Texte intégral
IF - La négociation a-t-elle encore des chances d'aboutir ?
N. P. - "Les organisations syndicales et patronales cherchent à remédier à l'une des difficultés majeures du fonctionnement actuel de la formation professionnelle : alors que la loi de 1971 voulait faire de la formation un facteur de progression professionnelle pour tous, elle est aujourd'hui de plus en plus déconnectée de la carrière des salariés. Les partenaires sociaux tentent de surmonter cette difficulté. Ils introduisent une distinction entre les formations à l'initiative de l'employeur - financées par lui et réalisées sur le temps de travail -, les formations à l'initiative du salarié, - financées avec l'aide des fonds mutualisés par les entreprises au sein des organismes qui gèrent le congé individuel de formation -, et les formations d'initiative conjointe, - cofinancées par l'entreprise et par le salarié. Les organisations syndicales se sont montrées ouvertes à cette voie d'évolution de notre système qui peut constituer un réel progrès en liant plus systématiquement les actions de formation à l'obtention d'une qualification reconnue dans l'entreprise et sur le marché du travail.
Ils donnent ainsi un nouveau contenu au co-investissement. Mais, comme on pouvait s'y attendre, ce sont les modalités concrètes de mise en uvre qui posent problème et, en particulier, la contribution respective des employeurs et des salariés au financement des actions de formation d'initiative conjointe ou "plans de développement concerté", selon l'expression du texte en cours de discussion. La négociation a permis de réaliser quelques avancées importantes, notamment en établissant clairement que seules les formations d'initiative conjointe ou les formations à l'initiative du salarié pourraient éventuellement être effectuées en partie en dehors du temps de travail. Bien des problèmes restent cependant à résoudre. Je pense, en particulier, au dispositif d'épargne salariale qui est proposé par la délégation patronale pour favoriser le montage des plans de développement concertés ou des projets individuels de formation. Ce système ne risque-t-il pas de reproduire, voire d'accentuer, les inégalités d'accès à la formation, surtout si aucun avantage n'est lié à l'effort d'anticipation fait par les salariés ? Je n'ai donc pas été surprise que les négociateurs aient estimé nécessaire de se donner un délai supplémentaire. J'espère que ce délai leur permettra de construire un système plus équilibré.
Un accord sur des bases insuffisantes aurait probablement débouché sur un dispositif peu applicable, sauf dans quelques grandes entreprises et aurait encore complexifié un système déjà peu lisible.
IF - Le texte en cours de discussion renvoie à l'État la responsabilité d'un "droit différé à la qualification" pour tous ceux qui ont achevé leur formation initiale avant le baccalauréat. Le gouvernement a-t-il engagé une réflexion sur ce sujet ?
N. P. - L'idée d'un "crédit éducatif" n'est pas nouvelle. Elle commence à s'imposer, parce qu'elle répond à une exigence de justice sociale, mais aussi parce que chacun a conscience que le bagage de connaissances et de savoir-faire qu'il a acquis à l'école ou à l'université devra être régulièrement réactualisé. La contribution de l'État qui est sollicitée relève d'un choix collectif. Il concerne l'ensemble de nos concitoyens et dépasse très largement la mise en uvre de l'accord que les partenaires sociaux tentent de conclure. La réflexion sur ce sujet ne doit pas occulter la responsabilité des entreprises dans la construction des compétences et des qualifications de leurs salariés et notamment des moins qualifiés. La construction d'un véritable "droit individuel" ne peut résulter que de la complémentarité entre un droit collectif permettant d'accéder, tout au long de sa vie, aux connaissances indispensables au développement personnel et professionnel et d'un système performant de construction des compétences et des qualifications dans les entreprises. Les partenaires sociaux ont, je crois, pris conscience de cette nécessité. L'articulation entre ces deux dimensions reste à construire. C'est une question dont nous devrons débattre avec les partenaires sociaux mais aussi avec les Conseils régionaux avant d'envisager une transposition législative d'un éventuel accord interprofessionnel.
Je crois également que la logique dans laquelle les partenaires sociaux se sont engagés devrait les conduire à envisager une gestion plus territorialisée du dispositif. Je ne sous-estime pas le rôle des branches, mais je crains que les organisations syndicales et patronales n'aient pas tiré tous les enseignements des insuffisances du système de la mutualisation tel qu'il fonctionne aujourd'hui et qu'ils se soient montrés plus sensibles à des logiques d'appareil qu'à la préoccupation d'un pilotage du dispositif au plus près des réalités du marché du travail. De nombreuses propositions semblent d'abord avoir été pensées pour des salariés stables, disposant de capacités de progression professionnelle au sein de grandes entreprises ou de branches professionnelles fortement structurées.
IF - Pensez vous pouvoir aborder ces différents points avec eux avant qu'ils aient éventuellement conclu un accord ?
N. P. - La signature d'un accord n'est prévue que pour la fin de l'année, après qu'aient été abordés les autres points qu'ils ont inscrits dans leur négociation et notamment la validation des acquis et la professionnalisation des jeunes. Cela nous donne du temps pour poursuivre le dialogue.
Je souhaite qu'ils aboutissent dans leur démarche parce que je crois qu'aucun nouveau dispositif ne sera véritablement efficace s'il ne résulte pas de la volonté partagée par l'ensemble des partenaires sociaux. Mais je souhaite également que nous trouvions ensemble et avec les conseils régionaux, les bases d'une architecture cohérente d'un système à la hauteur des défis économiques et sociaux pour les vingt ou trente ans à venir.
