Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, sur la politique financière du gouvernement, à Paris le 13 novembre 2018.

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Circonstance : Entretiens de l'AMF, à Paris le 13 novembre 2018

Texte intégral

Monsieur le président de l'AMF, cher Robert Ophèle,
Monsieur le député, cher Jean-Noël Barrot,
Mesdames et messieurs, chers amis,
Je veux vous dire tout le plaisir que j'ai à venir vous présenter les orientations du gouvernement sur le sujet qui vous a occupé toute la journée : celui de la blockchain et des ICOs. Et je voudrais remercier Robert Ophèle d'avoir mis à votre ordre du jour ces questions, essentielles à mes yeux.
Vous me permettrez peut-être de replacer ce débat, de manière plus globale, dans le cadre de la politique financière du gouvernement et du Président de la République. Cette politique financière tient en trois mots, qui sont des mots clés à mes yeux : l'attractivité, l'innovation et la stabilité.
Sur l'attractivité, je ne serai pas trop long parce que j'ai l'occasion d'en parler très régulièrement, nous voulons et nous allons faire de Paris la première place financière en Europe. Nous allons réconcilier la France avec son histoire économique. La France a été pendant plusieurs décennies une des grandes places financières en Europe, avant de tourner le dos, moitié par idéologie, moitié par crainte, à la finance. Sans comprendre que notre économie réelle avait besoin de la finance et que si nous voulions avoir une industrie puissante, avoir une industrie financière puissante était dans l'intérêt supérieur de la nation française.
Nous avons donc pris un certain nombre de dispositions, qui touchent aussi bien l'organisation de la place financière de Paris que les rémunérations ou le régime des impatriés, pour convaincre, à la faveur du Brexit, toutes les grandes institutions financières, tous les grands établissements financiers, qui cherchaient un lieu de relocalisation, de venir ici à Paris. Et nous sommes en passe de réussir notre pari. J'ai eu l'occasion de rencontrer, au cours des dernières semaines, aussi bien le président de JP Morgan, que le président de CITI, j'ai des échanges réguliers avec les présidents des grandes banques anglo-saxonnes et je mesure à quel point, désormais, le mouvement est engagé pour une relocalisation d'activité substantielle, ici, à Paris. De plus, l'Autorité bancaire européenne va bientôt s'installer ici à Paris : je pense que c'est un autre signal fort.
L'attractivité de la place financière de Paris est donc le premier pilier de notre politique financière et nous continuerons, dans les semaines, dans les mois qui viennent, sans relâche, à tout faire pour que Paris soit le centre financier névralgique d'une Union européenne que la Grande-Bretagne a décidé de quitter.
Le deuxième pilier de cette politique, c'est l'innovation, et je pense qu'on ne peut être la première place financière en Europe que si, précisément, nous sommes très audacieux en matière d'innovation financière. Nous avons un écosystème exceptionnel, nous avons des Fintech particulièrement performantes, audacieuses, créatrices. Eh bien, nous devons nous appuyer sur cet écosystème pour développer cette innovation financière, qui a pris depuis plusieurs années une ampleur absolument considérable.
L'équilibre à trouver, c'est celui entre l'innovation et la sécurité des épargnants : voilà la question la plus difficile. Bien entendu, laissons toute la liberté possible à l'innovation, mais garantissons aussi la sécurité des épargnants, et évidemment la sécurité des investisseurs.
De nouvelles technologies se sont développées, dont les principales sont les monnaies virtuelles, les ICOs et la blockchain qui est, dans le fond, un système de confiance mutuelle, où la multiplication des personnes présentes garantit une confiance plus solide qu'avec un dépositaire unique.
Nous ne sommes pas ici à un congrès de philosophie, mais je ne vous cache pas que derrière la blockchain, il y a une vraie question philosophique qui traverse toute personne dépositaire d'une autorité aujourd'hui, la confiance dans quelque autorité que ce soit ayant disparu, nos concitoyens font davantage confiance à une autorité répartie entre un très grand nombre de personnes qui mutuellement garantissent la sécurité du produit qui est proposé. Dans le domaine de l'hôtellerie, de la restauration, des biens, chaque consommateur va évaluer, valoriser un produit et en garantir la valeur ; au fond, c'est exactement la même chose qui se produit dans les services financiers avec la blockchain.
