Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'être avec vous cet après-midi. D'autant plus heureux que c'est je crois, la première fois que, par un double processus démocratique et amical, le ministre français des Finances s'exprime devant votre commission avant que, dans quelques jours, le ministre allemand des Finances, mon ami Hans Eichel, ne s'exprime devant la Commission équivalente de l'Assemblée nationale française.
Depuis le 1er janvier, Allemands et Français ont pour la première fois depuis plus de mille ans la même monnaie en poche. Ce bien commun de tous les pays de la zone euro, nous le devons d'abord aux dirigeants de nos deux pays qui, depuis plus de 10 ans, ont fait le choix historique d'unir leur destin monétaire pour marquer leur volonté de partager leur destin tout court au sein d'une Europe de paix et de prospérité. Je suis particulièrement heureux de m'exprimer devant les représentants du peuple allemand quelques semaines après ce jour historique. D'abord, bien sûr, pour me réjouir avec vous du succès du lancement de la nouvelle monnaie, ensuite pour aborder avec vous les défis à venir.
Avec vous parce que, comme par le passé, rien ne se fera de durable en Europe sans un partenariat stratégique entre la France et l'Allemagne. Avec vous, parce qu'au-delà des fluctuations conjoncturelles, l'Allemagne et la France connaissent des problèmes voisins, qui appellent des solutions assez proches.
Notre objectif commun est celui d'une Europe de la paix et de la prospérité. La paix : si nous savons réussir l'élargissement de l'Europe, nous conforterons les acquis de la construction européenne depuis 50 ans. La prospérité : l'Europe s'est fixé pour objectif à Lisbonne de créer d'ici 2010 " l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable, d'une amélioration de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ".
Nous n'en sommes pas encore là. Pour être à la hauteur d'une telle ambition, l'Europe doit suivre, me semble-t-il, une stratégie s'appuyant au moins sur quatre orientations : parachever la réalisation du marché unique ; améliorer la gouvernance de la zone euro ; parvenir au plein emploi ; préparer le futur de l'Union et son élargissement dans de bonnes conditions. Et cela nous devons le faire ensemble. Je voudrais, en guise d'introduction, dire quelques mots, nécessairement rapides, sur chacun de ces aspects.
L'avènement de l'euro nous encourage à parachever la réalisation du marché unique.
Cela soulève la question de la convergence fiscale en Europe. Elle constitue un indispensable complément à la réalisation d'un marché intérieur européen. Elle ne doit pas être entendue comme l'abandon de toute responsabilité nationale en matière fiscale.
L'Allemagne et la France partagent à cet égard deux choix : celui du financement d'un secteur public garant de la cohésion sociale, mais aussi celui d'une croissance compétitive qui implique de réduire les prélèvements quand ils sont excessifs. Pour assurer l'équilibre entre ces deux préoccupations, nous devons éviter une concurrence fiscale dommageable qui délocaliserait la base de nos recettes publiques ; et ce, surtout quand cette concurrence fiscale dommageable est permise à d'autres par des recettes provenant d'importantes subventions de l'Union européenne.
Dans le domaine de la fiscalité des entreprises, je suis favorable à une plus grande convergence de l'imposition des bénéfices. Un grand chantier nous attend sur ce point.
Le parachèvement du marché unique passe aussi par une plus grande intégration des marchés financiers pour améliorer le financement des entreprises et les circuits de l'épargne.
Un autre volet, encore plus large, de cette stratégie d'un marché unique pour la prospérité en Europe est celui d'une ouverture ordonnée de nos économies. Nos deux pays sont souvent accusés de ne pas avoir su moderniser leurs économies assez rapidement. La France fait l'objet de critiques - souvent peu fondées - sur la fermeture de certains de ses secteurs, comme l'énergie. Grâce à l'expérience, riche, des échecs de libéralisations mal conçues - dans le chemin de fer ou dans l'énergie - je pense que nous pouvons obtenir les bénéfices de l'ouverture sans supporter les coûts des libéralisations hâtives et mal régulés.
Il faut aussi mieux coordonner nos politiques économiques pour assurer une croissance sans inflation, améliorer la gouvernance de la zone euro et renforcer le rôle international de l'euro.
Permettez-moi de m'arrêter un instant sur le chemin parcouru à cet égard depuis 1999. Rappelons-nous les doutes qui s'exprimaient sur la viabilité du pilotage économique de la zone euro. Trois ans après, où en sommes-nous ?
