Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
L'année 1993 a été déclarée par le Conseil des ministres des douze pays de la Communauté "Année européenne des personnes âgées et de la solidarité entre les générations". Cette initiative nous incite à poser un regard nouveau sur la personne âgée et la place qu'elle occupe au sein de nos sociétés européennes. Grâce à elle peut-être, nous réalisons l'ampleur d'une mutation qui touche tous nos pays et qui se traduit par l'implication de plus en plus forte des personnes âgées dans la vie économique et sociale. Plus qu'une mutation, il s'agit là d'une véritable révolution silencieuse que nous devons comprendre et accompagner.
Je suis heureuse de marquer par ma présence à cette conférence co-organisée par le Ministère des affaires sociales, de la santé et de la ville, et la Caisse nationale d'assurance vieillesse, avec le concours de la Commission des communautés européennes, l'intérêt que le Gouvernement français porte à ce sujet.
Il est en effet évident que l'Europe est désormais confrontée à des évolutions majeures, démographiques, bien sûr, mais également économiques et sociales et qu'une des clés essentielles pour préparer l'avenir est la compréhension des conséquences de ces évolutions sur la place et le rôle des personnes âgées dans nos sociétés.
Les évolutions démographiques sont connues. En trente ans, le nombre des personnes de plus de soixante ans est passé, dans la Communauté européenne, de 46 à 69 millions. Cette évolution doit se poursuivre de sorte qu'il y aura en 2020 deux fois plus de personnes âgées qu'en 1960. Elles seront alors environ 100 millions, et 20 millions d'entre elles seront âgées de plus de 80 ans.
C'est d'ailleurs cette modification radicale qui a incité la Communauté à mettre en oeuvre un programme triennal en faveur des personnes âgées, dont l'objectif est de favoriser la prise de conscience de leurs conditions de vie et de leurs problèmes et d'encourager l'esprit de solidarité entre les générations. L'année 1993 constitue le moment fort de ce programme puisque, déclarée "année européenne", elle nous invite à mettre en commun nos réflexions et nos expériences dans ce domaine.
La croissance de l'importance relative des personnes âgées parmi nos populations est accentuée par le ralentissement de la natalité, quasi général en Europe. A des anciens plus nombreux correspondent des jeunes plus rares, qui appartiennent à des familles aux dimensions réduites. Une recomposition totale de l'ordre démographique antérieur s'organise, qui ne peut être neutre sur nos valeurs et nos modes de consommation et d'organisation.
Pour les individus pris isolément, les statistiques ont une signification précise. Elles annoncent des années entières de vie supplémentaires en comparaison des générations précédentes, des années qui doivent être autant de cadeaux et non pas de fardeaux. Il nous appartient, par notre réflexion, mais surtout par notre action, de prendre garde à cette évolution et d'y répondre avec détermination.
Les tendances démographiques peuvent être, pour l'analyse, isolées des phénomènes économiques et des évolutions techniques. Dans la réalité elles sont concomitantes. Et malheureusement, les sociétés occidentales subissent actuellement, sans les dominer complètement, les mutations nées des progrès techniques. Il en résulte un chômage élevé qui pèse sur les plus jeunes, mais également sur les travailleurs âgés.
Au total, l'allongement du temps de ( ) saccompagne de l'accroissement de la période à passer hors de la vie dite "active" et le (...), qui faisait reposer le fonctionnement et l'animation de nos sociétés européennes sur une fraction de leur population, les adultes "actifs", de plus en plus réduite, par suite également de la prolongation et de la durée des études et de la formation, devient très contestable et nous entraîne dans une impasse.
Comment devons-nous nous adapter à ces évolutions ? C'est une question fondamentale, à laquelle je ne prétends pas apporter de réponse immédiate, mais il me parait clair que nous ne pourrons pas l'éluder longtemps. Une des voies de notre adaptation réside sûrement dans une réponse que je qualifierai d'humaniste, parce qu'elle correspond à une participation accrue des personnes âgées à la vie sociale, au sens large, et les témoignages qui ont été produits au cours de la conférence l'illustrent abondamment.
Cette réponse consiste à tourner le dos à une vision réductrice de la personne âgée, qui la confine dans un rôle de citoyen passif, tourné essentiellement vers lui-même, et dont l'ouverture aux autres se résume trop souvent à des rencontres avec des personnes de leur propre génération ou à la garde des petits enfants le dimanche ou pendant les vacances. De ce point de vue, les forums qui sont intervenus dans le cadre de cette conférence ont permis de montrer la réalité de la solidarité entre les générations, et la contribution déterminante que peuvent apporter les personnes âgées. Si je n'ai pas pu assister à ces différents forums, les idées qui y ont été exprimées m'ont été rapportées et elles confirment, me semble-t-il, la modification considérable du rôle des personnes âgées, qui a lieu actuellement, partout en Europe.
