Interviews de M. Patrick Devedjian, délégué général et porte-parole du RPR, dans "Le Parisien" le 6 et à France-Inter le 7 février 2002, sur la stratégie électorale de pré-campagne de la droite et de la gauche et sur l'affaire de corruption touchant Didier Schuller, ancien conseiller général des Hauts-de-Seine.

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Média : France Inter - Le Parisien

Texte intégral

La politique saura-t-elle échapper aux affaires ? La question de savoir si le PS est à l'origine du retour en France de D. Schuller, si elle ne manque pas de pertinence, change-t-elle quelque chose aux faits reprochés à l'ex-conseiller général des Hauts-de-Seine ? A droite comme à gauche, le risque n'est-il pas grand, instrumentalisant ce dossier, de provoquer la nausée de l'électorat et son abstention massive ?
Les deux grands partis en lice, le PS et le RPR, ont présenté, chacun de son côté, leur programme.
- "Oui."
On n'en dit pas un mot ! On ne parle que de la stratégie des uns et des autres, c'est incroyable !
- "Mais qui est "on" ? "
Partout, tout le monde.
- "Nous, nous en parlons..."
Vous parlez aussi beaucoup des affaires !
- "Nous avons tenu notre Conseil national ce week-end. Et on n'a parlé que du projet dans ce Conseil national, pendant plusieurs heures. La plupart des journalistes de toutes les rédactions étaient là ; ils n'ont parlé que de propos de couloirs à propos de l'affaire Schuller. Donc, le "on", ce n'est pas les acteurs politiques."
Mais vous êtes comme nous, monsieur Devedjian, vous écoutez la radio, vous lisez les journaux, vous regardez la télé, et vous voyez bien que ce qui domine aujourd'hui et malheureusement, j'imagine que vous le regrettez vous aussi, ce n'est pas le fond, ce sont les stratégies des uns et des autres, la façon dont sont exploités tels ou tels bras de levier...
- "Bien sûr, mais je crois que l'information est aussi ainsi faite. Je ne vous jette d'ailleurs pas la pierre. Il est plus spectaculaire de parler des stratégies, d'envisager qui peut gagner, plutôt que de rentrer dans le débat de fond. C'est d'ailleurs peut-être un indice que la campagne n'était pas véritablement commencée. Je pense que dès lors où elle va commencer - il me semble que c'est en train d'arriver -, les Français s'intéressent au débat de fond. Vous savez, sur les idées, le RPR, depuis plus d'un an, travaille, sérieusement, profondément. Nous avons eu des débats, nous avons fait venir à notre siège tous les acteurs économiques et sociaux. Cela a intéressé très peu de gens, parce qu'on n'était pas en campagne. Et maintenant, il me semble que ce travail de fond qui a été fait, et que d'autres partis politiques ont fait aussi, nous ne sommes pas les seuls - qui n'ont pas eu plus de résonance que nous d'ailleurs ..."
En effet...
- "Il me semble que c'est seulement le temps de la campagne qui permet de l'entendre. Je crois que cela vient. Alors, ce dont nous avions peur, et ce dont nous continuons à avoir peur, c'est qu'on ne parle que des affaires pour priver les Français de ce débat. Parce qu'après tout, c'est leur avenir qui se joue pendant les cinq années qui vont venir. Il y a des échéances extrêmement importantes, des enjeux très importants que les candidats envisagent différemment. Ils doivent faire un choix de fond et non pas simplement se fonder sur des apparences. Il nous a semblé que nos adversaires, et souvent par leur discours - j'entendais par exemple, monsieur Strauss-Kahn, sur votre antenne, tout à l'heure, qui s'en prenait à la personne du président de la République et disait que "c'est un mauvais Président"... "
Il dit qu'il n'a pas renforcé la fonction présidentielle... Je dirais que on est là dans le jeu des partis.
- "Mais non, on est dans le jeu de la stratégie que vous dénonciez. Il aurait pu dire : je ne suis pas d'accord avec les idées de la droite, pour telle et telle raisons, les idées de la gauche diffèrent en cela. Il aurait placé le débat à son véritable niveau. Non ! Une fois de plus, ce matin encore, nos adversaires placent le niveau au sens de la personne, et seulement au sens de la personne et pas de celui des idées. Nous, nous voudrions qu'on parle des idées, parce que nous avons des choses importantes à dire..."