Certes, tout est loin d'être parfait. Mais la zone euro a su faire face à une succession de chocs. Il ne s'agit évidemment pas de faire du triomphalisme - la conjoncture ne nous y invite pas -, mais nous avons su éviter les instabilités financières du passé.
Face au ralentissement, nous ne sommes pas restés inactifs. Conformément à l'esprit du Pacte de Stabilité et de Croissance, nous avons su utiliser certaines marges de manuvre. Le fait que le jeu des stabilisateurs automatiques ne remette pas en question nos objectifs d'équilibre des finances publiques à moyen terme ne doit pas occulter l'ampleur du soutien conjoncturel qu'ils apportent à l'activité. Ce soutien sera en effet in fine du même ordre de grandeur au total que les mesures discrétionnaires prises aux États-Unis.
Cette réaction de politique économique a permis à la zone euro, prise dans son ensemble d'éviter la récession. Pour la France, après trois années de croissance à plus de 3 % en moyenne par an, l'année 2001 sera au total marqué par un ralentissement limité, avec une croissance de 2 % environ. L'Allemagne, en raison de facteurs spécifiques, j'y reviendrai, a été plus frappée que beaucoup de ses partenaires et l'année 2001 a été difficile. Il apparaît néanmoins que les conditions d'une reprise sont progressivement réunies pour un rebond que nous espérons au cours de l'année 2002.
Ce regard rétrospectif sur le chemin parcouru doit nous inviter à l'action par la définition d'objectifs communs. Par exemple, il nous faudra sans doute renforcer notre approche globale la zone euro, en définissant les objectifs de déficits publics globaux pour l'ensemble de la zone. Complétant les objectifs nationaux encadrés par le Pacte de stabilité et de croissance - limite des 3 % de déficit et perspective d'équilibre à moyen terme -, cet objectif de solde budgétaire de la zone euro me parait le complément nécessaire de la politique monétaire de la zone. C'est la combinaison de ces deux instruments qui définira le policy-mix optimal pour la croissance et la stabilité des prix. Dans le futur, je pense qu'il faudra de plus réfléchir sur les questions budgétaires dans une approche de moyen terme et de long terme. Cette réflexion devrait inclure les niveaux d'endettement, les besoins d'investissement et les engagements implicites des administrations publiques.
L'examen des politiques budgétaires des membres de la zone euro est également indispensable. La réalisation des programmes de stabilité de chacun des pays contribue à l'élaboration de la politique économique de l'ensemble de la zone. Le chemin tracé par le Pacte de stabilité et de croissance, celui de l'équilibre des finances publiques à moyen terme, est pertinent.
Cet examen doit dégager les tendances sous-jacentes et tenir compte des évolutions conjoncturelles dont les conséquences peuvent différer selon tel ou tel pays. En France, notre programme pluriannuel des finances publiques est examiné par les Commissions des finances du Parlement sur la base de trois règles : les dépenses doivent être financées ; les priorités doivent être dégagées ; les déficits doivent être financés par des emprunts qu'il faut rembourser.
Cette philosophie réunit je crois nos deux pays. Jusqu'en 2000, nos deux pays ont réussi à consolider leurs finances publiques, avec un déficit des administrations, hors recettes exceptionnelles, d'un peu plus de 1 % du PIB. L'année dernière, le ralentissement de l'activité a contribué à une inflexion plus sensible en Allemagne qu'en France en raison d'évolutions conjoncturelles différentes. Néanmoins, nos deux pays ont maintenu le cap de l'équilibre à moyen terme des comptes publics, en visant une gestion sérieuse des dépenses publiques. Cette politique assure une croissance durable pour le plein emploi.
Une coordination étroite de nos politiques économiques est également indispensable pour promouvoir le rôle international de l'euro. Elle est nécessaire pour renforcer son attractivité comme actif de réserve pour les banques centrales, comme devise de transaction pour les acteurs économiques, et pour conforter sa valeur comme exemple réussi d'intégration régionale. Parmi les dispositions simples favorisant cette coordination, je pense à un dialogue toujours plus étroit entre la Banque Centrale, indépendante et l'Eurogroupe ; à l'allongement de la durée du mandat du Président de l'Eurogroupe qui renforcerait le rôle utile de cette instance ; à la discussion systématique en son sein des questions structurelles et du policy-mix, afin de faire converger davantage nos politiques. De même, j'estime qu'il serait bon, que lors de la discussion budgétaire, un débat ait lieu dans chaque Parlement national sur les grandes orientations de politique économique de la zone euro.
