Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail à Europe 1 le 26 novembre 2018, sur le conflit social des gilets jaunes et la création d'un Haut Conseil pour le climat.

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Média : Europe 1

Texte intégral

AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Bonjour.
AUDREY CRESPO-MARA
On a lu hier dans Le Journal du Dimanche que le président a trouvé la solution pour répondre à la colère des Gilets jaunes, il va annoncer demain la création d'un Haut conseil pour le climat. Créer un comité Théodule pour répondre à la colère populaire, c'est vraiment la bonne solution ?
MURIEL PENICAUD
Non, je crois que d'abord, ce sur quoi tout le monde s'accorde, c'est qu'il y a une partie de la population, notamment dans les zones éloignées des métropoles, qui aujourd'hui se sent coupée, je dirais, de la dynamique du pays et qui se sent...
AUDREY CRESPO-MARA
Mais vous aviez vraiment besoin d'embaucher des experts pour entendre et comprendre cette colère des Gilets jaunes ?
MURIEL PENICAUD
J'y viens, j'y viens, oui, cette souffrance, cette colère, cette crainte de l'avenir aussi, pour eux, pour leurs enfants. Le président de la République va annoncer plusieurs choses demain, ce n'est pas à moi de le dire, c'est lui qui les dira...
AUDREY CRESPO-MARA
Donc il y a quelque chose de mieux que le Haut conseil pour le climat, c'est ça ?
MURIEL PENICAUD
Le Haut conseil pour le climat, pourquoi c'est important ? Parce qu'on a tous… en fait c'est le débat entre le court terme et le long terme, et je pense qu'on est tous dans la même vision des choses. On veut tous que nos enfants ils respirent mieux, on veut qu'il n'y ait plus 40.000 morts chaque année à cause des particules fines, donc le combat de l'écologie ce n'est pas simplement le combat de la planète, c'est le combat de notre vie, de notre vie quotidienne, mais il faut aussi…
AUDREY CRESPO-MARA
On a l'impression que le gouvernement s'inquiète de la fin du monde, alors que la majorité des Français s'inquiète pour ses fins de mois, et donc ça illustre un peu le fossé qui sépare les dirigeants du peuple français...
MURIEL PENICAUD
Non, je ne crois pas qu'il y ait de fossé, mais notre responsabilité c'est, avec tous les partenaires de la société civile, de trouver la bonne voie de passage, parce que si on ne fait rien sur le plan écologique, non seulement on aura le problème des fins de mois demain, mais on aura le problème de la santé, on aura le problème de la biodiversité, on aura le problème de l'agriculture, donc ça concerne tout le monde.
AUDREY CRESPO-MARA
Mais pour répondre à la colère populaire des Gilets jaunes, que vous dites écouter, est-ce que vous ne croyez pas qu'il aurait plutôt fallu créer un Haut conseil pour le pouvoir d'achat ?
MURIEL PENICAUD
D'abord, pour les Gilets jaunes, je vais vous dire, on parle bien de ceux qui sont, la grande majorité des Gilets jaunes qui sont sincères, qui expriment ce qu'ils ressentent, qui expriment une sorte de cri, je mets à part les casseurs, les violents, les extrémistes, qui en profitent et qui osent attaquer des journalistes, des forces de l'ordre et des citoyens, donc juste pour qu'on soit d'accord dans les Gilets jaunes, les deuxièmes, pour moi, ce n'est pas des Gilets jaunes sincères et la loi doit passer.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous avez déploré ces images, ou vous vous êtes dit c'est un bon moyen de retourner l'opinion des Français contre les Gilets jaunes ?
MURIEL PENICAUD
Non, non, je trouve ça inadmissible, cette attaque de la démocratie. Quand on s'attaque aux forces de l'ordre, aux journalistes ou aux citoyens, c'est qu'on attaque la démocratie, mais ça, la majorité des Gilets jaunes ce n'est pas ça.
AUDREY CRESPO-MARA
C'est ce que l'opposition dit, ils un peu laissé faire pour essayer de retourner l'opinion française contre les Gilets jaunes.
