Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense (projet n° 383, texte de la commission n° 477, rapport n° 476, avis nos 472 et 473).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le président, monsieur le président-rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, la France a besoin de ses armées. Elle a besoin d'une défense forte, solide, moderne. Elle en a besoin face à des menaces violentes, diffuses, mouvantes, face à des ennemis indéterminés.
Les Français ont besoin de leurs armées. Elles sont la garantie de leur sécurité, de leur liberté. Elles sont la garantie de notre capacité à être entendus et écoutés.
Le monde dans lequel la France évolue a été décrit avec précision et lucidité lors des travaux de la revue stratégique. Nous en avions débattu dans cet hémicycle, et nous en avions partagé le constat, comme les conséquences.
Le constat est celui d'un monde plus violent, où le terrorisme continue de frapper, où les États reprennent la course aux armements. Un monde où les puissances s'affirment par tous moyens, où les dictateurs gazent leur propre peuple. Un monde instable, où les pratiques changent et les ennemis n'ont parfois ni motivation ni visage, mais continuent de frapper par des actions terroristes toujours plus barbares, y compris sur notre sol.
Face à ce monde, nous l'avions dit clairement, la France doit agir. Elle doit agir en donnant à ses armées tous les moyens nécessaires pour mener à bien leurs missions. Elle doit agir pour répondre à toutes les menaces, être capable d'intervenir sur tous les terrains face à tous les ennemis. Elle doit agir en disposant d'une ambition forte et d'un objectif clair : donner à nos armées des moyens à la hauteur et bâtir un modèle d'armée complet et équilibré.
Nous le devons à nos armées. Nous le devons aux Français.
Ce projet de loi de programmation militaire c'est une réponse : une réponse à l'appel de nos armées. Une réponse à la demande des Français. Une réponse aux menaces qui pèsent sur notre pays.
La loi de programmation militaire 20192025 est la première loi en expansion depuis la fin de la guerre froide. C'est le début d'une remontée en puissance historique. En effet, ce n'est pas un projet de loi de programmation militaire ordinaire dont nous débattons aujourd'hui : ce sont les fondations solides d'armées modernes, prêtes, équipées.
Il nous fallait investir massivement dans les armées. C'est ce que fait ce projet de loi.
Le cap fixé par le Président de la République ne pouvait être plus clair : 2 % de la richesse nationale française sera consacré à la défense d'ici à 2025.
Dès l'année 2017, j'ai obtenu le dégel de 1,9 milliard d'euros pour notre défense, permettant ainsi de respecter le budget 2017. L'ensemble des surcoûts des opérations extérieures, les OPEX, ont été couverts en interministériel par des ressources supplémentaires pour le budget de la défense.
Pour cette année, la loi de finances initiale pour 2018 marque la première marche de la remontée en puissance de nos armées, avec une augmentation de 1,8 milliard d'euros de son budget. Concrètement, après des années de baisse continue, l'effort de défense, en pourcentage du PIB, a remonté cette année.
Cette remontée en puissance se poursuit et s'accélère dans le présent projet de loi : 295 milliards d'euros seront ainsi consacrés à la défense sur la période de la programmation.
Certains craignent que ces moyens n'arrivent trop tard. Or, rien que sur la période 20192023, ce sont 198 milliards d'euros qui seront investis pour notre défense, soit 23 % de plus que sur la période couverte par la précédente loi de programmation militaire.
J'y insiste, ces moyens sont exceptionnels. Ils sont aussi concrets, puisqu'ils ne reposent sur aucune recette exceptionnelle ou aléatoire, et seulement sur des crédits budgétaires. C'est un projet de loi solide, un projet de loi budgétairement sincère.
Bien sûr, j'entends les craintes. Je pense au surcoût des OPEX et des missions intérieures.
Le Président de la République l'a dit et répété, la provision pour les OPEX et les missions intérieures, bien trop faible ces dernières années, a été augmentée à 650 millions d'euros en 2018, pour être portée à 1,1 milliard d'euros dès 2020.