Nous devons parvenir au plein emploi de nos ressources humaines :
J'évoquais la France. Au cours des quatre dernières années, vous savez que l'emploi dans les entreprises a augmenté de près de 10 %, permettant une baisse d'un quart du nombre de chômeurs. A l'origine de ces évolutions positives, il n'y a pas de cause unique. Certaines de nos politiques, je pense aux 35 heures, peuvent faire l'objet de controverses. Très clairement, la France n'a pas eu à réaliser l'immense effort de solidarité que l'Allemagne a dû engager après la réunification. Il me semble que les résultats en matière d'emploi que nous avons eus, reposent sur trois idées simples : les entreprises ne peuvent embaucher massivement que si le travail n'est pas trop cher ; les salariés travaillent d'autant plus que cela en vaut la peine ; les meilleures réformes du marché du travail produisent leurs effets dans un contexte de croissance. Ces trois idées doivent guider notre action dans la période qui s'ouvre.
Nos deux pays connaissent des taux de chômage aujourd'hui encore trop élevés. Parmi les facteurs de cette faiblesse, il y a notamment la difficulté à insérer sur le marché du travail de nombreux travailleurs peu qualifiés. Pour eux, le travail ne paye pas assez. Nous devons résoudre cette faiblesse structurelle de nos marchés du travail, même si chaque pays avance à son rythme dans cette direction. Le sommet de Lisbonne nous a invité à réduire la pression fiscale sur le travail non qualifié ! De même, les années qui viennent vont voir de nombreux travailleurs qualifiés partir en retraite. Ils devront être remplacés par une main d'uvre bien formée, puisque la formation, la compétence, le savoir est notre première richesse. D'où la nécessité d'un énorme effort de formation que j'appelle longévitale, c'est-à-dire formation tout au long de la vie, qui sera une des clés de la réussite de l'Europe de demain.
Cette construction économique doit bien sûr avoir une dimension politique. Et c'est le sens de mon quatrième point.
Nous avons en effet à préparer l'avenir de l'Union en assurant son élargissement dans de bonnes conditions :
Je sais que l'élargissement de l'Union prend une signification particulière ici. L'élargissement de l'Union, c'est la fin de la séparation que symbolisait le Mur ; c'est la fin de l'insécurité aux frontières de l'Allemagne. En même temps, l'Allemagne sait, comme la France, que cet élargissement est un enjeu majeur pour le futur et la cohésion de l'Union et qu'il suppose une excellente préparation, tant de la part de l'Union européenne que de la part des pays candidats.
Pour l'Union européenne, il s'agit de bien mesurer le coût de cet élargissement. Alors que les disparités se sont réduites entre les États membres, en particulier grâce à la politique de cohésion, l'élargissement va augmenter les inégalités dans l'Union élargie : la population et la superficie de l'Union vont s'accroître d'un tiers, cependant que son produit intérieur n'augmentera que de 5 %. Il faudra pour réduire ces disparités un effort budgétaire important et durable. Nous devons la vérité, à nos opinions comme aux pays candidats, sur l'ampleur de cet effort.
L'Union européenne devra aussi veiller à ce que les économies des pays candidats ne rencontrent pas de difficultés insurmontables une fois dans l'union économique et encore plus dans l'union monétaire. Pour les pays candidats, il s'agit de mesurer l'ampleur des réformes structurelles qu'ils ont à conduire et qui vont entraîner un coût social important. Le rattrapage économique des pays candidats dépendra avant tout d'eux-mêmes, de leurs réformes, de leurs politiques économiques. Si un pays tel que l'Espagne a pu rattraper une grande partie de son retard depuis son adhésion, c'est grâce à son dynamisme interne, à la vigueur de sa croissance et à la pertinence de sa politique économique : la politique de cohésion est un atout supplémentaire, ce n'est pas une manne providentielle.
Un autre très grand chantier qui nous attend est celui de la réforme du fonctionnement de l'Europe : comment prendre demain une décision à l'unanimité dans une Union à 25 ou à 30 ? comment travailler efficacement dans un collège composé de 25 ou 30 commissaires ? Le Conseil européen de Laeken a demandé à une convention de travailler sur le futur de l'Union pour permettre à une nouvelle Conférence Intergouvernementale de procéder à l'ultime révision en 2004.
