Texte intégral
Madame la Présidente de la Fondation Nationale de Gérontologie,
Chère Geneviève Larroque,
Mesdames Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse d'ouvrir ce colloque dont l'idée majeure est de montrer que vieillir peut et doit rimer avec plaisir.
En prenant mes fonctions de Secrétaire d'Etat aux personnes âgées, j'ai souhaité dégager un axe politique essentiel : " Changer le regard de la société sur le vieillissement ". Nous vivons de plus en plus longtemps, nous vieillissons de mieux en mieux et nous sommes du même coup chaque année plus nombreux à être vieux. C'est un résultat dont nous avons tout lieu de nous réjouir à condition d'opérer cette révolution nécessaire des esprits pour voir en cette période de la vie un âge pleinement positif.
La longévité est une chance quand elle est portée par le mouvement même de la vie . Nous ne devons pas nous contenter de repousser toujours plus loin les limites de la longévité ; nous devons faire en sorte que la vie soit toujours présente au cur même de l'existence de chacun, quel que soit son âge. Et pour qu'une existence soit vivante, il faut qu'elle soit entourée d'affection, de tendresse, de plaisir : de tout ce dont l'être humain a besoin quel que soit son âge.
Nous percevons trop souvent la vieillesse comme une déchéance, comme ce qui nous rapproche de la fin de la vie, comme la période des deuils. Et cette image de tristesse, nous l'avons associée au déclin des joies et des plaisirs de l'existence qui sont ceux de la jeunesse ou de la vie adulte et qui déclineraient irrémédiablement avec la vieillesse. Vieillir, n'est-ce pas tout simplement s'ouvrir à d'autres plaisirs , à des plaisirs qui n'ont pas moins de force et d'attrait ?
Tous ceux qui travaillent aux côtés des personnes âgées comme j'ai eu la chance de le faire pendant des années savent à quel point ils sont confrontés à la fois à la peine liée au deuil et à la joie, source de vie, à quel point les vieux possèdent un capital d'espoir et de bonheur, à quel point l'âge n'affaiblit pas les passions du coeur .
J'aimerais vous raconter une anecdote qui date de l'époque où, dans les établissements accueillant des personnes âgées, je m'occupais de la formation du personnel soignant : dans une maison de retraite, il y avait une très vieille dame, hypocondriaque, qui intriguait beaucoup le personnel car elle demandait à voir sans cesse le médecin ; et quand ce n'était pas le médecin, c'était le prêtre. L'explication était simple : son attachement aux hommes, dans ce milieu exclusivement féminin, la conduisait à solliciter la présence d'un homme, qu'il fut médecin ou prêtre !
La vieillesse est aussi un temps où l'appétit des rencontres reste fort, et même parfois plus fort. Cet appétit qui traduit la soif de vivre, demeurée intacte à travers les années, nous devons l'encourager et la satisfaire, en favorisant l'activité, la citoyenneté, la capacité à être autonome.
C'est d'ailleurs parce que la perte d'autonomie constitue pour la fin de la vie un facteur d'injustice tout à fait inacceptable que le Gouvernement a instauré l'Allocation Personnalisée d' Autonomie. Je ne m'attarderai pas ici sur un sujet que j'ai l'occasion d'exposer partout en France actuellement et dont je suis, avec Elisabeth Guigou, particulièrement fière car il constitue une avancée majeure d'un point de vue social. Permettez-moi seulement de dire que pour toute personne, y compris celle dont les capacités d'autonomie déclinent peu à peu, l'amour, la pudeur, l'intimité sont des dimensions essentielles que nous devons apprendre à respecter de façon très rigoureuse.
Longtemps nous avons cru que pour bien s'occuper d'une personne âgée, et notamment une personne âgée dépendante, il suffisait de bien la nourrir et veiller à ce qu'elle soit propre. J'ai la conviction que cette conception hygiéniste et sanitaire de l'accompagnement est totalement dépassée : ce que nous devons offrir à autrui, c'est avant tout une présence humaine, une chaleur humaine, une source d'émotion et d'affection.
