Texte intégral
R. Arzt
Vous êtes candidat à l'élection présidentielle. Avec des sondages autour de 12%, vous êtes très au-dessus de ce qu'on appelle "les petits candidats." Si vous étiez président de la République, que diriez-vous aux dirigeants américains à propos de l'Afghanistan aujourd'hui ? Qu'ils doivent réviser leur stratégie, d'urgence ?
- "Je leur demanderais d'abord des informations, qu'apparemment nous n'avons pas. Je crois qu'il importe que le président de la République et le Premier ministre donnent au Parlement et à l'opinion publique, des informations sur ce qu'est la stratégie suivie, que nous comprenons de plus en plus mal. Au fur et à mesure que les semaines passent, l'objectif de l'éradication d'Al Qaïda devient plus problématique, puisque le renversement du régime des taliban ne paraît pas immédiatement à portée. On se demande pourquoi les Américains ne soutiennent pas davantage l'Alliance du Nord. Il y a des questions auxquelles nous aimerions voir répondre."
Les Américains sont maladroits ? Est-ce que les reproches et les critiques de brutalité que vous avez pu faire vous-même lors de la guerre du Golfe, sont un peu les mêmes aujourd'hui ?
- "Il n'y a pas de rapport du point de vue de l'intensité. Il faut se rappeler que, pendant la guerre du Golfe, chaque sortie aérienne associait 800 avions - là, c'est de l'ordre de la dizaine par jour, c'est quelque chose qui n'a rien à voir du point de vue de l'intensité technique de la guerre. Il n'en reste pas moins qu'on doit se poser des questions sur la façon dont cette organisation terroriste pourra être éradiquée. Je pense que la clé est largement dans les mains du Pakistan, des tribus pachtounes. Mais il y a un moyen de pression qui est évident : c'est le soutien militaire à l'Alliance du Nord. Il paraît que la France et l'Europe n'interviennent guère. On aimerait qu'au moins la France fasse entendre sa voix pour définir, par des analyses profondes et convaincantes, ce que pourrait être la voie d'une solution."
Et par exemple demande immédiatement l'arrêt des bombardements ?
- "Je ne pense pas qu'on puisse le demander. On peut demander, par un canal diplomatique, qu'ils soient mieux ciblés et portent davantage sur le seul front réellement existant. C'est ce qui paraît logique. En tout cas, on le voit bien, la réponse au terrorisme est une réponse de longue haleine, multiforme, et il faut éviter tout dérapage, en particulier toute frappe sur un autre pays que l'Afghanistan, parce que ce serait tomber dans le piège des terroristes, ce serait embraser le monde arabo-musulman."
La Corse : que pensez-vous de l'annonce par D. Vaillant, de créer un centre de détention dans la prison de Borgo, près de Bastia, afin de regrouper les condamnés nationalistes corses ?
- "Tout citoyen se sent humilié par ces témoignages de faiblesse. Le Gouvernement, prisonnier des surenchères qu'il a lui-même suscitées, en levant le préalable de la renonciation à la violence, finit par céder à la revendication des indépendantistes. Il accepte de regrouper ces détenus dans une prison qui n'est absolument pas sûre, une prison dont les personnels et leurs familles sont soumis au chantage et aux menaces des indépendantistes, comme le rappellent d'ailleurs les syndicats de la pénitentiaire."
Il s'agirait de créer un centre de détention pour les condamnés et pas pour ceux qui sont en préventive...
- "Oui, forcément, puisque ceux qui sont en préventive doivent rester à la disposition des juges. Mais ceux qui ont été condamnés, les mettre à Borgo, c'est un pas vers l'amnistie ! D'abord, parce qu'ils ont toutes les chances de s'échapper. Chacun sait qu'en réalité, dans la prison de Borgo, les prisonniers sont quasiment les maîtres du terrain. C'est une prison dont on s'évade par fax et par hélicoptère ! Je veux bien qu'on mette les détenus à Marseille ou à Nice - c'est un tout petit voyage -, mais pas à Borgo, pour des raisons de sécurité."
