Interview de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat à l'égalité entre les femmes et les hommes à France 2 le 11 mai 2018, sur le projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes.

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Média : France 2

Texte intégral


JEFF WITTENBERG
Bonjour Marlène SCHIAPPA.
MARLENE SCHIAPPA
Bonjour.
JEFF WITTENBERG
Merci d'être avec nous ce matin. Votre actualité est chargée, votre projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes arrive dans quelques jours à l'Assemblée lundi. Et en même temps, je le disais, paraît un nouveau livre signé par vous, le 18ème je crois, vous êtes un auteur prolixe. Et il y a des correspondances entre la loi d'un côté et le livre de l'autre, je cite par exemple un extrait de cette ouvrage, vous dites : je suis effrayée à l'idée que mes filles sortent un jour dans la rue, or votre loi va punir le harcèlement de rue. Est-ce que ça veut dire que quand votre loi sera votée, vous aurez moins peur pour vos filles ?
MARLENE SCHIAPPA
J'espère, l'idée c'est de mener ce combat culturel contre le harcèlement de rue et de faire en sorte que des choses qui étaient tolérables jusqu'à présent ou, en tout cas, qui étaient en dehors des radars des politiques publiques, qu'elles soient prises en charge et qu'elles deviennent intolérables ; et que le harcèlement de rue disparaisse pour qu'on puisse tous laisser nos petites filles sortir et adolescentes, les jeunes filles et les femmes sortir en sécurité dans la rue.
JEFF WITTENBERG
Et vous pensez qu'une amende de 90 euros, tel que le prévoit le projet de loi, ce sera dissuasif pour éviter le harcèlement de rue qui est courant finalement et qui se déroule très souvent dans les rues de France ?
MARLENE SCHIAPPA
Je pense que ce qui est important déjà, c'est de poser une forme d'interdit social, d'inscrire dans les lois de la République qu'il n'est pas permis d'intimider, de menacer, de suivre des femmes dans la rue. Je raconte dans le livre que j'entends ma fille – qui est préadolescente – avoir des conversations que moi-même j'ai eues avec des amis ou mes soeurs au même âge, pour élaborer à des stratégies d'évitement dans la rue, pour faire face au harcèlement de rue. Donc c'est important de dire déjà aux femmes qu'elles ont le droit de ne pas être importunées dans l'espace public ; et de dire aux hommes qu'on ne harcèle pas les femmes dans la rue.
JEFF WITTENBERG
Et ce sera verbalisé, c'est-à-dire vous demanderez aux policiers d'intervenir lorsqu'ils constateront une...
MARLENE SCHIAPPA
Exactement, il y a 10.000 policières et policiers de la police de la sécurité du quotidien qui sont recrutés par le ministre de l'Intérieur Gérard COLLOMB. Et le ministère de l'Intérieur organisera la verbalisation du harcèlement de rue avec des stages également. Et cette amende, elle pourra aller jusqu'à un montant de plusieurs milliers d'euros lorsqu'il y a récidive ou lorsqu'on harcèle des petites filles qui ont moins de 15 ans.
JEFF WITTENBERG
Alors vous avez évoqué aussi cette semaine un autre phénomène de harcèlement, c'est celui qui existe dans le milieu scolaire. Est-ce que déjà, c'est un phénomène selon vous et qui est en augmentation, le harcèlement et le cyber harcèlement, c'est-à-dire le harcèlement par Internet ?
MARLENE SCHIAPPA
Oui, ce que l'on observe c'est que les jeunes filles sont exposées de plus en plus jeunes au sexisme et au harcèlement. Dans le cadre du Tour de France de l'égalité femmes hommes que le gouvernement a organisé, on s'est déplacés dans beaucoup de lycée, quel que soit l'endroit, des lycées, des collèges en France…
JEFF WITTENBERG
Et qu'est-ce que vous avez constaté ?
MARLENE SCHIAPPA
Nous avons constaté que partout, les jeunes filles ont fait l'expérience du harcèlement, soit dans l'espace public soit sur Internet. Et c'est pour ça que dans ce projet de loi, il y a un volet qui vise à mieux condamner le cyber-harcèlement dit en meute, c'est-à-dire quand plusieurs personnes se liguent contre une personne sur les réseaux sociaux, par exemple la menace, l'intimide, l'invective...
JEFF WITTENBERG
Mais si le phénomène explose comme vous le dites, comment on peut lutter par (si j'ose dire) de simples mesures, est-ce que il n'y a pas un combat beaucoup plus large à mener culturellement encore une fois pour lutter contre cela ?