J'essaye de vulgariser cela parce que j'ai mis moi-même beaucoup de temps à comprendre ce que cela voulait dire, mais dans le fond, la blockchain n'est que le produit de l'affaiblissement des autorités centrales au profit de la confiance dans nos concitoyens. De ce point de vue, c'est une bonne chose, parce que cela veut dire que nos concitoyens étant adultes et matures ont confiance entre eux, plutôt que dans une seule autorité qui serait dépositaire, suprême, ultime, de toute autorité. Il y a derrière la blockchain une vraie évolution de ce qui construit la confiance dans notre société occidentale.
Les crypto-monnaies, de leur côté, sont aussi une réponse à certains doutes qui peuvent être émis, notamment dans certains pays, par rapport à la solidité de la monnaie.
Mais notre responsabilité, si nous faisons le pari de ces nouvelles technologies, c'est de garantir leur sécurité. C'est ce que nous avons fait en France, et nous sommes les premiers à l'avoir fait. Je veux d'ailleurs remercier tous ceux qui nous y ont aidé, au premier rang desquels Jean-Pierre Landau, qui a fait un rapport tout à fait remarquable sur le sujet. Vous pouvez l'applaudir, et si jamais vous avez des questions à poser sur la blockchain, les ICOs, la façon dont ces sujets s'insèrent dans le cadre financier international, je vous recommande une discussion avec Jean-Pierre Landau : vous en sortirez plus intelligent, ce qui est toujours assez agréable.
Nous avons donc voulu définir un cadre qui permette de faire ce pari des nouvelles technologies financières. D'abord, nous avons posé les fondations en définissant le concept même de blockchain dans le code monétaire et financier, par l'ordonnance blockchain du 8 décembre 2017, que j'ai présentée en Conseil des ministres. C'est la première fois en Europe qu'une nation décide de définir le concept de blockchain dans le code monétaire et financier, pour garantir justement la transparence sur ce concept.
Ensuite, nous avons fait - cela a constitué la deuxième étape - deux avancées majeures dans le cadre de Pacte, le projet de loi que j'ai fait adopter à l'Assemblée nationale en première lecture il y a quelques semaines. D'abord, nous avons introduit un visa pour les émissions de jetons par toute entreprise qui souhaiterait financer ainsi son développement. Et nous avons introduit un agrément pour tous les intermédiaires intervenant dans l'échange, la conservation, le placement de crypto-actifs ou le conseil à l'investissement.
Cette idée de visa pour les émissions de jetons pour les entreprises qui souhaiteraient financer leur développement est totalement novatrice. C'est une garantie de sécurité et c'est, en même temps, la possibilité d'utiliser ces jetons. L'Autorité des marchés financiers aura un rôle décisif dans ce dispositif puisqu'elle sera, au terme de la loi, le point de contact unique, avec le concours de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, risques qui feront évidemment l'objet d'un suivi obligatoire en vertu du droit européen.
Ces deux avancées majeures doivent aussi beaucoup aux parlementaires de la majorité, ou proches de la majorité, qui ont travaillé sur ces questions dans le cadre de la loi PACTE. Je remercie Jean-Noël Barrot, qui a fait un travail exceptionnel sur ce sujet, et qui a été rapporteur sur ces sujets à l'Assemblée nationale.
Il a été aidé également par Pierre Person, par Valéria Faure-Muntian, par Christine Hennion, par Eric Bothorel et par mon amie Laure de La Raudiere, qui est l'une des grandes spécialistes de ces questions à l'Assemblée nationale.
En quoi ces dispositifs sont-ils innovants ? Ils sont innovants d'abord parce que ces deux types d'agréments – les visas des missions et les agréments des intermédiaires – sont volontaires. Et je tiens à défendre cette idée du volontariat.
La réglementation que nous proposons est une réglementation qui, pour la première fois, fait le jeu d'un accompagnement réglementaire et de la valorisation des comportements vertueux, plutôt que d'un encadrement immédiat, coercitif, général. Ce point était une des recommandations fortes du rapport de Jean-Pierre Landau. On ne peut pas imaginer une finance innovante sur la base de réglementations anciennes. Cela ne marchera pas et c'est tuer dans l'oeuf toute velléité de développement d'une finance nouvelle. J'assume donc ce choix d'une réglementation qui soit volontaire, valorisant les comportements vertueux plutôt qu'une réglementation coercitive, identique pour tous et qui aurait conduit à l'éloignement du développement de ces nouvelles technologies financières.