Parallèlement, ce texte inscrit noir sur blanc que les surcoûts éventuels seront financés en interministériel. Avec cette hausse de la provision, nous atténuons donc l'incertitude dans laquelle se trouvait le ministère concernant les ressources disponibles pour financer les opérations extérieures, qui, in fine, faisait peser un risque sur les crédits d'équipement, trop souvent mis à contribution pour couvrir les OPEX.
Cette décision rend nos budgets plus sincères, comme cela avait été demandé à de nombreuses reprises sur les travées de cette assemblée. Elle empêche que l'incertitude budgétaire puisse faire planer une menace sur les OPEX et les missions intérieures.
Je connais aussi les doutes de certains sur le financement du service national universel. Le Président de la République l'a affirmé plusieurs fois : celui-ci bénéficiera d'un financement ad hoc, indépendant donc du financement des armées. Le texte du projet de loi le prévoyait déjà, et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a choisi de renforcer ces dispositions. Toutes les garanties sont donc réunies.
Je pense, enfin, à l'actualisation de 2021. Elle aussi est une garantie, et non un sujet d'inquiétude. Elle est la garantie de la bonne exécution de la loi de programmation militaire, la LPM. Elle est le gage que nous emploierons les bons moyens pour atteindre l'objectif de 2 % du PIB en 2025.
Déterminer dès aujourd'hui les crédits postérieurs à 2023, c'est risquer de nous tromper, c'est risquer de sous-estimer l'effort nécessaire. Nous le savons, l'enfer est pavé de bonnes intentions. À cet égard, il serait préjudiciable à nos armées que nous manquions l'objectif que nous nous étions fixé, faute d'avoir anticipé parfaitement l'évolution de notre PIB.
Cette actualisation en 2021 est donc une bonne chose. J'en veux pour preuve l'actualisation de la LPM précédente, qui a permis, en 2015, de réajuster les ressources à un niveau plus conforme aux besoins.
À l'inverse, cela permettra d'éviter les promesses non tenues, dès le début de la période, de la LPM 20092014. Une actualisation nous aurait sans doute permis d'y échapper.
Je veux le dire à tous : le rendez-vous de 2021 est une bonne chose, une garantie pour l'exécution de ce texte, une garantie pour les 2 %.
Je voulais vous dire que je comprends les craintes, mais aussi votre vigilance. Comment ne pas les comprendre après que tant de sacrifices ont été demandés à notre défense ?
Je sais quel a été le rôle clé du Sénat, en soutien constant de nos armées quand les moyens n'étaient pas au rendez-vous. Depuis longtemps, et au cours de la dernière mandature en particulier, les sénateurs ont porté, en étroite collaboration avec Jean-Yves Le Drian, la défense d'un budget adéquat pour nos armées dans un contexte budgétaire particulièrement contraint.
Ils ont contribué à préserver ce qui devait l'être, avec des ressources inférieures aux besoins, compte tenu du niveau très élevé d'engagement de nos armées. Cela a permis de répondre aux exigences de la défense nationale et aux besoins des femmes et des hommes qui servent pour notre pays. Je tenais à le souligner tout particulièrement.
Ce combat, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'avez poursuivi depuis un an. Monsieur le président Cambon, vous avez su prendre la mesure de l'importance de ce texte pour notre défense comme pour nos militaires. Vous avez su le porter au-delà des débats politiciens, pour travailler dans le seul intérêt de notre défense et de nos armées. Avec vous, c'est toute une commission qui s'est emparée de cette loi de programmation militaire.
Je tenais à rendre un hommage tout particulier au travail mené en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, un travail qui a montré votre engagement pour notre défense, qui a montré une volonté, votre volonté d'enrichir ce texte pour le bien de nos armées.
Je crois profondément au travail parlementaire et à la coconstruction législative. C'est pourquoi, dans le débat qui s'annonce, je serai particulièrement attentive aux changements réalisés lors de l'examen du texte en commission.
Je ne vais pas égrener les thèmes maintenant il faut garder un peu de suspense pour la discussion des articles , mais je peux d'ores et déjà vous dire que je soutiens une bonne partie des apports de la commission, sur le volet programmatique comme sur le volet normatif.
