Conférence de presse de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération, sur la politique de coopération française en Afrique et en Asie par rapport aux Etats-Unis, à New York le 31 octobre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage officiel de M. Charles Josselin aux Etats-Unis (Washington et New York) du 29 octobre au 1er novembre 1997

Texte intégral

J'aimerais vous dire les raisons de ma présence à New York et à Washington, avant de répondre à vos questions. Je suis, depuis bientôt cinq mois,secrétaire d'Etat chargé de la Coopération au développement dans le nouveau gouvernement français. Ce qui signifie que je suis compétent pour les affaires de développement à l'échelle de la planète, mais que, bien évidemment, l'Afrique représente une part importante de mes préoccupations. Et puisque l'Afrique occupe une place importante de l'actualité politique, j'ai profité de ce voyage pour expliquer à mes interlocuteurs, aussi bien à New York qu'à Washington, quelles étaient les nouvelles orientations de la politique africaine de la France.
Parmi les interlocuteurs que j'ai rencontrés, et sans vouloir faire de sélection, je me dois de signaler plus particulièrement le Secrétaire général des Nations unies, M. Koffi Annan, et, à Washington, M. Camdessus, directeur général du FMI, le président de la Banque, M. Wolfensohn, et également Mme Susan Rice, avec laquelle j'ai déjeuné hier à midi à Washington, ma collègue en quelque sorte.
J'ai dit qu'il y avait un nouveau gouvernement, alors qu'il y a toujours le même président. Or, la politique extérieure de la France fait partie de ce que nous appelons le domaine partagé, c'est-à-dire nécessite une sorte de consensus entre l'Elysée et Matignon. Et mettre en oeuvre une nouvelle politique africaine, en particulier, signifie qu'il y ait, dans une certaine mesure, l'accord du président Jacques Chirac. J'observe que le président Chirac, dans ses dernières prises de position, semble donner son accord à ces nouvelles orientations. Je voudrais essayer de les résumer.
Tout d'abord, la France n'a pas de territoire réservé en Afrique. Mais, a contrario, aucun territoire africain ne lui est interdit. Et nous espérons que les difficultés que nous rencontrons dans nos relations avec quelques pays africains, difficultés qui sont directement liées à l'histoire récente, pourront très vite trouver leur solution et nous permettre d'avoir une relation normale avec ces pays. Même si, pour arriver à cette normalisation, il faudra que ces Etats en question fassent eux-mêmes un certain nombre d'efforts.
Seconde orientation, la France fait le choix que je peux résumer de la manière suivante : ni ingérence, ni indifférence.
Troisième objectif, donner à la politique de Coopération au développement, et en particulier à notre politique africaine, une plus grande transparence. Nous voudrions que l'opinion publique puisse adhérer à cette politique.
J'en reviens maintenant aux priorités. D'abord une remarque générale. Nous considérons que l'aide publique au développement demeure une nécessité. Le choix du seul investissement privé n'est pas pertinent, notamment pour les pays qui sont les moins développés. A cet égard, je rappelle que les propos prêtés au président Clinton à Denver et qui pouvaient se résumer par la formule "Trade, not aid", est en opposition avec notre propre analyse. Je m'en suis expliqué avec Mme Rice qui m'a précisé qu'il fallait comprendre "Aid for trade". J'espère que cette intention d'appuyer le commerce international, l'investissement privé, par de l'aide publique sera concrétisée dans le budget américain. J'ai rappelé à cette intention que les Etats-Unis restaient très en-deçà de l'effort réalisé par d'autres en matière d'aide publique au développement. La France, de son côté, étant en haut du tableau des bailleurs de fonds. J'ai dit à Mme Rice qu'il ne faudrait pas que nous nous trouvions en face du scénario suivant : les pays européens aident les pays africains à se développer et l'économie américaine en retire le bénéfice. Notre opinion ne l'accepterait pas.
Mais cette aide publique au développement, quels que soient les efforts des différents Etats, sera nécessairement insuffisante, et oblige donc à une très grande sélectivité. En ce qui nous concerne, nous proposons d'introduire une meilleure sélectivité dans le choix des pays aidés, en tenant compte de leurs niveaux relatifs de pauvreté, mais aussi des efforts qu'ils consentent pour mieux se gouverner. Quand nous parlons de bonne gouvernance, nous incluons la lutte contre la corruption, mais aussi la mise en oeuvre de processus démocratiques.
