Déclaration de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, sur la politique industrielle, à Paris le 8 novembre 2018.

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Circonstance : Ouverture des Assises de l'industrie, à Paris le 8 novembre 2018

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Le temps est venu d'une nouvelle ère de conquête industrielle ! Et il n'y a plus de temps à perdre car une grande économie ne peut pas être une économie sans industrie.
Je prêche ici auprès de convaincus. Et je sais combien cette affirmation peut prêter à sourire, tant elle relève pour vous de l'évidence.
Et pourtant, disons-le clairement : entre la pression subie de la globalisation, les écarts de compétitivité qui nous sont défavorables en Europe et au grand international, et un marché européen à la croissance modeste, nous avons pu donner le sentiment d'avoir lâché l'affaire.
Il y a vingt ans, fermer des usines et perdre des emplois industriels semblaient le cours normal des choses.
Nous devions entrer dans une économie post-industrielle et le fabless était notre avenir. Aujourd'hui la vision est tout autre et je m'en réjouis. Car oui, une grande économie ne peut pas être une économie sans industrie !
1. L'industrie mondiale s'est extraordinairement modernisée ces 10 dernières années et les Français n'ont pas été les derniers à participer à ce mouvement.
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère industrielle et l'industrie a radicalement changé. Or, nos compatriotes en sont trop souvent restés à l'imaginaire de « Germinal ».
Il est urgent d'en finir avec l'image d'Epinal de l'industrie qui se conjuguerait au passé.
Cette industrie des usines qui polluent ;
Cette industrie dont les salariés sont usés bien avant l'âge de la retraite ;
Cette industrie qui ne s'inscrit pas dans les technologies du futur ;
Cette industrie qui n'a pas d'avenir ;
Cette industrie-là n'est pas la vôtre, cette industrie-là n'est pas la nôtre.
Il est temps de parler haut et fort de votre excellence à la française, de vos savoir-faire souvent inégalés. Parlons du luxe, de l'aéronautique et de la défense. Parlons de l'automobile, du tourisme et de l'agroalimentaire. Parlons encore de bioproduction, des jeux vidéo ou de chimie verte.
Il est temps de dire haut et fort que l'industrie française s'est saisie de la révolution numérique. L'industrie française n'a pas attendu pour engager un effort important de modernisation. Partout sur le territoire, nous avons des vitrines de ce que l'usine 4.0 apporte en matière de compétitivité-coût, de réduction d'empreinte carbone et de flexibilité de production.
Il faut amplifier cet effort, pour que les vitrines ne soient pas des exceptions. L'industrie du futur se bâtit maintenant, pas dans 10 ans. L'intelligence artificielle, le machine-to-machine, l'impression 3D… Ce ne sont pas seulement des concepts pour impressionner dans les colloques. Cela doit se passer aujourd'hui dans nos usines, en France.
L'industrie du futur elle se conjugue au présent, elle se réinvente sous nos yeux :
- Elle apporte du contenu technologique et associe des services à ses produits, grâce à la récolte de données et à l'intelligence artificielle.
- Elle digitalise les chaînes de production et les chaînes d'approvisionnement.
- Elle teste l'intérêt de la blockchain pour la sécurisation et la traçabilité des informations.
- Elle se positionne, grâce à la robotisation, sur des productions à haute valeur ajoutée.
Alors bien sûr, cette transformation de l'industrie est masquée par chaque cas particulier d'entreprise en difficulté. L'Etat et les collectivités locales, au premier rang desquelles les régions, y consacrent beaucoup de temps, d'énergie et de moyens. Parce que nous avons une responsabilité particulière vis-à-vis des salariés et de leur famille.
Mais, au final, en matière industrielle, il n'y a pas de fatalité, à condition d'agir pour transformer sans relâche et avec détermination notre outil industriel.
Ce choix, nous l'avons fait. Et c'est un choix gagnant. L'industrie française s'illustre aujourd'hui par sa capacité de rebond. De premiers signaux en témoignent :
- En 2017, le nombre de sites industriels créés a dépassé le nombre de sites fermés : en net, 19 usines ont ouvert en 2017 et 16 pour les 9 premiers mois de 2018.
- Pour la première fois depuis 2000, l'industrie crée de l'emploi.
- Enfin, pour la 5ème année consécutive, les investissements industriels augmentent.
Cette inversion de tendance, il faut s'en féliciter. Mais il faut la consolider et l'accélérer.