Nous allons investir dans nos armées, et nous allons investir massivement, en termes financiers et humains : d'ici à 2025, 6 000 postes seront créés, notamment dans le secteur du renseignement et de la lutte dans l'espace cyber. Ils permettront d'inverser résolument la courbe des recrutements et de nous préparer aux conflits du futur.
Nous avons donc les moyens. La question qui se pose est celle de leur répartition. Ce projet de loi s'articule autour de quatre grands axes, dont chacun permettra de réparer les carences du passé et de préparer l'avenir de nos armées.
Le premier choix de cette loi de programmation militaire, c'est de se placer à hauteur d'homme. Les précédents textes ont toujours placé en leur coeur les gros équipements ; celui-ci tient d'abord compte de celles et ceux qui se battent pour nous. C'est un choix que j'assume, que je revendique et dont je suis fière.
Depuis des années, les premières coupes budgétaires des gouvernements se faisaient au détriment des petits équipements. On enlevait donc à nos forces d'abord ce qui était le plus nécessaire à leur quotidien.
Nous ne pouvions plus le tolérer. C'est pourquoi ce projet de loi prévoit la livraison de 55 000 gilets pare-balles dernier standard, dont 25 000 dès l'année prochaine. Il prévoit également de livrer, dès cette année 2018, 23 000 nouveaux treillis ignifugés, dont l'ensemble du personnel en OPEX sera équipé dès 2020, et l'intégralité de nos forces d'ici à 2025.
Ce projet de loi de programmation militaire, ce sont aussi de nouveaux droits civiques. Il autorise en effet les militaires à siéger dans les conseils municipaux de certaines communes. C'est une mesure de justice. Il ne s'agit pas de faire de la politique, mais de laisser à des militaires les moyens d'un engagement local et de permettre à toutes les communes surtout les plus petites de bénéficier de tous les talents, de toutes les bonnes volontés.
Par ailleurs, ce projet de loi amplifie les mesures prévues dans le plan Famille, dont la plupart des dispositions entreront en vigueur dès cette année. Très concrètement, cela signifie du wifi, des places en crèche, des logements supplémentaires et des affectations connues plus tôt qu'actuellement.
Ce projet de loi donne de meilleures conditions de vie et d'exercice à nos militaires et à nos civils. Il maintient l'envie de s'engager et permet de continuer à vivre son engagement tout au long de sa vie. À cet égard, j'aimerais citer une mesure emblématique : ce texte permettra à tous les militaires, femmes et hommes, en congé pour convenance personnelle afin d'élever leur enfant, de servir dans la réserve et de maintenir ainsi un lien avec leur engagement, leur vocation.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
Mme Florence Parly, ministre. Nos forces sont au coeur de ce projet de loi de programmation militaire qui n'oublie pas leur vocation : l'action. Pour leur permettre d'agir, d'agir pleinement et pour garantir le succès de nos opérations, ce texte prévoit un renouvellement majeur de nos capacités opérationnelles et une augmentation des cibles les plus stratégiques.
Nous aurons sans doute l'occasion, au cours du débat, de revenir sur ces cibles et sur l'avancée des principaux programmes. Je ne vais donc pas me lancer dans un inventaire à la Prévert. Je souhaite néanmoins vous dire ce qui a guidé nos décisions, en concertation très étroite avec les armées, les directions et les services, lors de l'élaboration de ce texte.
Certains de nos matériels sont usés, vieillissants, parfois même inadaptés. Leur renouvellement n'est donc pas une option, c'est un impératif absolu.
Réparer et préparer : je l'ai déjà dit, c'est l'une des lignes fondatrices de ce texte. Contrairement aux précédentes lois de programmation militaire, ce projet ne procède à aucune annulation de programme ou renégociation massive de contrats, compte tenu des dernières exécutions qui ont été conformes aux ressources annoncées. Nous allons donc, pour les trois armées, réparer les déficits capacitaires, relancer les programmes et les accélérer.
Pour l'armée de terre, nous allons accélérer le programme Scorpion. Par ailleurs, 50 % des nouveaux blindés médians auront été livrés d'ici à 2025.