Ces travaux et ces débats ne porteront pas uniquement sur l'agencement des institutions. Il faudra faire ce que nous n'avons pas encore assez fait : énoncer clairement le but de la démarche européenne. Selon le philosophe latin Sénèque, " celui qui ignore vers quel port il se dirige ne trouve pas de vent favorable ". Il est aujourd'hui impératif de décider notre port de destination.
Veut-on une Europe limitée au marché intérieur, dotée de politiques communes restreintes, faisant une très large place au vote à l'unanimité et à la méthode intergouvernementale ? C'est une option. Préfère-t-on une Europe plus intégrée, qui s'affirme comme une puissance politique, étend le vote à la majorité qualifiée et se dote d'une vraie coordination économique ? C'est une autre option, je la préfère. Tous les choix sont honorables à condition d'être clairs, compris et acceptés par nos opinions. Chacun devra se prononcer, y compris les futurs États membres, qui doivent savoir vers quoi ils se dirigent.
Mesdames et Messieurs, je dis souvent aux responsables politiques français qu'ils ont un devoir de vérité vis à vis de leurs concitoyens. Les Allemands sont mes concitoyens européens Il me semble que nous nous devons la même vérité. Parmi les vérités qui doivent être dites, il y a celle-ci : une politique économique ou financière uniquement nationale de la France ou de l'Allemagne n'a plus de sens. Nous sommes interdépendants. Nous ne pouvons, nous ne devons donc plus décider nos orientations sans prendre en considération l'autre, sans nous consulter, sans nous coordonner. Cela vaut pour les ministres, bien sûr, mais cela vaut aussi pour les Parlements. Sur ce point, il me semble que les politiques sont peut-être en retard sur les opinions publiques. En réfléchissant, en travaillant, en décidant ensemble, non seulement allemands et français, mais tous les européens ensemble, nous ne réduisons pas notre souveraineté et notre potentiel de croissance et de progrès. Nous l'améliorons. C'est la voie à suivre. Merci.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 28 janvier 2002)
Je suis heureux d'être avec vous cet après-midi. D'autant plus heureux que c'est je crois, la première fois que, par un double processus démocratique et amical, le ministre français des Finances s'exprime devant votre commission avant que, dans quelques jours, le ministre allemand des Finances, mon ami Hans Eichel, ne s'exprime devant la Commission équivalente de l'Assemblée nationale française.
Depuis le 1er janvier, Allemands et Français ont pour la première fois depuis plus de mille ans la même monnaie en poche. Ce bien commun de tous les pays de la zone euro, nous le devons d'abord aux dirigeants de nos deux pays qui, depuis plus de 10 ans, ont fait le choix historique d'unir leur destin monétaire pour marquer leur volonté de partager leur destin tout court au sein d'une Europe de paix et de prospérité. Je suis particulièrement heureux de m'exprimer devant les représentants du peuple allemand quelques semaines après ce jour historique. D'abord, bien sûr, pour me réjouir avec vous du succès du lancement de la nouvelle monnaie, ensuite pour aborder avec vous les défis à venir.
Avec vous parce que, comme par le passé, rien ne se fera de durable en Europe sans un partenariat stratégique entre la France et l'Allemagne. Avec vous, parce qu'au-delà des fluctuations conjoncturelles, l'Allemagne et la France connaissent des problèmes voisins, qui appellent des solutions assez proches.
Notre objectif commun est celui d'une Europe de la paix et de la prospérité. La paix : si nous savons réussir l'élargissement de l'Europe, nous conforterons les acquis de la construction européenne depuis 50 ans. La prospérité : l'Europe s'est fixé pour objectif à Lisbonne de créer d'ici 2010 " l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable, d'une amélioration de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ".
Nous n'en sommes pas encore là. Pour être à la hauteur d'une telle ambition, l'Europe doit suivre, me semble-t-il, une stratégie s'appuyant au moins sur quatre orientations : parachever la réalisation du marché unique ; améliorer la gouvernance de la zone euro ; parvenir au plein emploi ; préparer le futur de l'Union et son élargissement dans de bonnes conditions. Et cela nous devons le faire ensemble. Je voudrais, en guise d'introduction, dire quelques mots, nécessairement rapides, sur chacun de ces aspects.
