Texte intégral
Monsieur le Maire de Paris, Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Je suis très fier de vivre avec vous tous ce moment que je crois d'une portée symbolique particulièrement forte.
D'abord, parce que ces lectures de Jean-Michel Martial et de Jenny Alpha unissent magnifiquement deux hommes, Saint-George et Delgrès, qui font honneur à leurs terres d'origine, mais qui témoignent aussi de la contribution majeure et de longue date des outre-mers à notre histoire et à notre culture communes.
Tous deux épousèrent la cause de la Révolution, indissociable à leurs yeux de droits égaux pour tous les hommes. Tous deux défendirent la République quand elle abolit une première fois l'esclavage un autre 4 février, en 1794.
Permettez-moi tout d'abord de remercier chaleureusement le Maire de Paris pour sa fidélité à un engagement pris alors qu'il n'était encore que candidat. Permettez-moi aussi de saluer la méthode qu'il a voulu, en associant les originaires d'outre-mer à la décision de donner à l'ancienne rue Richepanse son nouveau nom : celui du chevalier de Saint-George. Merci, donc, Monsieur le Maire, cher Bertrand, d'être à l'inverse de ces cyniques dont les promesses, disent-ils, n'engagent que ceux qui les croient : vous avez tenu parole. Merci aussi d'avoir pris le temps d'une large consultation à laquelle, comme beaucoup de ceux qui sont ici, je me suis bien volontiers associé. Tel est bien l'esprit du nouveau pacte républicain voulu par le gouvernement de Lionel Jospin pour les outre-mers et avec eux. Tel est aussi l'esprit, à l'opposé des décisions solitaires et autoritaires, de cette démocratie plus participative que Paris a souhaité. C'est une nouvelle façon de concevoir la responsabilité politique et de l'exercer avec tous qui s'affirme aujourd'hui. Cela signifie aussi, pour nous Français, un autre regard sur notre passé pour un avenir mieux partagé.
Paris, aujourd'hui, rend justice à Saint-George dans ce quartier qui fut le sien et qui résonna de son immense talent. Une ville, c'est un récit à ciel ouvert dont les monuments, les rues, les noms des rues racontent les plus grands moments à destination de tous. Paris, ville capitale, nous dit aujourd'hui que l'histoire de France ne se réduit pas à l'histoire de l'hexagone. Paris, ville de culture, se souvient aujourd'hui de ce qu'elle doit aux talents issus d'outre-mer qui, dans toutes les formes de la création artistique, ont créé ici et influé sur leur temps : Saint-George nous rappelle que c'était déjà le cas au 18ème siècle. Paris, où s'affirmèrent avec force toutes les promesses d'émancipation des temps modernes, se souvient de la part qu'y ont prise les originaires d'outre-mer. Cela vaut de la Révolution de 89 aux combats de la Résistance, de l'abolition de l'esclavage aux combats nécessaires contre le colonialisme. Donner à une rue de Paris le nom du chevalier de Saint-George, c'est pour moi s'inscrire dans cette démarche-là et remettre, en somme, l'histoire sur ses pieds.
Ceux qui, en 1802, envoyèrent Richepanse et ses troupes pour rétablir en Guadeloupe l'esclavage aboli huit ans plus tôt sont les mêmes qui firent tout pour effacer les traces de son oeuvre musicale et de son engagement républicain. Le flamboyant Saint-George dérangeait : on le chassa du répertoire, on l'expulsa de la mémoire commune. Victime, en somme, d'un révisionnisme avant la lettre.
Car les ennemis de nos libertés ne pouvaient tolérer celui que l'abbé Grégoire appelait "le Voltaire de la musique", celui dont Balzac célébrait le génie d'escrimeur, celui dont toutes les capitales européennes avaient joué les compositions et pour qui Haydn composa ses "symphonies parisiennes", celui qui fut en son temps plus célèbre que Mozart. Les mêmes ne pouvaient supporter celui qui fut, dans l'armée de la République, le premier colonel noir, et l'ami de Danton. Celui dont la vie entière infligait un cinglant démenti aux préjugés imbéciles mais tenaces qui fondent le racisme Ainsi fut condamné à l'oubli celui qui témoignait avec panache contre tous les apartheids.
