Texte intégral
Q - Quel rôle a joué la France dans la sortie de crise des Balkans ?
R - La diplomatie française a joué un rôle moteur dans la sortie de la crise. Quelques exemples : son rôle initial dans la définition des cinq conditions, l'idée que le vote d'une résolution permettrait de ne pas négocier avec Belgrade ; la proposition de mandater le président Ahtisaari comme envoyé de l'Union européenne ; la mise au point finale du texte de la résolution, et notamment la proposition que j'ai faite de synchronisation de la signature de l'accord de retrait, de l'arrêt des frappes, du vote de la résolution, du début du retrait des Serbes, du début de l'entrée de la KFOR. J'ajoute la volonté constante de faire jouer tout son rôle au Conseil de sécurité et le maintien d'un lien permanent avec les Russes.
N'oublions pas non plus le rôle des militaires français. Cela forme un tout.
Q - Comment faire pour amener les Balkans dans l'Union européenne au XXIème siècle ?
R - Déjà, dans mon livre sur la politique étrangère de François Mitterrand, j'avais employé l'expression "européaniser les Balkans". C'est un objectif stratégique qui englobe toutes les actions d'encouragement à la démocratisation, d'aide au développement, de renforcement de la sécurité des pays de la région. Pour y parvenir les quinze pays de l'Union européenne devront agir ensemble ; maintenir, avec les Etats-Unis et la Russie une coordination étroite et concilier approche régionale et traitement sur mesure de chaque pays pris en particulier : l'Albanie n'est pas la Roumanie ; les problèmes de la Bosnie ne sont pas ceux de la Macédoine, etc.
Cette politique pour les Balkans est ambitieuse ; elle supposera du souffle, et de la ténacité. Il faudra qu'elle provoque à un moment ou à un autre une vraie révolution des mentalités dans cette région, pour que le recours à la violence soit définitivement banni.
Q - Quelles sont les responsabilités des Européens dans cette sortie de crise et en sortent-ils renforcés ou affaiblis ?
R - Les Européens sortent renforcés de cette crise parce qu'ils ont su montrer notamment sous l'impulsion de la France, de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne et de l'Italie leur volonté commune de mettre un terme à une politique odieuse qui n'avait que trop duré, parce qu'ils sont restés jusqu'au bout cohérents et déterminés. Dans la période qui s'ouvre pour bâtir la paix les Européens et plus encore, l'Union européenne en tant que telle, va avoir une responsabilité considérable dans la gestion de l'administration civile du Kosovo, dans la reconstruction du Kosovo et pour la stabilisation de l'ensemble des Balkans.
Q - Quelles leçons tirez-vous, sur le plan diplomatique, de la crise du Kosovo ?
R - L'unité a été essentielle. Les Européens (les 15 de l'Union mais aussi les pays de l'Alliance atlantique qui ne sont pas encore dans l'Union, la Suisse, les pays européens voisins de la Yougoslavie), les Etats-Unis et la Russie ont réussi à réagir dès le début à cette crise parce qu'ils ont su surmonter leurs divergences et faire prévaloir une volonté commune.
La leçon que j'en tire est que les Européens ont une influence considérable sur les événements quand ils sont unis ; s'agissant des relations avec les Etats-Unis, nous devons être capable de travailler et de coopérer avec eux sans fausse gêne quand nous partageons les mêmes objectifs, de même que nous devons être chaque fois qu'il le faut capable de leur résister. Il nous faudra garder la même unité dans la construction de la paix au Kosovo ensuite et dans la stabilisation des Balkans. Mais je n'en tire pas comme leçon que l'Europe de la défense ni que la politique étrangère européenne commune vont sortir toutes armées de la crise du Kosovo, telle Minerve de la Cuisse de Jupiter. Nous de la guerre du Kosovo dans de bonnes conditions pour que l'Europe aille plus loin. Mais l'essentiel reste à faire.
Q - Y aura-t-il une nouvelle donne entre l'Europe et la Russie ? Et que faire pour éviter l'apparition de semblables conflits dans l'ex-Union Soviétique ?
R - La Russie veut développer à long terme ses relations avec l'Europe sous toutes ses formes. De notre côté, nous avons intérêt à ce que la Russie consolide sa démocratie, se développe et devienne un pays moderne et stable avec lequel nous pourrons cohabiter en paix et en confiance et coopérer. Nos intérêts à long terme coïncideront d'autant mieux que les étapes intermédiaires au cours de ce long chemin seront bien gérées.
Quant à l'apparition d'éventuels conflits dans l'ex-Union Soviétique, il faut savoir qu'il y en a déjà un certain nombre dans le Caucase ou en Asie Centrale. Chaque fois que nous le pouvons, par exemple pour le Caucase à travers le Groupe de Minsk dont nous sommes co-président, nous contribuons à la recherche d'une solution pacifique. Pour prévenir de nouveaux conflits, là comme ailleurs, il faut désamorcer avant qu'il ne soit trop tard les problèmes de frontières et de minorités en mettant en place des mécanismes civilisés de règlement de conflit.