C'est un point auquel j'attache beaucoup d'importance. Avec la mise en place de l'APA, avec les réseaux gérontologiques, avec les CLIC, nous allons créer dans les deux ans qui viennent près de 40 000 emplois nouveaux dans le secteur de l'accompagnement des personnes âgées. Et pour trouver des professionnels compétents et motivés pour remplir ces emplois, nous devons satisfaire deux exigences tout à fait liées :
d'abord changer l'image de la vieillesse pour montrer toute la richesse que représente chaque personne âgée et pour valoriser le fait d'être présent à ses côtés. Nous devons, en règle générale, favoriser les liens entre les générations en valorisant, bien sûr, la richesse personnelle que constituent l'histoire et les souvenirs de chaque personne âgée mais aussi en soulignant la part de chaque individu dans notre histoire collective. Il s'agit là, très simplement de favoriser une meilleure écoute, une attention partagée, un plus grand souci d'autrui.
Ensuite, nous devons proposer une véritable qualification professionnelle à ses nouvelles fonctions en intégrant l'idée qu'il s'agit de métier dans lesquels la part humaine est primordiale, dans lesquels le goût des relations humaines peut être pleinement satisfait alors que trop souvent, encore aujourd'hui, les jeunes croient que les vieux , c'est " ennuyant " ou même " ringard ".
L'idée, l'image du " Bien vieillir ", ce sont les vieux eux-mêmes qui la font ; notre responsabilité, c'est de tout faire pour que les conditions de leur participation à la vie sociale, à ce qui peut contribuer à rendre leur rôle social actif soient les plus favorables.
C'est le sens de mon engagement pour un Institut national du vieillissement. Les moyens budgétaires nécessaires à son démarrage sont réservés dans le budget pour 2002. Rapprocher la recherche des professionnels et des décideurs, rapprocher les recherches de la vie quotidienne des personnes âgées, reconnaître et appuyer les réseaux gérontologiques de terrain, ce sont là des enjeux essentiels pour une approche concrète du " Bien vieillir ".
Au delà, nous devons lutter contre tout ce qui contribue au confinement, à l'isolement, voire même à l'abandon des personnes âgées. Ce recroquevillement sur soi-même que l'on s'inflige quand on n'aime plus ni la vie, n'est-ce pas l'une des pires maltraitances que nos sociétés tolèrent ?
Face à cette image triste et même souvent désespérante du vieillissement, la belle exposition des Petits Frères des Pauvres, " Amours de vieux et vieilles amours ", nous introduit dans une toute autre tonalité.
On aurait pu mettre en exergue de toutes ces belles images, cette phrase de Gabriel Garcia Marquez : " Ne dites pas que vous avez cessé d'être amoureux parce que vous êtes vieux, dites que vous êtes vieux parce que vous avez cessé d'être amoureux ".
Il ne s'agit pas de nier ce que l'âge peut introduire comme variation dans la vie affective ou dans les comportements sexuels ; et l'intérêt de ce colloque sera aussi de nous montrer ce que les recherches scientifiques et médicales nous apprennent en ce domaine.
Mais comment ne pas voir que c'est l'élan vital qui commande essentiellement à tout cet ensemble affectif et émotionnel ? Et en matière d'élan vital, nous savons bien que l'image de soi, l'image que chacun a de lui-même, est prépondérante pour stimuler nos propres envies. A tout âge, les femmes et les hommes sont préoccupés par leur corps et particulièrement par l'image du corps qu'ils offrent au regard des autres. Avec la vieillesse, ce souci tend à devenir encore plus pressant ; raison de plus pour respecter davantage encore la pudeur et l'intimité puisque l'enjeu en est accru.
A force de nous regarder quotidiennement, nous n'avons pas conscience des changements qui nous affectent ; on ne se voit pas vieillir ; ce sont les autres qui nous le disent par les regards qu'ils portent sur nous.