En ce qui concerne les thèmes que nous voudrions sélectionner, il y a d'abord la construction des Etats. Quand je dis construire les Etats, c'est par exemple aider les Etats à avoir une armée qui sache maintenir la paix, une police, une justice. Seconde priorité, l'insertion économique des pays africains dans l'économie mondiale. Là encore des efforts doivent être réalisés en ce qui concerne l'Etat de droit. Il y a par exemple une procédure spécifique que nous avons entreprise, d'harmonisation du droit des affaires, dans laquelle nous encourageons les Etats africains. C'est une condition pour sécuriser les investisseurs privés. Le développement humain nous parait devoir être poursuivi. Je veux parler de l'accès à l'éducation et à la santé. J'ai observé, pour m'en féliciter, qu'aussi bien le FMI que la Banque mondiale intègrent aujourd'hui davantage ces préoccupations sociales dans leurs programmes. Enfin le développement durable, et nous aurions voulu que nous saisissions l'opportunité qu'offre la catastrophe écologique de la forêt indonésienne pour mettre davantage l'accent sur la gestion de la forêt, qui nous parait un point capital du devenir de l'Afrique.
Voila les principales priorités que nous voudrions promouvoir. J'ajoute que nous souhaitons associer davantage la société civile dans ces politiques, c'est-à-dire les acteurs économiques, c'est-à-dire aussi bien sûr les organisations non gouvernementales, enfin, mais c'est peut-être propre à la France, les collectivités locales. En France, depuis dix ans, se développe un mouvement de relations internationales, de villes françaises en direction d'une ville africaine ou d'une région ou d'un département et ceci nous parait devoir être encouragé.
Pour me résumer, nous voudrions un nouveau dialogue entre la France et l'Afrique, plus libre, plus exigeant, ce qui signifie que nous regardions l'Afrique d'aujourd'hui et pas l'Afrique d'hier. Nos interlocuteurs doivent être les nouvelles élites africaines, qui n'ont pas forcément fait leurs études en France, qui n'ont pas la même histoire que leurs pères, avec la période coloniale, mais qui devraient nous permettre d'éviter de continuer à entretenir deux attitudes négatives qui sont, ou la nostalgie, ou la culpabilité.
Q - Comment pensez-vous pouvoir réparer vos relations avec des pays, le Rwanda et la RDC, qui se réjouissent encore d'avoir chassé les Français de la région. Pensez-vous pouvoir surmonter cette hostilité ?
R - Je ne sais pas si c'est avec le sentiment d'avoir chassé les Français, comme vous dites, que les gouvernants de ces pays analysent leur situation. Pour l'anecdote, au Rwanda en ce moment, à la demande des autorités, nous continuons à enseigner le français. Et parmi les difficultés que rencontre l'équipe de M. Kagame, il y a la difficulté de communiquer, pour eux qui sont anglophones, avec une population qui est francophone. J'observe par ailleurs que ces pays, où certains considèrent qu'ils ont chassé les Français, ces pays-là demandent à la France de les aider. Précisément parce que nous avons une expérience de ces pays qui fait de nous probablement le meilleur partenaire en matière de développement et qu'en plus il y a aussi la langue française qui, dans beaucoup de ces pays, est la langue qui permet aux populations africaines de se comprendre entre elles, à l'intérieur d'un même pays. Ceci dit, le gouvernement de M. Jospin n'a pas, de ce point de vue, la même histoire que les précédents. Ceci aussi doit permettre d'envisager d'autres relations. Les amis de M. Jospin n'étaient pas forcément sur la même ligne que ceux qui ont voulu soutenir M. Mobutu jusqu'au bout. Mais ceci ne nous entraine pas forcément à accepter que M. Kabila ne commence pas à mettre en oeuvre un processus de démocratisation. Et nous espérons à cet égard qu'un signe que pourrait adresser M. Kabila permette de reprendre avec ce pays des relations normales. J'ai par exemple rencontré le président Museveni pendant plus d'une heure à Dakar il y a quelques semaines et nous avons eu un entretien très franc et très constructif. D'ailleurs dans le même temps les actions de coopération civile continuent là-bas par l'entremise des organisations non gouvernementales.
Q - Vous avez dit à Mme Rice qu'il n'était pas juste que les Européens permettent des profits américains dans la région. Avez-vous des indications qui permettent de quantifier les profits américains dans la région depuis les guerres au Rwanda et au Zaïre. Et est-ce que vous pensez que les Américains ont aidé les rebelles à renverser Mobutu ?
R - Non, je n'ai pas voulu dire cela. Je n'aurais pas d'ailleurs les moyens de quantifier les retombées économiques que les Américains pourraient retirer d'une présence politique ou diplomatique dans ces pays. Ce n'est pas mon intention. C'était un raisonnement plus général que je pratiquais. Et je le disais surtout parce que j'observe que la part de son PIB que la France consacre à l'aide au développement est à peu près quatre fois plus importante que l'effort consenti par les Américains et il y a là un manquement à la solidarité internationale.