Il fallut, de nos jours, l'obstination de quelques uns pour l'en tirer. Merci à Alain Guédé pour le magnifique portrait qu'il nous en a donné. Merci aux Archets de Paris de nous avoir permis de goûter à nouveau sa musique. Merci à tous les artistes originaires d'outre-mer qui lui ont redonné droit de cité sur nos scènes. Au secrétariat d'Etat à l'outre-mer, on a, à plusieurs reprises, joué du Saint-George. (Je suis heureux de vous annoncer que c'est désormais sa musique, qu'entendront à partir d'aujourd'hui tous ceux qui téléphonneront au secrétariat d'Etat à l'outre-mer. J'ai en effet voulu mobiliser aussi notre accueil téléphonique pour le faire mieux connaître et inciter à l'écouter).
Saint-George, dont la mère fut esclave, raflée enfant sur les côtes d'Afrique, était né à Basse-Terre. C'est également à Basse-Terre que Delgrès, soldat fidèle à la République au point de combattre Richepance en Guadeloupe, publia la belle et forte proclamation que nous a lue Jean-Michel Martial. Le souvenir de l'un ne va pas sans le souvenir de l'autre.
1802-2002 : il y a 200 ans, Delgrès et les siens se dressèrent contre Richepanse envoyé par Bonaparte pour rétablir l'esclavage, aboli par la Convention. Le retour de l'esclavage allait précéder de peu l'assassinat de la République au profit de l'Empire. Tout se tient, comme vous le voyez.
Delgrès ne s'y est pas trompé. Et avec lui tous ceux, hommes et femmes, qui incarnèrent alors l'esprit de résistance.
Permettez-moi de rappeler la mémoire de ses compagnons qui luttèrent à en mourir pour des valeurs qui sont toujours les nôtres et d'honorer, à travers eux, les combattants anonymes qui ne
furent pas moins courageux. Les uns choisirent avec Delgrès la mort à Matouba plutôt que la servitude. Les autres périrent dans la répression sanglante que Richepanse mena en Guadeloupe.
L'histoire a jugé. Une première fois en 1848, liant le rétablissement de la République et l'abolition définitive de l'esclavage, le combat des insurgés parisiens et celui des résistants d'outre-mer. Mais il fallut (donc) un siècle de plus pour qu'une citoyenneté pleine et entière soit effectivement reconnue à tous et pour que la République tienne jusqu'au bout la promesse à laquelle adhérèrent et Saint-George et Delgrès.
Mais il restait un non-dit de l'esclavage, quelque chose de son histoire que la France n'assumait pas. La loi du 10 mai 2001 a enfin reconnu la traite et l'esclavage pour ce qu'ils furent : un crime contre l'humanité. C'est à dire, non pas un crime inhumain mais un crime de lèse-humanité. Du 10 mai 1802, date de la proclamation de Basse Terre, au 10 mai 2001, date où les mots pour le dire ont pris force de loi : le hasard des dates a valeur de symbole. Cette loi ne se borne pas à qualifier le passé : elle emporte des conséquences pour aujourd'hui. Elle conduit à redonner à l'histoire de l'esclavage et des résistances que, de tous temps, il suscita la place qui leur reviennent dans notre histoire commune, dans les manuels scolaires qui l'enseignent, dans les travaux de recherche qui l'éclairent, dans les espaces publics qui la signifient. Voilà pourquoi le geste qui nous réunit aujourd'hui s'inscrit pour moi dans le droit fil de ce qui est davantage qu'un devoir de mémoire ou une obligation morale : le choix politique d'une histoire réellement partagée.
Il était temps que nous partagions la fierté de compter Saint-George parmi les nôtres. La Cité des outre-mers, dont le Premier Ministre et le Maire de Paris ont conjointement annoncé la réalisation dans la capitale, procède de la même volonté de donner aux artistes et aux talents de tous les outre-mers la juste place qui doit être la leur dans notre culture qui leur doit une part éminente de sa richesse et de son rayonnement.
Hommage, donc, à Saint-George dont l'oeuvre et la vie en témoignent magnifiquement.
