manifestations syndicales, ont pu se dérouler, certes avec un changement d'itinéraire qu'elles ont bien voulu accepter, mais par ailleurs ces perturbateurs qui se sont donc concentrés pendant cette manifestation du 1er mai, ont été maintenus, endigués, maîtrisés, et 200 interpellations ont eu lieu.
GUILLAUME DURAND
Mais vous avez MELENCHON qui recommence, MELENCHON samedi il veut faire la Fête à MACRON, alors forcément on se dit les Black Blocs vont revenir, et d'ailleurs Edouard PHILIPPE est furax de cette manifestation, il l'a prévenu hier chez nos confrères de BFM TV.
FLORENCE PARLY
Mais personne ne peut être heureux de voir qu'un certain nombre de perturbateurs veulent confisquer une manifestation qui est parfaitement légitime, qui est la manifestation traditionnelle du 1er mai, personne ne peut être heureux de voir qu'un certain nombre de gens veulent casser, détruire, tout ceci est parfaitement contraire
GUILLAUME DURAND
Mais là c'est carrément faire la fête au président de la République.
FLORENCE PARLY
Parfaitement contraire aux lois de la République.
GUILLAUME DURAND
Non, mais là c'est carrément faire la fête au président de la République
FLORENCE PARLY
Mais enfin c'est une expression, les Black Blocs, malheureusement, existaient auparavant, ce n'est pas une invention du mois dernier.
GUILLAUME DURAND
Il faut les dissoudre ?
FLORENCE PARLY
Il faut les dissoudre, si on peut les dissoudre juridiquement, oui, bien sûr.
GUILLAUME DURAND
Question concernant la Loi de Programmation Militaire, elle arrive au Sénat. Vous savez, puisqu'on parlait des conditions dans lesquelles vous êtes arrivée à ce poste, il y a eu la démission fracassante du Général Pierre de VILLIERS. Alors, est-ce que vous pouvez nous dire solennellement ce matin qu'au terme de la discussion et au retour à l'Assemblée nationale, parce que c'est ça le fonctionnement, il y aura les progressions budgétaires qui ont été promises par Emmanuel MACRON, c'est-à-dire j'ai retrouvé un chiffre en gros, pour l'exercice 2019-2025, 295 milliards seront consacrés justement aux armées en France ?
FLORENCE PARLY
Absolument. L'ambition, c'est le président de la République qui l'a fixée, c'est de porter l'effort de la Défense, d'ici 2025, à 2 % du PIB, et cette Loi de Programmation Militaire réalise cet objectif sur la dernière année de la programmation. Ce sont donc bien 295 milliards d'euros qui seront investis sur cette période. C'est un renouveau historique pour nos armées puisque pendant des années, c'est-à-dire depuis la fin, en gros, de la Guerre froide, les efforts militaires ont été fortement diminués dans de très nombreux pays, et l'effort militaire de la France a fortement décru alors même que l'engagement
GUILLAUME DURAND
Nous sommes la sixième Nation du monde !
FLORENCE PARLY
Alors même que les engagements extérieurs de la France n'ont cessé de progresser. Donc, nos armées étaient confrontées à un effet de ciseau, à un grand écart en quelque sorte, entre des moyens qui étaient toujours en diminution et des interventions qui elles étaient toujours en augmentation, et c'est cela à quoi nous mettons un terme puisque nous allons à la fois réparer les errements du passé et en même temps préparer l'avenir. Et donc, je n'ai aucun doute sur le fait que cette Loi de Programmation Militaire, qui a recueilli une très forte majorité à l'Assemblée nationale, plus de deux tiers des voix, va être présentée au Sénat dans quelques jours, donc le débat n'a pas encore eu lieu, donc je ne peux pas préjuger, mais je peux témoigner de la qualité des échanges que j'ai pu avoir avec un certain nombre de sénateurs et je sais que bon nombre d'entre eux accueillent favorablement ce projet.
GUILLAUME DURAND
Deuxième grand sujet, c'est le service national obligatoire qui a été voulu par Emmanuel MACRON, chaque année pour 600.000 jeunes. Il y a une commission, un groupe de travail disons, qui va remettre ses recommandations dans une semaine, il y a beaucoup de gens qui considèrent et ma petite oreille me dit que c'est peut-être votre cas que tout ça va être très compliqué à mettre en place parce que ça va coûter entre 2,5 et 3 milliards par an et qu'il va falloir construire des casernes, qu'on ne sait pas très bien exactement ce qu'on va leur apprendre, que ça va être compliqué de mélanger ça avec une armée professionnelle. Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur ce que vous souhaitez ce matin ?
