Interview de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat à l'égalité entre les femmes et les hommes à Radio Classique le 25 mai 2018, sur le projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles et l'égalité entre les femmes et les hommes.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


RENAUD BLANC
Et mon invitée est Marlène SCHIAPPA, secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes. L'actualité ce matin, Marlène SCHIAPPA, c'est Harvey WEINSTEIN qui devrait aujourd'hui se livrer à la justice américaine à New York. C'est un moment fort pour vous, un moment important ?
MARLENE SCHIAPPA
Oui, je crois que le moment important, c'est surtout que, enfin la justice va pouvoir traiter du cas d'Harvey WEINSTEIN puisque jusqu'à présent, il était accusé de viols, d'agressions sexuelles, de harcèlement sexuel, mais la justice n'était pas encore passée. Donc maintenant il va falloir …
RENAUD BLANC
7 mois, c'était peut-être le temps de la justice justement pour mener à bien cette enquête.
MARLENE SCHIAPPA
Oui je crois que il y a eu un temps nécessaire pour réunir notamment un certain nombre de témoignages, un certain nombre d'éléments mais je crois qu'il faut vraiment faire en sorte qu'Harvey WEINSTEIN ne soit pas l'arbre qui cache la forêt, c'est important parce que c'est là que le mouvement « Me too » a commencé, ce grand mouvement de prise de parole des femmes et d'écoute de la société mais il y a aussi énormément d'agresseurs sexuels, de harceleurs, de violeurs qui ne sont pas encore devant la justice.
RENAUD BLANC
Alors, commentaire de la fondatrice de « Me too » : nous assistons peut-être à un changement dans la façon dont les affaires de violences sexuelles sont traitées, vous êtes d'accord ?
MARLENE SCHIAPPA
Je ne sais pas. Moi, je crois que le changement, il va surtout se produire dans la loi et c'est pour ça qu'on est en train de faire voter une loi pour mieux condamner les violences sexuelles. Les chiffres officiels disent qu'il n'y a que 1% des violeurs qui sont condamnés en France, ce sont les chiffres officiels et ça veut dire que 99% des violeurs sont dans la nature, donc le vrai changement, ce sera quand il y aura des plaintes massives et que la totalité ou en tout cas la grande majorité des agresseurs seront condamnés et en prison.
RENAUD BLANC
Morgan FREEMAN est également accusé de harcèlement sexuel, ce grand comédien. Vous avez un commentaire particulier parce que lorsque c'est un acteur français ou un réalisateur français, vous ne faites pas de commentaires, Morgan FREEMAN, vous avez quelque chose à dire ? C'est vrai que lui s'est excusé.
MARLENE SCHIAPPA
Alors en fait lorsque ces qui que ce soit, je n'ai jamais de commentaire à faire dans la mesure où moi mon travail ce n'est pas d'instruire un par un tous les cas de viol ; c'est de créer, conduire des politiques publiques pour permettre qu'il y ait le moins de viols, le moins d'agressions sexuelles possibles, donc je n'ai pas de commentaire particulier non plus sur Morgan FREEMAN.
RENAUD BLANC
Mais vous parlez quand même de complicité passive dans le milieu du cinéma, vous avez employé ces mots ?
MARLENE SCHIAPPA
Complicité passive, non ce n'est pas moi, c'est Asia ARGENTO qui a dit ça, oui, mais je crois que ce qu'elle veut dire par là, c'est qu'il y a des gens qui savent et qui n'interviennent pas, et ça, effectivement c'est grave. Donc nous, on est en train de travailler sur une grande campagne de communication à destination des témoins pour faire en sorte que lorsqu'il y a des témoins de harcèlement de rue, d'agressions, de violences conjugales, il faut que ces témoins considèrent que ça n'est pas une affaire privée mais que c'est une affaire de société et qu'ils doivent intervenir.
RENAUD BLANC
Marlène SCHIAPPA, est-ce qu'il y a pour vous une limite à « Me too » parce qu'en fait, on est souvent parole contre parole et on a le sentiment quelquefois que la présomption d'innocence est un petit peu oubliée ?
MARLENE SCHIAPPA
Oui, moi je crois que la limite, c'est l'Etat de droit, c'est la justice et c'est pour ça que moi je me réjouis à chaque fois qu'il y a des plaintes qui sont déposées dans les affaires y compris récentes mettant en cause un producteur notamment français, moi je suis très satisfaite qu'il y ait une plainte déposée parce que ça veut dire que la justice peut enquêter et peut passer. Effectivement, l'idée, ce n'est pas, il y a effectivement vous avez raison, une présomption d'innocence, donc il faut qu'il y ait un procès et une condamnation ou un procès qui aboutisse à une condamnation.