Tout cela rentre dans le cadre d'un plan de construction de prisons plus large, au plan national...
- "Trêve d'hypocrisie ! En réalité, comment le Gouvernement peut-il établir sa crédibilité dans la lutte contre l'insécurité, quand il fait preuve d'une pareille faiblesse, vis-à-vis de gens qui continuent à tuer, à assassiner ? Je rappelle que le jour où D. Vaillant est arrivé en Corse, un ami de F. Santoni - un autre, le quatrième depuis l'assassinat de F. Santoni - a été assassiné. Il s'agit d'un certain monsieur Gros, dont le procureur Legras s'est empressé de dire que "s'[il] était tombé, c'est probablement plus une affaire de banditisme qu'une affaire politique". Je n'ai encore jamais vu qu'un procureur général juge, comme cela, pour dédouaner le Gouvernement, et se substitue aux enquêteurs et à la justice elle-même ! J'ajoute que le procureur général Legras a refusé le dépaysement du procès du préfet Bonnet, ce qui me paraît tout à fait inacceptable."
Il doit être jugé en Corse ?
- "Mais il devrait être jugé ailleurs. Il est clair que les conditions d'un procès impartial ne sont pas réunies en Corse. Sauf, si on veut monter une mise en scène."
Comment ça, "une mise en scène" ?
- "Oui, une mise en scène pour justifier a posteriori le retournement de la politique gouvernementale en Corse, imputable, paraît-il, à cette misérable affaire des paillotes. Non ! Je crois qu'il est temps de revenir à une conception saine de l'Etat et de faire que les conditions d'une justice impartiale soit assurée en dépaysant le procès de B. Bonnet. J'ajoute que le regroupement des détenus corses à Borgo serait une grave faute."
On a compris que vous n'étiez pas pour. Parlons un peu de politique. Le Congrès du PCF, le fait que R. Hue se lance en campagne, vous pensez que cela peut redonner vigueur au PC ou bien vous regardez ce candidat qui est à 5 ou 6 % de haut, du haut de vos 12 % ?
- "Non, je ne le regarde pas de haut, parce qu'il y a une histoire que je respecte. Mais je considère qu'il n'y a pas de stratégie au PC, il n'y a pas de vision. C'est un parti qui, au fil des ans, est devenu maastrichien sur la pointe des pieds. Je vois A. Duhamel qui me regarde en souriant. Mais il voudrait se convaincre qu'il n'y a pas d'avancée sociale possible si on ne remet pas en cause "le pacte de stabilité" budgétaire, les statuts de la Banque centrale européenne - qui maintiennent des taux d'intérêt élevés -, si on n'obtient pas des clauses dérogatoires en matière de directive bruxelloise sur les services publics. Et je pense que le PC fait fausse route car il se contente, par exemple à travers la loi de modernisation sociale, d'une sorte de judiciarisation des luttes sociales et de la vie économique. Ce qui est une façon de prendre acte que la puissance publique s'est désormais mise aux abonnés absents. Je ne l'accepte pas."
Vous êtes donc, je l'ai dit, plutôt en bonne position dans les sondages d'opinion. Le jour où L. Jospin se présentera, ce sera un handicap pour vous ou bien c'est vous qui serez un handicap pour lui ?
- "Je ne sais pas, je ne raisonne pas comme cela. De toute façon, je pense que j'ai une capacité de rassemblement qui fait que des Français très divers, qui auraient voté pour L. Jospin, mais aussi pour J. Chirac, et pour bien d'autres, préfèrent venir sur mon nom. Je compte sur le peuple. Je ne fais pas de triomphalisme. Je dis que rien n'est possible sans la confiance du peuple. Mais avec la confiance du peuple, je pense pouvoir être au second tour."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 29 octobre 2001)
Vous êtes candidat à l'élection présidentielle. Avec des sondages autour de 12%, vous êtes très au-dessus de ce qu'on appelle "les petits candidats." Si vous étiez président de la République, que diriez-vous aux dirigeants américains à propos de l'Afghanistan aujourd'hui ? Qu'ils doivent réviser leur stratégie, d'urgence ?