La troisième étape doit être l'accès aux services bancaires. J'ai rencontré beaucoup d'acteurs - certains sont certainement présents dans cette salle - qui m'ont dit : "Notre difficulté principale pour développer ces nouvelles technologies financières, c'est l'accès aux services bancaires. C'est trop compliqué parce que les banques tout simplement ont peur des risques".
Nous avons donc mis en place un instrument qui va être particulièrement efficace à mes yeux : une liste blanche, qui sera établie par l'Autorité des marchés financiers, de tous les projets que nous estimons sérieux et créateurs de valeurs. L'accès sera facilité aux services bancaires, par exemple l'ouverture d'un compte, pour tous ces acteurs qui auront été comme labellisés par l'Autorité des marchés financiers, qui apportera toutes les garanties nécessaires. Tout cela nous permettra de surmonter ces difficultés que vous connaissez bien de la part des établissements de crédit, qui refusent d'ouvrir un compte auprès du superviseur au motif que le risque serait trop élevé. La liste blanche est une garantie et c'est donc un accès sûr aux services bancaires.
La quatrième étape doit être le cadre comptable et fiscal, et vous voyez qu'il faut à chaque fois traiter toutes les difficultés et tous les obstacles sur la route du développement de ces nouvelles technologies financières.
Pour les particuliers d'abord, je vais présenter dans quelques jours à l'Assemblée nationale un amendement au projet de loi de finances pour 2019 qui va préciser le cadre fiscal des crypto-monnaies, des crypto-actifs et des plus-values qui sont générées sur ces crypto-actifs.
Aujourd'hui, le cadre fiscal est confus. Personne ne s'y retrouve et il n'est pas suffisamment attractif. Nous allons clarifier le cadre fiscal des crypto-actifs et nous avons fait le choix de le rendre attractif une fois encore pour que Paris, pour que la France soient leaders en matière des nouvelles technologies financières. Désormais, les crypto-actifs, les plus-values générées sur les crypto-actifs seront taxées au taux du prélèvement forfaitaire unique, 30 %, soit un taux inférieur au taux applicable actuellement, qui est de 36,2 %.
Deuxième décision : les transactions de crypto à crypto seront totalement exonérées. C'était une attente très forte du secteur financier et du secteur de ces nouvelles technologies financières. Il y aura désormais une déclaration garantie par la loi des transactions de crypto à crypto.
Un abattement de 305 euros sera introduit pour ne pas surcharger le contribuable qui procède à des cessions d'un montant limité. C'est aussi une manière de rendre ces échanges plus attractifs.
Enfin, toute dernière décision, la déclaration sera simplifiée. Elle ne sera plus mensuelle, comme c'est le cas actuellement, mais annuelle dans le cadre de la déclaration de revenus habituelle.
Je pense que ces quatre décisions - le PFU à 30 %, l'exonération des transactions de crypto à crypto, l'abattement de 305 euros et la simplification de la déclaration qui ne sera plus mensuelle mais annuelle - sont de nature à permettre en France un développement important de l'usage de ces actifs.
S'agissant des entreprises, à ma demande également, l'Autorité des normes comptables présentera d'ici à la fin de l'année un règlement comptable qui prendra en compte les spécificités des crypto-actifs, qui permettra un traitement fiscal au titre de l'impôt sur les sociétés, qui assurera que les revenus des émissions de jetons des crypto-actifs détenus par l'entreprise ne soient taxés que lorsqu'ils donnent lieu à une conversion en euros ou à une création effective de valeurs. C'est aussi une décision importante pour les entreprises.
La toute dernière étape de développement de ce cadre réglementaire, c'est évidemment celle de la coopération internationale. Les nouvelles technologies financières dont je viens de vous parler sont globales. Il faut donc aussi une réponse internationale et c'est pourquoi, avec mon homologue allemand, le ministre des Finances Olaf Scholz, nous avons pris l'initiative de faire des propositions dans le cadre du G20 pour qu'avant la réunion de Buenos Aires au mois de mars, nos pays se saisissent de cette question. Nous en ferons un point important du prochain G20 et du prochain G7 Finances que la France présidera l'année prochaine.
