Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Radio France, RFI et CNN le 30 juin 1999, sur la mise en place d'une administration civile internationale, notamment la fonction de police au Kosovo, la reconstruction du Kosovo et sur les problèmes soulevés par l'aide humanitaire à la Serbie exclusive de tout soutien au régime de Slobodan Milosevic.

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Média : CNN - Presse étrangère - Radio France Internationale - Télévision

Texte intégral

Q - Quelle est la contribution de la France au rétablissement de la sécurité au Kosovo ?
R - Il faut d'abord se rappeler que les Français ont un rôle très important dans la KFOR. Ils ont un secteur important, un secteur étendu, sensible, dans lequel il y a beaucoup de difficultés qui sont traitées avec beaucoup de courage et de doigté, en parfaite coordination avec le général Jackson. La contribution de la France au rétablissement de la sécurité au Kosovo c'est ça.
D'autre part, en ce qui concerne la police, nous allons mettre l'accent sur la formation et nous allons très rapidement faire des propositions sur ce plan.
Q - Ce sont des instructeurs qui viendraient de Bosnie ?
R - Soit de Bosnie, soit directement de France. C'est un arrangement que nous sommes en train de mettre au point au sein du gouvernement.
Q - La France a-t-elle toujours un candidat au poste de Représentant spécial ?
R - Naturellement il y a un candidat français qui est Bernard Kouchner qui fait partie des candidats présentés par l'Union européenne. Il me semble que c'est celui qui remplit le mieux les conditions pour exercer cette fonction, après M. Vieira de Mello, à un moment que le Secrétaire général, Kofi Annan, aura à choisir et cette candidature a été réexprimée, aussi bien par le président de la République que par le gouvernement.
Q - Cela veut dire que M. Vieira de Mello pourrait rester en attendant ...
R - Cela c'est l'affaire du Secrétaire général des Nations unies. C'est à lui de prendre cette décision sur ce plan et de savoir jusqu'à quand il prolonge la mission de M. Vieira de Mello qui n'est pas en cause. C'est un homme tout à fait remarquable et qui a fait dans les premiers jours un travail qui mérite d'être salué. Si le Secrétaire général considère que la mission de M. Vieira de Mello doit être vraiment temporaire et s'il doit nommer quelqu'un d'autre, il sait qu'il a des candidats européens de grande valeur, au premier plan desquels, Bernard Kouchner.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 06 juillet 1999)
ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES,
M. HUBERT VEDRINE,
AVEC "RADIO FRANCE" ET "RFI"
(New York, 30 juin 1999)
Q - Sur la police internationale, il semblerait que la question du maintien de la loi et de l'ordre soit quelque chose d'urgent. La présence la plus rapide possible de ces policiers internationaux semble donc s'imposer. Est-ce qu'ils seront armés ?
R - Pour le moment la fonction de police est assumée par la KFOR, en urgence. Il s'agit d'une des fonctions de l'administration civile, et c'est une des raisons pour lesquelles il faut qu'elle soit complètement en place le plus vite possible afin de prendre le relais. Il y a donc un besoin très urgent en formation, en recrutement et si possible en recrutement de gens expérimentés. C'est pour cela que le Secrétaire général et son représentant pour le Kosovo veulent notamment chercher du côté des pays qui ont déjà des contingents de policiers ou de gendarmes qui ont une expérience de ces multiples tâches. C'est un des point dont on a parlé dans la réunion de ce matin et j'ai confirmé que, en ce qui nous concerne, nous sommes prêts à faire un gros effort sur la formation.
Q - Est-ce que ces policiers seront armés ?
R - Je pense qu'ils devraient l'être, en tout cas pour toutes les fonctions de police qui peuvent les exposer directement à des troubles par rapport au maintien de l'ordre.
Q - En sortant de cette réunion, la plupart des pays concernés ont fait savoir que vous étiez face à un grand défi. Quel est ce défi, quelles sont les prochaines étapes ?