En ce qui concerne les femmes, nous savons, pour l'avoir chacune vécu, à quel point la mode a pu jouer en faveur de corps excessivement minces, très stéréotypés dans leur perfection. Ces critères du beau quand il s'agit du corps, et particulièrement du corps féminin, sont parfois difficilement supportables. Et ce diktat vaut aussi quand il s'agit du vieillissement du corps. Peut-être particulièrement le corps féminin car il me semble que la pression est différente sur les hommes : le corps d'un vieil homme peut être valorisé par la beauté de ses rides plus facilement que celui d'une vieille femme.
En même temps, je constate aujourd'hui un souci de plus en plus net chez des femmes de plus en plus âgées de rester élégantes, séduisantes, belles ; j'y vois le signe d'un changement d'attitude très positif à l'égard du vieillissement.
Il y a un véritable enjeu politique à permettre une plus grande liberté dans nos jugements vis à vis du vieillissement des corps. Mais pour cela, il faut envisager de changer les conceptions mêmes que nous avons du vieillissement ; tant au niveau individuel, que par le biais d'une action collective ; nous devons notamment nous affranchir de l'idée que vieillir, c'est un processus globalement négatif auquel participent les transformations du corps. Tant que nous continuerons à croire que vieillir, c'est, qu'on le veuille ou non, déchoir, nous ne pourrons que déplorer nos rides, nos changements corporels, la diminution de notre force physique, en étant incapables d'apprécier les aspects positifs de tout cela.
Pour autant, je crois que nous devons nous garder d' un certain angélisme : percevoir que nous vieillissons fait et fera toujours souffrir car il s'agit du deuil des possibilités que nous offrait un corps plus jeune. Mais nous pouvons contribuer à diminuer cette souffrance en réduisant le poids social qu'un certain " jeunisme " fait peser sur les esprits et en aidant chacun à découvrir les capacités nouvelles, plus libres, plus sereines, qu'il peut acquérir.
D'où l'importance des images de vieillissement proposées par les medias. Dans notre volonté de " Changer le regard de la société sur le vieillissement ", nous comptons beaucoup sur cette participation active de celles et ceux qui, notamment par le biais de la presse et de la télévision, permettent à l'opinion de progresser. Mais ne nous leurrons pas : les tabous sont encore puissants. J'en ai encore eu quelques échos à l'occasion de la préparation de ce colloque. Ce colloque est une première, une novation dont j'ai pu constater qu'elle pouvait encore déranger certains.
J'ai conscience que le combat dans lequel nous nous sommes engagés pour rendre toute sa dignité à la vieillesse, pour vivre pleinement sa vie jusqu'au bout, pour goûter le plaisir aussi longtemps qu'il se présente, est un combat de longue haleine puisqu'il se déroule au cur des mentalités. Mais notre détermination est d'autant plus forte que c'est de la liberté et des droits de nos concitoyens âgés qu'il s'agit.
Dans ce grand mouvement, je tiens particulièrement à remercier tous ceux qui ont contribué au succès de cette importante journée, la Fondation Nationale de la Gérontologie, la Fédération Francophone de gynécologie-obstétrique psychosomatique ; et je tiens à saluer Renate Gossard, Présidente des Panthères Grises de France .
Permettez-moi d'emprunter pour terminer ces propos et ouvrir à vos travaux, ces quelques phrases de Claude Olievenstein, qui savent dire en des mots simples et forts, la richesse et la complexité de ce temps de la vie :
" Heureux ceux qui savent profiter de la vieillesse. Si l'on perd des capacités, on en gagne d'autres. On se donne de nouveaux droits, celui de faire ce qui, pour mille raisons, était frappé d'interdit psychologique, celui de ne rien faire, de se laisser aller, de jouer avec le temps. Cette liberté est l'apanage d'une vieillesse réussie. "
(Source http://www.social.gouv.fr, le 17 décembre 2001)
Chère Geneviève Larroque,
Mesdames Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse d'ouvrir ce colloque dont l'idée majeure est de montrer que vieillir peut et doit rimer avec plaisir.