RENAUD BLANC
Alors vous avez dit que vous n'aviez rien contre les hommes, le risque c'est quand même de mener une guerre entre hommes et femmes, il y a certaines féministes qui vont très, très loin aujourd'hui.
MARLENE SCHIAPPA
Ce n'est pas juste que je n'ai rien contre les hommes ; c'est que j'ai même dit dans une interview « j'adore les hommes » et j'ai effectivement été pris à partie par certaines féministes un peu radicales entre guillemets me disant que je trahissais ma cause, etc. Je ne suis du tout dans un combat les femmes contre les hommes, je pense que l'égalité femme-homme, ce sera bénéfique aux hommes aussi. C'est pas plus positif pour un homme d'être assigné à des stéréotypes, d'être obligé d'être bon en bricolage et de ne jamais pleurer, je pense que c'est pas très agréable non plus.
RENAUD BLANC
Mais quand certaines féministes, par exemple, accuse aujourd'hui Philip ROTH, qui vient de nous quitter de misogynie, est-ce que voilà on ne va pas trop loin quand même pour vous ?
MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, je pense qu'on peut relire tout à l'aune des codes actuels, je crois que Philipp ROTH, c'était un très grand écrivain, il ne m'appartient pas de dire s'il était misogyne ou pas, je crois qu'il faut aussi se concentrer sur la création et faire la part des choses. Je crois qu'en tant qu'artiste, on peut aller assez loin dans la création sans barrières et une oeuvre d'art, fut-elle littéraire, elle n'a pas vocation à transmettre un message moral ni même un message de grandeur ou un message philanthropique. Une oeuvre d'art, que ce soit un film, un livre, etc., le propre de l'oeuvre, c'est qu'on peut tout faire dedans. On peut fumer, on peut être ivre, on peut tuer des gens, c'est le principe même de l'oeuvre d'art.
RENAUD BLANC
On va passer à la loi contre les violences sexistes et sexuelles, elle a été votée à l'Assemblée, elle est maintenant débattue au Sénat. On a beaucoup parlé de l'article 2 de ce texte, beaucoup ont estimé que vous n'étiez pas allée assez loin, notamment sur la question de la protection des mineurs de moins de 15 ans. Toute pénétration sur un mineur de moins de 15 ans n'est pas forcément considérée comme un viol, est-ce que vous entendez ces critiques et est-ce que vous les comprenez ?
MARLENE SCHIAPPA
D'abord ce texte, il a été voté à une grande majorité, on a eu, je crois, 151 voix pour, me semble-t-il, à vérifier, et 29 voix contre seulement. Au demeurant, ce que nous disent les études d'opinion, c'est que ce texte il recueille une très large adhésion de 72 à 90% d'opinions favorables …
RENAUD BLANC
Mais pardonnez-moi, y compris dans votre camp, des gens qui ont voté effectivement ce texte disent « oui on a voté ce texte, c'est une avancée mais on n'est pas allé assez loin. »
MARLENE SCHIAPPA
Non, ce n'est pas vrai. Personne de la République en Marche, il y a eu un article dans « Le Monde » qui citait deux parlementaires, les deux parlementaires dans la seconde sans même que je les contacte, ont fait des communiqués démentis extrêmement clairs en disant qu'ils soutenaient sans réserve cette fois la totalité des parlementaires de la République en Marche et même certains d'autres mouvements ont voté pour ce texte. Donc moi, je crois qu'il y a effectivement quelques associations qui nous font part de leurs interrogations, de leurs demandes, il y a des oppositions politiques également qui ne sont pas satisfaites de ce texte, mais qui n'ont pas proposé d'alternative. Ce texte, il est très fort parce qu'il dit quoi ? Il dit qu'on ajoute à la définition française en droit français du viol qui est une « pénétration obtenue sous la contrainte, les menaces, les violences ou la surprise », on rajoute un alinéa disant que quand on a moins 15 ans, c'est constitutif de contrainte ou de surprise. Donc c'est une grande protection pour les moins de 15 ans et désormais on ne pourra plus avoir des verdicts comme celui de Pontoise, disant que la petite fille qui a 11 ans, comme elle ne s'est pas débattue, ce n'était pas un viol. Au contraire, on dira « certes, elle ne s'est pas débattue, mais elle a moins de 15 ans donc c'est une contrainte ou une surprise » et donc ce sera un viol.
