Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, dans "Le Magazine de l'optimum" de décembre 2001 - janvier 2002, sur les relations entre la France et l'Algérie, la modernisation du Sénat, la cohabitation et la campagne pour l'élection présidentielle de 2002.

Prononcé le 1er décembre 2001

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Texte intégral

Interview de Christian Poncelet
dans LE MAGAZINE DE L'OPTIMUM
(décembre 2001 - janvier 2002)
" Le gaullisme n'a jamais été aussi présent dans la vie politique française "
Nous sommes ici dans un lieu qui incarne, à la fois, les douceurs du Maghreb et les excès de la jet-set. Quand vous repensez à votre adolescence en Algérie, quelles sont les premières images qui vous viennent à l'esprit ?
Christian Poncelet : je me souviens qu'on jouait au football pieds nus sur le petit terrain du village. Je me rappelle que mon meilleur ami était un musulman. Mohamed Touati, et que nous ne faisions aucune différence entre les uns et les autres. J'aimais parler l'arabe, Jib Jib (apporte, apporte)...
Vous ressentez ce que les pieds-noirs appellent la " nostAlgérie " ?
Oui. J'ai la nostalgie de la lumière de mes promenades au douar, de la mélancolie du chant... Dans cette musique, j'entends la souffrance de ce peuple. Il n'y avait pas de conflit entre les religions. Comparés aux chrétiens, les musulmans attachaient plus d'importance au rituel. J'adorais être invité aux repas du ramadan chez les voisins. Ah, ces soirées autour du méchoui !
Le Président de la République a récemment reconnu que la France avait lâché les harkis à la fin de la guerre d'Algérie. Il a eu raison ?
Et comment ! Je regrette seulement qu'il ne l'ai pas fait plus tôt. Il m'est souvent arrivé de dire dans des réunions publiques que les anciens du FLN avaient parfois été mieux traités par la France que les harkis. Ils avaient pourtant choisi de défendre notre drapeau.
De nombreux Algériens - le Président Bouteflika en tête - comparent les harkis aux collabos de Vichy. Cela doit vous scandaliser...
L'Algérie était un département français, il y avait des cadres algériens dans nos administrations, nous ne pratiquions pas l'exclusion. Bref, la France n'était pas l'Allemagne nazie !
Mais, l'armée a commis nombre d'exactions pendant la guerre d'Algérie. Faudra-t-il que la France fasse acte de repentance ?
Non. Personne n'a intérêt a faire revivre cette tragédie. Nous devons essayer de nous comprendre, pas de nous flageller avec le passé. Ne générons pas de haine entre des hommes qui n'ont pas vécu cette période.
Ils doivent rester dans l'ignorance de ces événements ?
Les choses ne sont pas si simples. Lorsqu'un homme a vu de ses yeux ses compagnons égorgés ou émasculés, il peut avoir une réaction violente. C'est pourquoi j'ai craint, au moment des attentats du 11 septembre, que l'Amérique n'engage une action brutale aux conséquences incalculables.
De toute façon, la réconciliation franco-algérienne a du plomb dans l'aile. Enrico Macias a dû annuler sa tournée en Algérie pour raisons de sécurité, la visite en France de Bouteflika a été un échec et il y a deux mois, des Algériens ont envahi le Stade de France pendant le match France-Algérie...
Ils ont été manipulés par des islamistes ! Ces jeunes nés en France, qui ne parlent pas toujours l'arabe mais se disent plus musulmans que les musulmans, sont très influençables.
Qu'auriez-vous fait à la place de Jospin lorsque La Marseillaise a été sifflée ?
Je serais parti. Mais je ne jette pas la pierre à Lionel Jospin, qui aurait peut-être traité de lâche s'il avait quitté le stade à ce moment-là.
Vous êtes toujours un supporter du Président Bouteflika ?
Oui, mais est-il toujours l'homme de la situation ? Il avait engagé un processus de réconciliation qu'il n'a pas su mener à son terme. Il faudrait maintenant un nouveau choc pour que le climat s'apaise.
Qui, aujourd'hui, veut faire de l'Islam une machine de guerre ?
Au-delà de Ben Laden, je m'interroge sur le comportement de l'Arabie Saoudite. Un jour où je recevais le Premier ministre de Bosnie-Herzégovine, celui-ci me dit : " J'ai besoin d'une aide financière de l'Europe. Il nous manque tout. " Je lui ai répondu du tac au tac : " Que faites-vous des millions de dollars que vous donnent les Saoudiens ? " Il m'a expliqué que cet argent devait être exclusivement consacré à la construction de mosquées... Je crains qu'il n'y ait, de la part de certains Etats, une volonté politique de faire de l'Islam une religion conquérante.
Fait-on preuve de trop de mansuétude à l'égard de Ryiad ?
Le régime saoudien a reconnu très vite les Talibans. Il finance la formation d'imams intégristes dans le monde entier. En Ethiopie, les Saoudiens offrent des primes à ceux qui se convertissent à l'islam. J'avoue avoir aujourd'hui quelques doutes quant à la sincérité des sentiments de ce pays à notre égard.