- "Je leur demanderais d'abord des informations, qu'apparemment nous n'avons pas. Je crois qu'il importe que le président de la République et le Premier ministre donnent au Parlement et à l'opinion publique, des informations sur ce qu'est la stratégie suivie, que nous comprenons de plus en plus mal. Au fur et à mesure que les semaines passent, l'objectif de l'éradication d'Al Qaïda devient plus problématique, puisque le renversement du régime des taliban ne paraît pas immédiatement à portée. On se demande pourquoi les Américains ne soutiennent pas davantage l'Alliance du Nord. Il y a des questions auxquelles nous aimerions voir répondre."
Les Américains sont maladroits ? Est-ce que les reproches et les critiques de brutalité que vous avez pu faire vous-même lors de la guerre du Golfe, sont un peu les mêmes aujourd'hui ?
- "Il n'y a pas de rapport du point de vue de l'intensité. Il faut se rappeler que, pendant la guerre du Golfe, chaque sortie aérienne associait 800 avions - là, c'est de l'ordre de la dizaine par jour, c'est quelque chose qui n'a rien à voir du point de vue de l'intensité technique de la guerre. Il n'en reste pas moins qu'on doit se poser des questions sur la façon dont cette organisation terroriste pourra être éradiquée. Je pense que la clé est largement dans les mains du Pakistan, des tribus pachtounes. Mais il y a un moyen de pression qui est évident : c'est le soutien militaire à l'Alliance du Nord. Il paraît que la France et l'Europe n'interviennent guère. On aimerait qu'au moins la France fasse entendre sa voix pour définir, par des analyses profondes et convaincantes, ce que pourrait être la voie d'une solution."
Et par exemple demande immédiatement l'arrêt des bombardements ?
- "Je ne pense pas qu'on puisse le demander. On peut demander, par un canal diplomatique, qu'ils soient mieux ciblés et portent davantage sur le seul front réellement existant. C'est ce qui paraît logique. En tout cas, on le voit bien, la réponse au terrorisme est une réponse de longue haleine, multiforme, et il faut éviter tout dérapage, en particulier toute frappe sur un autre pays que l'Afghanistan, parce que ce serait tomber dans le piège des terroristes, ce serait embraser le monde arabo-musulman."
La Corse : que pensez-vous de l'annonce par D. Vaillant, de créer un centre de détention dans la prison de Borgo, près de Bastia, afin de regrouper les condamnés nationalistes corses ?
- "Tout citoyen se sent humilié par ces témoignages de faiblesse. Le Gouvernement, prisonnier des surenchères qu'il a lui-même suscitées, en levant le préalable de la renonciation à la violence, finit par céder à la revendication des indépendantistes. Il accepte de regrouper ces détenus dans une prison qui n'est absolument pas sûre, une prison dont les personnels et leurs familles sont soumis au chantage et aux menaces des indépendantistes, comme le rappellent d'ailleurs les syndicats de la pénitentiaire."
Il s'agirait de créer un centre de détention pour les condamnés et pas pour ceux qui sont en préventive...
- "Oui, forcément, puisque ceux qui sont en préventive doivent rester à la disposition des juges. Mais ceux qui ont été condamnés, les mettre à Borgo, c'est un pas vers l'amnistie ! D'abord, parce qu'ils ont toutes les chances de s'échapper. Chacun sait qu'en réalité, dans la prison de Borgo, les prisonniers sont quasiment les maîtres du terrain. C'est une prison dont on s'évade par fax et par hélicoptère ! Je veux bien qu'on mette les détenus à Marseille ou à Nice - c'est un tout petit voyage -, mais pas à Borgo, pour des raisons de sécurité."