Les entreprises, grandes ou petites, exposées à l'international ont fait ce mouvement. Ces entreprises ont montré qu'elles étaient compétitives et que la compétitivité hors prix avait un sens.
Mais, dans beaucoup d'entreprises, nous devons moderniser notre appareil productif.
Cela va de la remise à plat des processus par le « lean management » jusqu'à la question de l'équipement robotique, ou du numérique sur lesquelles nous sommes en retard par rapport à l'Italie ou l'Allemagne.
2. La France a donc une marche à franchir pour saisir les opportunités qui se présentent. Néanmoins, nous disposons de vrais atouts.
Nous avons toutes les cartes en main pour la prochaine partie industrielle qui s'annonce :
- L'excellence de l'ingénierie française et de nos mathématiciens ne sont plus un secret pour personne.
- La France est connue pour la qualité de ses infrastructures, physiques mais aussi numériques. Le Gouvernement poursuit cet effort avec notamment le déploiement du très haut débit sur l'ensemble du territoire.
- Les actifs immatériels, les brevets, les marques, le potentiel créatif sont au cœur du business model de nombre de nos industries et constituent autant de levier de croissance pour l'avenir.
- L'innovation est au rendez-vous, aidée notamment par le crédit d'impôt recherche et les pôles de compétitivité.
Forte de ces atouts, la France doit devenir une des deux plateformes industrielles de référence en Europe. Nous devons mettre toutes nos forces dans la balance pour que les investisseurs étrangers, quand ils veulent servir le marché européen, s'installent en France.
Cela est possible :
- Est-ce un hasard si Mercedes vient d'annoncer que son premier modèle de voiture électrique serait produit en France à Hambach avec 500M€ d'investissement à la clef ?
- Est-ce par hasard si Facebook a doublé la taille de son laboratoire parisien dédié à l'intelligence artificielle ?
Nous avons tout à gagner à attirer les grandes entreprises internationales. Longtemps nous avons été obnubilés par l'emploi non-délocalisable. Je crois au contraire qu'il nous faut attirer les emplois délocalisables des entreprises étrangères. J'aimerais que les cadres des entreprises américaines, israéliennes ou chinoises rêvent de s'expatrier en France. J'aimerais que les entreprises étrangères mettent la France en haut de leurs tableaux d'investissement.
Le Gouvernement s'est engagé pour faire de la France une terre d'accueil des investissements étrangers, notamment grâce à la réduction du coût du travail et à la flexisécurité à la française.
De premiers résultats sont déjà visibles : en 2017, les investissements étrangers directs ont progressé de 31 % avec plus de 1 000 projets annoncés sur le territoire français.
Cela place notre pays parmi les trois champions de l'attractivité en Europe, aux côtés du Royaume-Uni et de l'Allemagne. Près du tiers de ces projets concerne l'industrie !
Par ailleurs, je sais que la transition écologique et énergétique est un souci, est avant tout perçue comme une contrainte. Je pense qu'il faut en faire une opportunité, un levier de compétitivité.
La transition écologique et énergétique, ce ne sont pas les normes qui vont la faire, ce sont les clients.
Les normes ne feront qu'accompagner soit avec un peu d'avance, soit avec un peu de retard l'évolution des comportements des clients.
Tout l'enjeu est d'accompagner la transformation de notre appareil productif, de vous accompagner pour anticiper ces transformations et faire de vous ceux qui apporteront les nouvelles solutions qui seront achetées par les clients de demain.
Nous sommes conscients qu'il faudra transformer notre appareil productif. Nous ne changerons pas la filière diesel du jour au lendemain. Nous ne changerons pas la filière plastique du jour au lendemain. Mais c'est maintenant qu'il faut se saisir de ces sujets.
Car, lorsque les clients changeront leur mode de consommation, les choses iront très vite. D'ailleurs, sur le diesel, les choses se passent maintenant.
Je suis consciente que tout cela est plus difficile à faire qu'à dire mais j'ai la conviction que c'est la voie à emprunter.
3. L'Etat est pleinement aux côtés des entrepreneurs pour cette nouvelle conquête industrielle.
Nous avons pris la mesure des enjeux, de nos atouts et de notre retard sur certains aspects.
Vous savez le travail que nous avons mené ces 18 derniers mois pour faciliter la vie des entreprises.
Néanmoins, je suis consciente que de nombreuses mesures récentes bénéficient plus directement aux services qu'à l'industrie. C'est pourquoi le Gouvernement se mobilise spécifiquement sur l'industrie.