La marine bénéficiera de nouveaux sous-marins nucléaires d'attaque, de nouvelles frégates, de patrouilleurs modernes en plus grand nombre.
L'armée de l'air connaîtra l'arrivée de ses premiers drones armés, le renouvellement de sa flotte d'avions de chasse et l'acquisition de nouveaux avions ravitailleurs et de transport stratégique en plus grand nombre que prévu.
Armée de terre, marine, armée de l'air : aucune impasse n'a été faite. Les trois armées voient leurs capacités renforcées, modernisées et accrues pour les plus stratégiques.
Ce projet assure également le renouvellement de ce qui est en quelque sorte « l'assurance vie » de notre nation que constituent les deux composantes de notre dissuasion nucléaire. C'est le respect de l'engagement du Président de la République et c'est un choix que je revendique, car il n'est pas question de jouer aux dés avec le coeur de la souveraineté de notre nation ni de baisser la garde, alors que notre environnement stratégique se détériore un peu plus chaque jour.
Le troisième fondement de cette loi de programmation militaire, c'est justement la garantie de l'autonomie stratégique de la France. C'est s'assurer que la voix de la France sera toujours entendue, écoutée, respectée. C'est s'assurer que nous serons capables de l'emporter, toujours, partout et tout le temps.
Ce projet de loi de programmation militaire prend donc acte de la métamorphose des conflits actuels. Il nous faut anticiper mieux, prévoir, savoir.
C'est pourquoi cette LPM accorde des moyens exceptionnels au renseignement, avec 1 500 nouveaux postes et 4,6 milliards d'euros d'investissements pour ses équipements.
Ce projet de loi prend aussi le tournant et la mesure des enjeux de cyberdéfense, puisque nous investirons 1,6 milliard d'euros pour la lutte dans le cyberespace et que nous recruterons 1 000 cybercombattants supplémentaires d'ici à 2025.
La France a la plus grande armée d'Europe. Avec ce texte, elle conforte sa place. Je dirais même plus : la France assume sa place. Elle en assume les forces, comme les responsabilités, au premier rang desquelles celle de fédérer, de faire le choix des projets ambitieux, des coopérations à grande échelle plutôt que des succès étriqués.
Nous devrons nous tourner vers nos alliés, en particulier européens, et chercher des projets fédérateurs, stratégiques. Je pense à notre politique spatiale, à notre groupe aéronaval ou à la défense aérienne élargie.
Nos voisins européens sont confrontés aux mêmes menaces, affrontent les mêmes dangers et partagent les mêmes constats que nous. L'Europe de la défense est une réponse collective et nécessaire. Elle ne naîtra pas d'un énième traité. Nous la construirons autour d'opérations communes, autour de projets concrets. Il ne s'agit pas d'un pari sans fondement, d'une déclaration d'intention sans rien derrière : les lignes bougent. Je pense à l'initiative européenne d'intervention, je pense à la coopération structurée permanente. Je pense aussi à cet accord historique que j'ai signé, voilà quelques semaines, avec mon homologue allemande, pour le système de combat aérien futur. Nos deux États se sont mis d'accord pour travailler ensemble sur un projet structurant pour notre défense aérienne. C'est donc le début d'opportunités exceptionnelles pour l'Europe et pour notre industrie de défense.
Enfin, le dernier axe de cette LPM 20192025 que j'évoquerai est l'innovation.
C'est une orientation à laquelle je tiens tout particulièrement et c'est, je crois, une nécessité pour conserver notre supériorité opérationnelle. On ne se prépare pas aux conflits du XXIe siècle comme à une guerre de tranchées. S'accrocher coûte que coûte aux équipements ou aux doctrines actuels sans anticiper le futur, c'est comme se retrancher derrière la ligne Maginot.
Aussi, avec cette loi de programmation militaire 20192025, les armées font pleinement leur entrée dans la modernité.
Le numérique est présent partout. Nous devons donc l'intégrer dans toutes nos technologies et tous nos modes de combat. Nous devons nous emparer de la recherche, nous placer à sa pointe et créer des ponts entre l'économie civile et l'économie militaire.