Propos recueillis par Françoise Decressac
(source http://www.centre-inffo.fr, le 7 février 2002)
N. P. - "Les organisations syndicales et patronales cherchent à remédier à l'une des difficultés majeures du fonctionnement actuel de la formation professionnelle : alors que la loi de 1971 voulait faire de la formation un facteur de progression professionnelle pour tous, elle est aujourd'hui de plus en plus déconnectée de la carrière des salariés. Les partenaires sociaux tentent de surmonter cette difficulté. Ils introduisent une distinction entre les formations à l'initiative de l'employeur - financées par lui et réalisées sur le temps de travail -, les formations à l'initiative du salarié, - financées avec l'aide des fonds mutualisés par les entreprises au sein des organismes qui gèrent le congé individuel de formation -, et les formations d'initiative conjointe, - cofinancées par l'entreprise et par le salarié. Les organisations syndicales se sont montrées ouvertes à cette voie d'évolution de notre système qui peut constituer un réel progrès en liant plus systématiquement les actions de formation à l'obtention d'une qualification reconnue dans l'entreprise et sur le marché du travail.
Ils donnent ainsi un nouveau contenu au co-investissement. Mais, comme on pouvait s'y attendre, ce sont les modalités concrètes de mise en uvre qui posent problème et, en particulier, la contribution respective des employeurs et des salariés au financement des actions de formation d'initiative conjointe ou "plans de développement concerté", selon l'expression du texte en cours de discussion. La négociation a permis de réaliser quelques avancées importantes, notamment en établissant clairement que seules les formations d'initiative conjointe ou les formations à l'initiative du salarié pourraient éventuellement être effectuées en partie en dehors du temps de travail. Bien des problèmes restent cependant à résoudre. Je pense, en particulier, au dispositif d'épargne salariale qui est proposé par la délégation patronale pour favoriser le montage des plans de développement concertés ou des projets individuels de formation. Ce système ne risque-t-il pas de reproduire, voire d'accentuer, les inégalités d'accès à la formation, surtout si aucun avantage n'est lié à l'effort d'anticipation fait par les salariés ? Je n'ai donc pas été surprise que les négociateurs aient estimé nécessaire de se donner un délai supplémentaire. J'espère que ce délai leur permettra de construire un système plus équilibré.
Un accord sur des bases insuffisantes aurait probablement débouché sur un dispositif peu applicable, sauf dans quelques grandes entreprises et aurait encore complexifié un système déjà peu lisible.
IF - Le texte en cours de discussion renvoie à l'État la responsabilité d'un "droit différé à la qualification" pour tous ceux qui ont achevé leur formation initiale avant le baccalauréat. Le gouvernement a-t-il engagé une réflexion sur ce sujet ?
N. P. - L'idée d'un "crédit éducatif" n'est pas nouvelle. Elle commence à s'imposer, parce qu'elle répond à une exigence de justice sociale, mais aussi parce que chacun a conscience que le bagage de connaissances et de savoir-faire qu'il a acquis à l'école ou à l'université devra être régulièrement réactualisé. La contribution de l'État qui est sollicitée relève d'un choix collectif. Il concerne l'ensemble de nos concitoyens et dépasse très largement la mise en uvre de l'accord que les partenaires sociaux tentent de conclure. La réflexion sur ce sujet ne doit pas occulter la responsabilité des entreprises dans la construction des compétences et des qualifications de leurs salariés et notamment des moins qualifiés. La construction d'un véritable "droit individuel" ne peut résulter que de la complémentarité entre un droit collectif permettant d'accéder, tout au long de sa vie, aux connaissances indispensables au développement personnel et professionnel et d'un système performant de construction des compétences et des qualifications dans les entreprises. Les partenaires sociaux ont, je crois, pris conscience de cette nécessité. L'articulation entre ces deux dimensions reste à construire. C'est une question dont nous devrons débattre avec les partenaires sociaux mais aussi avec les Conseils régionaux avant d'envisager une transposition législative d'un éventuel accord interprofessionnel.
Je crois également que la logique dans laquelle les partenaires sociaux se sont engagés devrait les conduire à envisager une gestion plus territorialisée du dispositif. Je ne sous-estime pas le rôle des branches, mais je crains que les organisations syndicales et patronales n'aient pas tiré tous les enseignements des insuffisances du système de la mutualisation tel qu'il fonctionne aujourd'hui et qu'ils se soient montrés plus sensibles à des logiques d'appareil qu'à la préoccupation d'un pilotage du dispositif au plus près des réalités du marché du travail. De nombreuses propositions semblent d'abord avoir été pensées pour des salariés stables, disposant de capacités de progression professionnelle au sein de grandes entreprises ou de branches professionnelles fortement structurées.
IF - Pensez vous pouvoir aborder ces différents points avec eux avant qu'ils aient éventuellement conclu un accord ?
N. P. - La signature d'un accord n'est prévue que pour la fin de l'année, après qu'aient été abordés les autres points qu'ils ont inscrits dans leur négociation et notamment la validation des acquis et la professionnalisation des jeunes. Cela nous donne du temps pour poursuivre le dialogue.
Je souhaite qu'ils aboutissent dans leur démarche parce que je crois qu'aucun nouveau dispositif ne sera véritablement efficace s'il ne résulte pas de la volonté partagée par l'ensemble des partenaires sociaux. Mais je souhaite également que nous trouvions ensemble et avec les conseils régionaux, les bases d'une architecture cohérente d'un système à la hauteur des défis économiques et sociaux pour les vingt ou trente ans à venir.
Propos recueillis par Françoise Decressac
(source http://www.centre-inffo.fr, le 7 février 2002)