Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé à RTL le 6 décembre 2018, sur les aides aux personnes âgées dépendantes et l'accueil dans les EHPAD.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


YVES CALVI
Bonjour Agnès BUZYN.
AGNES BUZYN
Bonjour Yves CALVI.
YVES CALVI
Et merci beaucoup d'être avec nous ce matin sur RTL. Je rappelle que vous êtes ministre des Solidarités et de la Santé, vous êtes avec nous ce matin pour présenter les résultats d'une grande enquête sur la prise en charge de nos aînés, avec RTL, 415.000 personnes ont répondu à l'appel, mais tout d'abord, bien entendu, l'actualité, Gérald DARMANIN à l'instant évoque un moment dramatique pour le pays. Est-ce que vous partagez cette analyse de la situation concernant le mouvement des gilets jaunes ?
AGNES BUZYN
Oui, le sentiment que j'ai, c'est que tout le monde n'a pas envie de sortir de la crise, or à un moment, il faut aussi faire un choix, est-ce qu'on souhaite que ce pays avance, se répare, le gouvernement a fait un certain nombre de propositions de débat public, notamment sur les impôts, les taxes, sur l'écologie, ce débat va s'organiser dans toutes les régions, l'idée, c'est que nous avancions tous ensemble vers des solutions co-construites, et donc c'est quelque part une main tendue aux citoyens qui ont envie de réparer ce pays avec nous. Aujourd'hui…
YVES CALVI
Vous avez bien compris que les gilets jaunes, pour l'instant, ou en tout cas, ceux qui prétendent parler en leur nom n'ont pas du tout l'intention de participer à des débats, à chaque fois que le Premier ministre a essayé d'organiser une réunion avec eux, personne n'est venu, ou des conditions totalement invraisemblables, en fait, il n'y a pas d'interlocuteur, c'est-à-dire que vous vous battez quelque part contre du vide, et un vide potentiellement dangereux.
AGNES BUZYN
Oui, et on sent que certains ont envie du chaos, et ça peut servir un certain nombre de personnes, on le voit bien dans les prises de parole hier même dans l'hémicycle de Jean-Luc MELENCHON, qu'il souhaitait quelque part une forme de chaos. Et donc là, j'ai envie de dire aux Français raisonnables : nous souhaitons sortir de cette crise, les Français sont entendus dans leurs difficultés, d'ailleurs, de toute façon, le président avait bien fait ce diagnostic-là lors de sa campagne présidentielle, quand il disait qu'il fallait que le travail paye plus et que nous réduisons les impôts, nous n'avons peut-être pas été suffisamment rapides pour que ça se sente concrètement, je l'entends, mais aujourd'hui, nous proposons d'ouvrir des débats et d'aller vers des solutions ensemble, ce que nous risquons aujourd'hui, si les violences empirent ce samedi et si les manifestations violentes persistent, c'est clairement de faire tomber tout ce qui était l'économie aujourd'hui de notre pays, qui était en train de redémarrer, et donc, il y a une inquiétude sur cette violence assumée de certains qui ne veulent absolument pas trouver de solution.
YVES CALVI
Agnès BUZYN, pour l'instant, les gilets jaunes et la quasi-intégralité de l'opposition nous disent : ces mesures qui nous sont annoncées, et quels que soient les efforts, alors, parfois, deux fois dans la même journée, ce qui ne donne pas un exemple de grande cohérence au sein du gouvernement, c'est trop tard et trop peu, que répondez-vous à cela ? Vous avez employé le mot chaos il y a quelques instants, chaos…
AGNES BUZYN
Oui, mais alors, aujourd'hui, les mesures qui ont été prises, c'est une mesure de ne pas inscrire la taxe carbone dans le budget, donc elle n'existe plus officiellement, nous travaillons ensemble aux réformes qui pourraient servir l'écologie et aux réformes qui pourraient nous aider à réduire aujourd'hui l'imposition des Français, mais je rappelle quand même, parce que, on oublie, j'entends beaucoup des gilets jaunes dire : on ne sait pas où va notre argent, qu'est-ce qu'ils font de notre argent ? Dans le ministère qui est le mien, il se trouve que je gère le budget de la Sécurité sociale, ce sont nos impôts qui paient les allocations familiales, qui paient la santé, qui paient nos hôpitaux, qui paient les retraites, qui paient l'assurance chômage, tout ça, ce sont nos cotisations, c'est notre système que nous avons construit, la Sécurité sociale, à laquelle nous sommes très attachés. Donc moi, j'entends qu'on paie trop d'impôts, mais nous devons réfléchir ensemble à ce que nous voulons garder d'essentiel, et notamment cette protection sociale qui est indispensable.