FLORENCE PARLY
Alors, le projet de service national universel n'est pas un service militaire, donc il n'y aura pas de sujet de cohabitation avec nos armées professionnelles. C'est un projet enthousiasmant, ambitieux, qui est fondé sur un constat, c'est un désir d'engagement très fort de la part de la jeunesse, et d'autre part la nécessité de permettre à une classe d'âge toute entière, c'est-à-dire 800.000 jeunes, de croiser d'autres jeunes qu'ils n'ont pas l'habitude de croiser.
GUILLAUME DURAND
Mais à un coût exorbitant, 2,5 milliards, 3 milliards, c'est beaucoup.
FLORENCE PARLY
Alors, c'est un projet qui est encore, vous m'y autoriserez, à préciser qu'il n'a pas encore fait l'objet de décision, il fait l'objet de beaucoup de commentaires, et c'est excellent parce que ça prouve que c'est un projet qui intéresse, qui passionne, mais aujourd'hui nous en sommes encore à des propositions qui ne sont pas encore remises au gouvernement, donc tout dépendra des modalités précises qui seront choisies. Et ce que je peux dire, puisque vous m'interrogiez tout à l'heure sur la Loi de Programmation Militaire, c'est que les moyens financiers, qui seront nécessaires pour faire fonctionner ce service national, seront à part et ne viendront pas, en quelque sorte, réduire les moyens de la Loi de Programmation Militaire, ce qui est évidemment un élément tout à fait important.
GUILLAUME DURAND
Est-ce que le chiffre de 2,5 milliards, 3 milliards, est un bon chiffre ou pas ?
FLORENCE PARLY
Des fourchettes ont circulé, encore une fois tout dépend du mécanisme qui sera retenu, de sa durée, de la part de la période qui sera faite en internat, de la part qui sera faite selon
GUILLAUME DURAND
Mais on saura ça quand, pardonnez-moi, ça a été tellement
FLORENCE PARLY
Le rapport sera rendu dans quelques semaines.
GUILLAUME DURAND
Mais la décision définitive du président c'est pour quand ?
FLORENCE PARLY
Il y aura une communication du gouvernement dans les prochaines semaines en Conseil des ministres.
GUILLAUME DURAND
Question, elle est importante, beaucoup de gens se demandent si l'opération Barkhane au Mali, qu'a voulue notamment François HOLLANDE, n'est pas une opération qui est en train de s'enliser, est-ce qu'elle est encore utile, parce qu'elle a un coût budgétaire considérable, c'est plus de 4000 hommes, plus ceux qui sont sur le terrain encore sur certaines poches de lutte contre Daesh, donc est-ce qu'on a encore les moyens de ces expéditions ? Ce n'est pas le bon mot expéditions !
FLORENCE PARLY
On a évidemment les moyens de cette opération extérieure qui, initiée en 2013, a permis de sauver un pays, le Mali, qui sans cette opération se serait écroulé, maintenant je suis parfaitement d'accord avec vous, cette opération n'a pas vocation à durer de façon éternelle. Alors, quels sont les moyens que nous pouvons mettre en oeuvre pour faciliter la stabilisation de cette région du Sahel qui est, comme vous le savez, minée par le terrorisme qui déstabilise les Etats et qui constitue une menace, y compris pour nos pays européens, eh bien c'est de permettre que les pays concernés, les cinq pays du Sahel, créent leurs propres forces de sécurité pour prendre en charge leur sécurité. C'est l'initiative qui a été prise en 2017, cette force conjointe est en cours de constitution, et nous, la France, avec l'opération Barkhane, nous assurons la formation, la préparation de cette force conjointe
GUILLAUME DURAND
Et il y a une date ?
FLORENCE PARLY
La force conjointe est en cours de déploiement, elle a mené une première opération à la fin de l'année 2017, elle en a menée une seconde au mois de février, et elle va en mener une troisième, importante, aux côtés de la force Barkhane, dans quelques semaines. Et donc, Barkhane a vocation à épauler cette force conjointe au fur et à mesure de sa montée en puissance.
