Interview de M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, à France Culture le 8 novembre 2001, sur la privatisation du secteur de l'éducation, notamment aux Etats Unis et le système de subventions de l'enseignement public en France.

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Média : France Culture

Texte intégral

Antoine Mercier
Bonjour. Alors que s'ouvre demain au Qatar la 4ème conférence ministérielle de l'OMC, le débat lancé à Seattle se prolonge, faut-il considérer la libéralisation des échanges comme un bienfait ? Surtout jusqu'où libéraliser ? Les secteurs des services, et en particulier la santé et l'éducation, sont déjà considérés comme des secteurs potentiellement ouverts au marché. C'est ce qui inquiète l'invité de Dispute ce matin, Jean-Luc Mélenchon, ministre chargé de l'Enseignement professionnel. Menaces sur l'Éducation.
Jean-Luc Mélenchon
Il faut tirer la sonnette d'alarme et il faut ouvrir grand les yeux sur ce qui est en train de se passer. L'Éducation jusqu'à présent, ce n'était pas perçu comme un secteur dans lequel pouvait se faire de l'accumulation de profits, mais il y a dix ans personne n'aurait cru que les biotechniques pouvaient être un lieu d'accumulation de profits. Personne n'aurait eu à l'idée qu'on allait breveter des bouts du génome humain, pour l'Éducation c'est pareil, personne n'y a vraiment fait attention mais certains, oui ont fait très attention. Ils se sont aperçus que ça représentait une dépense aujourd'hui de 1600 milliards de dollars dans le monde, c'est-à-dire quelque chose comme quatre fois ce que ça représentait dans les années 1960. Donc potentiellement c'est un marché.
Antoine Mercier
Est-ce que cette menace est pour l'instant, disons, encore en l'air, ou est-ce que déjà concrètement vous la sentez se manifester ?
Jean-Luc Mélenchon
C'est très concret à échelle internationale, d'abord dans le temple de toutes les sottises que sont les États-Unis d'Amérique, vous avez déjà des États qui ont vendu toutes les universités, parfois tout un réseau de lycées ou de collèges et donc à partir de là, eh bien, voilà si vous voulez que vos enfants soient éduqués, eh bien vous payez. Donc c'est un système en quelque sorte par capitalisation. Alors, les familles paient, ensuite l'étudiant emprunte et rembourse toute sa vie, vous avez donc ce système là d'un côté et l'autre système, c'est celui que nous connaissons, qui en France est très fort, c'est un système de répartition, la génération actuelle paie l'éducation des jeunes qui sont aujourd'hui en formation et en principe cette éducation est gratuite. Alors nous nous plaignons parce qu'elle ne l'est pas tout à fait mais néanmoins, globalement, elle est gratuite.
Antoine Mercier
Est-ce qu'il y a des négociations internationales déjà commencées dans le cadre de l'OMC ou parallèlement sur cette question de la libéralisation ou de la privatisation du secteur de l'Éducation ?
Jean-Luc Mélenchon
Oui, les États-Unis et quelques autres pays ont beaucoup poussé pour faire rentrer l'Éducation dans le champ de la négociation. Et puis certains disent que, par le biais de la libéralisation des services, dès lors qu'on considérerait l'Éducation comme un service, l'Éducation pourrait se trouver prise dans ce champ. Alors comment ça pourrait se faire très concrètement ? Eh bien, par exemple, vous pourriez avoir une très grande firme et il y en a déjà quelques-unes en France qui ont acheté par exemple tout un ensemble d'éditions pédagogiques, donc on peut imaginer qu'une grande firme décide de faire une préparation à tel ou tel diplôme alors ce ne serait plus comme avant la petite école privée ou le petit machin dans un coin, non ce serait à l'échelle de masse avec une auto certification, c'est-à-dire la firme produirait l'enseignement et le diplôme. Voilà.
Antoine Mercier
C'est-à-dire qu'à ce moment là pourraient s'appliquer les règles de concurrence et que les subventions à l'éducation pour le public seraient considérées comme des entraves à la concurrence ?
Jean-Luc Mélenchon
Totalement, c'est comme ça que ça commence toujours. On commence par faire une petite faille dans le système et puis après, ça fait un effet boule de neige et ça implique tout le reste. Les mêmes arrivent le lendemain et disent " ce n'est pas normal, vous, vous avez des subventions et pas nous " ou bien demandent aussi une part de subvention et ça y est la machine est partie. Rendre chacun tributaire de son éducation, c'est retourner à quelque chose qui chez nous existait sous l'Ancien Régime. Rien que ça, c'est un pur scandale, tant d'efforts pour en revenir à ce genre de formule. (1). c'est impur ; (2), c'est du court-terme absolu. Il n'y a que les firmes financières pour avoir une idée pareille parce que il est bien évident que, si vous êtes dans un système de cette nature, vous allez vous payer essentiellement la formation la plus courte, celle qui vous permet de la rentabiliser tout de suite, or ce n'est pas du tout de ça dont ont besoin les économies avancées, on a besoin de gens au contraire qui aient une formation initiale assez large, d'assez longue durée pour pouvoir se re-qualifier tout au long de la vie, donc c'est ruineux pour la société. Donc tout ça si vous voulez c'est une approche complètement idéologique de l'école avec le seul but de faire de l'argent. Sauf qu'on ne peut pas faire de l'argent avec tout, ce n'est pas compatible avec tout.
Antoine Mercier
Vous avez le sentiment que ça peut être un débat aujourd'hui, une option, qu'on en est là, qu'on en est au point où il va peut-être falloir un jour choisir ou en tout cas faire attention, de même que pour les retraites comme puisque vous avez fait un peu le parallèle ?
Jean-Luc Mélenchon
Oui, j'ai fait le parallèle avec les retraites parce que c'est exactement la même conception philosophique de la vie en société, capitalisation ou répartition. Moi, je pense oui que ça doit faire partie des débats parce qu'aujourd'hui on mouline ici, là, à droite, à gauche, mais surtout à droite, des paroles qui ont l'air innocentes, on parle de flexibiliser le système, on utilise tout ce vocabulaire qui est tiré de l'entreprise et je pense qu'il faut mettre au pied du mur un certain nombre de gens, notamment les libéraux qui tiennent sur ce registre, à mon avis, des discours complètement irresponsables pour le pays parce que si on les suivait, on se retrouverait rapidement dans la situation dans laquelle se trouve l'Angleterre qui, elle-même, qualifie son système éducatif de catastrophe nationale.
Antoine Mercier
Le répondeur de Dispute 01 42 20 62 62. FIN
(Source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 16 novembre 2001)