L'avènement de l'euro nous encourage à parachever la réalisation du marché unique.
Cela soulève la question de la convergence fiscale en Europe. Elle constitue un indispensable complément à la réalisation d'un marché intérieur européen. Elle ne doit pas être entendue comme l'abandon de toute responsabilité nationale en matière fiscale.
L'Allemagne et la France partagent à cet égard deux choix : celui du financement d'un secteur public garant de la cohésion sociale, mais aussi celui d'une croissance compétitive qui implique de réduire les prélèvements quand ils sont excessifs. Pour assurer l'équilibre entre ces deux préoccupations, nous devons éviter une concurrence fiscale dommageable qui délocaliserait la base de nos recettes publiques ; et ce, surtout quand cette concurrence fiscale dommageable est permise à d'autres par des recettes provenant d'importantes subventions de l'Union européenne.
Dans le domaine de la fiscalité des entreprises, je suis favorable à une plus grande convergence de l'imposition des bénéfices. Un grand chantier nous attend sur ce point.
Le parachèvement du marché unique passe aussi par une plus grande intégration des marchés financiers pour améliorer le financement des entreprises et les circuits de l'épargne.
Un autre volet, encore plus large, de cette stratégie d'un marché unique pour la prospérité en Europe est celui d'une ouverture ordonnée de nos économies. Nos deux pays sont souvent accusés de ne pas avoir su moderniser leurs économies assez rapidement. La France fait l'objet de critiques - souvent peu fondées - sur la fermeture de certains de ses secteurs, comme l'énergie. Grâce à l'expérience, riche, des échecs de libéralisations mal conçues - dans le chemin de fer ou dans l'énergie - je pense que nous pouvons obtenir les bénéfices de l'ouverture sans supporter les coûts des libéralisations hâtives et mal régulés.
Il faut aussi mieux coordonner nos politiques économiques pour assurer une croissance sans inflation, améliorer la gouvernance de la zone euro et renforcer le rôle international de l'euro.
Permettez-moi de m'arrêter un instant sur le chemin parcouru à cet égard depuis 1999. Rappelons-nous les doutes qui s'exprimaient sur la viabilité du pilotage économique de la zone euro. Trois ans après, où en sommes-nous ?
Certes, tout est loin d'être parfait. Mais la zone euro a su faire face à une succession de chocs. Il ne s'agit évidemment pas de faire du triomphalisme - la conjoncture ne nous y invite pas -, mais nous avons su éviter les instabilités financières du passé.
Face au ralentissement, nous ne sommes pas restés inactifs. Conformément à l'esprit du Pacte de Stabilité et de Croissance, nous avons su utiliser certaines marges de manuvre. Le fait que le jeu des stabilisateurs automatiques ne remette pas en question nos objectifs d'équilibre des finances publiques à moyen terme ne doit pas occulter l'ampleur du soutien conjoncturel qu'ils apportent à l'activité. Ce soutien sera en effet in fine du même ordre de grandeur au total que les mesures discrétionnaires prises aux États-Unis.
Cette réaction de politique économique a permis à la zone euro, prise dans son ensemble d'éviter la récession. Pour la France, après trois années de croissance à plus de 3 % en moyenne par an, l'année 2001 sera au total marqué par un ralentissement limité, avec une croissance de 2 % environ. L'Allemagne, en raison de facteurs spécifiques, j'y reviendrai, a été plus frappée que beaucoup de ses partenaires et l'année 2001 a été difficile. Il apparaît néanmoins que les conditions d'une reprise sont progressivement réunies pour un rebond que nous espérons au cours de l'année 2002.
Ce regard rétrospectif sur le chemin parcouru doit nous inviter à l'action par la définition d'objectifs communs. Par exemple, il nous faudra sans doute renforcer notre approche globale la zone euro, en définissant les objectifs de déficits publics globaux pour l'ensemble de la zone. Complétant les objectifs nationaux encadrés par le Pacte de stabilité et de croissance - limite des 3 % de déficit et perspective d'équilibre à moyen terme -, cet objectif de solde budgétaire de la zone euro me parait le complément nécessaire de la politique monétaire de la zone. C'est la combinaison de ces deux instruments qui définira le policy-mix optimal pour la croissance et la stabilité des prix. Dans le futur, je pense qu'il faudra de plus réfléchir sur les questions budgétaires dans une approche de moyen terme et de long terme. Cette réflexion devrait inclure les niveaux d'endettement, les besoins d'investissement et les engagements implicites des administrations publiques.