Dont acte. Allez, après tout, pourquoi pas sur l'argument Strauss-Kahn... Mais vous-mêmes, dans l'opposition, vous ne manquez pas de dire : "C'est untel qui a organisé le retour de Schuller", "C'est un piège", etc. On est toujours dans cette petite approche politicienne.
- "Je vous fais observer que nous avons dit cela en réplique. On nous a expliqué que monsieur Schuller était quelqu'un qui avait commis des malversations et que c'était au profit du RPR. Vous accepterez quand même qu'on réponde que ce n'est pas vrai ! Et qu'on a essayé de l'instrumentaliser pour empêcher précisément ce débat des idées que vous regrettez comme moi pour son absence."
Et la justice ? Parce que vous êtes un avocat, vous savez parfaitement comment fonctionne la justice. Est-ce que cette affaire ira au bout ? Est-ce que, au moins, la justice de son côté pourra faire son travail, cependant que les politiques nous parlerons du fond ?
- "J'espère que la justice va pouvoir faire son travail. Enfin, je suis également sans illusion, parce que je vois bien que dans cette affaire, on ne connaît qu'une toute petite partie des choses. Curieusement, un journal, L'Est Républicain, a publié le rapport de police dans l'affaire Schuller. Et le rapport de police dit que le RPR n'a rien à voir dans tout cela, que l'affaire Schuller est une affaire de droit commun ordinaire et que Monsieur Schuller a détourné de l'argent à son profit exclusif. De cela, on n'en parle pas ! Et il y a bien évidemment une instrumentalisation de Schuller à des fins politiciennes."
Mais on voit bien aussi la bataille qui est menée par les uns et les autres, pour essayer de traquer le vice de forme, faire en sorte que l'instruction ne puisse pas avoir lieu, qu'elle soit repoussée au-delà des élections... Il y a tout un travail quand même...
- "C'est le travail des avocats et c'est un travail naturel, parce que c'est le travail de l'application de la loi. Il faut dire que dans le domaine de la procédure pénale, la loi est devenue si complexe, comme à plaisir d'ailleurs, parce que le Gouvernement - et tous les gouvernements de ce point de vue-là sont responsables - ont sans arrêt compliqué les choses. Eh bien, les avocats demandent l'application de la loi, ils sont là pour cela. Et quand la procédure a été mal conduite, ce qui arrive très souvent, beaucoup trop souvent, eh bien, il y a des nullités."
Est-ce que quand vous vous croisez dans les couloirs de l'Assemblée nationale, les uns et les autres, hommes de droite, hommes de gauche, vous vous dites ensemble : "Bon, allez maintenant, ça y est, on y va quoi, on a des choses...". Parce que ça, encore une fois, on ne l'entend pas.
- "On se le dit constamment, qu'on voudrait que le débat ait lieu sur les idées, sur ce qui nous sépare, nous oppose, et qui nous oppose noblement. Mais c'est sans doute aussi commercialement des choses plus difficiles à faire accepter... On ne fait pas un grand succès médiatique avec simplement un débat d'idées."
Puisque là-dessus, sur le fond, on a un petit peu de mal à voir ce qui vous rassemble ou ce qui vous sépare... Parce que des choses vous rassemblent, comme sur la sécurité, quoi qu'on en dise... Il y a des points communs...
- "Oui... Enfin... Nous n'avons pas la même conception."
Où est la différence ? Votre vision du monde, en quoi un homme ou une femme qui va voter pour l'un ou l'autre, dans les semaines qui viennent, pourront-ils faire une différence ?