En prenant mes fonctions de Secrétaire d'Etat aux personnes âgées, j'ai souhaité dégager un axe politique essentiel : " Changer le regard de la société sur le vieillissement ". Nous vivons de plus en plus longtemps, nous vieillissons de mieux en mieux et nous sommes du même coup chaque année plus nombreux à être vieux. C'est un résultat dont nous avons tout lieu de nous réjouir à condition d'opérer cette révolution nécessaire des esprits pour voir en cette période de la vie un âge pleinement positif.
La longévité est une chance quand elle est portée par le mouvement même de la vie . Nous ne devons pas nous contenter de repousser toujours plus loin les limites de la longévité ; nous devons faire en sorte que la vie soit toujours présente au cur même de l'existence de chacun, quel que soit son âge. Et pour qu'une existence soit vivante, il faut qu'elle soit entourée d'affection, de tendresse, de plaisir : de tout ce dont l'être humain a besoin quel que soit son âge.
Nous percevons trop souvent la vieillesse comme une déchéance, comme ce qui nous rapproche de la fin de la vie, comme la période des deuils. Et cette image de tristesse, nous l'avons associée au déclin des joies et des plaisirs de l'existence qui sont ceux de la jeunesse ou de la vie adulte et qui déclineraient irrémédiablement avec la vieillesse. Vieillir, n'est-ce pas tout simplement s'ouvrir à d'autres plaisirs , à des plaisirs qui n'ont pas moins de force et d'attrait ?
Tous ceux qui travaillent aux côtés des personnes âgées comme j'ai eu la chance de le faire pendant des années savent à quel point ils sont confrontés à la fois à la peine liée au deuil et à la joie, source de vie, à quel point les vieux possèdent un capital d'espoir et de bonheur, à quel point l'âge n'affaiblit pas les passions du coeur .
J'aimerais vous raconter une anecdote qui date de l'époque où, dans les établissements accueillant des personnes âgées, je m'occupais de la formation du personnel soignant : dans une maison de retraite, il y avait une très vieille dame, hypocondriaque, qui intriguait beaucoup le personnel car elle demandait à voir sans cesse le médecin ; et quand ce n'était pas le médecin, c'était le prêtre. L'explication était simple : son attachement aux hommes, dans ce milieu exclusivement féminin, la conduisait à solliciter la présence d'un homme, qu'il fut médecin ou prêtre !
La vieillesse est aussi un temps où l'appétit des rencontres reste fort, et même parfois plus fort. Cet appétit qui traduit la soif de vivre, demeurée intacte à travers les années, nous devons l'encourager et la satisfaire, en favorisant l'activité, la citoyenneté, la capacité à être autonome.
C'est d'ailleurs parce que la perte d'autonomie constitue pour la fin de la vie un facteur d'injustice tout à fait inacceptable que le Gouvernement a instauré l'Allocation Personnalisée d' Autonomie. Je ne m'attarderai pas ici sur un sujet que j'ai l'occasion d'exposer partout en France actuellement et dont je suis, avec Elisabeth Guigou, particulièrement fière car il constitue une avancée majeure d'un point de vue social. Permettez-moi seulement de dire que pour toute personne, y compris celle dont les capacités d'autonomie déclinent peu à peu, l'amour, la pudeur, l'intimité sont des dimensions essentielles que nous devons apprendre à respecter de façon très rigoureuse.
Longtemps nous avons cru que pour bien s'occuper d'une personne âgée, et notamment une personne âgée dépendante, il suffisait de bien la nourrir et veiller à ce qu'elle soit propre. J'ai la conviction que cette conception hygiéniste et sanitaire de l'accompagnement est totalement dépassée : ce que nous devons offrir à autrui, c'est avant tout une présence humaine, une chaleur humaine, une source d'émotion et d'affection.