Ces enjeux sont déterminants pour nos armées. Ils le sont aussi pour notre économie, pour les 200 000 emplois de l'industrie de défense, pour les 4 000 PME de la base industrielle et technologique de défense. Ils le sont également pour les start-up, pour les inventions qui feront, demain, notre quotidien.
La recherche militaire a déjà inventé internet, le pneu et le GPS, pourquoi s'arrêterait-elle maintenant ? Et pourquoi ces inventions seraient-elles l'apanage des Anglo-Saxons ?
Ce texte nous donne les moyens de réussir. Nous augmenterons les moyens des études et de l'innovation en les portant de 730 millions d'euros par an à 1 milliard d'euros dès 2022. Nous créerons une agence de l'innovation de défense. Nous prendrons le tournant des défis de demain, en investissant, par exemple, 100 millions d'euros par an dans l'intelligence artificielle.
Avec ce projet de loi, nous préparons aussi l'avenir en engageant les phases préparatoires des grands programmes d'armement qui structureront l'avenir de nos armées : 1,8 milliard d'euros par an en moyenne seront ainsi consacrés à ces études qui nous permettront de concevoir le char de combat du futur, le système de combat aérien futur, dont je parlais à l'instant, ou le successeur du porte-avions Charles de Gaulle.
L'innovation, c'est un mode de pensée, un état d'esprit. Avec cette LPM nous pourrons agir comme nous le souhaitons, briser les carcans, troubler les conservatismes. Quatorze chantiers de transformation nous permettront de moderniser le ministère, de le rendre plus numérique, de réformer la DGA la Direction générale de l'armement ou d'augmenter la disponibilité de nos appareils en réformant le maintien en condition opérationnelle.
Ces réformes sont nécessaires et je prends devant vous l'engagement ferme de les mener jusqu'au bout et de surveiller leur exécution comme celle de la loi de programmation militaire elle-même.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'attente de nos armées est forte. Les espoirs des femmes et des hommes qui servent notre pays sont immenses.
Ce texte donne des moyens exceptionnels à notre défense : il permet de renouveler les équipements ; il donne l'opportunité de mieux vivre l'engagement militaire ; il rend nos armées plus fortes, plus prêtes à affronter les défis et les conflits de demain.
Ne nous trompons pas de débat : aujourd'hui, nous ne discutons pas de l'exécution de la programmation nous aurons ce débat, année après année, lors de l'examen des projets de loi de finances et des projets de loi de règlement. Aujourd'hui, nous discutons d'une programmation qui redonne à notre outil de défense les moyens dont il a besoin pour accomplir l'ensemble de ses missions. Il s'agit de l'avenir de nos armées, de nos militaires, de notre défense.
Alors, donnons-nous toutes les chances et bâtissons, ensemble, une défense forte, moderne et audacieuse. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants République et Territoires, du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
( )
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre. Messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai bien entendu vos interventions. Je vous suis très reconnaissante d'avoir tous choisi d'exprimer d'abord des convictions sur le fond. Je pense que ce texte et nos armées le méritent.
Ce dont il est question, c'est notre capacité à agir et à nous projeter sur un certain nombre de théâtres de plus en plus difficiles et incertains. Comme je vous l'ai indiqué, je pense que cette loi de programmation militaire sera encore meilleure parce qu'elle aura été travaillée collectivement.
Dans ce contexte, certains propos qui ont été tenus ne me semblent pas de mise dans cette assemblée, monsieur Ravier.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Il est parti !
Mme Florence Parly, ministre. Ce n'est pas grave ; je réponds même aux gens qui sont partis ! D'ailleurs, sur la forme, je trouve son absence encore plus choquante !
Je comprends que le parti de M. Ravier ait un problème avec cette loi de programmation militaire. Plus exactement, j'ai compris en lisant un certain nombre de tribunes que le Front national n'y souscrivait pas. Et je m'en étonne ! Voilà un parti politique qui se présente souvent comme le parangon d'une défense forte. On ne peut donc qu'être surpris de l'opposition de ses représentants à une augmentation du budget des armées de plusieurs milliards d'euros par an, à de meilleures conditions de vie et d'hébergement pour nos soldats, au renouvellement des programmes d'armement, et j'en passe. Je crois que cela méritait d'être rappelé devant la représentation nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. MM. Raymond Vall et Robert del Picchia applaudissent également.)