L'examen des politiques budgétaires des membres de la zone euro est également indispensable. La réalisation des programmes de stabilité de chacun des pays contribue à l'élaboration de la politique économique de l'ensemble de la zone. Le chemin tracé par le Pacte de stabilité et de croissance, celui de l'équilibre des finances publiques à moyen terme, est pertinent.
Cet examen doit dégager les tendances sous-jacentes et tenir compte des évolutions conjoncturelles dont les conséquences peuvent différer selon tel ou tel pays. En France, notre programme pluriannuel des finances publiques est examiné par les Commissions des finances du Parlement sur la base de trois règles : les dépenses doivent être financées ; les priorités doivent être dégagées ; les déficits doivent être financés par des emprunts qu'il faut rembourser.
Cette philosophie réunit je crois nos deux pays. Jusqu'en 2000, nos deux pays ont réussi à consolider leurs finances publiques, avec un déficit des administrations, hors recettes exceptionnelles, d'un peu plus de 1 % du PIB. L'année dernière, le ralentissement de l'activité a contribué à une inflexion plus sensible en Allemagne qu'en France en raison d'évolutions conjoncturelles différentes. Néanmoins, nos deux pays ont maintenu le cap de l'équilibre à moyen terme des comptes publics, en visant une gestion sérieuse des dépenses publiques. Cette politique assure une croissance durable pour le plein emploi.
Une coordination étroite de nos politiques économiques est également indispensable pour promouvoir le rôle international de l'euro. Elle est nécessaire pour renforcer son attractivité comme actif de réserve pour les banques centrales, comme devise de transaction pour les acteurs économiques, et pour conforter sa valeur comme exemple réussi d'intégration régionale. Parmi les dispositions simples favorisant cette coordination, je pense à un dialogue toujours plus étroit entre la Banque Centrale, indépendante et l'Eurogroupe ; à l'allongement de la durée du mandat du Président de l'Eurogroupe qui renforcerait le rôle utile de cette instance ; à la discussion systématique en son sein des questions structurelles et du policy-mix, afin de faire converger davantage nos politiques. De même, j'estime qu'il serait bon, que lors de la discussion budgétaire, un débat ait lieu dans chaque Parlement national sur les grandes orientations de politique économique de la zone euro.
Nous devons parvenir au plein emploi de nos ressources humaines :
J'évoquais la France. Au cours des quatre dernières années, vous savez que l'emploi dans les entreprises a augmenté de près de 10 %, permettant une baisse d'un quart du nombre de chômeurs. A l'origine de ces évolutions positives, il n'y a pas de cause unique. Certaines de nos politiques, je pense aux 35 heures, peuvent faire l'objet de controverses. Très clairement, la France n'a pas eu à réaliser l'immense effort de solidarité que l'Allemagne a dû engager après la réunification. Il me semble que les résultats en matière d'emploi que nous avons eus, reposent sur trois idées simples : les entreprises ne peuvent embaucher massivement que si le travail n'est pas trop cher ; les salariés travaillent d'autant plus que cela en vaut la peine ; les meilleures réformes du marché du travail produisent leurs effets dans un contexte de croissance. Ces trois idées doivent guider notre action dans la période qui s'ouvre.
Nos deux pays connaissent des taux de chômage aujourd'hui encore trop élevés. Parmi les facteurs de cette faiblesse, il y a notamment la difficulté à insérer sur le marché du travail de nombreux travailleurs peu qualifiés. Pour eux, le travail ne paye pas assez. Nous devons résoudre cette faiblesse structurelle de nos marchés du travail, même si chaque pays avance à son rythme dans cette direction. Le sommet de Lisbonne nous a invité à réduire la pression fiscale sur le travail non qualifié ! De même, les années qui viennent vont voir de nombreux travailleurs qualifiés partir en retraite. Ils devront être remplacés par une main d'uvre bien formée, puisque la formation, la compétence, le savoir est notre première richesse. D'où la nécessité d'un énorme effort de formation que j'appelle longévitale, c'est-à-dire formation tout au long de la vie, qui sera une des clés de la réussite de l'Europe de demain.
Cette construction économique doit bien sûr avoir une dimension politique. Et c'est le sens de mon quatrième point.