GUILLAUME DURAND
J'ai beaucoup de questions encore à vous poser, donc pardonnez-moi de vous demander d'y répondre, non pas brièvement, mais avec précision, sur certains sujets. On vient de parler du service national, le Charles-de-Gaulle, normalement, il s'agit du porte-avions français, c'est jusqu'en 2040, est-ce qu'il ne vaut mieux pas oublier le service national et remplacer le Charles-de-Gaulle, ou prévoir de remplacer le Charles-de-Gaulle ? Et d'ailleurs, ce matin, est-ce que vous pouvez nous dire si le Charles-de-Gaulle va être remplacé ?
FLORENCE PARLY
Alors, le Charles-de-Gaulle sera remplacé, à compter de 2040, et la Loi de Programmation Militaire, dont nous avons parlé, prévoit les crédits permettant de mener les études pour définir ce que sera le successeur du Charles-de-Gaulle. Donc oui, les financements pour le remplacement du Charles-de-Gaulle sont prévus en termes d'études, et c'est la Loi de Programmation Militaire suivante qui financera la construction de ce porte-avions. Et par ailleurs, il n'y a évidemment pas de contradiction, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, entre le service national, qui bénéficiera d'un financement ad hoc, et puis ces grands projets, ces grands équipements structurants, qui seront encore présents au cours de la seconde moitié du 21e siècle, qui sont très structurants pour nos forces et pour lesquels notre Loi de Programmation, en cours de discussions, prévoit le lancement.
GUILLAUME DURAND
Dernier point, est-ce qu'il y aura des avions franco-allemand, est-ce qu'il va y avoir une collaboration entre AIRBUS et DASSAULT ?
FLORENCE PARLY
Absolument. Il y a un projet franco-allemand dont nous avons posé les premiers jalons la semaine dernière avec mon homologue Madame VON DER LEYEN, à Berlin, au Salon aéronautique de Berlin, c'était un projet qui avait été lancé, en termes d'idée, lors du Conseil franco-allemand qui s'est tenu en juillet 2017, par le président de la République et madame MERKEL, et donc, en quelques mois, et c'est assez inespéré, en quelques mois nos gouvernements, nos équipes, nos industriels, se sont mis au travail, et nous avons donc défini les premières fonctionnalités communes auxquelles devra répondre ce système de combat aérien du futur, qui est à la fois un avion de combat, et en même temps un système qui associera notamment des drones pour assurer le combat aérien de demain.
GUILLAUME DURAND
Il y a beaucoup de sujets dont on pourrait parler, l'armée européenne, mais j'ai une question assez simple concernant la féminisation des armées. Alors, je mets de côté le harcèlement sexuel, non pas que ce soit un sujet peu important, bien au contraire, mais est-ce qu'un matin, par exemple, il est possible que je puisse recevoir, puisqu'il y a déjà eu des ministres de la Défense ou des Armées qui sont donc des femmes, Michèle ALLIOT-MARIE, vous, est-ce qu'il est possible que je reçoive un chef d'Etat-major qui soit une femme ?
FLORENCE PARLY
C'est mon voeu le plus cher et je travaille en ce moment d'arrache-pied à un plan mixité, qui complétera un plan destiné à mettre fin aux problèmes de harcèlement, notamment dans les établissements d'enseignement militaire, et ce plan mixité a vocation à élargir le vivier, le vivier de femmes, puisqu'aujourd'hui
GUILLAUME DURAND
Parce que depuis des années on ne voit que des hommes, que des hommes, que des hommes, comme chefs d'Etat-major.
FLORENCE PARLY
Il y a 15 % de femmes dans les armées, et donc c'est ce vivier-là qu'il faut élargir pour pouvoir espérer le plus rapidement possible, je l'espère, avoir un chef d'Etat-major des Armées pourquoi pas féminin.
GUILLAUME DURAND
Merci beaucoup. Florence PARLY était l'invitée politique de la Matinale, elle est ministre des Armées. Je ne sais plus si on dit ministre des Armées, ministre de la Défense
FLORENCE PARLY
Ministre des Armées.
GUILLAUME DURAND
Des Armées, dit-on, voilà.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 mai 2018