YVES CALVI
Est-ce que vous attendez une mesure supplémentaire pour le pouvoir d'achat des Français, est-ce que vous pensez aujourd'hui qu'elle est nécessaire dans le climat que nous traversons ?
AGNES BUZYN
Elle est déjà prévue, il se trouve que dans mon budget, j'augmente de 30 euros au 1er avril la prime d'activité pour les personnes au Smic, donc elle est déjà prévue, nous avions…
YVES CALVI
Vous croyez que ça suffira, Madame BUZYN ?
AGNES BUZYN
La prime d'activité, c'était vraiment un point majeur du président de la République, parce que justement, ça aidait les personnes qui aujourd'hui ont des petits salaires à améliorer leur quotidien.
YVES CALVI
Pardonnez-moi, mais 30 euros, c'est quasiment le chiffre que nous citent, notamment, ceux à qui nous donnons la parole parmi les gilets jaunes, qui nous disent : à la fin du mois, on doit encore se battre pour 20, 15, 30 euros, est-ce qu'on aurait pu aller plus loin ? Et est-ce que vous y seriez favorable ?
AGNES BUZYN
Alors, on avait prévu, sur l'ensemble du quinquennat, de monter la prime d'activité à 80 euros au niveau du Smic, c'est-à-dire 80 euros de plus par mois, nous avons accéléré, nous allons aller à la fin de l'année 2019 à 20 + 30 euros, donc nous accélérons le mouvement pour que les gens ressentent réellement une aide au quotidien pour les petits salaires. Donc c'est quelque chose que nous avions anticipé, nous essayons d'accélérer encore. Voilà, je pense que le gouvernement est très, très attentif aujourd'hui à cette question du pouvoir d'achat des Français. Quand on a réduit les cotisations salariales, les Français ne l'ont pas perçu comme une aide au pouvoir d'achat, alors que ça servait justement à ce que la feuille de paie paie mieux à la fin du mois. Je pense que les réformes que nous avons mises en place sont peut-être trop complexes ou insuffisamment expliquées ou très mal expliquées, mais tout ce que nous avons fait sert à améliorer le pouvoir d'achat des Français.
YVES CALVI
Alors je rappelle que vous êtes avec nous ce matin pour nous présenter donc les résultats de cette grande enquête sur la prise en charge de nos aînés, avec RTL. Alors, il y a des idées plébiscitées, des idées controversées, et des repoussoirs, parmi les controversées, évidemment, les questions de la fin de vie. Hier, le fils de Maria PACOME, la comédienne, sur notre antenne, s'est confié à ce micro, et à notre micro, il a expliqué : ma mère m'a demandé de l'aider à mourir, il a lancé un appel à une réflexion sur la fin de vie assistée. Que lui rendez-vous ?
AGNES BUZYN
Alors, d'abord, moi, j'aimerais que quand on parle du grand âge et de l'autonomie, pardonnez-moi, Monsieur CALVI, je ne veux pas éluder la question de la fin de vie, mais d'abord, on parle de personnes qui vont vivre 10 ans, 20 ans avec une perte d'autonomie progressive ou pas du tout, parce que…
YVES CALVI
Je vais y venir…
AGNES BUZYN
On peut vieillir en bonne santé et sans en perte d'autonomie aussi, et donc, d'abord, pensons à la qualité de vie de nos aînés, c'était l'objet de la... voilà. Après, sur la fin de vie, moi, j'entends les situations individuelles de personnes qui ont vu leurs proches désirer mourir, et de ne pas pouvoir être accompagnées, et à l'échelon individuel je comprends le problème. Après, je pense qu'il y a des dérives possibles, c'est-à-dire qu'on peut imaginer que si on facilite trop une aide à la mort assistée, on entraîne des personnes vulnérables qui coûtent cher à leur famille, qui ont des handicaps ou qui sont très âgées à demander à mourir pour soulager leur famille, et ça, ça m'inquiète, je ne sais pas comment on met des barrières à cette pression sur des gens plus vulnérables et sur lesquels, il peut y avoir un sentiment de culpabilité du poids qu'ils font courir, qu'ils ne font peser sur leur famille. Et donc il faut trouver cette ligne de crête, et elle est très compliquée.