RENAUD BLANC
Mais une pénétration sur un enfant de moins de 15 ans n'est pas forcément un viol ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors, on est comme je disais tout à l'heure dans un Etat de droit, donc il y a des process, c'est aux magistrats de trancher puisqu'il n'y a pas de peines automatiques en France. Si vous voulez en France, on ne peut pas, c'est la Constitution, c'est le droit, c'est ainsi …
RENAUD BLANC
Mais c'est pour ça que vous n'êtes pas allée assez loin entre guillemets pour des questions constitutionnelles, des questions juridiques ou pas ?
MARLENE SCHIAPPA
Voilà, absolument …Plus loin enfin honnêtement ce texte, il va déjà extrêmement loin, il y a même des associations qui nous reprochent d'aller trop loin et donc il y a un moment, je crois qu'on a trouvé un équilibre avec une condamnation, un renfort de la possibilité de condamnation extrêmement ferme mais effectivement on est en France, il n'y a pas de peines automatiques. Les droits de la défense, quel que soit le sujet, même pour les affaires de terrorisme, il n'y a pas de peine automatique non plus.
RENAUD BLANC
Une contravention pour outrage sexiste, 90 euros d'amende immédiate, éventuellement un stage de civisme, on va vous dire que la loi est difficilement applicable, voire inapplicable ?
MARLENE SCHIAPPA
Elle sera difficile à appliquer, je ne l'élude pas parce que le harcèlement de rue c'est quelque chose qui est nouveau à caractériser dans la loi, ça existe depuis des générations. Toutes les femmes savent très bien à quoi ça fait référence. Une étude disait que 100% des femmes utilisatrices des transports en Ile-de-France ont déjà été confrontées au harcèlement de rue ; une autre étude nous dit que 8 jeunes femmes sur 10 ont peur quand elles sont seules le soir dans la rue en France en 2018 quels que soient les endroits dans lesquels elles vivent. Donc je crois que c'est important de le définir et de pouvoir le verbaliser. Donc nous ce que nous faisons, c'est qu'il y aura 10 000 policiers et policières de la sécurité du quotidien qui pourront verbaliser en flagrant délit ce harcèlement de rue avec des amendes allant de 90 euros à 3 000 euros, 3 000 euros c'est quand il y a récidive et quand la personne harcelée a moins de 15 ans pour encore une fois mieux protéger les mineurs et effectivement, il y aura une possibilité de stage derrière.
RENAUD BLANC
Marlène SCHIAPPA, qu'est-ce qui vous choque le plus, un homme qui siffle une femme dans la rue ou un homme qui refuse de serrer la main d'une femme ?
MARLENE SCHIAPPA
Un homme qui refuse de serrer la main d'une femme sans aucune hésitation dans la mesure où je crois que siffler quelqu'un une fois, il me semble, ça dépendra du contexte mais il me semble que ça ne rentrera pas dans ce qui pourrait être verbalisé. Après encore une fois, il y a une appréciation du policier mais refuser de serrer la main d'une femme, c'est totalement inacceptable, c'est contraire aux valeurs de la République française !
RENAUD BLANC
Et pourtant, ça se fait en France ?
MARLENE SCHIAPPA
Mais c'est inacceptable. Vous savez, il y a beaucoup de choses qui se font en France et qui sont inacceptables !
RENAUD BLANC
Oui mais qu'est-ce qu'on peut faire justement quand on est secrétaire d'Etat justement à l'égalité entre les femmes et les hommes ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors, on peut faire beaucoup de choses. D'abord, nous, on a créé une charte de la laïcité que nous faisons signer à toutes les associations qui touchent les subventions de la part de l'Etat. Ça n'existait pas jusqu'à présent et je crois que derrière le fait de refuser de serrer la main à une femme, il y a des questions d'obscurantisme ou de radicalisation religieuse qu'il faut regarder en face et c'est pour ça que cette charte de la laïcité, elle pose un certain nombre de principes républicains qu'elle rappelle aux associations en interdisant également le prosélytisme et toutes les dérives religieuses qui pourraient attaquer les droits des femmes.
RENAUD BLANC
On est face à un problème culturel quand même ?
MARLENE SCHIAPPA
Absolument, ensuite …
RENAUD BLANC
Donc comment on lutte contre ce problème culturel parce que vous …Là, je pense bien vous citer, vous parliez effectivement d'enfants qui disaient à l'école « non, je ne peux pas …je ne peux pas serrer la main d'une petite fille parce que mes parents m'ont dit qu'il ne fallait pas le faire » !