D'une manière générale, je ne voudrais pas opposer France et Etats-Unis en Afrique. Les Français aimeraient ne pas être seuls à aider l'Afrique. Il est utile que les Etats-Unis et la France puissent se concerter pour aider plus efficacement l'Afrique. J'aimerais surtout que l'on puisse ensemble essayer de mieux informer nos opinions respectives d'un certain nombre de réalités, pour éviter les procès d'intention. Je prends un exemple pour montrer jusqu'où peut aller parfois la désinformation. Au mois d'août, soixante militaires américains sont venus à Dakar pour un séjour de trois semaines au cours duquel ils ont préparé un bataillon de Sénégalais au maintien de la paix. Soixante Américains pendant trois semaines. Au même moment, la France confirmait le maintien à Dakar de mille trois cents soldats français en permanence. Et bien les journaux ont titré "Les Américains arrivent, les Français s'en vont".
Mais, puisque je parle de maintien de la paix, voilà un domaine où la coordination entre Etats-Unis, Grande-Bretagne et France, conformément à un accord signé au mois de mai de cette année, peut produire des effets très bénéfiques pour les Africains.
Q - Les pays d'Indochine sont intégrés à l'ASEAN anglophone. Quels sont les projets de la France pour maintenir les liens avec ces pays ?
R - Avant de répondre, je voudrais rappeler la conception ouverte que nous voudrions faire prévaloir sur la Francophonie. Nous comprenons que les pays africains francophones veuillent que leurs enfants apprennent le français. Mais il faut que nous soyons en mesure de répondre aux pays anglophones, comme le Nigéria, ou lusophones, comme le Mozambique et l'Angola, qui demandent un enseignement français. Dans pratiquement chaque grande région africaine, il y a des pays anglophones et des pays francophones. Il faut que nous soyons capables d'accepter la coexistence dans un même pays. C'est le cas au Vietnam. Il est vrai que la France a, avec le Vietnam, une histoire particulière, plus longue que celle que les Etats-Unis ont pu avoir avec ce pays et l'on peut considérer que la culture française continue d'être une réalité au Vietnam. Peut-être plus la culture que la langue. Et les Vietnamiens considèrent aussi que ceci est pour eux une richesse qu'ils veulent préserver. C'est vrai que tout naturellement les entreprises françaises se sentent plus proches peut-être des Vietnamiens, des Cambodgiens ou des Laotiens qu'ils ne le sont des autres populations asiatiques. Et c'est vrai que le Sommet de Hanoï va être l'occasion, nous l'espérons, de resserrer un peu les liens économiques entre la France et le Vietnam. Mais j'observe que les relations entre la France et la Chine sont également en train de se développer, notamment à la suite du voyage du président Chirac.
Q - (Sur l'envoi d'armes que la France aurait effectué avant la victoire de M. N'Guesso).
R - Beaucoup de choses ont été dites sur ce sujet. M. Sassou N'Guesso n'avait pas besoin de la France pour avoir des armes. Je crois que ses amis angolais lui en avaient déjà donné un peu, et peut-être d'autres.
La position de la France a été constante pendant toute cette période et je voudrais la rappeler. Nous avons appuyé la médiation conduite par le président Bongo, mais ce n'est pas nous qui avons choisi le président Bongo, et nous avons voulu qu'une force d'interposition puisse empêcher le massacre des populations et la destruction de la ville de Brazzaville. Et nous avons appuyé en permanence les efforts de M. Sahnoun, l'envoyé spécial du Secrétaire général, M. Kofi Annan, que j'ai eu l'occasion de rencontrer moi-même à Libreville. Nous regrettons que certains n'aient pas voulu autant que nous cette interposition. Aujourd'hui, M. N'Guesso a gagné la guerre avec l'aide des Angolais. Il lui reste à gagner la paix avec les Congolais. Et nous entendons être très exigeants vis-à-vis de lui pour qu'il tienne ses engagements - d'abord mettre en place un gouvernement d'union nationale et engager un processus démocratique devant conduire à de nouvelles élections. La seule aide très concrète que nous lui avons envoyée, c'est moi qui la lui ai envoyée, puisque je suis chargé de l'aide humanitaire, c'est une antenne médicale mobile, avec des médicaments et des vivres. Mais là aussi nous espérons que les conditions d'une coopération plus complète puissent être réunies afin de pouvoir aider à la reconstruction et au développement du Congo.
Nous espérons que les deux rives du Congo feront l'objet de la même compréhension et de la même exigence./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 2001