Tout cela rentre dans le cadre d'un plan de construction de prisons plus large, au plan national...
- "Trêve d'hypocrisie ! En réalité, comment le Gouvernement peut-il établir sa crédibilité dans la lutte contre l'insécurité, quand il fait preuve d'une pareille faiblesse, vis-à-vis de gens qui continuent à tuer, à assassiner ? Je rappelle que le jour où D. Vaillant est arrivé en Corse, un ami de F. Santoni - un autre, le quatrième depuis l'assassinat de F. Santoni - a été assassiné. Il s'agit d'un certain monsieur Gros, dont le procureur Legras s'est empressé de dire que "s'[il] était tombé, c'est probablement plus une affaire de banditisme qu'une affaire politique". Je n'ai encore jamais vu qu'un procureur général juge, comme cela, pour dédouaner le Gouvernement, et se substitue aux enquêteurs et à la justice elle-même ! J'ajoute que le procureur général Legras a refusé le dépaysement du procès du préfet Bonnet, ce qui me paraît tout à fait inacceptable."
Il doit être jugé en Corse ?
- "Mais il devrait être jugé ailleurs. Il est clair que les conditions d'un procès impartial ne sont pas réunies en Corse. Sauf, si on veut monter une mise en scène."
Comment ça, "une mise en scène" ?
- "Oui, une mise en scène pour justifier a posteriori le retournement de la politique gouvernementale en Corse, imputable, paraît-il, à cette misérable affaire des paillotes. Non ! Je crois qu'il est temps de revenir à une conception saine de l'Etat et de faire que les conditions d'une justice impartiale soit assurée en dépaysant le procès de B. Bonnet. J'ajoute que le regroupement des détenus corses à Borgo serait une grave faute."
On a compris que vous n'étiez pas pour. Parlons un peu de politique. Le Congrès du PCF, le fait que R. Hue se lance en campagne, vous pensez que cela peut redonner vigueur au PC ou bien vous regardez ce candidat qui est à 5 ou 6 % de haut, du haut de vos 12 % ?
- "Non, je ne le regarde pas de haut, parce qu'il y a une histoire que je respecte. Mais je considère qu'il n'y a pas de stratégie au PC, il n'y a pas de vision. C'est un parti qui, au fil des ans, est devenu maastrichien sur la pointe des pieds. Je vois A. Duhamel qui me regarde en souriant. Mais il voudrait se convaincre qu'il n'y a pas d'avancée sociale possible si on ne remet pas en cause "le pacte de stabilité" budgétaire, les statuts de la Banque centrale européenne - qui maintiennent des taux d'intérêt élevés -, si on n'obtient pas des clauses dérogatoires en matière de directive bruxelloise sur les services publics. Et je pense que le PC fait fausse route car il se contente, par exemple à travers la loi de modernisation sociale, d'une sorte de judiciarisation des luttes sociales et de la vie économique. Ce qui est une façon de prendre acte que la puissance publique s'est désormais mise aux abonnés absents. Je ne l'accepte pas."
Vous êtes donc, je l'ai dit, plutôt en bonne position dans les sondages d'opinion. Le jour où L. Jospin se présentera, ce sera un handicap pour vous ou bien c'est vous qui serez un handicap pour lui ?
- "Je ne sais pas, je ne raisonne pas comme cela. De toute façon, je pense que j'ai une capacité de rassemblement qui fait que des Français très divers, qui auraient voté pour L. Jospin, mais aussi pour J. Chirac, et pour bien d'autres, préfèrent venir sur mon nom. Je compte sur le peuple. Je ne fais pas de triomphalisme. Je dis que rien n'est possible sans la confiance du peuple. Mais avec la confiance du peuple, je pense pouvoir être au second tour."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 29 octobre 2001)