Nous avons en effet à préparer l'avenir de l'Union en assurant son élargissement dans de bonnes conditions :
Je sais que l'élargissement de l'Union prend une signification particulière ici. L'élargissement de l'Union, c'est la fin de la séparation que symbolisait le Mur ; c'est la fin de l'insécurité aux frontières de l'Allemagne. En même temps, l'Allemagne sait, comme la France, que cet élargissement est un enjeu majeur pour le futur et la cohésion de l'Union et qu'il suppose une excellente préparation, tant de la part de l'Union européenne que de la part des pays candidats.
Pour l'Union européenne, il s'agit de bien mesurer le coût de cet élargissement. Alors que les disparités se sont réduites entre les États membres, en particulier grâce à la politique de cohésion, l'élargissement va augmenter les inégalités dans l'Union élargie : la population et la superficie de l'Union vont s'accroître d'un tiers, cependant que son produit intérieur n'augmentera que de 5 %. Il faudra pour réduire ces disparités un effort budgétaire important et durable. Nous devons la vérité, à nos opinions comme aux pays candidats, sur l'ampleur de cet effort.
L'Union européenne devra aussi veiller à ce que les économies des pays candidats ne rencontrent pas de difficultés insurmontables une fois dans l'union économique et encore plus dans l'union monétaire. Pour les pays candidats, il s'agit de mesurer l'ampleur des réformes structurelles qu'ils ont à conduire et qui vont entraîner un coût social important. Le rattrapage économique des pays candidats dépendra avant tout d'eux-mêmes, de leurs réformes, de leurs politiques économiques. Si un pays tel que l'Espagne a pu rattraper une grande partie de son retard depuis son adhésion, c'est grâce à son dynamisme interne, à la vigueur de sa croissance et à la pertinence de sa politique économique : la politique de cohésion est un atout supplémentaire, ce n'est pas une manne providentielle.
Un autre très grand chantier qui nous attend est celui de la réforme du fonctionnement de l'Europe : comment prendre demain une décision à l'unanimité dans une Union à 25 ou à 30 ? comment travailler efficacement dans un collège composé de 25 ou 30 commissaires ? Le Conseil européen de Laeken a demandé à une convention de travailler sur le futur de l'Union pour permettre à une nouvelle Conférence Intergouvernementale de procéder à l'ultime révision en 2004.
Ces travaux et ces débats ne porteront pas uniquement sur l'agencement des institutions. Il faudra faire ce que nous n'avons pas encore assez fait : énoncer clairement le but de la démarche européenne. Selon le philosophe latin Sénèque, " celui qui ignore vers quel port il se dirige ne trouve pas de vent favorable ". Il est aujourd'hui impératif de décider notre port de destination.
Veut-on une Europe limitée au marché intérieur, dotée de politiques communes restreintes, faisant une très large place au vote à l'unanimité et à la méthode intergouvernementale ? C'est une option. Préfère-t-on une Europe plus intégrée, qui s'affirme comme une puissance politique, étend le vote à la majorité qualifiée et se dote d'une vraie coordination économique ? C'est une autre option, je la préfère. Tous les choix sont honorables à condition d'être clairs, compris et acceptés par nos opinions. Chacun devra se prononcer, y compris les futurs États membres, qui doivent savoir vers quoi ils se dirigent.
Mesdames et Messieurs, je dis souvent aux responsables politiques français qu'ils ont un devoir de vérité vis à vis de leurs concitoyens. Les Allemands sont mes concitoyens européens Il me semble que nous nous devons la même vérité. Parmi les vérités qui doivent être dites, il y a celle-ci : une politique économique ou financière uniquement nationale de la France ou de l'Allemagne n'a plus de sens. Nous sommes interdépendants. Nous ne pouvons, nous ne devons donc plus décider nos orientations sans prendre en considération l'autre, sans nous consulter, sans nous coordonner. Cela vaut pour les ministres, bien sûr, mais cela vaut aussi pour les Parlements. Sur ce point, il me semble que les politiques sont peut-être en retard sur les opinions publiques. En réfléchissant, en travaillant, en décidant ensemble, non seulement allemands et français, mais tous les européens ensemble, nous ne réduisons pas notre souveraineté et notre potentiel de croissance et de progrès. Nous l'améliorons. C'est la voie à suivre. Merci.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 28 janvier 2002)