C'est un point auquel j'attache beaucoup d'importance. Avec la mise en place de l'APA, avec les réseaux gérontologiques, avec les CLIC, nous allons créer dans les deux ans qui viennent près de 40 000 emplois nouveaux dans le secteur de l'accompagnement des personnes âgées. Et pour trouver des professionnels compétents et motivés pour remplir ces emplois, nous devons satisfaire deux exigences tout à fait liées :
d'abord changer l'image de la vieillesse pour montrer toute la richesse que représente chaque personne âgée et pour valoriser le fait d'être présent à ses côtés. Nous devons, en règle générale, favoriser les liens entre les générations en valorisant, bien sûr, la richesse personnelle que constituent l'histoire et les souvenirs de chaque personne âgée mais aussi en soulignant la part de chaque individu dans notre histoire collective. Il s'agit là, très simplement de favoriser une meilleure écoute, une attention partagée, un plus grand souci d'autrui.
Ensuite, nous devons proposer une véritable qualification professionnelle à ses nouvelles fonctions en intégrant l'idée qu'il s'agit de métier dans lesquels la part humaine est primordiale, dans lesquels le goût des relations humaines peut être pleinement satisfait alors que trop souvent, encore aujourd'hui, les jeunes croient que les vieux , c'est " ennuyant " ou même " ringard ".
L'idée, l'image du " Bien vieillir ", ce sont les vieux eux-mêmes qui la font ; notre responsabilité, c'est de tout faire pour que les conditions de leur participation à la vie sociale, à ce qui peut contribuer à rendre leur rôle social actif soient les plus favorables.
C'est le sens de mon engagement pour un Institut national du vieillissement. Les moyens budgétaires nécessaires à son démarrage sont réservés dans le budget pour 2002. Rapprocher la recherche des professionnels et des décideurs, rapprocher les recherches de la vie quotidienne des personnes âgées, reconnaître et appuyer les réseaux gérontologiques de terrain, ce sont là des enjeux essentiels pour une approche concrète du " Bien vieillir ".
Au delà, nous devons lutter contre tout ce qui contribue au confinement, à l'isolement, voire même à l'abandon des personnes âgées. Ce recroquevillement sur soi-même que l'on s'inflige quand on n'aime plus ni la vie, n'est-ce pas l'une des pires maltraitances que nos sociétés tolèrent ?
Face à cette image triste et même souvent désespérante du vieillissement, la belle exposition des Petits Frères des Pauvres, " Amours de vieux et vieilles amours ", nous introduit dans une toute autre tonalité.
On aurait pu mettre en exergue de toutes ces belles images, cette phrase de Gabriel Garcia Marquez : " Ne dites pas que vous avez cessé d'être amoureux parce que vous êtes vieux, dites que vous êtes vieux parce que vous avez cessé d'être amoureux ".
Il ne s'agit pas de nier ce que l'âge peut introduire comme variation dans la vie affective ou dans les comportements sexuels ; et l'intérêt de ce colloque sera aussi de nous montrer ce que les recherches scientifiques et médicales nous apprennent en ce domaine.
Mais comment ne pas voir que c'est l'élan vital qui commande essentiellement à tout cet ensemble affectif et émotionnel ? Et en matière d'élan vital, nous savons bien que l'image de soi, l'image que chacun a de lui-même, est prépondérante pour stimuler nos propres envies. A tout âge, les femmes et les hommes sont préoccupés par leur corps et particulièrement par l'image du corps qu'ils offrent au regard des autres. Avec la vieillesse, ce souci tend à devenir encore plus pressant ; raison de plus pour respecter davantage encore la pudeur et l'intimité puisque l'enjeu en est accru.
A force de nous regarder quotidiennement, nous n'avons pas conscience des changements qui nous affectent ; on ne se voit pas vieillir ; ce sont les autres qui nous le disent par les regards qu'ils portent sur nous.