Je vous remercie.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 7 février 2002)
Je suis très fier de vivre avec vous tous ce moment que je crois d'une portée symbolique particulièrement forte.
D'abord, parce que ces lectures de Jean-Michel Martial et de Jenny Alpha unissent magnifiquement deux hommes, Saint-George et Delgrès, qui font honneur à leurs terres d'origine, mais qui témoignent aussi de la contribution majeure et de longue date des outre-mers à notre histoire et à notre culture communes.
Tous deux épousèrent la cause de la Révolution, indissociable à leurs yeux de droits égaux pour tous les hommes. Tous deux défendirent la République quand elle abolit une première fois l'esclavage un autre 4 février, en 1794.
Permettez-moi tout d'abord de remercier chaleureusement le Maire de Paris pour sa fidélité à un engagement pris alors qu'il n'était encore que candidat. Permettez-moi aussi de saluer la méthode qu'il a voulu, en associant les originaires d'outre-mer à la décision de donner à l'ancienne rue Richepanse son nouveau nom : celui du chevalier de Saint-George. Merci, donc, Monsieur le Maire, cher Bertrand, d'être à l'inverse de ces cyniques dont les promesses, disent-ils, n'engagent que ceux qui les croient : vous avez tenu parole. Merci aussi d'avoir pris le temps d'une large consultation à laquelle, comme beaucoup de ceux qui sont ici, je me suis bien volontiers associé. Tel est bien l'esprit du nouveau pacte républicain voulu par le gouvernement de Lionel Jospin pour les outre-mers et avec eux. Tel est aussi l'esprit, à l'opposé des décisions solitaires et autoritaires, de cette démocratie plus participative que Paris a souhaité. C'est une nouvelle façon de concevoir la responsabilité politique et de l'exercer avec tous qui s'affirme aujourd'hui. Cela signifie aussi, pour nous Français, un autre regard sur notre passé pour un avenir mieux partagé.
Paris, aujourd'hui, rend justice à Saint-George dans ce quartier qui fut le sien et qui résonna de son immense talent. Une ville, c'est un récit à ciel ouvert dont les monuments, les rues, les noms des rues racontent les plus grands moments à destination de tous. Paris, ville capitale, nous dit aujourd'hui que l'histoire de France ne se réduit pas à l'histoire de l'hexagone. Paris, ville de culture, se souvient aujourd'hui de ce qu'elle doit aux talents issus d'outre-mer qui, dans toutes les formes de la création artistique, ont créé ici et influé sur leur temps : Saint-George nous rappelle que c'était déjà le cas au 18ème siècle. Paris, où s'affirmèrent avec force toutes les promesses d'émancipation des temps modernes, se souvient de la part qu'y ont prise les originaires d'outre-mer. Cela vaut de la Révolution de 89 aux combats de la Résistance, de l'abolition de l'esclavage aux combats nécessaires contre le colonialisme. Donner à une rue de Paris le nom du chevalier de Saint-George, c'est pour moi s'inscrire dans cette démarche-là et remettre, en somme, l'histoire sur ses pieds.
Ceux qui, en 1802, envoyèrent Richepanse et ses troupes pour rétablir en Guadeloupe l'esclavage aboli huit ans plus tôt sont les mêmes qui firent tout pour effacer les traces de son oeuvre musicale et de son engagement républicain. Le flamboyant Saint-George dérangeait : on le chassa du répertoire, on l'expulsa de la mémoire commune. Victime, en somme, d'un révisionnisme avant la lettre.
Car les ennemis de nos libertés ne pouvaient tolérer celui que l'abbé Grégoire appelait "le Voltaire de la musique", celui dont Balzac célébrait le génie d'escrimeur, celui dont toutes les capitales européennes avaient joué les compositions et pour qui Haydn composa ses "symphonies parisiennes", celui qui fut en son temps plus célèbre que Mozart. Les mêmes ne pouvaient supporter celui qui fut, dans l'armée de la République, le premier colonel noir, et l'ami de Danton. Celui dont la vie entière infligait un cinglant démenti aux préjugés imbéciles mais tenaces qui fondent le racisme Ainsi fut condamné à l'oubli celui qui témoignait avec panache contre tous les apartheids.