Les autres interventions ont parfaitement reflété, je le crois, cette forme de balancement que j'évoquais dans mon propos liminaire entre la nécessaire prise en compte des besoins de nos armées et un certain nombre de craintes rappelées de manière très explicite par les orateurs.
La prise en compte de la nécessité d'agir pour nos armées me paraît parfaitement partagée par votre assemblée. Comme je l'ai indiqué, je comprends les craintes, dans la mesure où le Sénat a vécu des périodes difficiles au cours des dernières années ; nos armées aussi, d'ailleurs
Je comprends donc parfaitement votre souci de vigilance quant aux moyens qui seront consentis au fil des années dans le cadre de la LPM, votre désir de bien contrôler l'exécution du texte et votre souhait que vos capacités de contrôle soient renforcées.
Je voudrais tout de même rappeler quelques points, en complément de mon propos introductif.
D'abord, le temps des sacrifices est révolu. Cette loi de programmation militaire ne crée pas, contrairement à ce que j'ai pu entendre dans un certain nombre des propos, de « mur budgétaire ». Je souhaite revenir un instant sur cette notion.
Il n'y a pas de « mur budgétaire ». Nous avons fixé un objectif : consacrer 2 % du PIB à notre défense en 2025. L'objectif est, en effet, très ambitieux, mais nous sommes déterminés à l'atteindre. D'ailleurs, nous n'avons pas attendu la loi de programmation militaire 20192025 pour engager cela.
Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, l'exécution 2017 s'est finalement déroulée conformément à la loi de finances initiale. En outre, la loi de finances initiale pour 2018 a procédé à un premier effort tout à fait significatif, de 1,8 milliard d'euros de plus qu'en 2017. C'est tout à fait en ligne avec l'ampleur des progressions qui auront lieu à partir de 2019. En considérant la situation de manière dynamique, on ne peut pas dire que l'ensemble des efforts sont renvoyés à la dernière partie de la loi de programmation militaire.
Mais quelques chiffres valent mieux qu'un long discours. Entre 2019 et 2023, la progression annuelle des moyens tels qu'ils sont prévus dans cette loi de programmation militaire est, en moyenne, de 5,6 % ; c'est d'ailleurs ce que nous avons fait entre 2017 et 2018. Entre 2023 et 2025, elle devrait être de l'ordre de 7,3 % par an. Certes, me direz-vous, cela fait 1,7 point de plus. En effet. Mais 1,7 point de plus, cela ne change pas fondamentalement la magnitude de l'effort qui sera réalisé.
C'est donc une marche qui me paraît parfaitement franchissable et réaliste au regard de l'ambition qui est la nôtre. En tout cas, elle est beaucoup moins raide que certains veulent bien l'indiquer.
Je souhaite revenir sur l'intérêt de l'actualisation prévue en 2021. Comme je l'ai souligné, il s'agit d'une assurance que cette loi de programmation militaire sera exécutée conformément à son ambition. Qui peut dire ici avec certitude et sans erreur quel sera le PIB de 2025 ? Personne, je suppose ; en tout cas, pas moi. Je ne voudrais pas que cette LPM, qui se donne les moyens d'atteindre cet objectif, manque la dernière marche simplement parce que nous ne sommes pas capables aujourd'hui de convertir en milliards d'euros ce que seront en 2025 le PIB et, par conséquent, les 2 % du PIB consacrés à notre défense. Encore une fois, ne voyez pas cela comme un risque. C'est au contraire une assurance que nous nous donnons collectivement et que le Parlement, je crois, se donne aussi, à travers ce rendez-vous si important. D'ailleurs, l'article 6 vous permet de bien surveiller cette exécution de la LPM, d'en corriger des variations comme il conviendra.
J'insiste également sur une autre caractéristique de ce projet de loi de programmation militaire : les hypothèses budgétaires qui ont été retenues sont solides et sincères.