MARLENE SCHIAPPA
Si, bien sûr, complètement, c'est un combat très large. C'est pour ça d'ailleurs que le président de la République a voulu faire de l'égalité femme-homme la grande cause de son quinquennat. Donc il y a un combat culturel à mener, un combat législatif, ce que nous faisons ; et puis un combat dans le monde de l'éducation. Donc avec le ministre de l'Education nationale, nous sommes mobilisés avec un certain nombre de mesures qui viendront en vigueur à partir de la rentrée prochaine, pour nous adresser aux parents d'abord et puis pour mieux protéger les enfants dans la classe.
JEFF WITTENBERG
Alors protéger justement, il y a une question qui est régulièrement mise en lumière, c'est l'accès aux images pornographiques pour des jeunes enfants parfois âgés de moins de 10 ans, via les téléphones portables. Est-ce que vous êtes favorable, comme ça se passe maintenant en Grande-Bretagne, à ce que l'accès aux sites pour adultes soit réservé par exemple aux seuls détenteurs de cartes bancaires, ce qui serait de fait l'interdiction faite aux enfants ?
MARLENE SCHIAPPA
Ce que j'observe c'est qu'effectivement, il y a un nombre exponentiel d'enfants dont la première représentation de la sexualité se fait à travers l'accès à un site pornographique.
JEFF WITTENBERG
Alors qu'est-ce qu'il faut faire contre cela Marlène SCHIAPPA ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors d'abord le constat à poser, c'est que ces sites sont beaucoup trop facilement accessibles, il suffit de cliquer que vous êtes majeur, voire parfois de ne rien cliquer. Donc ce que nous voulons faire, c'est que nous voulons limiter l'accès à ces sites. Il y a un groupe de travail sous le pilotage de la Direction générale de la cohésion sociale, qui travaille avec mes services et avec le numérique pour voir comment on peut limiter cet accès. Il y a plusieurs pistes à l'étude, l'accès via…
JEFF WITTENBERG
Lesquelles par exemple, vous avez parlé de solutions complètes !
MARLENE SCHIAPPA
Voilà ! Vous, vous parliez de l'accès via une carte bancaire, il y a l'accès via une carte d'identité qui est possible aussi. Donc l'idée, c'est qu'on travaille avec ces sites pour voir comment on fait pour rester dans le libre accès sans entraver avec le respect de la CNIL, etc., mais comment on fait pour qu'efficacement les enfants n'aient plus accès à ces sites.
JEFF WITTENBERG
C'est ce que vous voulez à terme, c'est ce que le gouvernement veut, c'est que les enfants ne puissent plus accéder à des sites pornographiques ?
MARLENE SCHIAPPA
Tout à fait, ce que nous voulons c'est restreindre l'accès, ça ne doit pas être… l'accès ne doit pas être aussi facile et aussi libre que ça ; et faire que des enfants – même par erreur – peuvent tomber sur ce type de site dans une simple recherche Internet. Ca c'est inadmissible, donc on mobilise les fournisseurs, les hébergeurs, les producteurs pour qu'ils prennent aussi leurs responsabilités, sans quoi nous devons passer par la loi avec des sanctions.
JEFF WITTENBERG
Alors vous partez cet après-midi au Festival de Cannes, où tout le monde vit encore là-bas dans les suites de l'affaire WEINSTEIN, c'était il y a quelques mois. Est-ce que les choses ont changé non seulement dans le milieu du cinéma mais dans la société tout entière, depuis que non seulement la parole s'est libérée mais qu'on l'a entendue, est-ce que vous à la parce que vous êtes, vous constatez un changement dans les mentalités et dans les pratiques, est-ce qu'il y a moins de harceleurs dans la vie de tous les jours simplement ?
MARLENE SCHIAPPA
Je trouve que nous avons amorcé un changement, c'est-à-dire qu'il serait faux de vous dire qu'en un an tout a changé. Il subsiste encore du harcèlement sexuel et des violences sexuelles. Mais néanmoins, on voit qu'il y a par exemple plus 34 % de plaintes dans le trimestre qui a suivi l'affaire WEINSTEIN ; et le décret de la grande cause du quinquennat avec le discours du président de la République appelant la société à se ressaisir. Donc maintenant, les femmes parlent davantage, vont davantage…
JEFF WITTENBERG
Plus de plaintes, ça veut dire plus d'actes ou simplement moins de peur à aller communiquer ?
