Déclaration de Mme Paulette Guinchard-Kunstler, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, sur le programme d'actions destiné aux personnes souffrant de maladie d'Alzheimer et de maladies apparentées, Paris le 11 octobre 2001.

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Circonstance : Communication sur le programme d'actions destiné aux personnes souffrant de maladie d'Alzheimer et maladies apparentées à Paris le 11 octobre 2001

Texte intégral

Notre programme a l'ambition de conjuguer trois points de vue : celui des malades, celui des familles, celui des professionnels.
Je voudrais brièvement vous rappeler pour les malades, l'entourage, les professionnels, quels sont au quotidien leurs difficultés, leurs interrogations, leurs besoins :
Les malades
Comment vivre avec la maladie d'Alzheimer, comment supporter le diagnostic, les signes qui s'aggravent, la peur de l'avenir, du regard des autres et de la solitude, comment être respecté et entouré jusqu'au dernier moment, alors que la fragilisation extrême oblige les malades à être accompagnés et pris en charge complètement ?
Les familles
Comment vivre avec un proche atteint par la maladie, quand on souffre de le voir se détériorer, qu'on a le sentiment de ne pas savoir ou pas pouvoir répondre à ses demandes, qu'on est à bout de souffle devant la permanence et l'intensité de l'aide quotidienne à apporter, la charge qui s'accroît de jour en jour face à la perte d'autonomie ?
Les professionnels
Les métiers de l'aide aux personnes âgées sont à mes yeux parmi les plus difficiles, et en particulier lorsqu'il s'agit de démence, parce que les professionnels sont confrontés en permanence à la fin de vie, à la mort mais aussi à un questionnement éthique personnel. Comment éviter aux professionnels la solitude de la décision aussi bien à domicile qu'en établissement ?
Aujourd'hui ces situations douloureuses pour les malades, les familles, les professionnels sont mieux connues, mais les réponses sont largement insuffisantes.
Bernard Kouchner a abordé les mesures que le programme mettra en uvre pour permettre un diagnostic précoce, en insistant sur la nécessité d'une prise en charge rapide et coordonnée, à la fois médicale et sociale ; car comme le dit le Professeur Girard, il faut "médicaliser le diagnostic et démédicaliser la prise en charge" .
L'effort à mener du côté social s'inscrit pleinement dans les mesures déjà engagées en direction des personnes âgées en perte d'autonomie, car la presque totalité des personnes atteintes de maladie d'Alzheimer sont âgées de plus de 60 ans (on estime à moins de 1% les personnes de moins de 60 ans). Le nombre de personnes atteintes s'accroît fortement avec l'age : plus de 90% malades ont plus de 70 ans et plus des deux tiers, plus de 80 ans.
Mettre l'ensemble du dispositif d'aide aux personnes âgées en perte d'autonomie, au service des malades d'Alzheimer, en tenant compte des particularités des attentes des malades, des familles et des professionnels, tel est l'enjeu dans le champ médico-social et social de notre programme d'actions, qui s'articule autour de trois objectifs
Pour les malades : le respect des capacités des personnes, de leur liberté et de leur dignité
Pour les familles : le soutien des aidants, pour leur permettre de souffler mais aussi d'exprimer leur souffrance
Pour les professionnels : le renforcement des démarches d'équipes, évitant l'isolement du professionnel dans sa pratique quotidienne
Brièvement voici les principales mesures
En premier lieu pour les personnes malades
Les aider à préserver leurs capacités, et leur autonomie, protéger leurs droits, le respect de leur dignité, reconnaître le rôle social qu'ils continuent de jouer, dans leurs liens avec leur entourage, et à travers l'histoire de leur vie.
Et pour cela, il faut
améliorer l'aide à domicile
leur offrir des accueils adaptés selon les périodes de leur vie, en accueil de jour, hébergement temporaire, ou définitif, dans un environnement chaleureux, sécurisant et attentif
C'est ce que nous mettrons en place en développant
les places d'accueil de jour : financement par l'ONDAM de 1750 places en 2002 (7000 en 4 ans)
l'hébergement temporaire : financement par l'ONDAM de 750 nouvelles places en 2002 (3 000 en 4ans)
et aussi en adaptant les établissements d'hébergement pour personnes âgées, y compris par une adaptation architecturale des lieux.
Mais en même temps, aider les familles est une priorité
Depuis que j'ai pris mes fonctions, j'ai souhaité me déplacer sur l'ensemble du territoire pour rencontrer et échanger avec les personnes âgées, les professionnels, les élus, les familles : j'ai été frappée de la force des solidarités familiales et de la capacité d'innovation dont elles font preuve:
ici des permanences d'accueil des familles,
là des brochures d'informations, et je voudrais saluer le guide des aidants que France Alzheimer a largement soutenu
ou encore des groupes de parole
des projets de garde en commun, et de réseau d'entraide.
Je voudrais aussi saluer des initiatives comme celle de l'équipe de Toulouse autour des Professeurs Vellas et Albarède, qui expriment ainsi les besoins de la famille : "la maladie d'Alzheimer est une maladie de la famille, elle va retentir sur l'état de santé physique et mental de l'entourage direct du patient", d'où la nécessité d'informer sur la maladie et les complications, d'aider aussi les familles à se préserver et accepter des aides extérieures.
Toutes ces innovations nous ont permis d'avancer, mais aujourd'hui le Gouvernement a la volonté de reconnaître par ce programme d'actions l'importance d'aider à organiser le soutien des familles.
En s'appuyant sur les pistes déjà tracées, nous développerons trois types d'actions pour soulager la charge physique et morale des aidants familiaux :
* des actions d'information et de formation : à travers le dispositif des CLIC, notamment, en permettant des réunions d'information et de partage des connaissances avec les familles
* les temps de répit : et c'est là le rôle des accueils de jour ou temporaire que j'ai déjà évoqués ; ils doivent bénéficier à la fois aux personnes malades mais aussi aux aidants
* l'aide à la mise en place de groupes de paroles, avec intervention d'un professionnel ; il s'agit là en compléments de réunions d'informations des familles, de groupes d'expression et de soutien, plus formalisés, généralement animés par des psychologues