Vous croyez à la fameuse politique arabe de la France ?
Tout à fait. Nous avons une position singulière sur ces sujets, notamment sur le conflit moyen-oriental. Nous défendons depuis longtemps la création d'un Etat palestinien et, dans le même temps, le droit pour Israël à des frontières sûres. Hélas, Arafat est de moins en moins en mesure d'imposer un accord aux siens. S'il le faisait, il disparaîtrait le lendemain.
En dehors des saveurs de l'Orient, le Tanjia symbolise aussi la fête et les paillettes... Le Sénat pourrait-il devenir un peu plus rock'n'roll ?
Je ne suis pas tenté par les mondanités et les petits plaisirs de la bourgeoisie. Vous savez que je suis issu d'une famille très simple. Quand j'ai été élu en 1998, ma devise a été : un président modeste pour un Sénat ambitieux.
Vous avez aussi déclaré vouloir moderniser le Sénat. Qu'est-ce qui a changé de ce point de vue ?
J'ai ouvert le Palais du Luxembourg sur l'extérieur : sur le monde économique avec " Tremplins entreprise " et avec des stages d'immersion des sénateurs à la culture avec des grandes expositions au Musée du Luxembourg, aux médias avec la création de la chaîne de télé, Public Sénat, pour ne prendre que ces quelques exemples.
Oui, et en même temps, le Sénat est accusé de sexisme [*] et tarde à rajeunir ses membres.
[ * Selon Alter ego de Clémentine Autain, aux éditions Laffont ]
Je ne suis pas surpris de tout ce qu'on peut dire. Combien ai-je vu de députés ayant souvent critiqué le Sénat, se porter candidat dès qu'ils en ont eu l'occasion ? Quant aux femmes, je tiens à préciser que nous n'avons jamais été opposés à la parité. Le Sénat a apporté des modifications au projet de loi initial, qui ont ensuite été entérinées par Madame GUIGOU - garde des Sceaux à l'époque - puis votées sans la moindre retouche par le Congrès à Versailles. Ensuite, sachez que nous avons 11% de parlementaires femmes au Sénat contre 9% à l'Assemblée.
Pourquoi ne peut-on pas être Sénateur avant trente-cinq ans alors qu'on devient député dès vingt-trois ans ?
Les Sénateurs doivent être des sages et par définition, un sage a de l'expérience. Pourtant, je suis favorable à l'abaissement à trente ans de cet âge minimum. Notez quand même que la moyenne d'âge des Sénateurs n'est que de quatre ans supérieure à la moyenne d'âge des Députés et qu'elle baisse à chaque renouvellement.
Vous admirez Pierre Mendès France, cultivez de bonnes relations avec le mitterandien Charasse, vous avez soutenu Fabius dans l'affaire du sang contaminé, vous avez été syndicaliste : en réalité, vous êtes de gauche ?
J'ai même été sanctionné pour faits de grève dans les années cinquante, quand le gouvernement a voulu rallonger l'âge de la retraite ! Mais je suis d'abord gaulliste et je défends ses valeurs historiques et traditionnelles. D'ailleurs, quand on regarde bien, le gaullisme n'a jamais été aussi présent dans la vie politique française. La participation chère au général, l'association du capital et du travail est actuellement très en vogue chez les socialistes. De toute façon, je ne suis pas assez riche pour être de gauche !
A quoi cela vous sert-il d'appartenir à la Fraternelle du Sénat (l'association maçonnique du Sénat) ?
Je n'en suis pas membre ! J'ai planché devant les Frères et j'y ai beaucoup d'amis, mais ça s'arrête là.
Où en sont vos relations avec Lionel Jospin depuis sa fameuse sortie sur le Sénat " anomalie de la démocratie " ?
Dès mon élection, je me suis heurté au Premier ministre à ce propos ! Depuis, il est beaucoup plus réservé, même s'il continue de s'opposer au bicamérisme (NDLR : la présence de deux chambres). Avec Jospin, on se parle franchement. Moi, je rends coup sur coup ; il m'arrive même de rendre un peu plus que ce qu'on m'a donné...
Que pensez-vous des critiques d'Olivier Schramek contre la cohabitation ?
Il y a longtemps que je pense le plus grand mal de ce système. Dans une entreprise, il serait inimaginable que le président tire dans un sens pendant que son directeur général tire dans l'autre.
Quel sera votre rôle dans la campagne présidentielle ? Aider Jacques Chirac ?
Bien sûr, mais attention, je veillerai à ce qu'on respecte un code de bonne conduite entre les candidats de droite.
Que pensez-vous du troisième homme, Jean-Pierre Chevènement ?
J'apprécie l'homme, mais je me méfie du politique. Au lendemain du premier tour, c'est lui qui pourra apporter des voix à Jospin. Voilà pourquoi je pousse Pasqua à y aller. Il peut le neutraliser. Malgré ses positions courageuses sur la Corse, je n'oublie pas que Jean-Pierre Chevènement est un marxiste-socialiste.
(Source http://www.senat.fr, le 20 décembre 2001)