MARLENE SCHIAPPA
Oui, absolument, « je ne vais pas me ranger avec une petite fille. » A l'école, on a une politique très volontariste avec le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel BLANQUER, avec notamment à partir de la rentrée d'abord la création de référents égalité dans tous les établissements, ça veut dire que chaque école, dans chaque école, les directeurs et directrices ne seront plus démunis parce que souvent, c'était le cas. Moi quand j'étais maire adjoint, effectivement au Mans, il m'est arrivé qu'une directrice d'école me dise « moi, j'ai des petites filles qui ne vont pas à la piscine, qui ont des certificats manifestement de complaisance, des petits garçons qui ne veulent pas serrer la main des petites filles et je ne sais pas quoi faire ». Donc il y aura des référents égalité et puis il y a ce conseil des sages installé par l'Education nationale qui permettra d'aiguiller justement les chefs d'établissement à cet égard.
RENAUD BLANC
J'ai deux questions encore. Est-ce qu'il ne manque pas chez Emmanuel MACRON un grand discours sur la laïcité ?
MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, nous verrons ! Moi, j'ai écrit un livre sur la laïcité qui est paru en décembre …
RENAUD BLANC
Ca fait quand même un an qu'il est au pouvoir, c'est un point essentiel. On l'entend très peu finalement sur cette question de la laïcité !
MARLENE SCHIAPPA
Moi, je crois qu'on l'entend par petites touches parce que la laïcité, c'est un sujet qui est vraiment fondamental et qu'il y a partout finalement lorsqu'il a fait par exemple son discours sur les banlieues, il a rappelé son attachement à la loi de 1905 et puis nous sommes plusieurs au gouvernement à nous exprimer, Jacqueline GOURAULT qui est ministre de l'Intérieur auprès du ministre d'Etat, Gérard COLLOMB, s'est exprimée hier en rappelant notre attachement à la philosophie d'Aristide BRIAND, le ministre de l'Intérieur l'a fait, je m'exprime très souvent sur la laïcité. Je crois qu'il y a une ligne du gouvernement qui est assez claire sur ce sujet.
RENAUD BLANC
La présidente de l'UNEF voilée, vous vous êtes exprimée, vous avez dit que vous étiez interpellée par cette situation. Vous avez rappelé qu'effectivement rien n'interdisait dans la loi qu'on puisse être voilée mais question plus personnelle : est-ce que pour vous le voile, c'est une régression pour les femmes ?
MARLENE SCHIAPPA
Je n'ai pas de point de vue à avoir ad hominem sur le choix individuel de telle ou telle personne, c'est son droit le plus strict d'être voilée au nom justement de la liberté de conscience en France, on a droit …
RENAUD BLANC
Mais vous, est-ce que vous pensez que porter un voile, c'est une finalement, c'est une régression et contre le combat des femmes aujourd'hui ?
MARLENE SCHIAPPA
…On a le droit de porter un voile mais néanmoins, ce qui m'interpelle c'est que je ne crois pas que ça nous interroge par rapport aux valeurs que porte l'UNEF. L'UNEF se dit être un syndicat progressiste, féministe, défenseur de la laïcité et il choisit quelqu'un qui fait la promotion de l'islam politique parce que, c'est politique et ce qui m'interpelle, c'est le message qu'il y a derrière notamment que pour les droits des femmes et ce qui m'interroge, c'est de savoir si derrière il y a un projet politique de régression des droits des femmes ou pas, et est-ce que c'est en cohérence dans ces cas-là, avec les valeurs de l'UNEF ? Les fondateurs nous disent que non. Enfin, moi comme je vous dis, je n'ai pas de jugement à porter sur les choix religieux des unes et des autres, je ne porte pas le voile, je n'ai pas l'intention d'en porter ; je pense que c'est important de soutenir toutes les femmes qui veulent retirer le voile, voire ne pas le mettre, que ce soit dans des quartiers en France ou à l'étranger mais effectivement il y a aussi un droit des femmes qui font ce choix de manière éclairée en tant que majeures de porter le voile, de le faire, ce n'est pas à moi d'avoir un jugement ad hominem.
RENAUD BLANC
Merci beaucoup Marlène SCHIAPPA, secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, l'invitée ce matin de Radio Classique. Très bonne journée !
MARLENE SCHIAPPA
A vous également !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 mai 2018