La transmission du savoir et de l'expérience, d'abord, est de plus en plus fréquemment organisée par des personnes âgées, en direction notamment des enfants. "Mémoires de Pierre" en France, "Solidarités entre les générations" au Portugal, "Raconter son école primaire" en Belgique et "Expérience et savoirs acquis" en Allemagne, sont autant de projets concrets et réussis : ils montrent comment les aînés peuvent s'impliquer dans ce passage de témoin entre générations, cette contribution au parcours initiatique des plus jeunes, en donnant certainement une partie d'eux-mêmes, la plus noble, et en ayant la certitude que ce don leur survivra. Il y a là sans doute une transmission du vécu et de la mémoire de chacun, véritable patrimoine culturel, puisque chaque graine de conscience semée dans l'esprit d'un enfant contribue à sa maturité et ajoute, finalement, à la connaissance de l'humanité.
L'action en faveur de l'emploi, ensuite, dans la conjoncture que nous connaissons, atteste le souci de ne pas ignorer les problèmes vécus par les générations plus jeunes. Les exemples écossais, allemand et français qui vous ont été exposés ont un point commun. Il s'agit, toujours, de mettre à la disposition de ceux qui en ont besoin des connaissances professionnelles et relationnelles. Les actions sont modestes, limitées à quelques bénéficiaires, ou plus ambitieuses, mais leur esprit reste identique. Même lorsqu'ils ont acquis une retraite méritée, après une longue période d'activité, ceux qui souhaitent s'associer aux difficultés des plus jeunes et les aider à les résoudre sont de plus en plus nombreux. Pour cela l'aide ne se limite pas aux discours, mais elle est de plus en plus construite, organisée, efficace. Le défi est évidemment colossal, dans notre monde destructeur d'emploi, mais chaque bonne volonté compte, et il me parait primordial que les plus anciens refusent de contempler le désarroi des autres sans réagir.
La prévention de l'exclusion, enfin, est d'une certaine manière, le prolongement de la démarche que je viens d'évoquer. Les actions anglaise et française qui ont été décrites devant vous traduisent une volonté d'écoute et de prévention, face au développement de l'exclusion. René LENOIR a introduit le débat, et j'ai souvent eu l'occasion d'évoquer ces sujets avec lui. Nous savons que les mutations qui affectent nos sociétés laissent des populations entières au bord du chemin. Les gouvernants tentent de trouver des solutions, pour atténuer les effets du chômage, de lisolement, de l'inadaptation. Mais ils ne peuvent y parvenir seuls. Les relais sont indispensables, et les personnes âgées peuvent, par leur capacité d'écoute et leur disponibilité éviter le dépérissement des liens sociaux et combattre, ainsi, l'exclusion.
Après avoir fait référence à ces témoignages, je voudrais insister sur ce qu'ils représentent. Ils ne sont pas des cas isolés, qu'il est commode de désigner de congrès en congrès, mais ils révèlent bien un mouvement de fond, qui conduit des citoyens âgés à s'intéresser aux autres et à manifester leur solidarité vis à vis de ceux qui les suivent. J'en ai la certitude. Je reçois fréquemment, du fait de mes fonctions, des associations de retraités. Elles me présentent leurs opinions et, souvent, leurs revendications. Mais je constate que, toujours, il arrive un moment dans l'entretien où elles me font part de leur volonté d'être associées aux difficultés des plus jeunes et d'apporter d'une manière ou d'une autre, leurs idées et leur expérience au secours de ceux qui souffrent.
La floraison des initiatives des personnes âgées en ce sens, la multiplication des projets bénévoles sont des signes de notre temps. Notre monde bouge et nous prenons peu à peu conscience, collectivement, du fait que les personnes âgées sont des citoyens de ce monde, ni plus ni moins, et qu'elles demandent à assumer leur part d'efforts et à bénéficier de la reconnaissance commune.
Il n'y aurait là rien d'extraordinaire si nous ne sortions pas de longues années au cours desquelles l'image des anciens a été brouillée, dévalorisée et, en définitive, abîmée. L'initiative du Conseil des ministres des douze pays de la Communauté, de consacrer l'année 1993 "Année européenne des personnes âgées et de la solidarité entre les générations", marque, à mon sens, une date dans notre histoire. Par la dynamique qu'elle aura donné aux projets qui existaient déjà, par ceux qu'elle aura fait naître et qui perdureront, par l'image positive qu'elle aura contribué à répandre de l'action des personnes âgées. auprès d'elles-mêmes tout d'abord, mais également dans l'ensemble de nos sociétés, elle est certainement le déclic indispensable que nous attendions.