YVES CALVI
Alors, vos interrogations sur cette propre question font par définition interrogations pour ceux qui nous écoutent, parmi les idées qui ressortent dans cette enquête, plusieurs ont attiré notre attention, notamment le fait d'améliorer l'accueil des seniors dans des lieux existants, mais aussi dans de nouveaux lieux, des lieux dits alternatifs, de quoi s'agit-il ?
AGNES BUZYN
Alors, aujourd'hui, on peut imaginer des résidences qui sont adaptées à une vie des seniors avec par exemple des plateformes de services qui les aident à être maintenus au domicile beaucoup plus longtemps, l'idée, c'est d'avoir un continuum entre son domicile et jusqu'à la fin de vie, si c'est vraiment nécessaire, jusqu'à une hospitalisation ou un EHPAD, mais ce qui ressort de la consultation, c'est qu'une majorité des personnes qui ont répondu ne veulent pas partir de leur domicile, ce qui paraît évident, c'est que tout le monde souhaite que le maintien à domicile soit le modèle prédominant, et donc c'est cela que nous devons organiser, nous devons évidemment aussi trouver le financement pour cela, et…
YVES CALVI
Le maintien à domicile est quelque chose qui, à un moment, peut devenir extrêmement difficile, et on a besoin d'un sérieux coup de main.
AGNES BUZYN
C'est-à-dire que ça veut dire organiser complètement, différemment le maintien à domicile par rapport à ce qu'il est aujourd'hui.
YVES CALVI
C'est un objectif qui devient prioritaire à vos yeux ?
AGNES BUZYN
Oui, moi, je crois, parce que je ne connais pas une seule personne aujourd'hui qui imagine aller en EHPAD, plus personne ne le souhaite, et donc on a ce travail-là à faire, de changer de modèle.
YVES CALVI
Avec des éventuels appuis financiers pour les familles et pour les aidants ?
AGNES BUZYN
C'est tout l'objet de ce texte de loi et de cette consultation, c'est de trouver un financement qui va enfin rassurer les Français, et un financement solidaire qui va enfin soulager les Français…
YVES CALVI
Mais comment on finance le cinquième risque, c'est une montagne potentielle…
AGNES BUZYN
Donc nous avons des pistes par cette consultation, je pense que nous aurons des propositions à mettre sur la table, je pense que nous sommes en capacité de le faire, vous le savez, la Sécurité sociale, pour la première fois depuis vingt ans, a un budget à l'équilibre, on a été capable de trouver des ressources…
YVES CALVI
Donc on va tous cotiser, Agnès BUZYN ?
AGNES BUZYN
On cotise déjà, en réalité, donc la question, c'est la répartition des cotisations…
YVES CALVI
Oui, mais, voilà, dans d'autres proportions…
AGNES BUZYN
On ne va pas augmenter... l'idée n'est pas d'augmenter les cotisations et les taxes, vous l'avez bien compris, ça n'est pas dans l'air du temps. Mais je pense…
YVES CALVI
Eh bien, c'était bien la question que je vous posais…
AGNES BUZYN
Non, non, mais je pense qu'aujourd'hui, nous avons les moyens de dégager une aide pour que la prise en charge des personnes âgées soit améliorée en France et réponde aux aspirations des français et des 400.000 Français qui ont répondu à cette consultation.
YVES CALVI
Mais comment…
AGNES BUZYN
Mais je ne peux pas dévoiler aujourd'hui, Monsieur CALVI, les pistes de financement, nous en avons, et elles seront dévoilées au moment où le texte de loi sera écrit.
YVES CALVI
Dites-nous quand, je veux dire, il faut qu'on ait une fourchette, je veux dire, un horizon…
AGNES BUZYN
J'attends le rapport sur la consultation publique en janvier, et le texte de loi sera préparé dans le courant de l'année 2019, probablement au printemps 2019 pour un vote en fin d'année.