R - C'est réussir la paix. On a réussi la première étape qui était une mobilisation internationale et un véritable engagement pour inverser le cours des choses et mettre fin au Kosovo à toutes ces pratiques intolérables. Malheureusement cela a été obtenu par les frappes alors que cela aurait pu l'être par la politique et la diplomatie si Belgrade avait compris plus tôt.
Maintenant nous avons à relever un défi tout à fait considérable qui n'est même pas de rétablir, mais d'établir au Kosovo les bases d'une société en paix, d'une société sûre et d'un société dans laquelle les uns et les autres puissent coexister. C'est très important qu'on arrive à convaincre les populations qui, du fait de l'histoire tragique qui est la leur depuis extrêmement longtemps, pensent en termes de peur, de crainte, de menaces, de massacres, de revanche, etc. C'est très important que l'on arrive à les convaincre tous que nous sommes là pour apporter la sécurité pour tout le monde, pour que toutes les communautés du Kosovo puissent coexister.
Donc nous disons à ceux qui sont là de rester, à ceux qui avaient été chassés de rentrer, à ceux qui sont partis de revenir, à ceux qui n'ont pas confiance de reprendre confiance. Il faut le démontrer dans les actes de tous les jours. A partir de cette reconstitution de la sécurité qui est à la base de tout le reste, il faut leur montrer comment bâtir, et avec eux, une société qui puisse s'administrer, qui puisse aller vers les institutions de l'autonomie que la résolution 1244 a prévues. C'est quelque chose qui va se gagner ou se perdre sur chacun des terrains : la police, la justice, l'administration municipale, le fonctionnement des services publics, la vie de tous les jours, l'éducation, les rapports d'une communauté à l'autre. L'administration civile que le Conseil de sécurité met en place a besoin de travailler avec des représentants avec qui on va organiser un conseil consultatif où il faut que chaque communauté du Kosovo ait sa place.
C'est l'enjeu. Il est considérable parce que selon ce que nous réussirons à faire au Kosovo, cela donnera un éclairage à tout ce qui a été entrepris depuis le début. C'était au fond notre objectif et cela aura une influence dans un sens ou dans l'autre. Naturellement il faut que ce soit positif et que ce soit contagieux dans le sens de la paix, de la démocratie et de la liberté. Cela aura une influence sur toute la région qui regarde ce qui va se passer au Kosovo. C'est donc toute la crédibilité de l'engagement international qui a finalement été résumé - comme nous l'avions souhaité - par une résolution du Conseil de sécurité, qui est en jeu maintenant.
Q - Sur l'aide financière à la Serbie, sans ou avec Milosevic.
R - Il n'y a aucun désaccord sur l'aide au Kosovo. En ce qui concerne l'aide à la Serbie, il y a des nuances entre la Russie ou la Chine qui pensent que tous les pays des Balkans doivent en bénéficier et, disons, l'ensemble des autres qui considèrent que ce serait une erreur grave d'aider le régime actuel de Belgrade à se "refaire", pardonnez-moi l'expression, à partir de l'aide internationale.
Il y a un accord complet sur l'aide humanitaire et il y a une approche qui est au cas par cas sur les questions de reconstruction qui, dans certains cas, peuvent apparaître comme humanitaires, et qui, dans d'autres cas, seraient une sorte d'aide économique d'avenir qui n'est pas concevable avec ce régime-là. Voilà où nous en sommes pour l'instant.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 06 juillet 1999)
ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES,
M. HUBERT VEDRINE,
AVEC "CNN"
(New York, 30 juin 1999)
Q - Pourriez-vous nous parler de cette réunion, des décisions qui ont été prises sur les financements, les troupes qui vont être envoyées ?
R - Le Secrétaire général a pris une très bonne initiative. Il a convoqué un groupe des amis du Secrétaire général concernant la question du Kosovo. On sait que la résolution 1244 a confié au Secrétaire général la tâche de mettre en place au Kosovo une administration civile internationale transitoire.
Compte tenu de ce qu'a vécu le Kosovo depuis des mois et des années, compte tenu des derniers événements, il faut aller très vite. M. Vieira de Mello a déjà commencé un travail remarquable. La réunion de ce matin, qui n'est pas terminée, consiste à regarder point par point ce que l'on va faire et comment l'on peut accélérer les choses : l'administration, la police, la justice, le retour des réfugiés, la reconstruction, la préparation, à plus long terme, des institutions d'autonomie locale. Chaque pays autour de la table précise ses intentions, sa participation, sa contribution. C'est très important parce que rien n'est joué encore.
Q - Quel genre de discussion y-a-t-il eu en ce qui concerne l'aide à la Yougoslavie et pas seulement au Kosovo ?
R - C'est un sujet qui est un peu connexe par rapport à la réunion de ce matin. Aujourd'hui nous parlons de ce que nous faisons au Kosovo pour appliquer la 1244, mais c'est un peu lié en fait. Je peux quand même vous résumer la discussion.
Tous les participants considèrent que l'aide humanitaire doit être accordée sans restriction. C'est un principe général. Un ou deux pays comme la Russie ou la Chine plaident pour une aide sur tous les plans à la Yougoslavie, dans le cadre d'une politique générale pour les Balkans. Les principaux pays occidentaux considèrent qu'il faut distinguer entre l'aide humanitaire, l'aide économique d'avenir et la reconstruction.
Certains pays comme la France considèrent qu'une partie de la reconstruction est en fait humanitaire. Par exemple ce qui permet de se chauffer ou d'avoir de l'eau potable. D'autres pays sont plus réticents. Il y a la question des équipements qui ne sont pas d'intérêt uniquement serbe, mais régionaux, comme certains ponts. Il y a donc quelques nuances sur lesquelles nous allons continuer à travailler.
Mais il y a unité sur l'essentiel. Aucun pays occidental ne veut conforter ce régime. Toutes nos décisions dans ce domaine au contraire seront des messages très précis, un encouragement au changement en Yougoslavie.
Q - Quand pourra-t-on passer à une administration civile ?
R - Le plus tôt possible. Quand la KFOR est arrivée elle était obligée d'accomplir toutes les tâches, y compris les tâches de police, qui relèvent de l'administration civile. En ce qui concerne celles-ci, M. Vieira de Mello, qui représente le Secrétaire général, a bien travaillé. Les volets de l'administration civile vont être en place dans les tous prochains jours. La mise en place ne se fait pas à une date précise. Elle a déjà commencé et la part de l'administration civile va croître chaque jour. Et je voudrais souligner qu'elle travaille la main dans la main avec la KFOR, ce qui est une condition de réussite. Ce n'est pas du tout ce qui s'était passé en Bosnie à l'origine. C'est très encourageant et la situation reste très difficile sur le terrain, donc il faut vraiment aller très vite. Notamment nous avons le devoir de convaincre toutes les communautés qui vivent au Kosovo qu'elles peuvent coexister grâce à cette nouvelle sécurité internationale.
Q - Les Kosovars vont reconstruire leurs maisons, relancer l'agriculture, mais en ce qui concerne les usines, par exemple, est-ce que l'on peut relancer la production, est-ce qu'il y a assez de juristes pour faire tourner la justice, est-ce qu'il y a assez de personnes sur le terrain pour faire fonctionner le Kosovo, ou est-ce qu'il va falloir importer du personnel ?
R - La réunion de ce matin porte là-dessus précisément. Dans certains cas l'administration civile trouvera au Kosovo des gens capables d'assumer ces tâches. Il y a beaucoup de gens compétents chez les Kosovars albanophones qui avaient été écartés ces dernières années et qui peuvent recommencer à travailler maintenant. Chaque fois que cela sera nécessaire nous feront venir des experts ou des spécialistes étrangers. C'est une phase de transition. L'objectif est d'arriver à une autonomie qui puisse fonctionner par elle-même en assurant les fonctions essentielles pour tous les habitants du Kosovo, quels qu'ils soient.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 06 juillet 1999)