Q - Comment la France et l'Europe vont-elles se positionner vis-à-vis des Etats-Unis après ce conflit ?
R - Il faut tout faire pour préserver l'unité, de l'Europe, des Etats-Unis et de la Russie en ce qui concerne le Kosovo et l'avenir des Balkans en général. Il n'y a pas de raison qu'il y ait sur ce terrain de problème entre l'Europe et les Etats-Unis, dès lors que ces derniers accepteront le rôle majeur de l'Union Européenne. En revanche, d'autres tensions peuvent naître entre l'Europe et les Etats-Unis du fait du rééquilibrage du système monétaire dans le monde grâce à l'euro, ou de l'affirmation progressive d'une vraie défense européenne. Nous n'avons pas l'intention de chercher le conflit pour le conflit mais nous ne nous laisserons pas non plus paralyser dans notre volonté d'avancer.
Naturellement, il y aura toujours des contentieux économiques et commerciaux entre l'Europe et les Etats-Unis. Nous veillerons à ce que l'Union Européenne défende ses légitimes intérêts et les nôtres avec la plus grande vigilance par exemple contre les pratiques unilatérales ou extra-territoriales.
Q - Comment le nouveau M. PESC pourra-t-il réussir l'Europe de la défense et faire qu'elle pèse d'un plus grand poids dans les affaires du monde ?
R - Javier Solana qui prendra ses fonctions comme "M. PESC" à la fin de l'année ou au début de l'an prochain, devra aider les Quinze à là formulation et à la mise en oeuvre de notre politique étrangère commune, et de défense. Comment ? En favorisant l'émergence d'un consensus, en s'appuyant sur les diplomaties européennes fortes et inventives sans négliger aucune sensibilité, en faisant en sorte que notre diversité soit une richesse et non un handicap, en faisant progresser la conscience de nos intérêts et de nos objectifs partagés. Son expérience riche et diverse sera très précieuse. En matière de défense, nous devons prolonger l'élan de Saint-Malo et utiliser l'acquis de la déclaration de Cologne. Mais rien ne débouchera sans effort simultané dans les domaines de l'industrie, de la technologie et de la recherche.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 1999)
R - La diplomatie française a joué un rôle moteur dans la sortie de la crise. Quelques exemples : son rôle initial dans la définition des cinq conditions, l'idée que le vote d'une résolution permettrait de ne pas négocier avec Belgrade ; la proposition de mandater le président Ahtisaari comme envoyé de l'Union européenne ; la mise au point finale du texte de la résolution, et notamment la proposition que j'ai faite de synchronisation de la signature de l'accord de retrait, de l'arrêt des frappes, du vote de la résolution, du début du retrait des Serbes, du début de l'entrée de la KFOR. J'ajoute la volonté constante de faire jouer tout son rôle au Conseil de sécurité et le maintien d'un lien permanent avec les Russes.
N'oublions pas non plus le rôle des militaires français. Cela forme un tout.
Q - Comment faire pour amener les Balkans dans l'Union européenne au XXIème siècle ?
R - Déjà, dans mon livre sur la politique étrangère de François Mitterrand, j'avais employé l'expression "européaniser les Balkans". C'est un objectif stratégique qui englobe toutes les actions d'encouragement à la démocratisation, d'aide au développement, de renforcement de la sécurité des pays de la région. Pour y parvenir les quinze pays de l'Union européenne devront agir ensemble ; maintenir, avec les Etats-Unis et la Russie une coordination étroite et concilier approche régionale et traitement sur mesure de chaque pays pris en particulier : l'Albanie n'est pas la Roumanie ; les problèmes de la Bosnie ne sont pas ceux de la Macédoine, etc.
Cette politique pour les Balkans est ambitieuse ; elle supposera du souffle, et de la ténacité. Il faudra qu'elle provoque à un moment ou à un autre une vraie révolution des mentalités dans cette région, pour que le recours à la violence soit définitivement banni.
Q - Quelles sont les responsabilités des Européens dans cette sortie de crise et en sortent-ils renforcés ou affaiblis ?
R - Les Européens sortent renforcés de cette crise parce qu'ils ont su montrer notamment sous l'impulsion de la France, de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne et de l'Italie leur volonté commune de mettre un terme à une politique odieuse qui n'avait que trop duré, parce qu'ils sont restés jusqu'au bout cohérents et déterminés. Dans la période qui s'ouvre pour bâtir la paix les Européens et plus encore, l'Union européenne en tant que telle, va avoir une responsabilité considérable dans la gestion de l'administration civile du Kosovo, dans la reconstruction du Kosovo et pour la stabilisation de l'ensemble des Balkans.