Tout d'abord, l'Etat travaille avec les filières industrielles stratégiques. Avec elles, nous avons défini des projets ambitieux inscrits dans les contrats stratégiques de filière.
Les 16 filières industrielles nous permettent de mettre en place des projets très concrets. Elles nous permettent d'avoir une vision allant du grand groupe à la petite PME.
Je suis consciente que beaucoup d'entreprises sont multifilières et s'adressent à différents marchés mais cet outil est une première façon efficace de lancer des projets concrets en faisant se parler des acteurs qui travaillent sur des métiers proches, des technologies proches et des compétences proches.
Ces projets se développent dans quatre domaines :
- La conquête des marchés à l'international ;
- Le traitement du décalage entre vos besoins de compétences et le vivier de personnes à la recherche d'emploi ou qui sortent de formation ;
- La mutualisation des moyens de R&D sur des projets structurant ;
- L'accélération de la croissance des PME.
Ces 16 filières vont toutes faire l'objet d'une contractualisation avec l'Etat, à l'image de ce qui a été fait en mai pour la filière automobile, ou beaucoup plus récemment pour les filières « Chimie-matériaux » et « Industries de la mer ».
Pourquoi choisir la contractualisation ?
- Parce que ceux qui connaissent le mieux les enjeux et le potentiel d'une filière, ce sont les acteurs de la filière eux-mêmes. Si la transformation de l'économie pouvait se faire dans un bureau à Bercy, ça se saurait.
- Et parce que nous voulons vous accompagner sur des projets dont on peut mesurer les effets à brève échéance. L'exemple le plus évident est la formation. Si nous arrivons à former des chômeurs ou des jeunes à des métiers où vous n'arrivez pas à recruter, nous aurons bien avancé.
Par ailleurs, l'Etat investit massivement dans l'innovation : de l'innovation de 1er niveau à l'innovation de rupture, pour que personne ne reste au bord du chemin.
La modernisation de l'industrie française se fait sous nos yeux. Mais elle ne se fait pas au même rythme pour toutes les entreprises. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une modernisation à double vitesse.
C'est pourquoi nous agissons pour accélérer la numérisation des PME. La numérisation des PME est un défi technologique, mais aussi social et culturel.
Nous incitons toutes les entreprises à moderniser leur appareil productif. Le 20 septembre dernier, le Premier ministre a annoncé un grand plan pour l'industrie du futur, doté de 500 Millions d'euros.
Ce plan prévoit notamment l'octroi d'un suramortissement pour l'investissement dans les machines de l'industrie du futur (commande numérique, robots, impression 3D) dès 2019. Au cœur de notre travail avec les filières stratégiques, nous prévoyons la conception de plateformes numériques de filière, de manière à permettre aux grands donneurs d'ordre et aux sous-traitants de communiquer davantage et plus en amont. Et pour que les PME gagnent plus de visibilité sur leur plan de charge.
Enfin, l'Etat veut faire infuser l'innovation aussi largement que possible dans les territoires français. L'innovation et la recherche d'aujourd'hui sont les emplois de demain. L'innovation et la recherche sont notre première assurance pour garantir un avenir économique et industriel à nos enfants.6
De nombreuses mesures ont déjà été mises en œuvre par le Gouvernement. Qu'il s'agisse de la 4ème phase des pôles de compétitivité, de la sanctuarisation du Crédit Impôts Recherche à hauteur de 6 à 7 milliards ou encore du fonds de 10 milliards d'euros dédiés aux innovations de rupture.
Nous l'avons vu, ces mesures ont déjà commencé à porter leurs fruits, et ce n'est que le début.
L'industrie a un avenir !
Je sais que chaque entrepreneur est un homme ou une femme qui veut servir la France. Je sais que vous n'avez pas attendu la loi PACTE pour marquer vos territoires d'une empreinte positive et volontariste. Chaque entrepreneur assume déjà sa part de l'intérêt général, en travaillant et en recrutant. Chaque entrepreneur empiète sur sa vie de famille et son temps libre, parce qu'il croit à son entreprise, croit à sa chance, croit au potentiel de la France.
A nous de nous donner envie d'accélérer, d'expérimenter, de partager partout tous ensemble.
Je compte sur vous. Le temps d'une nouvelle conquête industrielle est venu.
C'est maintenant !
Source https://www.economie.gouv.fr, le 15 novembre 2018