YVES CALVI
Donc vous avez les pistes pour l'instant, vous ne souhaitez pas les communiquer, mais ce sera fait, c'est engagé ?
AGNES BUZYN
Je ne peux pas les communiquer parce qu'il y a encore des groupes de travail, nous avons des groupes de travail aujourd'hui qui sont animés dans les régions avec des conférences dans les régions, donc la consultation ne fait pas tout, et il y a des groupes de travail sur la qualité de vie, il y a des groupes de travail sur les aidants, il y a des groupes de travail sur les personnes, les professionnels qui interviennent auprès des personnes âgées pour améliorer leurs conditions de travail, et nous avons des groupes de travail sur le financement, et nous attendons donc de finaliser les propositions pour les mettre sur la table.
YVES CALVI
Alors, tout le monde ne pourra pas rester à la maison, même si vous nous dites qu'on doit le faire le plus possible, le maintien à domicile est une notion qu'on comprend très bien, on pointe de plus en plus souvent le tarif et les prix des maisons de retraite, est-ce qu'on a raison de le faire, et qu'est-ce qu'on peut faire, et est-ce qu'on peut améliorer les choses-là aussi ?
AGNES BUZYN
Oui, là, il y a un reste à charge des familles qui est très important, c'est pour ça que je vous parlais des risques pour la fin de vie, il y a un reste à charge qui est très important pour les familles aujourd'hui, c'est très variable d'un EHPAD à l'autre, selon qu'on est dans un secteur public, privé, non lucratif ou privé, lucratif, il y a des aides évidemment, qui sont des aides des départements pour la prise en charge de l'autonomie, mais nous voyons bien qu'aujourd'hui ce reste à charge est trop important et grève notamment le budget des Français. Ça participe à ces difficultés qu'ont certaines familles quand elles ont des personnes âgées à charge. Et donc nous devons améliorer ça…
YVES CALVI
Comment peut-on réduire ce reste à charge, là aussi, il y a des pistes ?
AGNES BUZYN
Eh bien, justement, c'est toute la réforme du financement, aujourd'hui, il y a trois financeurs pour prendre en charge une personne âgée dans un EHPAD, il y a l'Etat qui va payer les soins, les infirmières, il y a le département, qui va payer en gros les aides-soignantes et tout ce qui est aide pour lutter contre la perte d'autonomie, et il y a les familles qui vont payer l'hébergement, l'hôtel, le système est trop complexe, nous devons le simplifier, nous devons le rendre plus lisible, et nous devons mieux aider les familles pour qu'elles aient moins de reste à charge, c'est l'objet de la réforme du financement du grand âge et de la perte d'autonomie, que nous allons évidemment proposer…
YVES CALVI
Et là aussi, vous nous dites : nous aurons des réponses, et des réponses claires et qui tiennent, je veux dire…
AGNES BUZYN
Des réponses très claires…
YVES CALVI
Dans des cadres budgétaires qui soient compatibles avec nos déficits.
AGNES BUZYN
Exactement.
YVES CALVI
Et le montant de nos impôts.
AGNES BUZYN
Absolument, c'est l'objectif, aujourd'hui, c'est de trouver et de dégager des ressources pour cela, c'est un défi, je me suis engagée à répondre. Nous ne pouvions pas repousser indéfiniment cette question du grand âge et de l'autonomie. Ça fait des années que l'on sait que nous allons dans le mur si nous ne sommes pas capables de penser à un financement parce qu'il va y avoir de plus en plus de personnes âgées dans notre pays, nous devons donc anticiper, et c'est ce que je fais avec cette loi, je vais être en anticipation pour préparer les 10 ,15 et 20 ans qui viennent.
YVES CALVI
Anticiper et non subir, on a bien compris que c'est l'état d'esprit que vous évoquez ce matin dans cet entretien. Merci beaucoup Agnès BUZYN. Je rappelle que vous êtes ministre des Solidarités et de la santé, et que vous êtes venue nous présenter entre autres comment mieux prendre soin de nos aînés, les idées émergentes, cette grande enquête qui vient d'être publiée. Bonne journée à vous.
AGNES BUZYN
Merci Yves CALVI.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 décembre 2018