MARLENE SCHIAPPA
C'est toujours difficile d'avoir une analyse fine, mais ce que nous observons avec les chiffres du ministère de l'Intérieur c'est qu'il y a des plaintes y compris pour des faits anciens. Donc maintenant, les femmes déposent plainte, parlent de ce sujet et on en parle. Je crois que c'est important depuis MeToo, plus personne ne pourra dire qu'il ne savait pas. Jusqu'à présent, c'était difficile pour nous qui essayons de mettre en lumière cette question des violences sexuelles, on l'apprenait parfois un peu comme quelque chose de marginal, là je crois que tout le monde a vu l'ampleur de ce phénomène et qu'il faut lutter contre cela ensemble.
JEFF WITTENBERG
Quelques mots de politique, vous écrivez dans votre livre que l'élection d'Emmanuel MACRON, c'était un moyen (je vous dite) de s'affranchir des clivages stériles. Et vous écrivez également qu'à une époque, on vous traitait de gauchiste, or ce qu'on dit plutôt en général c'est que la politique économique en tout cas menée par Emmanuel MACRON, elle est plutôt de droite. Est-ce que vous êtes d'accord avec ce constat, est-ce que vous voyez des mesures de gauche qui ont été prises depuis un an ?
MARLENE SCHIAPPA
Ce que je pense en fait, c'est que justement le changement qu'apporte le président de la République, c'est de ne pas se demander si telle ou telle mesure est de droite ou de gauche. Le fait de lutter contre le harcèlement de rue, je ne saurai pas vous dire si c'est de droite ou de gauche, le fait de diviser par 2 le nombre d'élèves dans les classes de CP…
JEFF WITTENBERG
Sur sa politique économique !
MARLENE SCHIAPPA
Sur la politique économique également, on supprime la taxe d'habitation, ce qui va bénéficier aux classes moyennes et aux classes populaires davantage, puisque c'est un impôt très injuste, on augmente le minimum vieillesse, l'allocation adulte handicapé. Donc je dirais que sur le plan économique, on voit qu'il y a moins de chômage, donc plus de gens qui ont retrouvé du travail, ça bénéficie à l'ensemble du pays in fine.
JEFF WITTENBERG
Vous avez l'impression aujourd'hui d'être parfaitement à l'aise dans ce gouvernement, vous venez donc plutôt (je le disais) d'un milieu en tout cas de gauche, tel qu'on peut le définir…
MARLENE SCHIAPPA
Oui, complètement, j'étais maire adjointe sur une liste de gauche…
JEFF WITTENBERG
On dit aussi que vous avez un statut à part dans le gouvernement, vous pouvez vous permettre parfois de sortir des rails, on l'avait vu notamment au moment d'un fait divers très expliqué dans les médias, vous aviez critiqué la ligne de défense de Jonathann DAVAL qui était accusé d'humeur de son épouse. Tout le monde vous était tombé dessus sauf le Premier ministre, qui vous avait défendu. Est-ce que ça veut dire que vous pouvez dire un peu ce que vous voulez, il y a un cas Marlène SCHIAPPA dans le gouvernement ?
MARLENE SCHIAPPA
D'abord, je ne crois pas que tout le monde m'était tombé dessus parce que j'ai reçu énormément de courriers de soutien ou de remerciements, à commencer par les parents de Madame DAVAL elle-même qui m'ont fait passer un message à cet égard. Donc je crois que c'est ça qui est vraiment l'essentiel. Moi ce que je me pose comme question à chaque fois, c'est est-ce que ça va être utile pour les victimes, pour les familles des victimes, etc. quand vous parlez de la liberté que j'aurai…
JEFF WITTENBERG
Est-ce que vous êtes libre, voilà ! Dans ce gouvernement ?
MARLENE SCHIAPPA
J'ai l'impression que je suis plutôt libre effectivement, le président de la République…
JEFF WITTENBERG
Plus que d'autres peut-être !
MARLENE SCHIAPPA
Je ne saurai pas vous dire pour les autres, mais je crois que cette liberté, elle est basée aussi sur une confiance parce que je travaille énormément, je défends les sujets dont j'ai la responsabilité. Donc je pense que la liberté c'est avant tout de la confiance, je l'espère en tout cas.
JEFF WITTENBERG
Eh bien ! Ce sera le dernier mot, merci beaucoup Marlène SCHIAPPA.
MARLENE SCHIAPPA
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 mai 2018