MURIEL PENICAUD
Non… on a préservé le maximum. Vous savez, quand c'est les syndicats qui organisent une manifestation, eh bien il y a des responsables, donc on discute à l'avance les conditions pour la sécurité, là il n'y a personne et donc c'est beaucoup plus difficile d'assurer la sécurité. Je voudrais saluer les forces de l'ordre, qui ont payé le tribut là-dessus et qui assurent la force de l'ordre sur ce sujet.
AUDREY CRESPO-MARA
Muriel PENICAUD, au premier plan des revendications des Gilets jaunes, pouvoir d'achat et emploi. Vous sentez-vous personnellement responsable d'une partie de cette colère, vous qui peinez à réduire le chômage en France ?
MURIEL PENICAUD
Je crois que sur le chômage on est dans la bonne direction. On a dit, depuis le début, 30 ans de chômage de masse ne se réduisent pas en 1 jour, mais on est passé de 9,7 à 9,1 % de chômage en 1 an, on a créé 211.000 emplois nets dans le secteur privé, mais je voudrais dire surtout que, les indices, qui sont intéressants, c'est le chômage a commencé à baisser, nos chiffres de 2010, les seniors aussi, et les CDI qui ont augmenté de 14 %, donc il y a des signaux positifs, mais il y a encore un travail énorme à faire.
AUDREY CRESPO-MARA
Je voudrais vous emmener sur l'île de La Réunion…
MURIEL PENICAUD
J'y étais il y a 8 jours.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous y étiez il y a une semaine, voilà, où la contestation ne faiblit pas. Plus de la moitié des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage, des mesures sont-elles prévues pour ce territoire qui est particulièrement désoeuvré ?
MURIEL PENICAUD
Oui. La Réunion, il y a 850.000 habitants, mais il y a une population extrêmement jeune à La Réunion, ça peut être une force à condition que les jeunes puissent exprimer ce qu'ils ont à dire et puis qu'ils puissent prouver qu'ils apportent quelque chose à la société, sinon c'est désespérant pour eux.
AUDREY CRESPO-MARA
Mais qu'est-ce qu'on prévoit pour eux comme mesures spécifiques ?
MURIEL PENICAUD
Et donc, il y a effectivement 23 % de taux de chômage, 1 jeune sur 2, donc c'est pour ça que j'y suis allée, et moi ce qui m'a frappée c'est qu'on a… donc, moi je venais avec les moyens du Plan d'Investissement Compétences, qui sont considérables, on va pouvoir former des dizaines de milliers de jeunes, avec un plan de développement de l'apprentissage, Didier ROBERT, le président de région, est complètement d'accord là-dessus, et j'ai vu des acteurs…
AUDREY CRESPO-MARA
C'est des investissements pour renforcer la formation, l'apprentissage ?
MURIEL PENICAUD
la formation, l'apprentissage, parce que les jeunes ils sont non seulement très nombreux au chômage, mais leur niveau de qualification est très bas, ce qui fait que, paradoxalement, La Réunion a 3 % de croissance, donc on crée des emplois à La Réunion, mais les jeunes n'arrivent pas à entrer dans le marché du travail faute de qualification, donc c'est plein feu sur la qualification. Et moi, ce qui l'a frappée, c'est que j'ai vu beaucoup d'entrepreneurs, je sais que c'est à contrecourant des images qu'on voit, mais j'ai vu des élus locaux, des entrepreneurs, des associations, extrêmement engagés sur le sujet des jeunes, donc moi j'ai confiance qu'on peut vraiment changer la donne pour une partie significative des jeunes à La Réunion.
AUDREY CRESPO-MARA
Le chômage est aujourd'hui, en France, de 9,1 %, à ce rythme-là on est loin d'atteindre les 7 %, l'objectif que vous vous êtes donné pour la fin du quinquennat d'Emmanuel MACRON, vu la baisse sur 1,5 an.
MURIEL PENICAUD
En fait, ce n'est pas un seul levier qui suffit dans le chômage, pour lutter contre le chômage de masse, il y a ce qu'on a fait dans les ordonnances, qui a libéré la crainte d'embaucher des PME, ça s'est vu, parce qu'elles embauchent beaucoup plus, ensuite maintenant…
AUDREY CRESPO-MARA
La réforme du code du travail, on voit vraiment aujourd'hui ses effets ?