Q - Quelles leçons tirez-vous, sur le plan diplomatique, de la crise du Kosovo ?
R - L'unité a été essentielle. Les Européens (les 15 de l'Union mais aussi les pays de l'Alliance atlantique qui ne sont pas encore dans l'Union, la Suisse, les pays européens voisins de la Yougoslavie), les Etats-Unis et la Russie ont réussi à réagir dès le début à cette crise parce qu'ils ont su surmonter leurs divergences et faire prévaloir une volonté commune.
La leçon que j'en tire est que les Européens ont une influence considérable sur les événements quand ils sont unis ; s'agissant des relations avec les Etats-Unis, nous devons être capable de travailler et de coopérer avec eux sans fausse gêne quand nous partageons les mêmes objectifs, de même que nous devons être chaque fois qu'il le faut capable de leur résister. Il nous faudra garder la même unité dans la construction de la paix au Kosovo ensuite et dans la stabilisation des Balkans. Mais je n'en tire pas comme leçon que l'Europe de la défense ni que la politique étrangère européenne commune vont sortir toutes armées de la crise du Kosovo, telle Minerve de la Cuisse de Jupiter. Nous de la guerre du Kosovo dans de bonnes conditions pour que l'Europe aille plus loin. Mais l'essentiel reste à faire.
Q - Y aura-t-il une nouvelle donne entre l'Europe et la Russie ? Et que faire pour éviter l'apparition de semblables conflits dans l'ex-Union Soviétique ?
R - La Russie veut développer à long terme ses relations avec l'Europe sous toutes ses formes. De notre côté, nous avons intérêt à ce que la Russie consolide sa démocratie, se développe et devienne un pays moderne et stable avec lequel nous pourrons cohabiter en paix et en confiance et coopérer. Nos intérêts à long terme coïncideront d'autant mieux que les étapes intermédiaires au cours de ce long chemin seront bien gérées.
Quant à l'apparition d'éventuels conflits dans l'ex-Union Soviétique, il faut savoir qu'il y en a déjà un certain nombre dans le Caucase ou en Asie Centrale. Chaque fois que nous le pouvons, par exemple pour le Caucase à travers le Groupe de Minsk dont nous sommes co-président, nous contribuons à la recherche d'une solution pacifique. Pour prévenir de nouveaux conflits, là comme ailleurs, il faut désamorcer avant qu'il ne soit trop tard les problèmes de frontières et de minorités en mettant en place des mécanismes civilisés de règlement de conflit.
Q - Comment la France et l'Europe vont-elles se positionner vis-à-vis des Etats-Unis après ce conflit ?
R - Il faut tout faire pour préserver l'unité, de l'Europe, des Etats-Unis et de la Russie en ce qui concerne le Kosovo et l'avenir des Balkans en général. Il n'y a pas de raison qu'il y ait sur ce terrain de problème entre l'Europe et les Etats-Unis, dès lors que ces derniers accepteront le rôle majeur de l'Union Européenne. En revanche, d'autres tensions peuvent naître entre l'Europe et les Etats-Unis du fait du rééquilibrage du système monétaire dans le monde grâce à l'euro, ou de l'affirmation progressive d'une vraie défense européenne. Nous n'avons pas l'intention de chercher le conflit pour le conflit mais nous ne nous laisserons pas non plus paralyser dans notre volonté d'avancer.
Naturellement, il y aura toujours des contentieux économiques et commerciaux entre l'Europe et les Etats-Unis. Nous veillerons à ce que l'Union Européenne défende ses légitimes intérêts et les nôtres avec la plus grande vigilance par exemple contre les pratiques unilatérales ou extra-territoriales.
Q - Comment le nouveau M. PESC pourra-t-il réussir l'Europe de la défense et faire qu'elle pèse d'un plus grand poids dans les affaires du monde ?
R - Javier Solana qui prendra ses fonctions comme "M. PESC" à la fin de l'année ou au début de l'an prochain, devra aider les Quinze à là formulation et à la mise en oeuvre de notre politique étrangère commune, et de défense. Comment ? En favorisant l'émergence d'un consensus, en s'appuyant sur les diplomaties européennes fortes et inventives sans négliger aucune sensibilité, en faisant en sorte que notre diversité soit une richesse et non un handicap, en faisant progresser la conscience de nos intérêts et de nos objectifs partagés. Son expérience riche et diverse sera très précieuse. En matière de défense, nous devons prolonger l'élan de Saint-Malo et utiliser l'acquis de la déclaration de Cologne. Mais rien ne débouchera sans effort simultané dans les domaines de l'industrie, de la technologie et de la recherche.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 1999)