- "Il y a, par exemple, l'enjeu des retraites. Sur ce point, nous pensons que les gens sont vraiment menacés dans leur avenir, parce que la démographie est telle que les retraites ne pourront pas être payées dans les prochaines années. Et nous sommes vraiment partisans d'une réforme. La gauche dit que les choses vont s'arranger d'elles-mêmes. C'est une grande différence. Sur la sécurité, nous sommes beaucoup moins angéliques et nous pensons que la responsabilité individuelle, pour rester un peu au plan philosophique, est quand même la priorité, et que l'individu est plus responsable que la société des infractions. Nous pensons que la justice doit passer pour tout le monde. Et qu'en réalité aujourd'hui, la plupart des jugements ne sont pas exécutés quand il s'agit de petites peines. J'entendais ce qu'on disait sur J. Bové : en fait, on nous a fait comprendre qu'il pourrait ne pas faire sa peine. Cela me scandalise à moitié. Cela me scandalise un peu, parce que c'est symbolique. Mais la plupart des petites peines, 50 % environ, ne sont pas exécutées. Et ceci constitue évidemment un encouragement considérable à la délinquance. Sur ces choses-là, évidemment, il y a une vraie différence entre la droite et la gauche."
Mais il y a aussi cette question d'exception et de la façon dont les Français peuvent la percevoir ? Parce que, ce que vous dites de J. Bové, on peut se poser le même genre de questions aussi sur l'affaire Schuller et la façon dont les uns et les autres réagissent ?
- "Schuller doit répondre devant la justice. La question qui m'intéresse, c'est pourquoi pendant sept années, on n'a pas fait exécuter le mandat d'arrêt ? Pourquoi on n'a pas été plus diligents dans les recherches ? Et pourquoi même le mandat d'arrêt, on ne l'exécute que sur lui ?"
Alors, est-ce que maintenant - pardon d'en revenir à la stratégie -, la campagne va changer ? Est-ce que J. Chirac va rentrer plus tôt dans le débat ? Quand va-t-il rentrer dans la bataille ?
- "Ce moment, c'est lui qui va le choisir, pour ce qui est de sa campagne, mais c'est aussi les Français d'une certaine manière, car jusqu'à maintenant, il m'a semblé que les Français n'étaient pas disposés à entrer dans le débat de la campagne : la preuve, c'est que le débat des idées n'avait pas lieu. Et il me semble que, peut-être depuis quelques jours, il y a une conscience de la part de l'opinion qu'enfin, on doit aborder le débat des idées. Ce qui veut dire que la campagne peut commencer. Dès lors, chacun des deux candidats peut choisir plus facilement le moment de son entrée en campagne. Jusque-là, il fallait attendre que les Français soient disponibles."
Et celui qu'on appelle, à tort ou à raison, peu importe, le "troisième homme", J.-P. Chevènement, qui a attaqué sur le fond peut-être plus tôt que les autres, cela pousse H. de Charette à dire : "Le deuxième tour sera entre Chevènement et Jospin"...
- "Oui, ce n'est pas très sérieux. J'ai remarqué qu'au passage d'ailleurs, H. de Charette avait également lâché une rafale contre le candidat qu'il soutenait et F. Bayrou. Bon. Ce n'est pas très sérieux, parce qu'il me semble que dans ce pays, et fort heureusement, il y a une droite et une gauche, que la véritable alternative se passe entre les deux, et que Chevènement est un homme de gauche - et un véritable homme de gauche, il était au Gouvernement il y a encore 18 mois ! Le bilan de ce Gouvernement, il en porte le poids ! La sécurité, qui interpelle tellement l'électorat, de gauche comme de droite d'ailleurs, c'est le bilan de Chevènement ! La montée de la délinquance, c'est Chevènement ! J'entendais tout à l'heure une critique des adjoints de sécurité, c'est-à-dire de policiers au rabais et qui ne sont pas finalement assez compétents pour accomplir les missions très professionnelles qui sont demandées dans ce domaine : c'est une invention de monsieur Chevènement ! La régularisation des sans-papiers, c'est monsieur Chevènement ! Le soutien à S. Hussein : si on l'avait laissé faire, aujourd'hui S. Hussein serait maître du pétrole du Golfe persique et on serait dans quelle situation ? C'est J.-P. Chevènement ! La lutte contre l'euro aujourd'hui : vous vous rendez compte dans quelle situation on serait, si on avait écouté J.-P. Chevènement ? On aurait continué les nationalisations, on n'aurait pas l'euro et S. Hussein serait maître du Golfe persique ! Bon. Si la droite veut voter pour lui, c'est qu'elle a perdu toute raison !"
Vous voyez comme vous êtes : quand on vous lâche sur le fond, on ne vous arrête plus !
(Source : Premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 février 2002)