Je l'ai dit, il s'agit exclusivement de crédits budgétaires fermes. Cela n'exclut évidemment pas qu'il y ait des ressources exceptionnelles, lesquelles viendraient, le cas échéant, par surcroît. À l'inverse, si elles ne devaient pas exister, cela ne déstabiliserait pas de façon structurelle la bonne exécution du présent texte.
Ces ressources exceptionnelles représentent la possibilité de faire mieux, de faire plus vite. Pour autant, leur absence n'entraînerait pas l'incapacité de mettre en oeuvre la future loi de programmation.
Un autre point concerne la provision pour les OPEX et les missions intérieures. Je l'ai déjà évoquée, mais je ne vous ai pas dit, en revanche, que cette provision, qui va être augmentée, ne grèvera pas les moyens consacrés à nos armées.
En effet, lorsque cette provision s'élevait à 450 millions d'euros, à l'intérieur d'un budget beaucoup plus modeste que celui que vous avez voté pour 2018, mesdames, messieurs les sénateurs, elle représentait 2,5 % des crédits consacrés à la défense. Demain, portée à 1,1 milliard d'euros, elle représentera 2 % des crédits totaux dédiés au budget de nos armées.
La sincérisation n'est donc pas contraire au développement de moyens autres que la provision pour les OPEX et les missions intérieures.
Enfin, c'est l'évidence, cette provision portée à 1,1 milliard d'euros nous permettra d'aborder l'avenir avec moins d'incertitudes, et de réduire la différence entre le montant prévisionnel des OPEX et des missions intérieures et le montant qui sera finalement réalisé. Tel est en tout cas mon souhait le plus cher. C'était aussi celui de M. le rapporteur spécial de la commission des finances puisqu'il avait exhorté à l'augmentation de cette provision dans son rapport d'information de 2016.
Monsieur Poadja, vous avez évoqué la question essentielle des moyens consacrés à l'outre-mer.
Ce projet de loi accorde justement une place importante à ces moyens. D'abord, nos cinq implantations ultramarines seront maintenues. Ensuite, il est prévu de renforcer de manière ciblée les effectifs en outre-mer, à raison de 120 postes supplémentaires sur la période de programmation, dont 28 dès l'année 2019.
Nous avons également pris la décision de commander et de livrer, dès 2019, un patrouilleur léger pour les Antilles. J'avais eu l'occasion de l'indiquer dans le cadre du débat budgétaire ; je le rappelle, car je crois que cette décision est très attendue outre-mer.
Quant à la flotte des patrouilleurs dans son ensemble, elle sera elle aussi renouvelée avec six livraisons prévues entre 2022 et 2024.
Je ne sais pas, monsieur le sénateur, s'il sera si facile de répondre à votre souhait d'aller plus vite. En tout cas, je puis vous dire que les outre-mer ont été pris en compte au vu des besoins considérables, auxquels nous sommes collectivement confrontés, qui existent dans le domaine de la surveillance de notre vaste espace maritime et de la prévention de la spoliation, voire du pillage, d'un certain nombre de ressources, notamment naturelles.
Une attention prioritaire sera accordée aux territoires les plus éloignés ; je pense en particulier à la Nouvelle-Calédonie, que vous représentez si bien, ainsi qu'à la Polynésie française.
Pour conclure cette partie préliminaire de notre débat, je souhaite revenir, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la jolie formule que vous m'avez adressée : « Aidez-nous à vous aider. »
À mon tour de vous dire, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs : aidez-moi à vous aider (Exclamations.), en continuant ce travail constructif et, je crois, collaboratif que nous avons amorcé, en recherchant les consensus et les garanties adéquates pour nos armées, en laissant aussi ce débat à sa place, c'est-à-dire celle d'une loi de programmation, et non d'une loi de finances, d'une loi de règlement ou d'une loi de renseignement.
Je suis, pour ma part, tout à fait confiante, sachant l'attachement du Sénat au travail législatif et parlementaire de qualité, à nos armées, et connaissant sa capacité à rechercher et à bâtir les consensus. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Source http://www.senat.fr, le 28 mai 2018