Il vous revient, à vous parlementaires, responsables d'associations, chercheurs, universitaires, agents des Etats, des collectivités territoriales et des institutions sociales, acteurs à des titres divers de nos sociétés, de veiller à ce que cet acquis ne soit pas un feu de paille, mais demeure et prospère. Pour ma part, avec les responsabilités qui sont aujourd'hui les miennes, je m'y emploierai, je m'y engage.
Si la prise de conscience de l'évolution du rôle des personnes âgées est incontestable, elle ne saurait faire oublier les devoirs de nos Etats envers ces personnes.
Pour cela, il est souhaitable dans un premier temps de disposer de connaissances précises sur les relations entre les générations. et les transferts publics et privés qui s'opèrent entre elles. La recherche exposée au cours de la première journée me parait à ce titre prometteuse. Elle enrichira la perception que nous avons des liens qui existent entre les générations. Nous savons que la construction de nos systèmes de protection sociale modernes, après la deuxième guerre mondiale, a bouleversé l'ordre ancien des solidarités familiales. Ce bouleversement s'est fait au bénéfice de tous, puisqu'il a garanti à la plupart des personnes de nos Etats l'autonomie financière nécessaire à leur dignité, même lorsque la maladie, l'accident, ou l'âge ne rendent plus possible la poursuite d'une activité rémunérée. Il ne s'est cependant pas accompagné de la fin des échanges familiaux, bien évidemment. Mais ces échanges ont vu leur nature modifiée. Les personnes de plus de 60 ans, en particulier, possèdent désormais, en moyenne, des revenus d'un niveau comparable, voire supérieur, dans un pays comme la France, à ceux des personnes dont l'âge est compris entre 20 et 60 ans. Toutes les études montrent que, grâce à cela, elles viennent nombreuses au secours de membres de leur famille moins bien dotés et amortissent ainsi la crise qui secoue nos sociétés. Il me semble que dans ce domaine, les données nous manquent pour être plus affirmatifs, et le travail entrepris et restitué ici est susceptible de nous éclairer et d'être utile à nos décisions.
J'ai parlé des devoirs de nos Etats envers les personnes âgées. Ils sont bien sûr multiples, comme envers tous les citoyens. Mais je voudrais m'attarder sur une question particulière, celle du grand âge et de la dépendance. Si j'ai souhaité aujourd'hui délivrer surtout un message d'optimisme, axé sur une image valorisé de la personne âgée, je ne veux pas non plus dissimuler la question de la dépendance. C'est une question grave. Les personnes qui y sont confrontées, ainsi que leurs familles, sombrent souvent dans le désespoir lorsqu'elles ne peuvent trouver de solutions satisfaisantes. Des réponses partielles ont été mises au point dans nos différents pays qu'il convient d'améliorer. Quelles que soient les voies choisies ici ou là, je pense qu'elles doivent dans tous les cas poursuivre trois objectifs. Donner tout d'abord aux personnes âgées les moyens d'achever leur vie dans la dignité, sans être perturbées par les conséquences financières et matérielles, pour elles et leur famille, de leur état de dépendance. Autoriser, ensuite, le maintien à domicile, le plus longtemps possible, des personnes âgées dépendantes qui le souhaitent. Simplifier, enfin les dispositifs mis en place, pour éviter que leur complexité n'en interdisent l'accès aux personnes ou à leurs familles.
Nos douze pays, je crois, tentent de trouver des solutions, liées à leur culture et à leur personnalité propres. Je m'emploie pour ma part à ce qu'une telle solution soit proposée bientôt aux Français, parce que je considère quil n'y a plus lieu de la différer plus longtemps.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les réflexions que je voulais vous livrer. Je sais que certains d'entre vous doivent repartir dans leur pays et je ne veux pas les mobiliser plus longtemps. Je tiens cependant, pour conclure, à remercier tous ceux qui ont contribué à faire de cette conférence un succès par leur participation aux tables rondes et aux forums, ainsi que par leurs témoignages au cours de ces journées. Je remercie tout particulièrement les agents de mon ministère, dont je sais qu'ils ont consacré beaucoup de leur énergie et de leur talent à la préparation de cette conférence, de même que ceux des autres organismes associés.
Je souhaite enfin, comme je l'ai dit précédemment, que cette conférence ne soit pas un acte isolé, mais qu'elle marque véritablement la prise de conscience par les personnes âgées elles-mêmes et par nos sociétés européennes des mutations qui nous attendent.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie.