Interview de M. Hervé de Charette, président délégué de l'UDF, à La Chaîne info le 10 décembre 2001, sur la situation en Afghanistan et au Proche-Orient, l'intervention de la France et le conflit social au sein de la gendarmerie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser L'actualité, ce matin, c'est l'Afghanistan où les Américains traquent Ben Laden, c'est le Proche-Orient où on s'approche d'une trêve timide et c'est la France, avec le mouvement des gendarmes qui s'est terminé, comme on le sait, et qui provoque bien des envies.
Vous avez provoqué une surprise la semaine dernière, en disant qu'il faut qu'Arafat s'en aille. Vous avez bousculé le bien-pensé français. Sur quoi basez-vous cette déclaration ? H. Védrine, hier soir au Grand-Jury, disait au contraire qu'il faut qu'Arafat ait plus de pouvoir politique ?
- "Je crois que monsieur Védrine est en retard d'un métro, si je puis me permettre. On s'est appuyé sur Arafat - la Communauté internationale et en particulier les Français - pendant de très longues années. Je crois qu'aujourd'hui le système Arafat est arrivé au bout du rouleau. Il faut voir la situation réelle entre Israéliens et Palestiniens : c'est la guerre. Ce n'est pas des attentats, des troubles, des désordres, pendant qu'en même temps d'autres essayent de préparer la paix : c'est la guerre. Et pour sortir de cette guerre, il faut, du côté palestinien, des hommes et des femmes qui aient de l'autorité, qui soient capables d'entraîner leur peuple. Ce n'est plus le cas d'Arafat. Il est usé, peut-être par la corruption du système, peut-être par son âge, peut-être aussi par le fait qu'en face de lui, il y a les mouvements violents, extrémistes, qui contestent son autorité. Donc, je crois que désormais, le système qu'il a monté est un obstacle pour aller vers la paix."
Dites-vous, comme D. Cheney, qu'il fait reculer le projet d'un Etat palestinien ?
- "Oui, franchement oui. Et notamment parce que cette absence totale d'autorité rend toute discussion avec les Israéliens non crédible. Je ne dis pas que les Israéliens n'ont pas des torts, je pense que Sharon a beaucoup de tort dans tout cela. Mais pour l'instant, le problème est posé du côté palestinien. Il faut bouger, il faut changer et il faut donc qu'une nouvelle génération arrive aux responsabilités."
Existe-t-elle cette nouvelle génération ?
- "Mais oui, bien entendu."
Elle est plutôt extrémiste, la nouvelle génération...
- "Il y a les uns et les autres et il faudra bien qu'ils règlent leurs problèmes entre eux. Ce n'est pas la peine d'essayer de régler le problème palestinien si d'abord, entre eux, les Palestiniens ne tranchent pas ce qu'ils veulent. On croit toujours qu'il n'y a jamais personne derrière. On croyait que derrière Eltsine, il n'y avait personne. On n'avait pas vu qu'il y avait Poutine, que personne n'avait vu. Quand on regarde la politique française, on dit qu'il n'y a personne derrière les dirigeants actuels. Mais si, il y a des hommes et des femmes qui sont tout à fait capables d'assumer leurs responsabilités. En Palestine, c'est pareil qu'ailleurs : il y a des hommes et des femmes qui sont derrière Arafat. Il y a une nouvelle génération. Je crois que la paix ne viendra que par cette nouvelle génération."
En France, il y a la relève, c'est ce que vous voulez dire ?!
Cette semaine, le Gouvernement doit prendre une décision pour la participation de la France à une force internationale qui s'établirait un temps en Afghanistan. Y êtes-vous favorable ?
- "Il faut d'abord voir si la décision est prise d'une force internationale d'interposition en Afghanistan - ou de rétablissement de la paix. Si cette force existe, il ne serait pas anormal que la France en fasse partie, absolument. L'Afghanistan est un pays où la France a eu une influence dans le passé. L'influence a reculé, avec tous les événements qui se sont succédés depuis vingt ans : l'occupation par l'Union soviétique, les désordres et puis les taliban. Mais, dans le passé, la France avait de l'influence dans cette partie du monde. D'ailleurs, quand vous voyez la télévision, souvent vous voyez des Afghans qui parlent français. Cela ne leur est pas tombé du ciel."
C'est grâce à l'Alliance française ?
- "Je ne suis pas sûr que l'Alliance française soit dans les villages. C'est parce qu'il y avait une vraie présence. Je souhaite vraiment que cette présence revienne."
Cette semaine, le sommet européen se réunit à Laeken. Problème nouveau : la création du mandat d'arrêt européen. Tout le monde la pensait acquise, mais l'Italie bloque. Imaginez-vous qu'on établisse ce qu'on appelle une "coopération renforcée", c'est-à-dire qu'il se mette en place sans l'Italie ?
- "Non. Il faut trouver une solution raisonnable entre les uns et les autres. Mais au-delà du mandat d'arrêt européen, on n'échappera pas à la création d'une police européenne, d'une force européenne du type du FBI, à laquelle on pourrait confier certains problèmes, comme par exemple, la lutte contre le terrorisme ou la lutte contre le trafic international de la drogue."
J'en viens aux gendarmes, qui ont remporté une victoire sur toute la ligne le week-end dernier.
- "C'est une triste victoire, oui, vraiment. La responsabilité de l'Etat et du Gouvernement, devant ce qui se passe depuis plusieurs semaines dans notre pays, est accablant. Voilà successivement la police, la gendarmerie, sans compter les désordres que l'on connaît dans le fonctionnement de la justice, c'est-à-dire les trois piliers qui sont chargés d'assurer la sécurité en France, et qui sont laissés dans un tel état de délabrement qu'ils en viennent aux extrémités que vous connaissez - parce que ce n'est pas glorieux de défiler en uniforme avec ses armes, quand on est gendarme."
Vous êtes d'accord avec D. Vaillant, quand il dit que les gendarmes n'auraient pas dû défiler avec leurs armes ?
- "Sûrement, mais ce n'était pas non plus glorieux de voir la police défiler. S'il en est ainsi, c'est qu'ils ont vraiment été poussés dans les cordes, laissés dans une situation de délabrement matériel et humain incroyable, et tout cela, alors que le pays - l'Etat - n'a jamais eu autant d'argent qu'au cours de ces cinq dernières années grâce à la remontée de l'économie, du retour de l'emploi, etc. - jamais ! Et, avec autant d'argent, qui a peu servi à des réductions d'impôts, les corps piliers de la sécurité de l'Etat ont été laissés à l'abandon. C'est vraiment une responsabilité considérable prise par le Gouvernement. Et s'agissant de questions qui touchent à la sécurité et à la stabilité de la nation, l'opposition devrait déposer une motion de censure dans les jours qui viennent."
Elle ne l'a jamais fait ?
- "Il serait temps qu'elle le fasse, il serait temps qu'elle apparaisse avec les valeurs qui sont les siennes et qu'elle porte devant le peuple, pour affirmer qu'elle censure un gouvernement dont la responsabilité, s'agissant des bases mêmes de l'Etat, est considérable."
A propos de cette motion de censure, voyez-vous l'Union en mouvement d'un autre oeil aujourd'hui ?
- "Je ne la vois pas d'un autre oeil. Cela n'a pas de rapport. Permettez-moi de vous dire, au passage, que c'est bien 1.000 francs pour les gendarmes. Vous voyez bien les risques de contagion que cela va induire dans le fonctionnement de l'Etat. Mais je pense à tous ceux qui ont un travail dur, exigeant, rémunéré de façon modeste. A eux aussi, cela ne ferait pas de mal 1.000 francs par mois. Autrement dit, quand on ne traite pas les problèmes, on accumule des injustices qui sont scandaleuses. C'est la situation aujourd'hui."
Répondez-moi en un mot. Après le congrès d'Amiens, l'UDF va mieux ?
- "L'avenir le dira. Je le souhaite évidemment."
Vous êtes derrière F. Bayrou ?
- "Je suis derrière cette campagne électorale que je vais suivre avec beaucoup d'attention."
Et la faire ?
- "Sûrement. Je serai dans la campagne présidentielle d'une façon ou d'une autre. N'en doutez pas un instant."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 12 décembre 2001)