Il fallut, de nos jours, l'obstination de quelques uns pour l'en tirer. Merci à Alain Guédé pour le magnifique portrait qu'il nous en a donné. Merci aux Archets de Paris de nous avoir permis de goûter à nouveau sa musique. Merci à tous les artistes originaires d'outre-mer qui lui ont redonné droit de cité sur nos scènes. Au secrétariat d'Etat à l'outre-mer, on a, à plusieurs reprises, joué du Saint-George. (Je suis heureux de vous annoncer que c'est désormais sa musique, qu'entendront à partir d'aujourd'hui tous ceux qui téléphonneront au secrétariat d'Etat à l'outre-mer. J'ai en effet voulu mobiliser aussi notre accueil téléphonique pour le faire mieux connaître et inciter à l'écouter).
Saint-George, dont la mère fut esclave, raflée enfant sur les côtes d'Afrique, était né à Basse-Terre. C'est également à Basse-Terre que Delgrès, soldat fidèle à la République au point de combattre Richepance en Guadeloupe, publia la belle et forte proclamation que nous a lue Jean-Michel Martial. Le souvenir de l'un ne va pas sans le souvenir de l'autre.
1802-2002 : il y a 200 ans, Delgrès et les siens se dressèrent contre Richepanse envoyé par Bonaparte pour rétablir l'esclavage, aboli par la Convention. Le retour de l'esclavage allait précéder de peu l'assassinat de la République au profit de l'Empire. Tout se tient, comme vous le voyez.
Delgrès ne s'y est pas trompé. Et avec lui tous ceux, hommes et femmes, qui incarnèrent alors l'esprit de résistance.
Permettez-moi de rappeler la mémoire de ses compagnons qui luttèrent à en mourir pour des valeurs qui sont toujours les nôtres et d'honorer, à travers eux, les combattants anonymes qui ne
furent pas moins courageux. Les uns choisirent avec Delgrès la mort à Matouba plutôt que la servitude. Les autres périrent dans la répression sanglante que Richepanse mena en Guadeloupe.
L'histoire a jugé. Une première fois en 1848, liant le rétablissement de la République et l'abolition définitive de l'esclavage, le combat des insurgés parisiens et celui des résistants d'outre-mer. Mais il fallut (donc) un siècle de plus pour qu'une citoyenneté pleine et entière soit effectivement reconnue à tous et pour que la République tienne jusqu'au bout la promesse à laquelle adhérèrent et Saint-George et Delgrès.
Mais il restait un non-dit de l'esclavage, quelque chose de son histoire que la France n'assumait pas. La loi du 10 mai 2001 a enfin reconnu la traite et l'esclavage pour ce qu'ils furent : un crime contre l'humanité. C'est à dire, non pas un crime inhumain mais un crime de lèse-humanité. Du 10 mai 1802, date de la proclamation de Basse Terre, au 10 mai 2001, date où les mots pour le dire ont pris force de loi : le hasard des dates a valeur de symbole. Cette loi ne se borne pas à qualifier le passé : elle emporte des conséquences pour aujourd'hui. Elle conduit à redonner à l'histoire de l'esclavage et des résistances que, de tous temps, il suscita la place qui leur reviennent dans notre histoire commune, dans les manuels scolaires qui l'enseignent, dans les travaux de recherche qui l'éclairent, dans les espaces publics qui la signifient. Voilà pourquoi le geste qui nous réunit aujourd'hui s'inscrit pour moi dans le droit fil de ce qui est davantage qu'un devoir de mémoire ou une obligation morale : le choix politique d'une histoire réellement partagée.
Il était temps que nous partagions la fierté de compter Saint-George parmi les nôtres. La Cité des outre-mers, dont le Premier Ministre et le Maire de Paris ont conjointement annoncé la réalisation dans la capitale, procède de la même volonté de donner aux artistes et aux talents de tous les outre-mers la juste place qui doit être la leur dans notre culture qui leur doit une part éminente de sa richesse et de son rayonnement.
Hommage, donc, à Saint-George dont l'oeuvre et la vie en témoignent magnifiquement.
Je vous remercie.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 7 février 2002)