J'ai la conviction que nous devrons adapter dans les prochaines années le soutien à apporter aux aidants familiaux à des besoins qui évoluent et évolueront. Il nous faut anticiper et nous allons lancer un programme d'études sur d'autres formes de soutien innovantes qui méritent d'être recensées et évaluées, en France comme dans d'autres pays.
Renforcer la démarche d'équipe des professionnels
Nous avons des outils dans le secteur social : la réforme entreprise pour améliorer les établissements d'hébergement des personnes âgées, le fonds de modernisation sociale pour aider à la professionnalisation du champ de l'aide à domicile et à la formation des professionnels en établissement.
D'ici quelques mois un guide à l'usage des professionnels sera élaboré ; il donnera des outils pour mieux comprendre la maladie, mais aussi pour aider les professionnels à accompagner les personnes y compris dans leur fin de vie.
Un des enjeux est de créer une dynamique de démarche d'équipe pour que les professionnels puissent échanger et confronter leur expérience quotidienne : j'attache en particulier beaucoup d'importance à ce que des démarches de questionnement éthique se mettent en place dans les institutions d'accueil et d'hébergement : il faut pouvoir aborder collectivement des questions qui se posent au quotidien
la façon dont le professionnel perçoit les symptômes et son attitude personnelle
le respect de la dignité humaine et de la liberté de chacun
la difficulté de concilier le respect de la volonté de la personne malade et la protection de lui même ou de son entourage.
Cette démarche d'amélioration de la prise en charge dans les établissements médico-sociaux va de pair avec les améliorations qu'apportera le diagnostic précoce, et la mise en route d'un projet de soins ; toutefois, la prise en charge gériatrique des personnes âgées en perte d'autonomie devra être renforcée dans les mois qui viennent, afin que les soins hospitaliers soient encore mieux adaptés aux problèmes spécifiques et aux nécessités de prise en charge globale par une équipe gériatrique pluridisciplinaire.
Nous travaillons avec Bernard Kouchner dans cette perspective qui devrait déboucher prochainement sur une propositions d'actions visant à renforcer les soins hospitaliers gériatriques.
Je voudrais pour conclure redire ici les paroles de Simone de Beauvoir qui, il y a près de 40 ans, nous mettait en garde : "Si l'adulte refuse au vieillard toute possibilité de communication en privant de sens ses paroles, ses gestes, ses appels, celui-ci s'enferme en lui même, il désapprend le langage, il glisse hors de l'espèce humaine". Il faut entendre la vérité de ces paroles, même et surtout pour des personnes souffrant de maladie d'Alzheimer, que la maladie enferme déjà, et avec qui la communication est difficile.
Ce devoir d'humanité, ce besoin d'humanité auquel nous confrontent ces malades, nous devons le porter par ce programme au delà de ceux qui sont directement touchés, auprès de l'ensemble de nos concitoyens pour que le regard de chacun devienne plus ouvert pour éviter la solitude, le repli, pour qu'autour de nous cette maladie soit mieux connue et mieux acceptée.

(source http://www.sante.gouv.fr, le 15 octobre 2001)