En ce qui concerne les femmes, nous savons, pour l'avoir chacune vécu, à quel point la mode a pu jouer en faveur de corps excessivement minces, très stéréotypés dans leur perfection. Ces critères du beau quand il s'agit du corps, et particulièrement du corps féminin, sont parfois difficilement supportables. Et ce diktat vaut aussi quand il s'agit du vieillissement du corps. Peut-être particulièrement le corps féminin car il me semble que la pression est différente sur les hommes : le corps d'un vieil homme peut être valorisé par la beauté de ses rides plus facilement que celui d'une vieille femme.
En même temps, je constate aujourd'hui un souci de plus en plus net chez des femmes de plus en plus âgées de rester élégantes, séduisantes, belles ; j'y vois le signe d'un changement d'attitude très positif à l'égard du vieillissement.
Il y a un véritable enjeu politique à permettre une plus grande liberté dans nos jugements vis à vis du vieillissement des corps. Mais pour cela, il faut envisager de changer les conceptions mêmes que nous avons du vieillissement ; tant au niveau individuel, que par le biais d'une action collective ; nous devons notamment nous affranchir de l'idée que vieillir, c'est un processus globalement négatif auquel participent les transformations du corps. Tant que nous continuerons à croire que vieillir, c'est, qu'on le veuille ou non, déchoir, nous ne pourrons que déplorer nos rides, nos changements corporels, la diminution de notre force physique, en étant incapables d'apprécier les aspects positifs de tout cela.
Pour autant, je crois que nous devons nous garder d' un certain angélisme : percevoir que nous vieillissons fait et fera toujours souffrir car il s'agit du deuil des possibilités que nous offrait un corps plus jeune. Mais nous pouvons contribuer à diminuer cette souffrance en réduisant le poids social qu'un certain " jeunisme " fait peser sur les esprits et en aidant chacun à découvrir les capacités nouvelles, plus libres, plus sereines, qu'il peut acquérir.
D'où l'importance des images de vieillissement proposées par les medias. Dans notre volonté de " Changer le regard de la société sur le vieillissement ", nous comptons beaucoup sur cette participation active de celles et ceux qui, notamment par le biais de la presse et de la télévision, permettent à l'opinion de progresser. Mais ne nous leurrons pas : les tabous sont encore puissants. J'en ai encore eu quelques échos à l'occasion de la préparation de ce colloque. Ce colloque est une première, une novation dont j'ai pu constater qu'elle pouvait encore déranger certains.
J'ai conscience que le combat dans lequel nous nous sommes engagés pour rendre toute sa dignité à la vieillesse, pour vivre pleinement sa vie jusqu'au bout, pour goûter le plaisir aussi longtemps qu'il se présente, est un combat de longue haleine puisqu'il se déroule au cur des mentalités. Mais notre détermination est d'autant plus forte que c'est de la liberté et des droits de nos concitoyens âgés qu'il s'agit.
Dans ce grand mouvement, je tiens particulièrement à remercier tous ceux qui ont contribué au succès de cette importante journée, la Fondation Nationale de la Gérontologie, la Fédération Francophone de gynécologie-obstétrique psychosomatique ; et je tiens à saluer Renate Gossard, Présidente des Panthères Grises de France .
Permettez-moi d'emprunter pour terminer ces propos et ouvrir à vos travaux, ces quelques phrases de Claude Olievenstein, qui savent dire en des mots simples et forts, la richesse et la complexité de ce temps de la vie :
" Heureux ceux qui savent profiter de la vieillesse. Si l'on perd des capacités, on en gagne d'autres. On se donne de nouveaux droits, celui de faire ce qui, pour mille raisons, était frappé d'interdit psychologique, celui de ne rien faire, de se laisser aller, de jouer avec le temps. Cette liberté est l'apanage d'une vieillesse réussie. "
(Source http://www.social.gouv.fr, le 17 décembre 2001)