MURIEL PENICAUD
Oui, oui, la création d'emplois est beaucoup plus forte. La loi Avenir Professionnel, c'est l'élément majeur, parce qu'on va développer l'apprentissage, la formation professionnelle, or, aujourd'hui, il y a des centaines de milliers d'emplois, qui ne sont pas pourvus, les entreprises cherchent tous les jours quelqu'un, parce qu'il n'y a pas les compétences en face. Donc, les demandeurs d'emploi cherchent de l'emploi, mais n'ont pas les qualifications, pendant que des entreprises cherchent des salariés et ne les trouvent pas. Donc ça, c'est ce paradoxe insoutenable qu'il faut résoudre, et la loi Avenir professionnel, et le Plan d'Investissement Compétences pour les plus vulnérables, c'est au coeur de ce sujet. Et puis il y aura la réforme de l'Assurance chômage qui contribuera aussi. Donc il faut jouer sur tous les leviers.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous visez les 7 % de chômage en 2022…
MURIEL PENICAUD
S'il n'y a pas de changement géopolitique majeur, parce que ça, ça peut les changer les conditions, mais disons à conditions similaires, c'est une ambition très forte, mais nous pensons qu'on peut effectivement être autour de 7 %, si on continue à faire les réformes de fond.
AUDREY CRESPO-MARA
7 % de chômage, n'est-ce pas là la vraie ambition de la France plutôt que les 3 % de déficit ?
MURIEL PENICAUD
Il n'y a pas une ambition, il faut qu'on ait un modèle de développement économique et social qui soit durable, c'est évidemment la lutte contre le chômage, c'est quand même ce que nous rappellent les Gilets jaunes, c'est aussi le pouvoir d'achat des plus vulnérables, c'est évidemment le déficit public, parce qu'on ne va pas laisser une dette- la dette, la dette ce n'est pas une théorie, c'est ce qu'on laisse à nos enfants, c'est-à-dire ce qu'ils devront payer pour même commencer dans la vie à pouvoir faire des choix, donc c'est un peu comme le climat la dette, c'est une boule de neige, si on la laisse grossir, c'est nos enfants qui récolteront ça. Mais, il faut faire ça, et en même temps que, à court terme, et c'est pour ça le seul moyen c'est de travailler ensemble, je voudrais dire on a réussi à le faire sur les femmes, faisons-le sur les autres sujets.
AUDREY CRESPO-MARA
Les femmes justement, vous vous battez contre l'inégalité salariale entre les hommes et les femmes. Est-ce qu'aujourd'hui la véritable inégalité salariale ce n'est pas celle qui oppose les riches et les pauvres, quand les 10 % de Français les plus riches détiennent la moitié des richesses du pays, vous ne croyez pas que c'est là la principale inégalité ?
MURIEL PENICAUD
Vous savez ce que s'est passé le 22 novembre 2018 ? Très peu de gens le savent, parce qu'il y avait d'autres bruits.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous avez présenté vos mesures.
MURIEL PENICAUD
Non, je n'ai pas présenté des mesures. Après avoir travaillé pendant des mois, avec les partenaires sociaux, avec une très forte convergence, la plupart des numéros 1 étaient là, on a annoncé comment on allait faire pour réduire l'égalité des femmes et des hommes, ça c'est une immense injustice, il y a 9 % d'écart entre les femmes et les hommes pour le même travail, il y a 25 % sur la carrière, eh bien c'est ça qu'on est en train de résoudre, et je pense que la France est en train de prendre une avance, c'est un formidable progrès social, et on sera, je pense, le premier pays, j'espère, le premier pays qui résout ce sujet-là, et là je peux vous dire que tout le monde est sur le pont, les partenaires sociaux le sont, les associations le sont, et je suis très confiante de ça. Ça ne s'est pas beaucoup vu la semaine dernière, mais ça va beaucoup se voir.
AUDREY CRESPO-MARA
Vous n'avez pas répondu à la dernière question, mais on n'a plus le temps. Merci Muriel PENICAUD.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 novembre 2018