Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, au quotidien "Ouest France" le 8 février 2002, sur la situation au Proche-Orient.

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Média : Ouest France

Texte intégral

Q - Vos nouvelles propositions pour sortir de la crise israélo-palestinienne sont-elles fondées sur le sentiment d'une amélioration possible ?
R - Malheureusement, rien ne va encore dans ce sens. Et c'est parce que nous cherchons tous les moyens de sortir de l'impasse que nous avons avancé deux idées : un soutien européen au plan Shimon Peres-Abou Ala de reconnaissance d'un Etat palestinien, au début de processus de négociation plutôt qu'à la fin. Et des élections dans les Territoires palestiniens.
Q - Comment reconnaître un Etat sans fixer au préalable des frontières ?
R - L'expérience a montré quel point cette délimitation est difficile. Ne réintroduisons pas de nouveaux préalables qui compliqueraient encore les choses. Dans la situation actuelle, je pense que nous devons soutenir tous les efforts pour sortir de l'impasse.
Q - De nouvelles élections doivent-elles faire émerger une nouvelle direction palestinienne ?
R - Il ne s'agit en aucun cas, pour nous, de contribuer à l'opération de délégitimation d'Arafat et de l'Autorité palestinienne que tente le gouvernement israélien. Au contraire. Ce n'est pas à nous, ni aux Israéliens, de dire si Arafat est encore légitime. Je pense qu'il l'est. Après seize mois de crise aiguë, 1200 morts, dont plus de 900 Palestiniens, il faut redonner aux Palestiniens, totalement désespérés et qui eux aussi voudraient la paix et la sécurité, un autre moyen d'expression que l'attentat suicide ! Des démocraties comme Israël et les Etats-Unis ne peuvent pas être contre.
Q - N'y a-t-il pas urgence, dans la mesure où l'anarchie et le désordre minent déjà l'Autorité palestinienne ?
R - La société palestinienne dans son ensemble, et pas seulement ses dirigeants, est de plus en plus minée par l'occupation, la répression et cette politique israélienne de délégitimation, malheureusement approuvée par le gouvernement américain, qui conduit, je le crains, à une impasse stratégique. Car, répétons le, il n'y aura pas de solution sans Etat palestinien, ce qui nécessite des négociations, et donc des partenaires. Raisonnement que l'on croyait acquis depuis Oslo, et qu'il faut réaffirmer.
Q - Quel accueil vos idées ont-elles reçu ?
R - Personne ne les a rejetées, en tout cas s'agissant des élections : idée difficile à récuser. Les uns et les autres demandent à y réfléchir, ce qui est normal. Nous allons les faire avancer.
Q - Entre le discours de Bush, qui colle à Sharon, et celui de Powell, qui ménage Arafat, où se trouve la position de l'Amérique ?
R - La politique américaine est définie par le président, et se traduit, jusqu'ici, par un soutien presque total à la politique du gouvernement Sharon, exigeant en particulier le rétablissement du calme et de la sécurité - comme préalable absolu - a toute négociation politique. C'est sur ce point que cette politique diffère le plus de celle des Quinze qui estiment qu'il faut simultanément lutter contre le terrorisme et rechercher une solution politique. Cela dit, Colin Powell maintient le contact avec Yasser Arafat. J'espère que le président Bush, qui reçoit une nouvelle fois Ariel Sharon, l'encouragera à une approche plus politique, d'autant que la fermeté répressive de Sharon n'a pas apporté la sécurité aux Israéliens.
Q - Le désaccord des Quinze avec la Maison Blanche sur la politique de Sharon va-t-il déboucher sur une initiative européenne ?
R - "L'initiative" des Quinze existe déjà : c'est notre action de tous les jours, nos déclarations, par exemple celle de Laeken, les visites des ministres sur place y compris chez Yasser Arafat, les idées françaises, et d'autres, notre contact permanent avec Colin Powell.
Q - En désignant trois pays comme "l'axe du mal", Bush définit-il une doctrine équivalente à celle de la lutte contre " l'empire du mal " communiste, sous Reagan ?
R - Non, même si cette rhétorique du bien et du mal est efficace sur l'opinion américaine, il n'y a pas de réalité de cet "axe", alors que l'URSS était une réalité. Je rappelle que le même Reagan a fini par passer d'importants accords avec l'URSS, après sa réélection. Un nombre impressionnant de pays dans le monde sont décidés à lutter contre le terrorisme avec ténacité, mais pensent en même temps que cela ne suffira pas à régler tous les autres problèmes de la planète. Il faut compléter la coalition contre le terrorisme par une coalition pour un monde équitable. Cela passe par une solution durable des crises régionales au Proche-Orient.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 février 2002)