Vous le voyez, l'ensemble de ces mesures forme un tout qui est sans équivalent aujourd'hui dans le monde. La France est la première nation au monde à proposer un cadre réglementaire souple, adapté, attractif pour les crypto-actifs et pour la blockchain. Et j'ai la conviction que ce cadre permettra aux acteurs de la blockchain qui s'installent en France d'être les pionniers et d'être les leaders dans ce domaine.
Le deuxième point sur l'innovation qui me tient très à coeur - j'en dis un mot au-delà de ces nouvelles technologies - c'est le développement de la finance verte. Tous ces instruments doivent se mettre au service de la finance verte dont j'ai redit à l'occasion du One Planet Summit, il y a quelques mois, qu'elle était le cap que nous fixions à la finance. La France a été le premier émetteur souverain de dette et de titres importants dans le cadre de cette finance verte, avec des bons verts. Nous avons voulu verdir l'épargne des particuliers aussi bien sur l'assurance-vie que sur d'autres produits : des dispositifs dans le projet de loi PACTE visent à ce verdissement de l'épargne des Français. Nous poursuivrons dans cette direction. Je pense que nous devons conjuguer innovation d'un côté, verdissement de l'autre. Cela vaut pour l'économie manufacturière, cela vaut aussi pour la finance.
Après l'attractivité et l'innovation, le dernier pilier de notre politique financière, c'est la stabilité. Et vous me permettrez de conclure par quelques remarques plus personnelles sur ce sujet.
Nous n'avons pas tiré toutes les leçons de la crise financière de 2008 et je vois revenir avec inquiétude un certain nombre de comportements, de facilités, notamment en termes de finances parallèles, qui sont dangereux pour la stabilité financière en Europe et à travers la planète. C'est bien pour cela que la zone euro doit désormais prendre toutes les décisions nécessaires pour se renforcer, tirer toutes les leçons de la crise financière de 2008 et garantir une stabilité totale aux épargnants et aux investisseurs.
Les propositions que nous avons faites, et qui figurent notamment dans le cadre de l'accord de Meseberg entre la chancelière allemande Angela Merkel et le Président de la République Emmanuel Macron, visent justement à nous prémunir dans le cadre de la zone euro contre toutes les conséquences d'une éventuelle crise financière ou économique. Je ne suis pas là pour jouer les Cassandre, mais ma responsabilité de ministre des Finances est de garantir à tous les épargnants français, à tous les investisseurs français, à tous les entrepreneurs français que la zone euro sera le plus grand espace de stabilité financière au monde. Et pour cela, il est temps de prendre un certain nombre de mesures pour achever l'intégration de la zone euro et la renforcer.
C'est maintenant qu'il faut prendre ces mesures. C'est maintenant qu'il faut décider ce renforcement du mécanisme européen de stabilité. C'est maintenant qu'il faut décider sur la mise en place de ce fameux backstop, qui est un filet de sécurité. En cas de crise bancaire, nous aurions une réserve supplémentaire pour garantir la résistance de la zone euro. C'est maintenant qu'il faut décider sur le budget de la zone euro, qui doit permettre d'accélérer la convergence entre les Etats membres de la zone monétaire unique et, en même temps, de faire face aux éventuelles conséquences d'une crise économique, de nous doter de moyens supplémentaires - par exemple, une assurance chômage commune - pour résister face aux conséquences des crises économiques.
Je crois que cette stabilité est à portée de main mais elle dépend aussi de nos décisions, de notre volonté, de notre capacité d'ici à quelques semaines, d'ici à la fin de l'année 2018, à prendre des décisions sur la base des discussions que nous avons déjà eues. Les discussions sont nécessaires et utiles mais uniquement si cela mène au bout du compte à des décisions, et des décisions fortes.
Merci encore au président de l'AMF pour son accueil.
Merci à tous pour votre écoute et votre attention.
Je vous souhaite une bonne poursuite de vos travaux.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 16 novembre 2018